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10/06/2015

Coup de théâtre : assiégé par l'opinion, le président du Parlement européen ajourne le vote sur le TAFTA

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On a raison de se révolter contre la "disruption" (1) libérale :


 

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Le vote sur le traité euro-américain de libre-échange, qui devait avoir lieu aujourd'hui au Parlement européen, est retardé :  le président social-démocrate du Parlement, Martin Schultz, a décidé hier de reporter ce vote, en raison d'interventions de députés de tous bords qui invoquaient « le grand nombre des amendements à examiner ».

Cet argument de procédure cache un début de malaise. En fait, les eurodéputés ont fini par prendre conscience de l'indignation qui se répand dans l'opinion publique au sujet de ce traité, élaboré dans le secret de commissions dominées par Washington et les états-majors des multinationales nord-américaines.

Informés par des analystes indépendants grâce aux fuites bruxelloises, plus d’1,5 million de citoyens ont déjà signé une pétition officielle (ICE) contre le TAFTA, et 97 % des répondants à la consultation publique lancée par la Commission sur ce sujet ont exprimé leur refus. Les citoyens n'admettent pas :

1. un traité qui place les multinationales au-dessus des gouvernements et des lois nationales,  via ce qu'il nomme ISDS : des « tribunaux » privés censés « arbitrer » en cas de conflit, par exemple pour faire abolir des lois de protection sociale... Tribunaux qui sont (selon Alfred de Zayas, expert de l'ONU sur l'ordre international) un outil tactique des multinationales pour saper le droit dans les démocraties ;

2. un traité qui aligne la consommation et l'environnement en Europe sur les standards américains.

Quant aux eurodéputés, assiégés de pétitions de masse venant de divers pays, ils ont pris conscience du problème en découvrant (explique l'un d'eux à Reporterre) qu'eux-mêmes ont à peine accès à l'information sur le futur traité : « Les documents sont visibles uniquement sur rendez-vous, dans une pièce où le député qui en fait la demande est accompagné par un fonctionnaire européen. Il faut laisser son téléphone portable à l’entrée pour ne pas pouvoir prendre de photos des documents. Ceux-ci sont rédigés dans un jargon politico-diplomatico-économico-industriel tel qu’une personne normale est bien incapable de comprendre les détails de ce qui est discuté », explique un élu.

Résultat : une fracture, inespérée, au sein de la classe politique. «  Les 14 et 16 avril 2015, 6 des 14 commissions parlementaires du Parlement européen qui planchent depuis neuf mois sur ce traité, avaient rejeté l’ISDS... Mais le 28 mai, la commission Commerce du Parlement européen (INTA) a adopté une position plutôt favorable à ces tribunaux indépendants de la juridiction publique... En mars dernier, le groupe Socialistes et Démocrates (S&D), second groupe le plus important au Parlement européen, avait publié un document très clair, définissant leur position sur l’ISDS : Nous ne voyons pas la nécessité de son inclusion et demandons qu’il soit exclu lorsque les négociations sur le chapitre de l’investissement commenceront. Ce mécanisme semble en effet inutile entre deux continents démocratiques munis de systèmes juridiques indépendants et performants. Mais c’est pourtant le ralliement de neuf des dix députés socialistes (S&D) à la position pro-ISDS des conservateurs et libéraux, qui a permis que la résolution soit adoptée à une large majorité lors du vote de la commission INTA... »

Pour l'instant, donc, le vote est ajourné. Mais il aura lieu : peut-être dès le mois de juillet. Avec de fortes probabilités en faveur du "oui"... La bataille est loin d'être gagnée, pour ne rien dire de la guerre ! Mais preuve est faite que cette bataille est possible, et sans doute bien d'autres. Le malaise qui s'est emparé des eurodéputés à propos du TAFTA est une première victoire pour les citoyens lucides qui réveillent l'opinion publique. C'est le résultat de leur vaste et vigoureuse campagne menée depuis un an.

Remarquons que nos radios ont remarquablement peu parlé de cet événement : ce matin, seule France Culture – à ma connaissance – a traité le sujet... Une bonne partie  de mes confrères (adeptes de la DisruptionProgrèsCroissance) devait avoir pris le deuil. Nos humoristes vont sûrement japper contre la frilosité réactionnaire.

 

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(1) Disruption est un nouveau mot-fétiche dans le français des leaders. C'est de l'américain, bien entendu : ça voulait seulement dire « perturbation » jusqu'à ce que les publicitaires s'en emparent, pour lui donner le sens de : « méthode consistant à renverser les conventions culturelles dominantes pour construire une communication originale ». Puis les SiliconEconomics en on fait un schibboleth voulant dire : « ouvrir un processus de rupture donc forcément désirable ». Aujourd'hui, « disruption », comme « storytelling » (et autres éléments de langage), fait partie du parler-pour-ne-rien-dire en usage. C'est ainsi que l'idiome des politiques s'est dissous dans celui des forces dominantes : les mots ne sont pas innocents.

 

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 Voir aussi :

http://www.reporterre.net/Coup-de-tonnerre-a-Bruxelles-le-vote-sur-le-TAFTA-est-reporte

 

Commentaires

RV

> « Les documents sont visibles uniquement sur rendez-vous" encore est-il très difficile d'obtenir un tel rendez-vous !
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Écrit par : Pierre Huet / | 10/06/2015

HYDRE

> Cette affaire de disruption me fait penser au lean management qu'on a tenté de rebaptiser élan en France pour que ça passe mieux...
Je ne sais pas si sur ce genre de combat il faille faire miroiter l'éventualité d'un rapport de force, la bataille contre l'hydre est perdue d'avance à l'échelle humaine, si elle recule de ce côté elle reviendra par un autre, mais nous chrétiens n'avons pas à être du côté des gagnants de ce monde ; et nous savons ce qu'est vraiment le triomphe de la cupidité et du péché : un dernier râle avant la Défaite éternelle.
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Écrit par : perlapin / | 10/06/2015

> Disruption ? On disait subversion en français, jusque là.
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Écrit par : JG / | 11/06/2015

SHOVE IT

> Sur les ravages du franglais mal maîtrisé, je tombe sur le projet de "smart grids" à Lyon qui a reçu (pour faire cool et moderne) le nom de "Showe it" : http://www.smartgrids-cre.fr/index.php?p=showe-it.
Je ne vois pas d'autre prononciation possible que "shove it", expression américaine employée pour expliquer de la manière la plus vulgaire possible où quelqu'un peut "ranger" une proposition avec laquelle son interlocuteur est en profond désaccord.
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Écrit par : Thibaud / | 12/06/2015

Les commentaires sont fermés.