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Gouvernement-Uber : le cas du ”disrupter” Grégoire Kopp

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Encore une success-story de la gauche libérale, que les sarkozystes ne pourront condamner ! Conseiller du secrétaire d'Etat aux Transports Alain Vidalies, Grégoire Kopp devient soudain dir'com' chez Uber France - qui anime un réseau de transports hors-la-loi :

 

 Grégoire Kopp est un jeune monsieur parisien qui se présente, sur son compte Twitter, comme un « disrupter »*. Si je vous parle de son compte T., c'est à cause de son dernier tweet posté il y a 21 heures (je respecte l'orthographe tendance) :

 Grégoire Kopp@_GRK21 h

Très heureux de rejoindre @UberFR, société de technologie qui évolue ausi rapidement qu'elle fait bouger la société.

 

Greg nous le confirme donc : la société ne repose plus sur le vivre-ensemble mais sur la technologie. « Evoluer rapidement » est la solution imposée par l'algorithme global. Ça allait sans dire. Ça va encore mieux en le disant. Merci, Greg.

Tu** nous  informes que tu « rejoins » (franglais globish pour : I have just joined) « Uber France ». Le mot « France », chez Uber, ne désigne pas une nationalité mais une cible. Le réseau Uber s'implante en France – Marseille, Nantes, Strasbourg – dans une joviale indifférence envers la loi française. 

Or d'où viens-tu, Grégoire ? Du gouvernement de la République française. Jusqu'à hier tu étais conseiller en communication du secrétaire d'Etat chargé des transports, Alain Vidalies. Aujourd'hui tu deviens directeur de la communication d'Uber France. Non seulement c'est une confusion du public avec le privé, mais c'est un aveu de connivence de la République (ce qu'il nous en reste) avec le démontage des lois de la République ! Démontage béni par une partie de la magistrature, à en juger par la décision du tribunal de Paris signalée par notre note du 11/06 ; décision qui exprime un revirement de jurisprudence, puisqu'en 2014 encore le tribunal de Paris avait condamné UberPop à 100 000 euros d'amende ! Le revirement d'avant-hier met en cause la fonction du droit dans la société : ce qui révèle un chaos mental dans les esprits des cadres de la société française... au bout de vingt-cinq ans d'imprégnation ultralibérale.

Dans ce climat, le nomadisme de Grégoire Kopp n'est qu'un symptôme un peu plus pittoresque.

Pittoresque aussi est sa ligne de défense (presque aussi bidon que celle de M. Valls sur son voyage aérien à Berlin). En passant du gouvernement à Uber, dit Greg, « je ne suis pas en conflit d'intérêt », et cela pour deux raisons : 1. « en tant que chargé de communication je n'avais pas travaillé les dossiers sur le fond » ; 2. « les taxis concurrencés par UberPop sont rattachés au ministère de l'Intérieur et non à celui des Transports. » Prodigieux arguments ! Le 1 veut dire qu'un conseiller en communication ne connaît rien aux sujets dont il parle ; le 2 fait semblant de croire que le job de M. Grégoire Kopp chez Uber concernera les taxis officiels, ce qui ne sera évidemment pas le cas.

En tout cas ce garçon nous fait savoir qu'il est « très heureux ». Vas-y, Greg. Ne transige pas avec tes émotions.

 

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* sic. Sur la « disruption », voir nos notes d'hier et avant-hier.

** le tutoiement est de rigueur, entre disrupters.

 

  

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Benalla, sous-produit de la Disruption

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Visionner les débats de la commission, expérience instructive :

 

Avez-vous essayé de visionner intégralement la comparution de Gérard Collomb, puis celle de Michel Delpuech, devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale ?  Etrange impression. Ministre de l'Intérieur évasif et cafouilleux, préfet de police soucieux de ne pas porter le chapeau... M. Collomb puis le préfet Delpuech s'empressent de désigner l'Elysée comme origine du problème Benalla ; Delpuech va jusqu'à parler de "copinage malsain" pour désigner le réseau de l'ombre qui semblait unir M. Benalla à des responsables du maintien de l'ordre.

Mais un "copinage" subalterne ne peut expliquer les privilèges de M. Benalla :  une Renault Talisman suréquipée police (mais non fournie par l'Intérieur ni la préfecture) ; un port d'armes (refusé par l'Intérieur mais accordé par la préfecture) ; un badge d'accès H (hémicycle) à l'Assemblée nationale ;  un grade de lieutenant-colonel de réserve dans la gendarmerie (à 26 ans) ;  un appartement dans l'immeuble élyséen où Mitterrand abritait Mme Pingeot. Tout ça décerné à un ex-agent de sécurité par l'autorité de la Présidence de la République... Nous voilà dans l'étrange.

Mais pas dans l'inexplicable. Comme nous le disions ici le 20 juillet, M. Benalla et ses sbires étaient des rouages du commando avec lequel M. Macron s'est emparé de la Ve République. Le but du régime macronien n'est pas d'instaurer le règne des barbouzes ;  il est d'installer une technocratie sans fard à la place du système semi-parlementaire né en 1958-1962. Pour ce faire, M. Macron personnalise à outrance le pouvoir présidentiel. Dans quels intérêts ? Sa réforme constitutionnelle vise à diminuer le nombre des députés en les éloignant de circonscriptions devenues géantes – ce qui les rapprochera encore des lobbies économiques... Cette perspective irrite une partie des députés (on les comprend) : l'affaire Benalla leur sert donc à taper sur la table.

Vu sous cet angle, ladite affaire se réduit au rang de sous-produit du macronisme. “Manu” règne dans les hauteurs avec des technocrates : pourquoi ne laisserait-il pas les bassesses à des barbouzes ? Dans les deux cas il s'agit de disrupter, de contourner ces vieilleries que sont les formes et les normes. En ce sens M. Macron est très postmoderne, en phase avec l'esprit du temps.: unexpected chantier, comme on dit dans les centres commerciaux... L'opposition parlementaire est loin d'avoir partie gagnée – même sur le seul plan moral.

 

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”700 000 manifestants en France ce jeudi”...

...annonce le ministère de l'Intérieur : ce qui veut dire qu'il y en a eu nettement plus d'un million. La démonstration est donc faite :
► mécontentement massif,
► désaveu (non moins massif) de l'aventure Macron,
► rejet (tout aussi massif) du petit groupe arrogant des élus macronistes avec leur catéchisme néolibéral pour écoles de commerce...
De cette véritable "disruption", que peut-il sortir maintenant ?

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Des chauffeurs insurgés demandent au gouvernement ”d'exclure Uber du territoire français”

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Enfin "l'ubérisation" est dénoncée pour ce qu'elle est, un culte qui sacrifie l'humain sur l'autel de "l'idole argent" :

 

Echec des négociations entre Uber et les chauffeurs. Ceux-ci réclamaient des conditions "décentes" de travail et de rémunération. Mardi, Uber-France a fait semblant d'admettre enfin la discussion ; puis, sur l'ordre de San Francisco, elle a : 1. maintenu sa décision de ponctionner encore plus les "tarifs de misère" des chauffeurs ; 2. traité par le mépris la démarche (timide) d'Alain Vidalies, secrétaire d'Etat aux Transports, qui suggérait de renoncer "temporairement" à faire passer la commission Uber de 20% à 25%. Indignés de n'être pas entendus, les chauffeurs appellent leurs collègues à se "déconnecter" d'Uber, et demandent à M. Cazeneuve de l'expulser de France.

La vraie logique d'Uber est déshumanisante. En 2016, Uber a perdu 3 milliards de dollars. En 2015 elle avait perdu 2 milliards. Une des raisons de ces pertes colossales tient dans les dépenses astronomiques d'Uber pour créer des... voitures sans conducteur ! D'où l'enthousiasme pro-Uber du futur ministre américain du Travail, l'anti-social Andrew Puzder ("les robots ne sont jamais malades")... La "croissance sans emplois" est le stade suprême du libéralisme : Uber ment aux pauvres presque autant que M. Trump.

Quant aux chantres de "l'ubérisation de l'économie", ce sont : ou des bredins (encore persuadés que déréguler fait le bien de tous), ou des filous, ou de grands bizarres.

Interviewée sur le conflit Uber, une dame étrange est apparu le 19 décembre au journal de LCI. Sourire de glace - style Clara Gaymard - et formules péremptoires ("mieux vaut travailler seize heures par jour que ne pas travailler du tout"), Mme Sergine Dupuy parlait sur un ton polaire et nerveux à la fois. Elle était interviewée en tant que "membre du conseil d'administration de l'Observatoire de l'ubérisation". Cet "observatoire" est en fait un groupe "d'entrepreneurs"  (en trucs genre e-learning), supporters de l'ubérisation qu'ils présentent comme un processus excellent et inexorable de "disruption".

Qu'est-ce que la disruption ? Notre blog en a parlé souvent. Par exemple le 10/06/2015 :  

<< Disruption est un nouveau mot-fétiche dans le français des leaders. C'est de l'américain, bien entendu : ça voulait seulement dire "perturbation" jusqu'à ce que les publicitaires s'en emparent, pour lui donner le sens de : "méthode consistant à renverser les conventions culturelles dominantes pour construire une communication originale". Puis les SiliconEconomics en on fait un abracadabra voulant dire : "ouvrir un processus de rupture donc forcément désirable". Aujourd'hui, "disruption", comme "storytelling" (et autres "éléments de langage"), fait partie du parler-pour-ne-rien-dire en vogue. C'est ainsi que l'idiome des politiques s'est dissous dans celui des forces dominantes : les mots ne sont pas innocents. >>

Ou le 12/06/2015 :

<<  Grégoire Kopp est un jeune monsieur parisien qui se présente, sur son compte Twitter, comme un "disrupter". Si je vous en parle, c'est à cause de son dernier tweet posté il y a 21 heures (je respecte l'orthographe tendance) :

 Grégoire Kopp@_GRK21 h  Très heureux de rejoindre @UberFR, société de technologie qui évolue ausi rapidement qu'elle fait bouger la société.

Greg nous le confirme donc : la société ne repose plus sur le vivre-ensemble mais sur la technologie. "Evoluer rapidement" est la solution imposée par l'algorithme global. Ça allait sans dire. Ça va encore mieux en le disant. Merci, Greg. Tu nous  informes que tu "rejoins" (franglais globish pour : I have just joined) "Uber France". Le mot "France", chez Uber, ne désigne pas un pays mais une cible. Le réseau Uber s'implante en France – Marseille, Nantes, Strasbourg – dans une froide indifférence envers la loi française.  Or d'où viens-tu, Grégoire ? Du gouvernement de la République française. Jusqu'à hier tu étais conseiller en communication du secrétaire d'Etat chargé des transports, Alain Vidalies. Aujourd'hui tu deviens directeur de la communication d'Uber France.  >>

 

Revenons à Mme Dupuy. Qui est-ce ? Selon Google (bien sûr), Mme Dupuy est "founder & CEO at RedPill SAS". Qu'est-ce que RedPill ? Apparemment la branche hexagonale d'un réseau US. C'est surtout l'une des cellules du brave new world de la disruption : sa patronne le dit dans Les Echos (03/02/2016), il faut "oser l'auto-disruption" car c'est "la vision-clé de la transformation digitale". 

Ne faut-il prendre le mot "vision" que dans son sens banal, celui du jargon d'agences ? Mme Dupuy, sur son compte Twitter le 28/12/2015, parle - à propos de start-up - d'un RedPill Project. Visitez le site anglophone du seul RedPill Project présent sur Google : c'est le vocabulaire ludique-foutraque du développement personnel, aux limites du vieux jargon New Age et du piège-à-chômeurs jeuniste. On y propose aux "young-minded people" un "radical community experiment" d'un mois : grâce à une "gamme d'outils et de méthodologies" (je traduis en français), les participants apprendront à "déployer leur potentiel"  et à "aller au delà de leurs limites et blocages" par "la danse avec la structure et le chaos" ("dance with structure and chaos").  Le RedPill Project se présente comme un "playground" (terrain de jeux) enseignant le changement par la joie ("no change is sustainable without fun").

Le RedPill Project cite un certain Ouspenski : "C'est seulement quand nous réalisons que la vie ne mène nulle part qu'elle commence à prendre un sens". Qui est Ouspenski ? un défunt ésotériste qui propagea les "enseignements" du mage-escroc Gurdjieff, auteur des Récits de Belzébuth à son petit-fils (1950) ! Commentaire du RedPill Project - toujours en anglais - sous sa citation d'Ouspenski : "Nous voyons un dessein plus élevé au delà de notre experiment. Nous savons que la planète a besoin de l'énergie consciente qui nous permet de nous reconnecter à nos êtres profonds, si c'est pour guérir. Nous visons à élever la barre de conscience du ressenti, de la pensée et de l'action, pour être le changement que nous voulons voir..." 

Gageons que ce RedPill Project anglophone n'est pas le même que celui dont parle le tweet de Mme Dupuy. Ce ne peut être qu'une homonymie : si l'arrière-plan philosophique de l'ubérisation était à chercher chez Ouspenski, c'est que Belzébuth embobinerait maintenant son petit-fils chômeur ! Comme aurait dit Gurdjieff lui-même, pareille hypothèse serait "totale merdité".

 

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Assemblée nationale : comme dit le proverbe chinois, nous allons ”vivre des temps intéressants”

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Le système politique français vient de changer de nature. Nous entrons en régime parlementaire !  Mon éditorial de 7h55 à RCF, Radios chrétiennes de France :

<<  Eh bien voilà : hier soir nous sommes entrés en régime parlementaire et c’est la première fois dans l’histoire de la Ve République. On peut même dire que notre système politique change de nature. Pour la première fois depuis que le quinquennat existe, l’élection du président n’a pas poussé les électeurs à lui donner une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Pour la première fois, la composition du gouvernement sera le produit, non du bon plaisir de l’Elysée, mais du nouveau paysage parlementaire…

Et ce paysage est d’une nouveauté absolue. L’hémicycle est quasiment partagé en trois blocs. L’un de ces blocs est l’extrême droite, qui fait un score sans précédent de 89 députés : chose sidérante pour les autres partis et les médias, persuadés depuis 25 ans qu’avec le scrutin majoritaire à deux tours, un parti sans alliés n’avait aucune chance : c’était, paraît-il, une des lois naturelles de la politique française… Eh bien ça aussi, c’est devenu faux.

Autrement dit tous les repères s’effacent. La Ve République prend un tel virage qu’on peut se demander si nous ne sommes pas en train de basculer dans une VIe République – qui risque fort de ressembler à ce qu’avait été la IVe, dont peu de gens se souviennent aujourd’hui mais qui fut le régime de l’instabilité chronique. C’est ce que laissait comprendre hier soir le très bref discours d’Elizabeth Borne, prononcé avec deux heures de retard et constatant qu’il va falloir, je cite, “trouver les bons compromis“ et “associer les sensibilités multiples”.  Ce qui annonce une époque de négociations permanentes, de motions de censure, de gouvernements renversés et d’élections anticipées : nos grands-parents connaissaient tout ça par cœur, mais pour nous ça va être une découverte. Emmanuel Macron en 2017 nous promettait, selon ses termes, le choc de la disruption. En juin 2022 c’est une sacrée disruption que les Français déclenchent par leurs votes…. Enfin, je dis “leurs votes” mais il y a eu 54 % d’abstentions : chiffre impressionnant, inquiétant, et qui achève de rendre imprévisible le profil des années qui viennent. Comme dit le proverbe chinois, nous allons "vivre des temps intéressants".  >>

 

 

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Uberisation de l'économie : les juges sont... d'accord

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Le tribunal correctionnel de Paris relaxe un "chauffeur" d'UberPop :

 

Poursuivi en correctionnelle pour exercice illégal de l'activité d'exploitant de taxi, un « chauffeur » sous contrat UberPop a été relaxé hier par le tribunal de Paris. Motif invoqué : « le transport onéreux d'une personne est insuffisant à caractériser le délit d'exploitant de taxi sans autorisation de stationnement, qui suppose que soit caractérisé un stationnement ou une circulation sur la voie publique en quête de clientèle. »

Cet attendu néglige la révolution smartphone, qui change radicalement les conditions de la maraude.

Le juge correctionnel était-il conscient de cela ?

Si non, la justice française aurait intérêt à mettre à jour sa connaissance des phénomènes actuels.

Si oui, c'est qu'elle a choisi d'accompagner la « disruption »* en cours : c'est-à-dire la dislocation des normes économiques et sociales, la pulvérisation ultra-individualiste, l'externalisation des tâches des entreprises, avec pour horizon ce qu'évoquait The Economist : « un monde fait uniquement de travailleurs indépendants hyper-spécialisés attendant qu’on veuille bien leur donner leur dose de travail journalier, comme les dockers du film de 1955 Sur les quais  d’Elia Kazan ».

Le métier des juges est-il d'accompagner cette « disruption » ? C'est toute la fonction du droit qui est ici remise en question. Certes, le système français des taxis est corporatiste, anachronique et défectueux. Mais cet aspect de la question ne doit pas masquer l'autre aspect : ce qui se passe dans le secteur des taxis n'est qu'une facette de ce qui se passe dans tous les domaines.

On dira : « ce qui se passe est inéluctable parce que la technologie commande. »

Y a-t-il encore une société si  la technologie commande ? Le destin de l'homme est-il de s'ajuster aux algorithmes ? Oui, disent les commentateurs de BFM Business, puisqu'il faut aller chercher la croissance avec les dents. Mais ce à quoi mène l'algorithme paramétré pour le profit, c'est à la robotisation de l'économie : stade au delà duquel celle-ci n'aura plus besoin de l'homme (sauf s'il est hypertechnicien). Voir à ce sujet la note du 09/06 : ici

Les juges, et au-dessus d'eux les législateurs – tant qu'il en reste – devraient prendre en compte cette perspective. Ça rendrait aux citoyens, envers la classe dirigeante, une estime qui a disparu selon le dernier sondage de Paris-Match. 

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* voir ici la note du 10/06.

 

 

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Mini-putsch à Ankara : faillite des ”experts” européens

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...obligés d'admettre qu'ils se trompaient sur la Turquie :

 

Au moins 90 morts, plus de mille blessés, des combats de rue entre militaires : le mini-putsch raté à Ankara confirme que M. Erdogan divise gravement son propre pays.

Il confirme aussi l'aveuglement des élites européennes. Car elles maintenaient - contre toute évidence - que le régime Erdogan marquait un progrès et disposait la Turquie à entrer dans l'UE... Interrogée par Le Monde du 17/07, l'un(e) de ces experts en France - Dorothée Schmid, de l'IFRI - l'avoue sans fard : "Nous pensions tous que la Turquie avait changé de catégorie et que ce retour au passé était aujourd'hui impossible..." 

Les experts et les politiciens de l'UE se trompaient donc "tous" ! D'où leur venait cet aveuglement ? Du mythe américain de la "disruption" (destruction créatrice), mythe venu de la pub et implanté dans la politique via l'économie. M. Erdogan avait beau être islamiste et nationaliste (deux idées non eurocompatibles), le simple fait qu'il soit officiellement "en rupture" avec ce qui l'avait précédé en faisait un disrupteur : donc un Européen...

Cette illusion a souffert des réalités sultanesques du régime Erdogan. Elle a été replâtrée en 2015 par le drame des migrants, dont Ankara a su jouer pour reprendre l'ascendant sur Bruxelles. Mais voilà des combats de rue dans la capitale turque ! La réalité décidément est navrante. Mme Schmid en convient, la mort dans l'âme : "Cette crise révèle en fait l'extrême fragilité du pays et même du pouvoir de M. Erdogan malgré les apparences : il avait déjà deux fronts ouverts face aux Kurdes et face à l'Etat islamique, il se retrouve aussi à devoir faire des comptes avec l'armée..." La crise révèle surtout l'incapacité de l'euro-classe à voir les choses comme elles sont. Dans le domaine géopolitique comme dans tous les autres, le postmoderne est une négation du réel.

 

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Coup de théâtre : assiégé par l'opinion, le président du Parlement européen ajourne le vote sur le TAFTA

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On a raison de se révolter contre la "disruption" (1) libérale :

 

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Le vote sur le traité euro-américain de libre-échange, qui devait avoir lieu aujourd'hui au Parlement européen, est retardé :  le président social-démocrate du Parlement, Martin Schultz, a décidé hier de reporter ce vote, en raison d'interventions de députés de tous bords qui invoquaient « le grand nombre des amendements à examiner ».

Cet argument de procédure cache un début de malaise. En fait, les eurodéputés ont fini par prendre conscience de l'indignation qui se répand dans l'opinion publique au sujet de ce traité, élaboré dans le secret de commissions dominées par Washington et les états-majors des multinationales nord-américaines.

Informés par des analystes indépendants grâce aux fuites bruxelloises, plus d’1,5 million de citoyens ont déjà signé une pétition officielle (ICE) contre le TAFTA, et 97 % des répondants à la consultation publique lancée par la Commission sur ce sujet ont exprimé leur refus. Les citoyens n'admettent pas :

1. un traité qui place les multinationales au-dessus des gouvernements et des lois nationales,  via ce qu'il nomme ISDS : des « tribunaux » privés censés « arbitrer » en cas de conflit, par exemple pour faire abolir des lois de protection sociale... Tribunaux qui sont (selon Alfred de Zayas, expert de l'ONU sur l'ordre international) un outil tactique des multinationales pour saper le droit dans les démocraties ;

2. un traité qui aligne la consommation et l'environnement en Europe sur les standards américains.

Quant aux eurodéputés, assiégés de pétitions de masse venant de divers pays, ils ont pris conscience du problème en découvrant (explique l'un d'eux à Reporterre) qu'eux-mêmes ont à peine accès à l'information sur le futur traité : « Les documents sont visibles uniquement sur rendez-vous, dans une pièce où le député qui en fait la demande est accompagné par un fonctionnaire européen. Il faut laisser son téléphone portable à l’entrée pour ne pas pouvoir prendre de photos des documents. Ceux-ci sont rédigés dans un jargon politico-diplomatico-économico-industriel tel qu’une personne normale est bien incapable de comprendre les détails de ce qui est discuté », explique un élu.

Résultat : une fracture, inespérée, au sein de la classe politique. «  Les 14 et 16 avril 2015, 6 des 14 commissions parlementaires du Parlement européen qui planchent depuis neuf mois sur ce traité, avaient rejeté l’ISDS... Mais le 28 mai, la commission Commerce du Parlement européen (INTA) a adopté une position plutôt favorable à ces tribunaux indépendants de la juridiction publique... En mars dernier, le groupe Socialistes et Démocrates (S&D), second groupe le plus important au Parlement européen, avait publié un document très clair, définissant leur position sur l’ISDS : Nous ne voyons pas la nécessité de son inclusion et demandons qu’il soit exclu lorsque les négociations sur le chapitre de l’investissement commenceront. Ce mécanisme semble en effet inutile entre deux continents démocratiques munis de systèmes juridiques indépendants et performants. Mais c’est pourtant le ralliement de neuf des dix députés socialistes (S&D) à la position pro-ISDS des conservateurs et libéraux, qui a permis que la résolution soit adoptée à une large majorité lors du vote de la commission INTA... »

Pour l'instant, donc, le vote est ajourné. Mais il aura lieu : peut-être dès le mois de juillet. Avec de fortes probabilités en faveur du "oui"... La bataille est loin d'être gagnée, pour ne rien dire de la guerre ! Mais preuve est faite que cette bataille est possible, et sans doute bien d'autres. Le malaise qui s'est emparé des eurodéputés à propos du TAFTA est une première victoire pour les citoyens lucides qui réveillent l'opinion publique. C'est le résultat de leur vaste et vigoureuse campagne menée depuis un an.

Remarquons que nos radios ont remarquablement peu parlé de cet événement : ce matin, seule France Culture – à ma connaissance – a traité le sujet... Une bonne partie  de mes confrères (adeptes de la DisruptionProgrèsCroissance) devait avoir pris le deuil. Nos humoristes vont sûrement japper contre la frilosité réactionnaire.

 

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(1) Disruption est un nouveau mot-fétiche dans le français des leaders. C'est de l'américain, bien entendu : ça voulait seulement dire « perturbation » jusqu'à ce que les publicitaires s'en emparent, pour lui donner le sens de : « méthode consistant à renverser les conventions culturelles dominantes pour construire une communication originale ». Puis les SiliconEconomics en on fait un schibboleth voulant dire : « ouvrir un processus de rupture donc forcément désirable ». Aujourd'hui, « disruption », comme « storytelling » (et autres éléments de langage), fait partie du parler-pour-ne-rien-dire en usage. C'est ainsi que l'idiome des politiques s'est dissous dans celui des forces dominantes : les mots ne sont pas innocents.

 

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 Voir aussi :

http://www.reporterre.net/Coup-de-tonnerre-a-Bruxelles-le-vote-sur-le-TAFTA-est-reporte

 

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Macron insolemment ultralibéral : ”NO OTHER CHOICE !”

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Cette interview devrait révolter les catholiques... Est-ce le cas ?  

Un bras d'honneur à la France laborieuse, au moment où les enquêtes montrent des milliers de petits chefs d'entreprise qui doutent de l'avenir en se tuant à la tâche...

Forbes est aux plus riches ce que la porno est aux érotomanes. C'est à ce magazine de l'empire financier anglophone que M. Macron a choisi de livrer - nu et cru - le fond de sa pensée. C'est du brutal. Mme Thatcher disait : "there's no alternative", M. Macron dit (à Forbes) : "there's no choice". Même logique en forme d'engrenage ! "Pas d'autre choix", ce n'est pas un choix : c'est "une proposition que vous ne pouvez pas refuser".

M. Macron dit par exemple : "J'ai expliqué à mon peuple...." Il ironise : "Pendant trois ou quatre décennies en France, les gens ont réagi au changement en déclarant qu'ils y résisteraient. Les partis de gauche et de droite ont en fait proposé à notre peuple de se protéger contre les changements." Quels changements ?  : "L'agriculture, l'industrie et les services sont déjà totalement disruptés...." Six fois dans cet entretien, M. Macron emploie ce terme "disrupter"  (casser ce qui existe et faire un saut dans le vide) :  mot que les naïfs prennent pour le nouvel abracadabra d'une magie économique, mais qui vient du globish des publicitaires.

"Je veux que mon pays soit ouvert à la disruption et aux nouveaux modèles", martèle-t-il, ironisant sur les résistances professionnelles à ces "modèles" : "Beaucoup de gens expliquent aux citoyens français : 'je vous protégerai contre les effets pervers d'Uber ou de Airbnb', mais ces entreprises sont là et les consommateurs français les adorent, même si elles mettent en péril beaucoup d'emplois"

M. Macron affiche sa volonté de laisser les prédateurs ronger le système français (venu du service public) : "Les nouvelles start-ups sont en train de disrupter et de créer des problèmes pour les grandes compagnies comme EDF", constate-t-il en trouvant ça très bien : "elles vont probablement vous disrupter", dit-il à EDF avec un sourire aigu. Autrement dit : l'énergie en France sera laissée à la disposition du privé transnational.

Et c'est dans Forbes (paru pendant le voyage australien) que M. Macron a choisi d'annoncer une mesure symboliquement provocatrice : l'abolition de l'imposition des plus-values mobilières des Français émigrés ! Seule mesure défavorable aux  plus riches prise sous Sarkozy, ce dispositif visait les grands patrons français partis en Belgique pour y vendre leur société sans payer d'impôt sur la plus-value [*]... Sa suppression aujourd'hui est applaudie par Forbes, qui sacre M. Macron "leader du libre marché".

Tenue secrète jusqu'ici et maintenant proclamée en anglais dans le magazine de la sphère financière (en plein malaise social français), cette abolition fait l'effet d'une insolence particulièrement arrogante.

Elle fait aussi l'effet d'un "foutage de gueule", protestent les syndicats : l'abolition de l'Exit tax repose sur le même faux argument que les précédents cadeaux macroniens (sans contrepartie) aux plus riches. Il s'agirait - dit M. Macron à Forbes - de favoriser la "communauté du business", la laissant ensuite "investir et créer de l'emploi"... mais seulement si elle le souhaite, car les cadeaux fiscaux ne sont accompagnés d'aucune mesure amenant (ni même incitant) leurs bénéficiaires à investir dans l'économie réelle.

Même des élus de droite jugent que M. Macron n'a d'oreille que "pour les banquiers d'affaires" (Gilles Carrez, député LR). Le politologue Jérôme Sainte-Marie constate : "Macron agit comme s'il pouvait tout se permettre, il pense que les conditions sont réunies pour une rupture culturelle totale : il y a du Thatcher chez lui, il mène une bataille d'anéantissement."

Certains députés LREM s'inquiètent des répercussions de tout ça dans l'opinion publique. D'autres, plus formatés, récitent la leçon du Maître : "C'est la suite logique du budget 2018", tranche Amélie de Montchalin, jeune pousse de la macronie.

Or Mme de Montchalin est non seulement classée "catholique" par les médias en raison de son milieu social, mais désormais guest star de colloques catholiques officiels... en dépit du fait que son idéologie socio-économique contredit la pensée sociale de l'Eglise (notamment exprimée dans l'encyclique Laudato Si' ).

Et ceci pose le problème du "flottement" d'un certain milieu au sein de l'Eglise de France. Depuis des décennies, ce milieu fait comme si les préconisations sociales et économiques du Magistère n'existaient pas ; comportement d'esquive qui s'est accru avec l'embourgeoisement sociologique accéléré du petit monde catholique franco-français, et qui s'accroît encore sous Emmanuel Macron, pour des raisons tenant à la psychologie de milieu.

On l'a remarqué il y a un mois, après le discours de M. Macron aux Bernardins.  Mgr Pontier, président des évêques de France, avait fermement évoqué plusieurs graves problèmes de société. M. Macron avait répondu à demi-mot qu'il n'en ferait qu'à sa tête (alors que ses opinions sociétales ne vont pas, c'est notoire, dans le sens souhaité par l'Eglise). Mais il avait nappé cela dans un flot de références historiques, un déluge d'érudition cathophile, une volée de coups de chapeau au passé catholique... Une partie de son auditoire allait s'en contenter. Prête à accepter du courtois M. Macron ce qu'elle n'aurait pas admis de M. Hollande, elle avait jubilé de voir qu'il connaissait la maison  et - surtout -  de l'entendre en parler poliment. La bonne bourgeoisie n'en demande pas plus. Il lui suffit d'être honorée dans sa mémoire et en tant que milieu, le macronisme en économie la satisfaisant pleinement par ailleurs... On comprend en quoi (et dans quelle mesure) Mme de Montchalin porte le label catho.

 

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[*]  La taxe Sarkozy visait "les contribuables détenant plus de 800 000 euros d'actions et d'obligations, ou la moitié du capital d'une entreprise".

 

 

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François : ”Le premier terrorisme, c'est le dieu Argent...”

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Le propos du pape dans l'avion fait écho au réquisitoire de saint Basile de Césarée (archevêque de Cappadoce, IVe siècle) :

 

 

047a311744094f07c96915c348de5dd1.jpg<<  "Insensé, cette nuit même on te redemandera ta vie, et ce que tu as amassé, qui donc l'aura ?" [*].  La conduite de cet homme est plus dérisoire que le châtiment éternel n'est rigoureux. En effet, cet homme qui va être enlevé de ce monde dans si peu de temps, quels projets agite-t-il dans son esprit ? "Je vais démolir mes greniers et j'en rebâtirai de plus grands [**]..." Moi, je dirais : tu fais bien, car les greniers de l'injustice ne méritent que d'être démolis ; de tes propres mains, détruis de fond en comble ce que tu as bâti malhonnêtement. Laisse s'écrouler tes réserves de blé qui n'ont jamais soulagé personne. Fais disparaître tout bâtiment qui abrite ton avarice, enlève les toits, renverse les murs, expose au soleil le blé qui moisit, sors de leur prison les richesses qui y étaient captives. "Je vais démolir mes greniers et j'en rebâtirai de plus grands..." Une fois que tu les auras remplis à leur tour, que vas-tu décider ? Les démoliras-tu pour en rebâtir d'autres une fois encore ? Y a-t-il pire folie que de se tourmenter sans fin, construire avec acharnement et vite démolir ? >>

 

► Cette sixième homélie de Basile de Césarée sur l'évangile selon saint Luc (DDB 1987) est de tous les temps. Mais elle vise spécialement notre époque... La tyrannie de l'argent s'exerce en Occident sans aucun contrepoids si minime soit-il. L'acharnement "construction-démolition" se focalise, non sur l'économie concrète, mais (à travers celle-ci) sur l'abstrait : la spéculation virtuelle instantanée, l'argent pour l'argent, l'onanisme financier... "Y a-t-il pire folie", dirait Basile ? Les conséquences sociales de cette folie sont cause (en dernière instance) : 1. de notre désert mental et moral ; 2. de l'assujettissement aux machines délirantes de la communication. Désert qui explique la dérive terroriste d'une partie des jeunes de nos banlieues (issus, pour certains, de familles "françaises de souche"). Et assujettissement technoïde sans lequel la e-guerre de Daech n'existerait pas.

► C'est le contexte de la déclaration du pape aux journalistes dans l'avion : " Combien de jeunes que nous, Européens, avons laissé vides d’idéal, qui n’ont pas de travail, s’approchent de la drogue, de l’alcool ? Ils vont là-bas et ils s’enrôlent dans les groupes fondamentalistes... Le terrorisme est partout. Pensez au terrorisme tribal dans certains pays africains... Je ne sais pas si je peux le dire car c’est un peu dangereux, mais le terrorisme grandit lorsqu’il n’y a pas d’autre option. Et au centre de l’économie mondiale, il y a le dieu Argent (et non la personne, l’homme et la femme) : voilà le premier terrorisme. Il a chassé la merveille de la création, l’homme et la femme, et il a mis là l’Argent. Ceci est un terrorisme de base, contre toute l’humanité. Nous devons y réfléchir. »

Les appels et les analyses du pape François emportent l'assentiment des catholiques français, prêtres et laïcs : ce qui vient doucher les partis qui comptaient récupérer l'effet-panique du terrorisme - et faisaient ainsi le jeu de Daech, en une sorte d'accord infernal. Nous ne serons pas leur masse de manoeuvre ! 

 

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[*]  Parabole de l'homme riche et accapareur : Luc 12/13-21, cf. note d'hier.

[**]  Déjà la disruption, génératrice d'une forme inédite de la "folie" évoquée par Basile de Césarée... (cf le livre de Bernard Stiegler Dans la disruption, comment ne pas devenir fou ?, éd. Les Liens qui Libèrent 2016)

 

 

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