Son pamphlet, L'imposture climatique, est lourd de bourdes. Comme celle-ci : prendre "Georgia Tech" pour le nom de quelqu'un, alors que c'est l'abréviation américaine de "Georgia Institute of Technology". On n'a pas souvent l'occasion de s'amuser : lisez Le Monde de ce week-end !
Pièce maîtresse de la campagne «climat-sceptique » (donc lancé à coups de cymbales par des médias commerciaux), le nouveau livre d'Allègre prétend liquider le « mythe » du changement climatique – et le « système mafieux » de climatologues qui auraient fabriqué ce mythe, sans doute pour détruire « la liberté d'entreprise ».
Mais comment diable Allègre a-t-il composé ce factum de 300 pages ? On a rarement vu autant de bourdes, selon le journaliste scientifique Stéphane Foucart, du Monde, qui en donne un aperçu dans un dossier d'une page entière : http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/02/27/le-cent-fautes-de-claude-allegre_1312167_3244.html
Dans un premier article (Le cent-fautes de Claude Allègre), Foucart constate « de nombreuses approximations et erreurs factuelles à même de tromper le public ». Echantillon : sur le rôle du CO2, Allègre fait dire à une étude de Science l'inverse de ce qu'elle dit. Sur les pertes de glace de l'Antarctique, il affirme le contraire de l'avéré. Il reprend le pont-aux-ânes sur le Groenland « vert » au Moyen Age : il n'a donc pas lu le seul témoignage historique en la matière [1], où l'on voit que ce « vert » groenlandais fut un slogan inventé par Erik le Rouge pour appâter les colons. Allègre cite deux scientifiques qu'il nomme « Wester » et « Tech » ; vérification faite par Foucart, il s'agit en réalité d'un M. Webster, travaillant au « Georgia Tech » : abréviation américaine pour « Georgia Institute of Technology » ! Allègre évoque – comme décisive contre l'hypothèse du réchauffement – une étude d'un nommé « Sine », censément publiée dans Science en novembre 2007 ; or cette étude n'existe pas. Pour attaquer le GIEC [2], Allègre l'accuse par exemple de ne pas prendre en compte les rétroactions nuageuses – alors qu'elles figurent dans le dernier rapport. Ou il brandit une figure de démonstration, sans préciser qu'elle est erronée (et réfutée depuis deux ans). Sommet de bouffonnerie : Allègre présente comme un « vote des spécialistes américains du climat »... un sondage parmi les présentateurs météo des chaînes de télé. (Climat-sceptiques, naturellement).
Dans son second article, Foucart dresse la liste des « cautions » scientifiques enrôlées par Allègre. Celui-ci n'hésite pas à faire de De Wit, Hartmann, Wendler ou Solanki (qu'il appelle « Solansky ») des adversaires de l'hypothèse du facteur anthropique, alors qu'ils en sont partisans. A l'inverse, Allègre fait de climato-sceptiques nommés Richard Courtney et Martin Hertzberg des « spécialistes climatologues », mais ce ne sont que des consultants en énergie, proches de la droite conservatrice US. Il se réclame d'un « Denis Haucourt », d'un « Usoskiev », inconnus des publications scientifiques. Et d'un « Funkel », inconnu en sciences de la Terre. Allègre se réclame aussi de l'océanographe Carl Wunsch, selon qui les modèles actuels ne permettent pas de faire des prédictions à long terme à partir de l'océanographie. Mais Wunsch – interrogé par Le Monde – ajoute que ces mêmes modèles mettent en lumière les risques (réels et même « extrêmement inquiétants ») liés aux conséquences du réchauffement climatique ! Telle est l'opinion de l'océanographe. Allègre l'ignore. Nous la connaissons maintenant, grâce à Stéphane Foucart... Qu'il en soit félicité.
J'engage tous les lecteurs de ce blog à acheter Le Monde des 28 février-1er mars, à étudier la page 3 et à la conserver.
Le mammouth étant archi-boosté par les médias, son livre sera encensé malgré tout...
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[1] Saga d'Erik le Rouge, XIIIe siècle. [ Note de PP - Le passage est au chapitre 2, alinéa 3 : "Cet été-là, Eirikr alla coloniser le pays qu'il avait découvert et qu'il appela Groenland (Vert-Pays), car il dit que les gens auraient fort envie d'y aller si ce pays portait un beau nom." Régis Boyer, éditeur de la saga et expert du monde islandais médiéval, précise : "La Saga d'Eirikr le Rouge s'applique à donner des explications rationnelles de détails difficiles à entendre." Son auteur fut certainement un clerc cultivé. ]
[2] qu'il appelle « Groupement international pour l'étude du climat », alors que GIEC veut dire « Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat ». Quand on prend une tête de turc, autant savoir son nom exact.-