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28/06/2016

Julliard et l'individualisme : une approche incomplète

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Bel article de Jacques Julliard, mais l'analyse manque :


Ces réflexions de Julliard (Marianne 25/06) sont un beau relevé de symptômes.Mais l'essentiel manque : Julliard ne va pas jusqu'à la cause. On ne peut pas comprendre le règne des "passions tristes" si l'on ne dit pas que ce règne vient de la marchandisation de toutes les passions...  Autrement dit l'extension permanente des domaines du marché, qui est la force mondiale dominante durant les vingt-cinq dernières années.

Si "toute notre société est faite pour annihiler les efforts séculaires que la civilisation a déployés afin de permettre à l'esprit humain de dominer ses émotions et d'accéder à l'universel grâce à la raison", c'est que "toute notre société" a abdiqué au profit de la marchandise : et c'est la première fois dans l'histoire de l'humanité. Julliard le dit presque : "Tout notre siècle proclame, à travers ses images,  sa philosophie, ses institutions, le droit absolu de l'individu à se laisser aller à ses passions tristes, à commencer par la violence..."  Mais quelle est la Chose qui parle "à travers" les images, la philosophie, les institutions ? C'est évidemment le système économique : plus puissant que tout (mais pour combien de temps), il est l'infrastructure de notre dissociété.

Si "la tyrannie de l'image proclame le bien-fondé de toutes les émotions à commencer par les plus basses", c'est parce que toutes les émotions doivent pouvoir être commercialisées. (Vous êtes-vous demandé d'où vient ce culte psycho-médiatique de ce que l'on nomme aujourd'hui le "au-plus-près-de", censé remplacer la réflexion et la distance par rapport à soi ? Ce culte envahit jusqu'à la littérature et jusqu'aux essais, en brandissant la menace d'ostracisme contre toute résistance. [1]

Si "l'individu" est laissé "seul face à ses passions primaires", c'est sous la pression du système économique ultralibéral qui formate la société en poussant l'individualisme au-delà des dernières limites. D'où par exemple l'érosion des politiques familiales, que les gouvernements soient de "gauche" ou de "droite"... [2]

Julliard déçoit lorsqu'il affirme que l'oppression économique et sociale n'est pour rien dans les violences autour du football. Comment peut-il penser aussi court ? Ces délires de masse sont le produit de deux courants issus l'un et l'autre du système économique :

1. en Occident, la dissolution économique de tous les liens sociaux aboutit au refoulement des solidarités naturelles. (Le pseudo-patriotisme [3] des supporters est un retour du refoulé, ce qui explique l'absurdité de sa violence).

2. "Opium du peuple" diffusé par  le business, le foot est devenu seul horizon des masses, selon un système d'accoutumance qui a plus à voir (toutes proportions gardées) avec Hunger Games qu'avec le sport d'antan.

Ces données ont été analysées depuis trente ans par nombre de penseurs, par exemple Jean-Claude Michéa. Mais Julliard ne partage pas leur critique du capitalisme tardif. Il ne discerne pas la perversité intrinsèque de l'ultralibéralisme... On pourrait en dire autant du regretté Philippe Muray et de presque tous ceux que le marais nomme "réactionnaires" : ils déplorent les effets d'une cause qu'ils honorent. L'urgence est de mettre au jour cette cause et de faire comprendre, autour de nous, son rôle dans les déplorables effets qui se multiplient dans tous les domaines...

 

ps - Autre sujet de débat : Julliard (comme tous les libéraux) entonne l'hymne rituel aux Lumières du XVIIIe siècle, censées être aujourd'hui les victimes de la crise de civilisation. C'est oublier leur lien avec l'utilitarisme, son relativisme absolu et son "principe de maximisation du jouir" depuis Bentham (XVIIIe), Mill et Sidgwick (XIXe)...

 

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[1] Exemple de l'au-plus-près-de : dans Libération du 26/06. l'article de Paul B. Preciado (qui s'appelait naguère Beatriz) sur le Brexit. Extrait : "L'Europe n'est pas faite de nations, ni de frontières, ni de politiques de contrôle, ni de racisme d'Etat. L'Europe est un rêve politique qui peut seulement être fait de corps, qui ne peuvent être définis à leur tour par leur identité nationale, sexuelle ou religieuse. Des corps hétérogènes qui font alliance pour construire d'autres formes collectives de vie..." A ce stade, la pensée (réduite au physiologique) devient impossible.

[2]  Comme vient de le constater le congrès de l'Union nationale des associations familiales... M. Hollande y est venu expliquer ses coupes claires dans les budgets de la famille : "il fallait faire un choix", a-t-il avoué.  Ce choix n'est pas "socialiste" comme le croient des mal-comprenants : il est foncièrement libéral.

[3]  Il y a pseudo-patriotisme autour des équipes de mercenaires internationaux, mais patriotisme vrai dans le cas d'équipes nationales de petits pays à fort caractère comme l'Islande ou l'Irlande. (Constater ça n'est pas du pan-chauvinisme mais du réalisme). Il faut constater aussi que les richissimes équipes de mercenaires - rongées par l'individualisme - ont désormais du mal face à certaines équipes de petits pays peu fortunés.

 

 

Commentaires

ÉTAPES

> Elisabeth Kübler-Ross, psychiatre, a théorisé les différents stades par lesquels passe une personne dès l'annonce de sa mort prochaine. Dans le cas du libéralisme, qu'on appelle libéral-libertarisme puisque la politique française a conduit à la séparation des notions tandis qu'elles sont intimement liées, voici ces étapes :
1° le déni : aucun autre système ne peut fonctionner, il serait inefficace - ne laissant la possibilité que de tendre vers un système nord-coréen.
2° la colère : tout autre proposition est l'objet d'insultes. Les dissidents sont traités d'incompétents (cas de la demande de démission du pape).
3° le marchandage : on essaie de faire croire que le libéralisme reste nécessaire et suffisant et que malgré les excès dénoncés par certains, il demeure le système le meilleur pour tous.
4° la dépression : la bataille pour faire taire les dissidents est perdue. Les faits, nombreux, montrent que les dissidents avaient raison.
5° l'acceptation.
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Écrit par : Benoit / | 28/06/2016

AU PLUS PRÈS

> Je ne suis pas sûr d'avoir compris le "au-plus-près-de", est-ce qu'il s'agit de tout réduire à l'infiniment petit de nos ressorts psychologiques (physiologiques dans votre exemple de bas-de-page) pour tout relativiser ? Est-ce que cela a à voir ou participe au relativisme dont parlait Benoît XVI ?

DV


[ PP à DV - Exactement ! ]

réponse au commentaire

Écrit par : DV / | 28/06/2016

AMOUR ET PLAISIR

> "maximisation du jouir" Ne disait-on pas il y a cinquante ans quelque chose comme: "jouissez sans entraves"?...
Je suis en train de découvrir, pour ce qui est de l'univers chrétien que le rapport au plaisir est une partie du problème quant au au monde actuel. Nombre de grands saints pratiquaient la mortification. Sans amour, cela n'a bien sur aucun intérêt, c'est même à prohiber. Mais quand on s'intéresse à quelqu'un comme saint Claude la Colombière, il le dit quasiment mot pour mot: Seigneur donnez moi de détester le plaisir, ou du moins de ne pas m'y attacher. Le libéralisme conseille de se laisser guider par le plaisir, alors que le christianisme conseille de se laisser guider par l'amour. C'est un chemin de libération et de maîtrise de soi. On est aux antipodes du libéralisme et de mai 68. Il peut arriver que l'amour croise le chemin du plaisir, mais ce n'est pas automatique.
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Écrit par : ND / | 28/06/2016

CONSCIENTES

> Libéralisme "intrinsèquement pervers", "mercenaires" du foot renversés par les petites équipes à fort caractère ("I see what you mean..."), "Bentham", "Mill", "Sidgwick"... Le Brexit travaille l'Irlandais Plunkett (sans retour du refoulé ? Allusions conscientes ?), en révolte contre le TINA qu'Albion a inoculé au monde... C'est beau !
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Écrit par : Alex / | 28/06/2016

AMAS CELLULAIRE

> L'UE n'est pas un corps avec une tête pensante et des cellules différenciées. Il tend à devenir un amas cellulaire où la tête est le fondement et où le fondement impose sa pensée. Un fondement de plus en plus libéré et de plus en plus libéral et qui nous impose sa chiasse en guise de religion et de philosophie.
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Écrit par : Lehuédé / | 30/06/2016

MURAY

> Pourriez-vous en dire plus, je vous prie, sur Muray ? En quoi peut-on dire qu'il "déplore les effets d'une cause qu'il honore" ?

Ernst Calafol


[ PP à EC
- Il se trouve que je connaissais bien Muray. J'avais envers lui amitié et respect, mais je regrettais qu'il s'en tienne à la critique des symptômes (le festivisme, l'envie de pénal) sans aller jusqu'à leur cause (le marketing des comportements, donc le consumérisme issu du système économique reformatant la société). L'explication de ce manque tient au fait que Muray était "un vieux libéral", selon la formule d'Elisabeth Lévy. C'est d'ailleurs le cas de presque tous ceux qu'on nomme aujourd'hui les "nouveaux réactionnaires" : et ça stérilise d'avance leur démarche. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Ernst Calafol / | 05/07/2016

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