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25/03/2018

Mai 68 et le "nouvel esprit du capitalisme" (3)

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Le cinquantenaire de 68, prétexte - chez certains - d'un retour d'hostilité envers Vatican II : symptôme de régression psychologique. Et mauvais signe sur le plan chrétien :


 

 

Cette hostilité doit être analysée. Elle pourrait être le symptôme d'une sorte de "glaucome religieux" : une maladie du nerf optique qui brouillerait le champ visuel du patient, l'empêcherait de discerner une partie des réalités et le pousserait aux interprétations déformantes.

Quelle réalité nie-t-il ?  Le rôle déterminant du bouleversement des mentalités de masse, impulsé par le consumérisme à partir des années 1960 et démultiplié par le néolibéralisme socio-économique après 1990. Ce tsunami a atomisé les sociétés, bousculant toutes les institutions y compris religieuses. Et il a broyé toutes les transmissions collectives, y compris celle de la pensée chrétienne organisée.

C'est ce que soulignent notamment Milbank et Pabst dans une étude qui paraît chez DDB : La politique de la vertu. Réduisant la vie intérieure de l'individu à la "volonté de vouloir" et celle-ci à la "volonté d'acheter", constatent-ils (comme Michéa, Stiegler et les autres), le système économique  fait pression pour inhiber la dimension spirituelle de la condition humaine, fermant ainsi  - pour le plus grand nombre -  la porte de la révélation chrétienne.

Le totalitarisme de la marchandise prétend s'emparer du for intérieur de chaque personne  : il n'y a qu'à écouter les nouveaux slogans publicitaires pour mesurer cette intrusion. Comment surmonter cela et faire parvenir le message chrétien à l'individu d'aujourd'hui ?  En mettant l'accent sur ce qui fut toujours l'essentiel depuis deux mille ans ! Le christianisme repose sur la démarche de foi, profondément personnelle par définition. C'est ce que les Pères conciliaires de Vatican II ont senti et étudié, pour bâtir un corpus d'analyses et d'orientations remarquable : celui, précisément, que les catholiques français de tous bords n'ont pas pris la peine de lire (sauf exception trop rares).

Non seulement ils n'ont pas pris cette peine, mais aujourd'hui certains d'entre eux grincent des dents contre l'analyse des Pères conciliaires. Ils l'accusent d'"optimisme", grief à la fois inadéquat et secondaire ; et ils lui reprochent ce que précisément on peut applaudir :  d'avoir prévu que la bataille du XXIe siècle passerait par les consciences individuelles et non par on ne sait quel autoritarisme ecclésial, déjà dévalué avant 1950 - et qui serait inaudible en 2018. On aimerait d'ailleurs que nos anticonciliaires se penchent un peu sur les vrais résultats de cet autoritarisme d'antan, à certaines "grandes époques" dont ils semblent avoir la nostalgie  - et qui ont renforcé sans le vouloir une déchristianisation commencée en 1792, rupture qui ne fut si rapidement efficace que dans la mesure où elle abattait une religiosité de convenances et de façade.

Le nostalgique ne veut pas comprendre que le christianisme, repose sur la démarche de foi personnelle. Il lui substitue un fantasme de formatage par une puissance publique imposant la religiosité... Cette idée était déjà fausse quand une majorité de Français se disaient encore catholiques. Elle est dérisoire aujourd'hui : lorsque 95% ignorent le contenu de la foi chrétienne, regretter l'époque de la religion officielle est une posture d'Ubu. C'est pourtant, in petto, ce à quoi mène la logique de plusieurs de nos contemporains !  Au lieu d'autopsier 1968 (la déferlante made in USA) et de décortiquer 2018 (l'apothéose libérale), ils regrettent 1825 et la loi sur le sacrilège. Perpétuel retour du refoulé...

 

 

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23:31 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : catholiques

Commentaires

LA SOCIÉTÉ, LES FAMILLES, LA FOI

> L'Eglise ne peut être tenue pour responsable de l'effondrement de la pratique religieuse puisqu'il faut une adhésion/conversion quotidienne de chacun à l'Evangile et au Christ qui a toujours été son soucis. A chaque époque, l'Eglise a tenu à avoir un discours qui soit audible et donc a cherché à adapter non le fond mais la forme à son temps, à ses auditeurs.
Par ailleurs, il ne faudrait pas oublier que le Concile Vatican II a été le prétexte et l'objet de relectures pour le moins partiales dès son origine. Certains ("progressistes" ou "traditionalistes") se sont ingénié, pour des raisons opposées, à vouloir interpréter le Concile et la réforme liturgique comme une rupture et non à la lumière de la Tradition. L'Eglise n'est pas responsable mais sans doute qu'un certain nombre de ses membres, clercs ou non, le sont ou l'ont été.
La crise de la pratique religieuse couvait, et pas qu'en France (au Canada, les églises se sont vidées en six mois...). Le contexte social, les "valeurs" portées par la société, les familles et l'école sont nettement plus responsables que l'Eglise. La priorité est trop souvent à la sacro-sainte recherche de la réussite...
Toutefois, comment juger les parents qui vivent nourris de la prière au quotidien mais n'ont pu ni su transmettre leur foi? Il y a certainement à ce sujet beaucoup de saintes Monique...
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Écrit par : Benoît C. / | 26/03/2018

MASSIVE INTRUSION

> Bonjour Patrice,
Il me semble que l'irruption massive de la télévision dans la vie de familles, a profondément contribué à modifier les comportements sociaux.
Il s'en est suivi un rejet ou une relativisation de la voix de l'Eglise, et un effondrement de la réflexion personnelle ....
Les spécialistes de l'école, disent aussi que c'est à partir des années 60-70 que le QI des élèves s'est infléchi d'une manière très significative, puisque la part laissée au travail personnel au profit des loisirs (TV, voitures) à été sensiblement réduite.
Cordialement
J. Antoine
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Écrit par : J. Antoine / | 26/03/2018

ANNÉES 60

> J'ai lu une partie du livre de Guillaume Cuchet, et aussi d'articles qu'il a écrits sur le même sujet. C'est bien lui qui montre que l'"effondrement" date bien de 1965-1966 ; mai 1968 n'ayant fait qu'accentuer ce qui déjà se passait à vitesse grand V depuis deux ans.
Quant à déterminer si ce fut la faute de Vatican II : déjà faudrait-il que les gens qui le disent aient pris la peine d'en lire les textes, qui sont assez loin de ce qu'on a pu en faire - et ce, dès 1965 voire avant.
En revanche, il me semble me souvenir que Cuchet pose, parmi les causes possibles, une évolution de la pastorale qui passe sous silence, voire nie l'obligation de pratique.

Edel


[ PP à Edel :
Une pratique qui ne reposait que sur une "obligation" était condamnée d'avance, dans une société consumériste ne reconnaissant plus aucune obligation.
On retrouve ainsi la vraie problématique des années 1960-1970 : celle de la marée générale qui va noyer (entre autres) ce qui n'était qu'un catholicisme de convenance.
Car ces mêmes années verront aussi la chute libre des affiliations séculières habituelles : appartenance syndicale, appartenance politique, puis l'institution du mariage, etc.
A l'ère consumériste (l'émotionnel éphémère à la carte), tout engagement stable est disloqué s'il ne repose pas sur une "foi" intime forte. C'est ce que Vatican I I avait pressenti, en dépit des accusations d' "optimisme" portées contre lui par les ultras.
(Lesquels par ailleurs accusaient - et accusent encore - de "pessimisme" les lanceurs d'alerte environnementaux, climatiques, etc. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Edel / | 27/03/2018

"LE FOND DU PROBLÈME" ?

> Le fond du problème à mon avis : en accusant la pensée de Vatican II d'avoir aggravé le chute de la pratique catholique en mettant l'accent sur la foi personnelle, les raisonneurs "réacs" font dire à Cuchet le contraire de ce qu'il dit. C'est parce qu'ils veulent, consciemment ou pas, justifier ceux qui se disent "catholiques non croyants" (et seulement pour se démarquer des musulmans). Les réacs se rendent-ils compte qu'ils tombent ainsi dans le relativisme ?
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Écrit par : michel gauvain / | 27/03/2018

PLUSIEURS

> Il semble qu'il y ait eu non pas un mais plusieurs mai 68, à lire le Monde:
http://ht.ly/9IVQ30jb7Bd
Ainsi il n'y pas que les tenants du pouvoir, qui occultent les autres, il y a aussi ceux qui n'ont pas "profité"de leur statut de révolutionnaire pour faire carrière, mais sont restés des militants de base jusqu'à leur modeste retraite aujourd'hui.
Or on y apprend qu'ils se seraient formés politiquement non pas contre mais au sein de leurs familles, et dans des mouvements d'Eglise.
Cette analyse au rebours des lieux communs va dans le sens de ce que j'expérimente à mon petit niveau dans nos Hauts de France: parmi les bénévoles d'associations solidaires, parmi les manifestants et défenseurs du service public, des droits de l'homme,...je retrouve des retraités actifs, à la générosité intacte, avec toujours une grande curiosité intellectuelle, souvent discrets sur eux, ayant gagné sans doute en humilité dans leurs prétentions à changer le monde, mais mûs par une solidarité qui a passé l'épreuve du temps, et n'hésitant pas oui à partager joyeusement leur savoir-faire avec les plus jeunes générations, (même si quelques éléments rares retrouvent alors des réflexes de "petits dictateurs" ceux, aigris, qui ont refusé de tirer les leçons de l'histoire et de se remettre en question).
J'ai appris à les fréquenter depuis maintenant quelques années que certains sont des enfants de résistants parfois au destin tragique, de réfugiés politiques, que si beaucoup de premier abord se montrent anticléricaux virulents, avec le temps ils me parlent de leur jeunesse où ils travaillaient avec des prêtres ouvriers, des soeurs syndiquées vivant dans les quartiers populaires, et de leurs récits j'en déduis que respect et franche camaraderie caractérisaient leurs relations. Pour ceux qui ont perdu la foi, leur en reste une nostalgie douloureuse, et des tourments intérieurs bien loin de la béate satisfaction de ceux qu'on nous montre à l'écoeurement dans les médias.
J'apprends beaucoup auprès d'eux.
Il est heureux que Le Monde parle enfin de cette autre génération 68.
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Écrit par : Anne Josnin / | 27/03/2018

@ Benoît C.

> sur le cas particulier du Canada, c'est en fait le Québec dont vous voulez parler je pense, la révolution (dite) tranquille.
Pour en revenir aux propos cherchant à expliquer la pénurie de fidèles par [l'effet présumé de] Vatican II, comment alors expliquent-ils que la décrue soit similaire pour ce qui est de se rendre au culte dominical chez nos frères réformés ?
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Écrit par : Aventin / | 28/03/2018

LES PAUVRES ET LE PAPE

> Ni II, ni 68 ! Le problème des riches, des heureux, des importants c'est qu'ils ont beaucoup de mal à vivre la foi chrétienne. Pour cela il faut, me semble t-il, connaître ou avoir connu le malheur. Qui diffère de la souffrance en ce qu'il suppose toujours la déchéance sociale. Si la foi et la pratique chrétienne se sont effondrées dans ce pays, c'est que ceux qui la vivaient au premier chef – les pauvres – ont commencé à s'en détourner bien avant Vatican II et mai 68 (le livre "La France pays de mission ?" date de 1943) pour des raisons que je n'aborderai pas ici. Et c'est pourquoi le pape François se tourne d'abord vers ceux qui peuvent encore sauver notre foi : les pauvres crucifiés par l'argent (cf. son discours à Santa Cruz à la deuxième rencontre des mouvements populaires).
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Écrit par : Annick / | 29/03/2018

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