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Triade mythologique (2) – La gauche postdémocratique se réduit à un enfumage fric-techno-gender : et elle l'avoue !

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Président du groupe PS au Sénat, Didier Guillaume déclare : "C'est quoi, être 'de gauche' ? C'est vouloir la devise républicaine jusqu'au bout. La liberté d'aimer qui l'on veut, comme on veut. Un homme ou une femme, dans le concubinage, le Pacs ou le mariage" :

 

Et voici la suite de la phrase (Libération 28/08): "Nous devons réussir ce défi du redressement dans la justice. Et pour cela nous avons besoin des meilleurs. De ce point de vue, la promotion d'une nouvelle génération est en phase avec les évolutions de notre monde, en termes d'économie, de numérique, d'attentes sociales. Et cette nouvelle élite est à l'image de la France, diverse dans ses parcours et ses origines", etc.

 

Déclaration révélatrice de la part d'un notable ! Forcé de dire ce qu'est la gauche, le président Guillaume enfile les lieux communs ultralibéraux :

d'abord et presque uniquement, la gauche se réduirait à la dissolution législative des identités sexuées : opération que le sénateur cite comme seul exemple d'application de la devise républicaine (mais les LGBT-friendly Goldman-Sachs, Google, Monsanto, Vinci, etc, peuvent difficilement passer pour des institutions de gauche) ;

ensuite, le technoïde ! L'ancienne idée de Progrès étant morte en tant que mobile politique, on la remplace par l'alignement : se mettre  "en phase" avec le global. Être la gauche consisterait à tout soumettre aux "évolutions de notre monde" : c'est-à-dire à "l'économie" (en pratique le modèle ultralibéral), au "numérique" (la technolâtrie), et à ce que le sénateur appelle faussement les attentes "sociales", alors qu'il fait allusion (on l'a vu dès sa première phrase) à l'enfumage "sociétal", antisocial par définition.

"Nouvelle élite" de tout cela : Najat-Fleur-Emmanuel, la techno-triade de trentenaires sexy.  Être de gauche consiste donc aussi à se rabattre sur l'ambiance pub : l'éros des séries télé américaines ! (Détail : M. Guillaume qualifie cette élite de "diverse dans ses parcours" ; mais sur les trois jeunes divinités, deux sont issues de l'ENA et la troisième a raté le concours d'entrée).

 

Le président Guillaume confirme ainsi que la gauche est l'un des rouages de la Machine.

Comme l'explique Michel Onfray dans le même numéro du quotidien [1], aujourd'hui la politique se délocalise vers les questions marginales ("port du voile, mariage homosexuel, homoparentalité, gestation pour autrui, théorie du genre, euthanasie"), et elle "néglige le coeur économique : le peuple, les salariés, les ouvriers, les employés, les jeunes sans emploi, les trentenaires très diplômés, les chômeurs, les précaires, les femmes seules, les familles monoparentales, dont le quotidien reste déplorable..."

Onfray voit que le transfert du politique vers le marginal est l'un des marqueurs de la postdémocratie, produit dérivé de l'ultralibéralisme.

Mais il ne semble pas encore voir – ou pas assez nettement – trois éléments que Michéa, PMO (Pièces & main d'oeuvre) et nous tous signalons depuis des années :

1. certaines de ces questions "marginales" (sous l'angle politique) sont en réalité des fondamentaux de la condition humaine, auxquels il est illégitime de toucher ;

2. aucun régime non totalitaire ne s'était permis d'y toucher jusqu'ici. La postdémocratie imposée par l'ultralibéralisme est donc (de façon inédite) une forme de totalitarisme : le libéralisme totalitaire global, pressenti en 1999 par le P. Schooyans ;

3. la postdémocratie applique à ces questions – dites "sociétales" – une idéologie de l'anomie (désintégration des normes) dont les gender studies [2] sont un volet : un cas particulier du marketing général de dérégulation-déboussolage ;

4. inavouée – ou niée  par ses amis au gouvernement, l'idéologie du G

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Les tares centenaires du parti socialiste

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"Désarroi, incohérence, verbalisme, incompréhension totale de la gravité des événements", diagnostiquait-on déjà en... 1918 : 

 

 

1355410981100.jpgLa série des Journaux de la guerre 14-18 met à notre disposition depuis cinquante semaines les fac-similé des quotidiens de l'époque. Dans la livraison de la semaine dernière, un numéro du journal radical La Lanterne publie un long article du député socialiste du Var Maurice Allard [photo]. Ce texte est une charge contre... les leaders du parti socialiste : « désarroi, incohérence, verbalisme, incompréhension totale de la gravité des événements, et même, propension inconsciente à contrecarrer tout ce qui était exigé par la nécessité pressante de la défense nationale... »  Comment le parti en était-il venu à être dirigé par de telles gens ? Allard trouve la réponse sous la plume d'un autre socialiste, Augustin Hamon : « Les cadres du parti se sont, au cours des ans, si fortement constitués, grâce à l'organisation du parti, sur le modèle du parti social-démocratique d'Allemagne, qu'il est impossible à aucun homme nouveau d'apparaître sous l'impulsion des circonstances... Et comme chaque individu, dans chaque clan, tient à la place qu'il occupe, il prend bien soin d'écarter toute personnalité qui lui porte, ou pourrait lui porter, ombrage. C'est là une des causes de la médiocrité du personnel. »  Conclusion d'Allard : « Le parti socialiste français, organisé à la manière allemande, n'est plus qu'une bureaucratie avec des chefs de bureaux arrogants et despotiques. Après avoir fait sa médiocrité, ce système fera sa perte. » 

Ceci était écrit au début de novembre 1918. Près d'un siècle plus tard et dans un contexte totalement différent, le diagnostic de La Lanterne s'applique toujours au parti socialiste. « Désarroi, incohérence, verbalisme, incompréhension totale de la gravité des événements, et même, propension inconsciente à contrecarrer tout ce qui était exigé par la nécessité pressante de la défense nationale... » De François Hollande (toujours chef de bureau) à Laurent Fabius allant se faire mépriser à Téhéran (après trois ans d'iranophobie absurde), la médiocrité de ces dirigeants ne fait pas de doute. Mais c'est le parti tout entier qui a pourri sur pied : sa « forte constitution » bureaucratique, structurée par le clanisme donc vide d'idées, a permis le ralliement du PS au libéralisme atlantique dès la fin des années 1980. Et elle l'a engrené d'un seul bloc dans la machine bruxelloise... Aujourd'hui ce parti est incapable non seulement de prendre les décisions qui s'imposeraient, mais d'en discerner les raisons ; il ne sait même plus s'il est de gauche, à moins de réduire la gauche au périmètre du mariage-pour-tous qui restera la seule réforme du quinquennat. C'est d'ailleurs le cas : il y a quinze jours, la presse nous disait que les clans socialistes avaient réussi à redonner une impression d'unité grâce à un hommage à la loi Taubira*. Si vous ne vous étiez pas aperçu que le socialisme était mort, en voici la preuve officielle.

 

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* Et même cet ultime "marqueur de gauche" n'est pas de gauche : le mariage gay est soutenu aux Etats-Unis par Goldman-Sachs (et toutes les multinationales) en tant que produit sociétal de l'ultralibéralisme. A moins que la "gauche" ne soit en réalité une idée typiquement bourgeoise, comme le démontre Michéa ?

 

 

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Trump et les ”Nasty Women” sont deux produits Twitter

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Dans les cortèges Nasty Women d'hier, pas de slogans contre le côté "Goldman Sachs" de Trump. Une mobilisation politique sans contenu politique... Signée Twitter, comme l'élection de novembre :

 

 

Comme dit l'intellectuel conservateur britannique Roger Scruton, "dans l'ère Trump le style et le tempérament de la politique seront profondément influencés par Facebook et Twitter. On discutera peu de politiques publiques requérant une description de plus de 140 caractères ou privées d'une émoticône souriante ou d'un doigt d'honneur... L'idée que les décisions prises en notre nom le sont par des personnes qualifiées qui assument la pleine responsabilité de leurs erreurs pourrait bien être bientôt une chose du passé."

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Ce qui s'applique à Trump s'applique aussi à la "mobilisation internationale anti-Trump" d'hier : ces "centaines de milliers de femmes motivées" qui se sont retrouvées "spontanément", toutes coiffées du même pussy hat - un bonnet rose à oreilles de chat, par allusion à la vieille phrase obscène de Trump sur les femmes. Cette mobilisation dans plusieurs pays porte partout le même nom : "Nasty Women" ("les sales bonnes femmes") : autre allusion à Trump, tirée cette fois du débat télévisé où il traita Mme Clinton de "nasty woman".

Mais dans ces rassemblements on aurait attendu des banderoles contre les orientations Goldman-Sachs-friendly de l'équipe Trump. On n'en a pas vu. En revanche, on a vu (à Washington, Los Angeles, Montréal, Londres, Paris, Berlin, Sydney...) des pancartes ainsi libellées : "My voice, my story, my body !".

"Ma voix", "mon histoire", "mon corps" ? quel rapport avec le politique ?

Tout est centré désormais sur le sexuel et le subjectif. Si l'on doit combattre le nouveau gouvernement américain, c'est pour une seule raison : il sera "anti-femmes et anti-LGBT"... Qu'est-ce qui permet de le prédire ? Rien. Mais la gauche occidentale s'est recroquevillée sur les questions de moeurs, après avoir déserté le politique et l'économique en se ralliant au néolibéralisme.

Le "grand mouvement anti-Trump" dont se gargarisent les médias n'est donc pas un mouvement de contestation politique : c'est un mouvement "d'émotions". La mobilisation s'est faite sur Twitter, comme le vote Trump s'était catalysé sur Twitter ; et le vote Trump non plus n'a pas été un vote "politique" mais, comme le note le conservateur Scruton, un vote d'humeurs et d'émotions :  humeurs et émotions inverses - donc symétriques - de celles des bobos qui soutenaient Mme Clinton.

Les électeurs de Trump vont se rendre compte qu'ils ont été fucked, comme dirait leur héros. Le grandiose avènement du Populisme "pour le millénaire à venir" (sic) dissimulait le triomphe de Wall Street ; l'establishment financier restait gagnant quel que soit l'élu. Ces électeurs se rendront-ils compte que leurs émotions en 140 signes - sur lesquelles tweeting Donald a surfé - n'étaient qu'une réaction [*] aux émotions en 140 signes du camp d'en face : ces libéraux urbains qu'ils détestent ?  Le "Great Again" des électeurs de l'Amérique profonde n'a pas plus de substance politique que l'arc-en-ciel coiffé d'un pussy hat.

Revenons au mouvement Nasty Women qui électrise nos chaînes d'info. Pour cerner sa nature et comprendre la dégénérescence finale des idéaux de gauche en sexomanie queer, prenez le dernier Michéa (Notre ennemi le capital, Climats) page 225 :

<< Si le prolétariat indigène ou la paysannerie locale en venaient à décevoir les espérances intellectuelles qui s'étaient portées sur eux, un autre groupe élu ne manquerait pas de prendre aussitôt  la relève, qu'il s'agisse des immigrés, de la jeunesse, des femmes, du lumpenproletariat ou même, comme chez Judith Butler, des drag-queens. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle tant d'intellectuels de gauche en concluent si allègrement, aujourd'hui, que "le peuple n'existe pas"... Entendons par là que seuls importent à leurs yeux la Théorie juste et ses gardiens autoproclamés. >>

Ou plus exactement, seul importe leur statut (leur job) de gardiens autoproclamés ; car la Théorie n'existe plus depuis longtemps, remplacée aujourd'hui par cette arnaque du capitalisme tardif : les social networks comme "forme supérieure du débat démocratique"... "Join the Pussy Hats revolution !", proclame leur site : voilà le Che remplacé par Dorsey et Zuckerberg. Twitter et Facebook accouchent successivement de Trump et des Nasty Women : tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes calculés par algorithme.

 

PS - Quant au discours d'investiture du 45e président des Etats-Unis, un seul mot le définit :  abject.

 

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[*]  Même chose pour nos soi-disant "réacs" hexagonaux : ils sont "réactifs" et non "réactionnaires". Se définissant par rapport à leur adversaire conventionnel, ils en sont les marionnettes. 

 

 

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Les gilets jaunes ne baissent pas les bras

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…et Macron doit faire diversion mardi :

►  Où en est-on ?  Relisons la lettre de Michéa au site Les Crises (lien du 23/11) :

<<  La seule question que je me pose est donc de savoir jusqu’où un tel mouvement révolutionnaire (mouvement qui n’est pas sans rapport, dans sa naissance, son programme rassembleur et son mode de développement, avec la grande révolte du Midi de 1907) peut aller dans les tristes conditions politiques qui sont les nôtres. Car n’oublions pas qu’il a devant lui un gouvernement thatchérien de gauche (le principal conseiller de Macron est d’ailleurs Mathieu Laine – un homme d’affaires de la City de Londres et qui est, en France, le préfacier des œuvres de la sorcière Maggie), c’est-à-dire un gouvernement cynique et impavide, qui est clairement prêt – c’est sa grande différence avec tous ses prédécesseurs – à aller jusqu’aux pires extrémités pinochetistes (comme Maggie avec les mineurs gallois ou les grévistes de la faim irlandais) pour imposer sa « société de croissance » et ce pouvoir antidémocratique des juges, aujourd’hui triomphant, qui en est le corollaire obligé. Et, bien sûr, sans avoir quoi que ce soit à craindre, sur ce plan, du servile personnel médiatique français. […]  Si le mouvement des Gilets jaunes gagnait encore de l’ampleur (ou s’il conservait, comme c’est toujours le cas, le soutien de la grande majorité de la population), l’État benallo-macronien n’hésitera pas un seul instant à envoyer partout son Black Bloc et ses « antifas » (telle la fameuse « brigade rouge » de la grande époque) pour le discréditer par tous les moyens, ou l’orienter vers des impasses politiques suicidaires […]. Mais même si ce courageux mouvement se voyait provisoirement brisé par le PMA – le Parti des médias et de l’argent […] –,  cela voudra dire, au pire, qu’il n’est qu’une répétition générale et le début d’un long combat à venir. Car la colère de ceux d’en bas (soutenus, je dois à nouveau le marteler, par 75 % de la population – et donc logiquement stigmatisé, à ce titre, par 95 % des chiens de garde médiatiques) ne retombera plus, tout simplement parce que ceux d’en bas n’en peuvent plus et ne veulent plus. Le peuple est donc définitivement en marche ! Et à moins d’en élire un autre (selon le vœu d’Éric Fassin, cet agent d’influence particulièrement actif de la trop célèbre French American Fondation), il n’est pas près de rentrer dans le rang. Que les Versaillais de gauche et de droite (pour reprendre la formule des proscrits de la Commune réfugiés à Londres) se le tiennent pour dit !  >>

 

Mardi M. Macron va tenter de faire croire qu’il renoue avec les gens. Mais il garde un double faux cap : a) sa prétendue “transition écologique” censée expliquer les taxes (chacun sait que c’est faux [1]) ; b) Son slogan du “danger populiste”, axe de sa future campagne des européennes (mais slogan inaudible pour les populations françaises). Le tout enrobé de verbiage : “nouvelle méthode”, “pacte social”, “négociations territoriales”, “débat public”, vaste concertation”… Fumerolles, comparées au bilan concret de ces quinze mois : l’argent ruisselant vers le haut, le démantèlement du social, et le mirage européiste de M. Macron alors que nos voisins négligent ce qu’il dit.

C’est d’ailleurs toute la Macronie qui est inaudible aujourd’hui, sauf d’un milieu CSP+ ravi de voir l’Etat larguer “ceux qui ne sont rien”

C’était patent hier soir, sur les plateaux des chaînes d’info, après le spectacle de grand-guignol aux Champs-Elysées. Déconcertée par la résistance de réalités sociales, l’une des huit député(e)s LRM des Hauts-de-Seine bredouillait des formules surgelées : “Avant tout je tiens à saluer les forces de l’ordre“… “L’heure n’est pas à la polémique” (elle dit : ‘pôlémique’)…  “Nous sommes dans notre rôle (elle dit : “rol), nous avons mis en place de nombreuses actions…” La hausse (“la osse”) des carburants : “les gens n’ont pas compris toutes les réformes…”  Mais encore ?  “On a une trajectoire !” Rideau. Mme Rossi nous quitte, rassurés sans doute d’avoir appris qu’elle et ses amis du docile bloc LRM ont “une trajectoire”.

 

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[1]  Voir ici nos notes des 23 et 24/11.

 

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25/11/2018 | Lien permanent

Mai 68 et le ”nouvel esprit du capitalisme” (3)

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Le cinquantenaire de 68, prétexte - chez certains - d'un retour d'hostilité envers Vatican II : symptôme de régression psychologique. Et mauvais signe sur le plan chrétien :

 

 

Cette hostilité doit être analysée. Elle pourrait être le symptôme d'une sorte de "glaucome religieux" : une maladie du nerf optique qui brouillerait le champ visuel du patient, l'empêcherait de discerner une partie des réalités et le pousserait aux interprétations déformantes.

Quelle réalité nie-t-il ?  Le rôle déterminant du bouleversement des mentalités de masse, impulsé par le consumérisme à partir des années 1960 et démultiplié par le néolibéralisme socio-économique après 1990. Ce tsunami a atomisé les sociétés, bousculant toutes les institutions y compris religieuses. Et il a broyé toutes les transmissions collectives, y compris celle de la pensée chrétienne organisée.

C'est ce que soulignent notamment Milbank et Pabst dans une étude qui paraît chez DDB : La politique de la vertu. Réduisant la vie intérieure de l'individu à la "volonté de vouloir" et celle-ci à la "volonté d'acheter", constatent-ils (comme Michéa, Stiegler et les autres), le système économique  fait pression pour inhiber la dimension spirituelle de la condition humaine, fermant ainsi  - pour le plus grand nombre -  la porte de la révélation chrétienne.

Le totalitarisme de la marchandise prétend s'emparer du for intérieur de chaque personne  : il n'y a qu'à écouter les nouveaux slogans publicitaires pour mesurer cette intrusion. Comment surmonter cela et faire parvenir le message chrétien à l'individu d'aujourd'hui ?  En mettant l'accent sur ce qui fut toujours l'essentiel depuis deux mille ans ! Le christianisme repose sur la démarche de foi, profondément personnelle par définition. C'est ce que les Pères conciliaires de Vatican II ont senti et étudié, pour bâtir un corpus d'analyses et d'orientations remarquable : celui, précisément, que les catholiques français de tous bords n'ont pas pris la peine de lire (sauf exception trop rares).

Non seulement ils n'ont pas pris cette peine, mais aujourd'hui certains d'entre eux grincent des dents contre l'analyse des Pères conciliaires. Ils l'accusent d'"optimisme", grief à la fois inadéquat et secondaire ; et ils lui reprochent ce que précisément on peut applaudir :  d'avoir prévu que la bataille du XXIe siècle passerait par les consciences individuelles et non par on ne sait quel autoritarisme ecclésial, déjà dévalué avant 1950 - et qui serait inaudible en 2018. On aimerait d'ailleurs que nos anticonciliaires se penchent un peu sur les vrais résultats de cet autoritarisme d'antan, à certaines "grandes époques" dont ils semblent avoir la nostalgie  - et qui ont renforcé sans le vouloir une déchristianisation commencée en 1792, rupture qui ne fut si rapidement efficace que dans la mesure où elle abattait une religiosité de convenances et de façade.

Le nostalgique ne veut pas comprendre que le christianisme, repose sur la démarche de foi personnelle. Il lui substitue un fantasme de formatage par une puissance publique imposant la religiosité... Cette idée était déjà fausse quand une majorité de Français se disaient encore catholiques. Elle est dérisoire aujourd'hui : lorsque 95% ignorent le contenu de la foi chrétienne, regretter l'époque de la religion officielle est une posture d'Ubu. C'est pourtant, in petto, ce à quoi mène la logique de plusieurs de nos contemporains !  Au lieu d'autopsier 1968 (la déferlante made in USA) et de décortiquer 2018 (l'apothéose libérale), ils regrettent 1825 et la loi sur le sacrilège. Perpétuel retour du refoulé...

 

 

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Mai 68 et le ”nouvel esprit du capitalisme” (1)

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La machine médiatique célébrant les anniversaires trois mois trop tôt, voici partout celui de Mai 68. Quelques réflexions à ce sujet :

 

Le seul philosophe français qui ait vu venir Mai 68 fut Pierre Boutang dans La Nation française (19 janvier 1966) : « Une part de la réalité de l’homme est en train de s’évanouir, ou changer de sens ; subissant les techniques de massification (perdant de plus en plus son visage, la ressemblance avec Dieu), le citoyen des démocraties modernes et développées a laissé tomber […] sa réalité d’homme, vivante et en acte. Il a cessé d’agir comme père, d’exercer comme un père une autorité familiale (or nul n’est homme s’il n’est père, dit Proudhon). […] Pour cela, les fils s’éloignent (même en restant là) et haïssent ou méprisent  à la fois le fils que fut leur père, et le père qu’il n’est pas. Leur ‘‘protéïsme’’, leur capacité de désir de prendre toutes les formes animales, jusqu’au refus du visage humain et de la détermination sexuelle, n’est que le constat d’absence, mais d’absence molle et pesante, d’un être de l’homme, à l’image de Dieu, chez l’adulte. »

Ce texte de 1966 était une prémonition du processus de Mai 68 : d’abord la nullité morale des pères, bourgeoisie "traditionnelle" déboussolée qui s’attirait le mépris des enfants ; puis la dislocation psychologique "jusqu’au refus du visage humain et de la détermination sexuelle". Sous quelle emprise ? En dernière instance, celle des moeurs que le capitalisme façonnait déjà.

En mai 2018 ces enfants septuagénaires habitent une société réduite à l'économie libérale, ainsi analysée par le philosophe Bernard Stiegler (Nouvel Observateur hors-série, mai 2007) : « On a souligné un paradoxe à propos de Mai 68 : on a pensé que le capitalisme était porté par la droite, qui défend les ‘‘valeurs traditionnelles’’, et que c’est un mouvement de gauche (Mai 68) qui a voulu symboliquement détruire ces valeurs. Mais en réalité, ce qui a réellement organisé cette destruction des valeurs, c’est le capitalisme… Le capitalisme est contradictoire avec le maintien d’un surmoi… Une société sans surmoi s’autodétruit. Le surmoi, c’est ce qui donne la loi comme civilité. Un récent rapport du préfet de la Seine-Saint-Denis expliquait la violence dans les cités par cette absence de surmoi, qui se traduit alors par le passage à l’acte… »

Selon Jean-Claude Michéa (Le Monde 22/11/2002), les postures officielles aujourd’hui sont libérales-libertaires parce qu'elles cultivent les transgressions «servant à la bonne marche des affaires» : «elles rompent les solidarités effectives, en isolant plus encore l’individu dans une monade où se perd ‘‘le goût des autres’’, où il n’est plus qu’un rouage... Et puisque le désir est le moteur qui nous fait vivre et nous meut (ce qui détermine en profondeur notre comportement), le capitalisme de consommation cherche par tous les moyens à en prendre le contrôle pour l’exploiter comme il exploite les gisements pétrolifères : jusqu’à épuisement de la ressource… Mais d'abord ce capitalisme devait détourner la libido des individus de ses objets socialement construits par une tradition, par les structures prémodernes comme l’amour de Dieu, de la patrie, de la famille. »

Ce constat, nous sommes quelques-uns à le partager de longue date et à le diffuser avec acharnement :  d'abord très seuls parmi un milieu catho "gentryfié" ; puis armés de Laudato Si et du discours de Santa-Cruz, et voyant avec joie un nombre croissant de paroisses recevoir et étudier la critique pontificale du néolibéralisme.

Il reste cependant des cathos sourds, ou qui feignent de l'être... Parlons-en dans la note suivante.

 

 

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Julliard et l'individualisme : une approche incomplète

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Bel article de Jacques Julliard, mais l'analyse manque :

Ces réflexions de Julliard (Marianne 25/06) sont un beau relevé de symptômes.Mais l'essentiel manque : Julliard ne va pas jusqu'à la cause. On ne peut pas comprendre le règne des "passions tristes" si l'on ne dit pas que ce règne vient de la marchandisation de toutes les passions...  Autrement dit l'extension permanente des domaines du marché, qui est la force mondiale dominante durant les vingt-cinq dernières années.

Si "toute notre société est faite pour annihiler les efforts séculaires que la civilisation a déployés afin de permettre à l'esprit humain de dominer ses émotions et d'accéder à l'universel grâce à la raison", c'est que "toute notre société" a abdiqué au profit de la marchandise : et c'est la première fois dans l'histoire de l'humanité. Julliard le dit presque : "Tout notre siècle proclame, à travers ses images,  sa philosophie, ses institutions, le droit absolu de l'individu à se laisser aller à ses passions tristes, à commencer par la violence..."  Mais quelle est la Chose qui parle "à travers" les images, la philosophie, les institutions ? C'est évidemment le système économique : plus puissant que tout (mais pour combien de temps), il est l'infrastructure de notre dissociété.

Si "la tyrannie de l'image proclame le bien-fondé de toutes les émotions à commencer par les plus basses", c'est parce que toutes les émotions doivent pouvoir être commercialisées. (Vous êtes-vous demandé d'où vient ce culte psycho-médiatique de ce que l'on nomme aujourd'hui le "au-plus-près-de", censé remplacer la réflexion et la distance par rapport à soi ? Ce culte envahit jusqu'à la littérature et jusqu'aux essais, en brandissant la menace d'ostracisme contre toute résistance. [1]

Si "l'individu" est laissé "seul face à ses passions primaires", c'est sous la pression du système économique ultralibéral qui formate la société en poussant l'individualisme au-delà des dernières limites. D'où par exemple l'érosion des politiques familiales, que les gouvernements soient de "gauche" ou de "droite"... [2]

Julliard déçoit lorsqu'il affirme que l'oppression économique et sociale n'est pour rien dans les violences autour du football. Comment peut-il penser aussi court ? Ces délires de masse sont le produit de deux courants issus l'un et l'autre du système économique :

1. en Occident, la dissolution économique de tous les liens sociaux aboutit au refoulement des solidarités naturelles. (Le pseudo-patriotisme [3] des supporters est un retour du refoulé, ce qui explique l'absurdité de sa violence).

2. "Opium du peuple" diffusé par  le business, le foot est devenu seul horizon des masses, selon un système d'accoutumance qui a plus à voir (toutes proportions gardées) avec Hunger Games qu'avec le sport d'antan.

Ces données ont été analysées depuis trente ans par nombre de penseurs, par exemple Jean-Claude Michéa. Mais Julliard ne partage pas leur critique du capitalisme tardif. Il ne discerne pas la perversité intrinsèque de l'ultralibéralisme... On pourrait en dire autant du regretté Philippe Muray et de presque tous ceux que le marais nomme "réactionnaires" : ils déplorent les effets d'une cause qu'ils honorent. L'urgence est de mettre au jour cette cause et de faire comprendre, autour de nous, son rôle dans les déplorables effets qui se multiplient dans tous les domaines...

 

ps - Autre sujet de débat : Julliard (comme tous les libéraux) entonne l'hymne rituel aux Lumières du XVIIIe siècle, censées être aujourd'hui les victimes de la crise de civilisation. C'est oublier leur lien avec l'utilitarisme, son relativisme absolu et son "principe de maximisation du jouir" depuis Bentham (XVIIIe), Mill et Sidgwick (XIXe)...

 

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[1] Exemple de l'au-plus-près-de : dans Libération du 26/06. l'article de Paul B. Preciado (qui s'appelait naguère Beatriz) sur le Brexit. Extrait : "L'Europe n'est pas faite de nations, ni de frontières, ni de politiques de contrôle, ni de racisme d'Etat. L'Europe est un rêve politique qui peut seulement être fait de corps, qui ne peuvent être définis à leur tour par leur identité nationale, sexuelle ou religieuse. Des corps hétérogènes qui font alliance pour construire d'autres formes collectives de vie..." A ce stade, la pensée (réduite au physiologique) devient impossible.

[2]  Comme vient de le constater le congrès de l'Union nationale des associations familiales... M. Hollande y est venu expliquer ses coupes claires dans les budgets de la famille : "il fallait faire un choix", a-t-il avoué.  Ce choix n'est pas "socialiste" comme le croient des mal-comprenants : il est foncièrement libéral.

[3]  Il y a pseudo-patriotisme autour des équipes de mercenaires internationaux, mais patriotisme vrai dans le cas d'équipes nationales de petits pays à fort caractère comme l'Islande ou l'Irlande. (Constater ça n'est pas du pan-chauvinisme mais du réalisme). Il faut constater aussi que les richissimes équipes de mercenaires - rongées par l'individualisme - ont désormais du mal face à certaines équipes de petits pays peu fortunés.

 

 

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”Les défenseurs de la famille ne se mobilisent pas suffisamment sur les questions sociales”...

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...souligne Guillaume de Prémare (à Toulouse-Infos). Un entretien salubre, à l'heure où une partie du public "catho" s'apprête à replonger dans l'aveuglement libéral-conservateur :

 

 

<< ...Début 2018, le député Jean-Louis Touraine, rapporteur de la mission parlementaire sur la bioéthique, s’était réjoui que nous allions vers « la procréation sans sexe pour tous ». Avec le projet de loi de bioéthique actuellement en débat au parlement, la disparition de la condition d’infertilité pour l’accès à la PMA crée les conditions d’une procréation potentiellement séparée de la sexualité, du couple et de la famille. Aujourd’hui, cela concernera un petit nombre de personnes, mais demain cela peut entrer dans les mœurs communes. Par exemple, pourquoi un couple homme-femme tout à fait fertile ne viendrait-il pas réclamer demain une PMA ? En effet, la fécondation in vitro offre un avantage décisif : elle permet le diagnostic préimplantatoire, c’est-à-dire la sélection des embryons. Cela s’appelle l’eugénisme. À cet égard, le projet de loi de bioéthique étend encore les possibilités d’une recherche qui conduit vers un eugénisme beaucoup plus large qu’il ne l’est aujourd’hui. Il ne faut pas oublier non plus la GPA, qui n’est pas dans le projet de loi mais qui est en germe dans ce processus.

Je pense que, peu à peu, s’ouvre l’opportunité d’ouvrir aux firmes biotechnologiques le plus grand marché universel imaginable : celui de la procréation. C’est pourquoi il faut mettre beaucoup de force dans le combat contre ce projet de loi. Mais il ne faut pas perdre de vue le contexte global de toutes cette affaire : de mon point de vue, toutes ces évolutions dites sociétales sont un effet du turbo-capitalisme postmoderne. Ce qui permet cela, c’est l'alliance de la Technique, de l’État et du Marché. La civilisation techno-marchande constitue aujourd’hui le plus grand danger pour l’humanité.

La prise de pouvoir opérée par la sphère financière et marchande à partir du début des années 1990, au détriment du politique, constitue une étape importante. Cette évolution que l’on appelle mondialisation et globalisation rend possible l’exploitation effrénée du progrès technique au service du marché. Dans le même temps, la nation a été affaiblie parce qu’elle constitue le cadre politique par excellence. Et nous sommes entrés dans une ère post-politique : la souveraineté politique est neutralisée. Dans ces conditions, l’État n’est plus le serviteur d’une puissance politique ni le serviteur de la société, il devient le fonctionnaire des puissances techno-marchandes.

Cette machinerie globale se nourrit de la déconstruction des repères éthiques, culturels, familiaux. L’éthique devenant mouvante au gré des innovations technologiques, elle n’est plus un obstacle. Quant à la dimension culturelle, elle est essentielle, puisque c’est elle qui induit les modes de vie. La déconstruction culturelle, conjuguée à la révolution numérique, infuse des modes de vie qui vont dans le sens de la civilisation techno-marchande. C’est pour cette raison que les grandes firmes mondiales, notamment les GAFAM, financent et appuient cette déconstruction culturelle.

À mon sens, le dernier obstacle reste la famille. C’est pourquoi elle est si rudement attaquée. La guerre culturelle menée contre la famille traditionnelle conduit, non pas à une redéfinition de la famille, mais à une absence de définition de la famille. Quand il y a autant de modèles de familles possibles que de situations et de désirs individuels, il n’y a plus de modèle de famille, que l’on mette le mot au singulier ou au pluriel. Or, c’est le modèle familial qui structure le plus puissamment les mœurs et les représentations symboliques et sociales. Sans modèle familial, tous types de mœurs peuvent advenir. Et cela ouvre tous les marchés possibles.

[...] D’une certaine manière, le turbo-capitalisme entend réussir là où le marxisme a échoué, c’est-à-dire la construction d’une civilisation purement matérialiste. Une partie de la gauche a rendu les armes face au marché pour se concentrer sur le sociétal et les minorités. J’observe cependant que certaines personnes, issues de la gauche, ont compris que le libéralisme constituait un tout cohérent, que le libéralisme économique et le libéralisme culturel allaient ensemble. Michéa a théorisé cela de manière remarquable. Je pense aussi à Alexis Escudero, qui a publié en 2014 l’essai La reproduction artificielle de l’humain, ou encore à José Bové qui s’oppose à la mainmise de la technique sur la procréation. À droite, les libéraux-conservateurs n’ont toujours pas compris le lien : ils croient encore qu’il existe un bon libéralisme (économique) et un mauvais libéralisme (culturel) [...]

Les défenseurs de la famille ne se mobilisent pas suffisamment sur les questions sociales. La fracturation sociale produite par la machinerie économique, les modes de vie induits par le consumérisme, sont de puissants déconstructeurs de la famille concrète. Je pense qu’il est temps de reprendre le flambeau des catholiques sociaux du XIXe siècle, qui ont promu des lois sociales et défendu le peuple contre les prédations économiques.

[...] La civilisation techno-marchande présente un paradoxe : elle offre aujourd’hui un confort inégalé dans l’histoire, produit chaque jour de nouveaux plaisirs grisants, elle fait reculer la grande pauvreté dans les pays développés ; et pour autant elle ne rend pas heureux. Combien de gens vivent-ils sous psychotropes pour tenir le coup ? Dans Le meilleur des mondes, Huxley nous conte la consommation de soma, qui sont des tranquillisants. Je pense que ce qui cause en grande partie le désarroi concret de l’homme occidental contemporain, ce sont les modes de vie actuels, auxquels nous nous accrochons comme la bernique à son rocher, mais qui pourtant laissent l’âme humaine exsangue.

[...] Je ne pense pas que les gens s’estiment exonérés de tout devoir naturel. Par exemple, la plupart des parents sont conscients de leurs devoirs éducatifs, mais ils n’y arrivent pas, parce que c’est trop dur, parce que l’environnement culturel n’est pas porteur, parce qu’ils sont dépassés par l’évolution fulgurante des modes de vie, l’absence de repères solides dans cette société liquide où tant de choses sont envisagées sous le signe du déracinement. Pour qu’une société tienne, il faut des mœurs, des rythmes communs, un ethos commun, une proportionnalité des choses (ce que l’on appelle l’échelle humaine). Je crois que la Technique possède une influence décisive sur les mœurs, nous devons revoir notre rapport à la Technique si nous voulons pouvoir vivre demain de manière humaine, dans un environnement naturel sain qui ne soit pas saccagé par la folie productiviste. Les enjeux écologiques sont liés aussi à ces questions de modes de vie, pas seulement à des mesures contre le CO2. C’est un aspect de ce que l’on nomme l’écologie intégrale...

 

 

 

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Le bien commun [2] : ce n'est pas l'identitarisme

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Mon exposé lors d'une session de fraternité monastique :

 

« L'identitaire » n'est pas l'identité. Il se substitue, sous forme de fantasme, aux véritables identités enracinées. Mieux vaut donc dire identitarisme, parce qu'il s'agit d'une idéologie plaquée sur les réalités : l'identitarisme peut être national, régional, ethnique, culturel ou religieux.

Il n'apparaît que là où existe une impression (vraie ou fausse) de perte d'une identité quelle qu'elle soit. En proie à l'émiettement hyper-individualiste sous la pression des forces économiques libérales, la société occidentale génère ce sentiment de disparition des identités enracinées - et efface le souci authentique du bien commun. Cela dans tous les domaines... Comme dit Michéa : « Le primat structurel d'un idéal purement calculateur ou gestionnaire sur toute forme de réflexion morale, philosophique ou religieuse, constitue l'un des traits les plus caractéristiques de la société libérale moderne. »

L'identitarisme se présente alors comme le moyen prétendu de ressusciter les identités, quelles qu'elles soient. C'est son bluff. En réalité l'identitarisme est un ersatz : un substitut, une caricature très déformée, produit d'idéologies sans rapport avec l'identité concernée.

Exemple : les mouvements politiques identitaires se présentant comme super-patriotes français, alors que leur idéologie est ethniciste : ce sont simplement des suprématistes blancs, très inspirés de ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis. Là où des valeurs d'identité enracinées sont toujours vivantes et fortes, l'identitarisme existe peu (p. ex. sur le plan régional : Bretagne, Corse, Pays basque).

Autre exemple : les courants identitaires qui se disent catholiques, mais tournent le dos au Magistère de l'Eglise. La version catholique de l'identitarisme apparaît là où un milieu se croit en charge d'incarner « le vrai catholicisme » - parce que ce milieu a coupé le contact avec l'Eglise réelle.

De quelle façon ce milieu a-t-il « coupé le contact » ? En ne prenant pas au sérieux ce que l'Eglise réelle dit et fait. Voire en accusant l'Eglise réelle de ne pas dire et faire ce qu'elle devrait... (selon eux, elle devrait aller dans le sens de leurs opinions libérales-conservatrices). Le catholique identitaire ne lit pas les documents de l'Eglise réelle : mais il écoute volontiers ceux qui les diffament en les déformant. Il est lui-même victime du dessèchement spirituel de la société occidentale : mais il n'identifie pas les vraies causes de ce dessèchement. Il préfère en accuser l'Eglise.

D'où une surenchère permanente sur les réseaux sociaux : surenchère qui ne cesse d'approfondir cette auto-désinformation. On sait que les algorithmes de Facebook, par exemple, fonctionnent en branchant les uns aux autres des gens censés se ressembler par leurs goûts et leurs centres d'intérêt : d'où une « ghettoïsation numérique » de gens qui surenchérissent en boucle sur les mêmes thèmes.

Ainsi se crée une cathosphère artificielle, qui : 1. fait écran entre l'Eglise réelle et l'opinion publique ; 2. enferme les « cathos » identitaires dans une sorte de palais des miroirs.

Quelle sorte d'imagerie renvoient ces miroirs ? Comme on l'a dit au début, l'identitaire est un substitut à l'identité. Ça introduit une contradiction dans tous les domaines, mais spécialement dans le catholicisme.

En effet l'identitaire fonctionne comme une mythologie passéiste. Raymond Aron disait : « Il existe des mythes de droite : le refus d'un certain nombre de réalités actuelles et l'exaltation d'un passé transfiguré ». A l'inverse, la foi au Christ est l'inverse d'un passéisme : à chaque époque elle apporte des réponses nouvelles aux besoins inédits de l'évangélisation - et, par surcroît, aux problèmes de société eux aussi inédits. Comme dit le cardinal de Lubac dans un livre essentiel (Catholicisme, Cerf) : « Sur ses fondements éternels, l'Eglise esr un perpétuel chantier ». Par exemple, aujourd'hui, l'écologie intégrale de Laudato Si' apporte une réponse actuelle aux problèmes - sans précédent - de la planète et de nos sociétés.

Mais un certain nombre de « cathos » français semblent ne pas en avoir conscience. Qu'est-ce qui brouille leur lucidité ? Une angoisse diffuse devant un monde hostile. Le besoin de se rassurer avec une vision du monde simpliste et autoritaire... Vision pas si différente, finalement, de celle des islamistes qu'ils croient combattre.

Or la peur est mauvaise conseillère : elle est à l'origine de toutes les dérives. La dérive identitaire mène hors du christianisme, vers une religiosité servant de prétexte à autre chose que la foi :

- religiosité d'imagerie historique, donc vidée de l'essentiel,

- religiosité faite pour sacraliser des opinions politiques et économiques (souvent en contradiction avec la DSE)...

- ...alors que ces opinions mènent à pactiser avec d'autres identitaires qui, eux, sont de la variété antichrétienne : celle qui prône un culte de l'obscur du sang et du sol, irrationalisme bourrin revendiqué comme « populisme » et menant à justifier n'importe quoi... (p. ex. : des catholiques idolâtrant Trump). Psychiquement, l'identitarisme mène en effet à « libérer les intincts ». Il s'agit toujours de rejeter un surmoi qui bridait l'instinct : d'où (dans le cas de catholiques pour qui l'Evangile était un surmoi) une rupture inconsciente avec cet Evangile  - qui, lui, appelle à bien autre chose.

Dans les débats de société, quels sont les effets de la dérive identitaire chez les catholiques ?

Le plus évident est le refus de mettre en cause le système économique : d'où rejet de la DSE réelle (et allergie à l'enseignement du pape François). Ce problème  – l'emprise du système économique sur notre existence aujourd'hui – est essentiel pour le bien commun, mais n'a pas d'importance aux yeux des identitaires. Il doit même être gommé puisque sans rapport avec la seule « chose qui compte » à leurs yeux : exalter le passé et les instincts.

Ainsi certains catholiques récusent les directives économiques et sociales de François : pape qui déplaît beaucoup aux identitaires... L'un d'eux, au salon du livre chrétien de Dijon en décembre, me dit : « Cette encyclique Laudato Si' a du mal à passer ». Il ne l'avait pas lue. Ni d'ailleurs Caritas in Veritate ou Centesimus Annus.

Ceux qui sont allergiques au pape vous disent qu'on peut négliger le Magistère économique, écologique et social puisque « ce ne sont pas des dogmes ». Pourtant tout catholique devrait savoir que sa loyauté requise ne se limite pas aux dogmes : et que, oui, le Magistère a divers degrés d'autorité, mais qu'on n'en doit mépriser aucun. La doctrine sociale de l'Eglise doit « inspirer la conduite des fidèles », souligne le Catéchisme (§ 2422), parce qu'elle est un enseignement de l'Eglise relevant de la théologie morale... C'est même « une partie essentielle du message chrétien », écrit Jean-Paul II dans Centesimus Annus. Dans l'exhortation Christifideles laici de 1988, il précise que la doctrine sociale de l'Eglise est là pour « former la conscience sociale » des laïcs à l'aide « de principes de réflexion, de critères de jugement et de directives pour l'action ».

Et les principes de Centesimus Annus, puis de Caritas in Veritate, puis de Laudato Si', sont les mêmes. Ainsi que les constats économiques et scientifiques : car la réalité est la même pour tout le monde (et ça concerne le bien commun) ! Quand Laudato Si'  fulmine contre le saccage de la planète, c'est dans le droit fil du message de saint Jean-Paul II du 1er janvier 1990. Quand François critique le productivisme consumériste et l'ultralibéralisme financier dans Laudato Si' ou Evangelii Gaudium (§ 53 s.), il ne fait qu'actualiser et renforcer la critique constante de l'Eglise envers le libéralisme...

Critique traditionnelle, d'ailleurs, puisqu'elle fut amorcée en 1891 par Léon XIII dans Rerum Novarum, qui renvoie dos à dos le collectivisme et le capitalisme libéral. Et puisqu'elle s'enracine dans la célèbre homélie où saint Augustin prône, au delà du caritatif, le changement des structures socio-économiques : « Nous ne devons point souhaiter qu'il y ait des malheureux pour nous permettre d'accomplir des oeuvres de miséricorde. Tu donnes du pain à qui a faim : mais mieux vaudrait que nul n'ait faim, et que tu ne donnes [de pain] à personne. Tu habilles qui est nu ; si seulement tous étaient vêtus, et qu'il n'y eût point une telle nécessité ! »  [*]

 

Conclusion :

L'identitarisme en milieu catholique est un problème dont on ne doit pas s'exagérer l'importance. Mais c'est un problème qu'on ne peut pas non plus minimiser : il engage, en même temps, la foi des catholiques concernés  - et l'image du catholicisme aux yeux des non-croyants, écrasante majorité de la population.

 

 

__________

[*]  Sur la 1ère épître de saint Jean, traité 8, n. 5.

 

 

 

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Le pape appelle tous les catholiques à la lucidité

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...y compris dans le domaine (décisif) de l'économie :

 

 

Dans son bel éditorial de Noël de la Lettre de Philanthropos, Fabrice Hadjadj écrit :  

« Le siècle s'ingénie à se rendre aveugle à ce qui saute aux yeux. Et les apôtres y sont condamnés à être ridicules, parce qu'ils n'ont plus seulement à faire des miracles, mais à montrer des évidences premières : qu'il y a des hommes et des femmes ; qu'un enfant naît d'un père et une mère ; que les vaches ne sont pas carnivores ; qu'on ne fait pas pousser l'herbe en tirant dessus ; que la table est plus conviviale que la tablette ; que la nuit n'est pas le jour... Si l'adage ''je ne crois que ce que je vois'' est la marque d'une imbécillité crasse, il est probable que celui qui énonce qu'on ne voit que ce qu'on croit relève d'une sagesse profonde. Pour être attentif au visible, il faut croire qu'il procède d'une source invisible et souveraine... Telle est notre confiance. Quand rien ne va plus de soi, tout ne peut plus que repartir de Dieu.. » 

Fabrice Hadjadj a raison dans son constat. A-t-il raison dans sa conclusion ?  Si l'on s'en tient à ce qu'il  semble dire là, il a l'air de croire que la nature est absorbée par la surnature et que le réel échappe (désormais ?) à la saisie de l'intelligence humaine « naturelle ». D'où le risque de voir des catholiques s'envoler dans la spiritualité planante (très loin au dessus des « sujets qui divisent » : comme si l'exercice de la raison pouvait opérer sans confrontations – y compris et d'abord entre catholiques, chez lesquels elles sont signe de vitalité.  La religion de l'incarné n'est pas un refuge.

Fabrice Hadjadj penserait-il que la pression du « siècle » est irrésistible, et qu'un non-croyant ne peut y échapper par ses propres moyens ? Ce serait désespérer de la doctrine sociale de l'Eglise, plate-forme proposée à tous (croyants et incroyants) sur la base de la condition humaine partagée ; et ce serait nier les rencontres concrètes, entre croyants et incroyants (et entre croyants des diverses religions), sur le terrain des luttes pour la justice sociale et environnementale qui fait partie du bien commun... Que cette négation soit le fait de « libéraux-conservateurs » rivés au modèle économique dominant, c'est normal ; mais Fabrice Hadjadj n'en faisait pas partie à l'époque où je l'ai rencontré, et je suis certain qu'il n'en fait pas plus partie aujourd'hui.

Ce que je regrette aussi (et dont je m'étonne), c'est qu'il ne mentionne pas la cause seconde de la crise de civilisation. Elle est déterminante. Par l'effet de quoi notre société est-elle livrée à un engrenage de négation de toutes les réalités ?  Michéa et d'autres, notamment Escudero*, l'ont expliqué de longue date : c'est par l'extension des domaines de la marchandise. Interdire progressivement ce qui était naturel et gratuit, pour le contrefaire en laboratoire et le vendre au consommateur... C'est indispensable, paraît-il, à « la croissance », qui par définition doit être sans limites. Tout est ainsi voué à devenir marchandise, y compris notre vie la plus intime.  Libération du 8 décembre met par exemple au jour « l'agenda caché du ''transhumanisme'' : l'ultra-marchandisation d'un corps pièces et main d'oeuvre... Parti à l'assaut de nos dernières zones de non-productivité, le turbo-capitalisme numérique s'attaque maintenant à notre obsolescence programmée ». C'est-à-dire aux limites de la condition humaine, condition et limites de l'être sexué qui naît et meurt ! Le système économique –  constate Libé –  veut « transcender la triste condition humaine par l'hybridation du corps et de la machine et la seule force du génie humain... » En 2030, « des nanorobots (à avaler en solution buvable) permettront la connexion électro-biochimique entre notre néocortex et le cloud » !

« Préparez-vous pour la pensée hybride », répète Ray Kurzweil, directeur de recherches chez Google.  Car ce n'est pas un délire de SF, mais un chantier économique actionné par des géants du business : « Google, Apple, Facebook et Amazon », signale le journal. Les géants du Web ambitionnent de récupérer toutes les données, y compris celles de notre santé, « pour nous les revendre sous la forme de pubs et de nouveaux services ». En France, souligne le philosophe Jean-Michel Besnier (Paris IV), le « progressisme » inspirant ce chantier est assumé «par les différents ministères et l'académie des sciences, car il va dans le sens des intérêts économiques et industriels... »  Ces intérêts sont donc le critère de l'académie des sciences ? On redoute qu'ils soient aussi celui de notables non académiciens – y compris hélas en milieu catholique. D'où certains discours étrangement complaisants envers le transhumanisme : « il y a du bien dans tout, abstenons-nous de juger, ne faisons pas de procès à la science », etc.

C'est que le transhumanisme, né du business cybernétique (Silicon Valley), imprègne aux USA la National Science Foundation et le département du Commerce. L'idée est de confier le pouvoir sur la santé publique aux NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, intelligence artificielle et sciences cognitives), dont les opérateurs sont les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). « Google a investi des millions de dollars dans des sociétés spécialisées en intelligence artificielle, en robotique, biologie moléculaire et séquençage ADN », note Libération. Ainsi les GAFA comptent prendre en main le pouvoir médical, à travers une médecine devenant prédictive « grâce au diagnostic anticipé établi par des algorithmes moulinant des milliards de données ». Les géants américains s'affrontent pour prendre les commandes de cette révolution bio-informatique ; une filiale de Google a déposé le brevet d'une méthode « permettant de fabriquer un bébé à la carte grâce à la sélection des gamètes de donneurs d'ovules ou de sperme ». Ce projet est en attente, mais la firme propose déjà à ses clients un service d'analyse génétique familiale, de même que les grandes multinationales prennent en charge la congélation des ovocytes de leurs salariées pour qu'elles ne fassent pas d'enfants durant leur carrière... 

Il y a péril en la demeure et Hadjadj a raison de dire que l'effacement de « l'anthropologie » (ou de la conscience lucide des fondamentaux de la condition humaine) est lié à l'effacement de l'idée d'un Dieu Créateur : cet effacement est la cause première de la crise. Son origine remonte aux Lumières ; j'espère qu'on me pardonnera de manquer de bienveillance en évoquant celles-ci – quoiqu'il y ait du bien dans tout et qu'il ne faille pas juger, etc.

Mais l'analyse sociétale, si elle est catholique, n'a pas le droit de négliger les causes secondes. Elle n'a donc pas le droit de zapper le facteur économique et financier. Même si l'économique et le financier sont au dessus de tout soupçon dans l'esprit de bons catholiques, il est l'objet de soupçons de la part du magistère de l'Eglise. Et le mot soupçons est faible, si l'on regarde par exemple les déclarations du pape François ! Son exhortation apostolique La joie de l'Evangile désigne vigoureusement l'économique-financier comme la cause seconde, et appelle à lui résister :

  

<< L’adoration de l’antique veau d’o

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