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La reine Elizabeth et ses inimitables sujets
Mon éditorial de 7h55 à RCF... Excusez-moi d'y reparler de Londres*, mais l’actualité d’hier nous ramène au finale (comme on disait à l'Opéra) du jubilé de la reine Elizabeth :
<< Je ne sais pas si vous avez regardé à la télévision cet événement ; il mérite trois minutes de réflexion. Deux moments particuliers m’ont frappé parce qu’on n’en voit pas l’équivalent ailleurs. D’abord le spectacle de ces foules d’Anglais qui venaient de piqueniquer dans la rue et qui soudain se sont levés, tous ensemble, pour chanter l’hymne Dieu sauve la reine : et ça se passait au même instant dans toute l’Angleterre et les pays du Commonwealth… Ensuite il y a eu à Londres ce quart d’heure exceptionnel, après la parade, où l’on a vu des milliers de gens envahir à leur tour la très longue avenue qui va vers Buckingham et la remonter le plus vite possible pour aller se masser devant le palais afin de voir, peut-être pour la dernière fois, leur reine de 96 ans. Et quand elle est apparue au balcon, entourée de ses futurs successeurs, il y a eu une immense ovation de plusieurs minutes.
L’ovation s’adressait à la fois à une femme et à ce qu’elle symbolise. C’était l’émotion de tout un pays devant la personne qui l’incarne depuis 70 ans à travers les énormes changements du monde. Cette personne a eu le talent de s’adapter à ces changements ; d’y adapter la Couronne qu’elle représente (institution stable par nature) ; et ainsi, de concilier autant que possible changement et stabilité. L’Angleterre comme les autres pays d’Europe a subi de plein fouet les chocs des 70 dernières années et la société anglaise a considérablement évolué, mais sans perdre tout à fait le fil de sa continuité historique et de son destin particulier que symbolise la Couronne. C’est ce tour de force qu’a salué l’ovation populaire d’hier soir à Londres. Concilier les changements nécessaires et une certaine permanence est un tour de force qui transcende la politique ; là où il n’a pas lieu, les populations n'ont plus de repères. Dans quelle mesure les autres pays – avec leurs propres institutions – peuvent-ils réaliser le même tour de force qu’Elizabeth II ? >>
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* Non, je ne suis pas anglomane : ma famille est de souche irlandaise...
06/06/2022 | Lien permanent
Les déserts médicaux et le druide de La Roche-Derrien
Mon éditorial de ce matin 7h55 à RCF, Radios chrétiennes de France
<< Ne parlons pas du Covid, mais restons dans le médical. Six à huit millions de Français n’ont pas de médecin référent. Le président de SOS Médecin lance ce cri d’alarme : “ C’est vraiment un problème de nombre de médecins par rapport aux besoins de santé de la population”. Alors que faire ? Encourager plus de jeunes à aller vers les études médicales. Les encourager à aller vers la médecine générale. Et les encourager à ne pas s’installer seulement dans quelques régions privilégiées. Au besoin, selon la proposition de cinquante députés, organiser par la loi la répartition des médecins à travers toute la France : puisque les mesures incitatives ont l’air de ne plus suffire, ces députés proposent que les nouveaux médecins soient astreints les trois premières années à aller exercer dans les territoires devenus des déserts médicaux…
En attendant que ces mesures soient en vigueur (si elles jamais elles le sont un jour), ça me rappelle une magnifique histoire bretonne. C’est arrivé en 2016 à La Roche-Derrien, dans les Côtes-d’Armor : un médecin prend sa retraite sans remplaçant, le cabinet médical est débordé, il faut d’urgence trouver un successeur. La recherche ne donne rien pendant sept mois. Alors le maire monte un canular de grand style : il fait annoncer par les médias bretons et parisiens, et par des journaux médicaux, que – faute de médecin – un druide a répondu à l’appel. “Il nous a fait bonne impression”, déclare très sérieusement le maire. Forcément, puisque le druide est en réalité un acteur recruté pour la circonstance ! Le but était de mettre le monde médical face à ses responsabilités, en faisant savoir que puisque c’était comme ça les permanences médicales du vendredi seraient assurées par un druide : retour à l’Âge du bronze.
Le plus beau est que l’Ordre druidique (qui existe légalement) écrivit au maire qu’il n’appréciait pas cette plaisanterie de la part d’un représentant de la République laïque… N’empêche que la plaisanterie était excellente. Et que maintenant, La Roche-Derrien a trouvé un médecin. Et même deux. Des vrais, par Toutatis. >>
10/01/2022 | Lien permanent
”Il fit un fouet avec des cordes...”
L'expression "marchands du Temple" est l'une des formules évangéliques passées dans le langage courant... pour y perdre leur sens. Que dit en réalité ce passage de Jean (2:13-17) ?
<< 13 La Pâque juive était proche et Jésus monta à Jérusalem. 14 Il trouva les vendeurs de boeufs, de brebis et de pigeons ainsi que les changeurs de monnaie installés dans le temple. 15 Alors il fit un fouet avec des cordes et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les boeufs. Il dispersa la monnaie des changeurs et renversa leurs tables. 16 Et il dit aux vendeurs de pigeons: “Enlevez cela d'ici, ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce.” 17 Ses disciples se souvinrent qu'il est écrit : Le zèle de ta maison me dévore. 18 Les Judéens prirent la parole et lui dirent: “Quel signe nous montres-tu, pour agir de cette manière?” 19 Jésus leur répondit: “Détruisez ce Temple et en trois jours je le relèverai.” 20 Les Judéens dirent: “Il a fallu quarante-six ans pour construire ce Temple et toi, en trois jours tu le relèverais!” 21 Cependant, lui parlait du Temple de son corps. 22 C'est pourquoi, lorsqu'il fut ressuscité, ses disciples se souvinrent qu'il avait dit cela et ils crurent à l'Ecriture et à la parole que Jésus avait dite. >>
De quoi s'agit-il ?
■ les vendeurs de boeufs, de brebis et de pigeons sont indispensables au déroulement du culte (les sacrifices) ; le complexe du Temple abrite des activités commerciales, financières, juridiques, logés dans des salles spécialisées sous les portiques. Des métiers sont nécessaires au culte : boulangers, tisserands, teinturiers, charpentiers, maçons, forgerons, orfèvres, intendants, musiciens, abatteurs, scribes, médecins, fabricants d'instruments de musique, etc.
■ Chaque jour il y a les deux grands sacrifices officiels et la succession des innombrables sacrifices privés : d'où un afflux constant de taureaux, vaches, moutons, chèvres, pigeons, tourterelles, circuit complexe de produits agricoles alimenté par les qablanîm, sorte de fournisseurs grossistes, et fonctionnant par un système de bons.
■ Si l'on ajoute à cela l'effet des pèlerinages de masse sur la vie commerciale de Jérusalem, le Temple (centre nerveux du pays) anime une « économie sacrale »*, pilier traditionnel de cette société-là qui n'est pas en soi l'objet de la colère de Jésus.
■ Par ailleurs, ces stands de vente de bétail ne sont pas dans le Debir, le sanctuaire au centre de l'esplanade : ce « Temple » dont Jésus semblera parler au verset 19. Ils sont sur le parvis extérieur, dit « parvis des goyim » (ou des « gentils** » : voir le plan ci-dessous). En accord avec l'occupant romain, ce parvis est séparé du palier d'accès au sanctuaire par une balustrade de pierre que les goyim ne doivent pas franchir.
■ Mais la présence de stands de bétail et de tables de change sur le parvis extérieur est un désordre contraire à l'esprit de ce lieu lui-même. Le marché pour les sacrifices se tenait normalement ailleurs : dans des espaces nommés hanout (« magasin »), au mont des Oliviers ou dans la vallée du Cédron. Même chose à propos des tables de changeurs : le change était indispensable au fonctionnement du culte, pour procurer aux pèlerins venant de la diaspora des monnaies acceptables dans le sanctuaire (c'est-à-dire ne portant l'effigie ni de l'empereur, ni d'une divinité païenne). Mais les tables de change auraient dû être placées ailleurs. L'installation de ces stands sur le parvis semble être une innovation négociée par les commerçants avec le grand-prêtre ; d'où l'indignation de Jésus, et son action de violence symbolique.
■ « Symbolique » : Jésus à lui seul aurait du mal à chasser de ce très vaste espace tous les marchands et changeurs, sans compter le bétail. Son intervention est symbolique. Un fouet est considéré comme une arme, et les armes sont interdites sur le mont du Temple (sauf celles de la garde) : Jésus enfreint donc cette loi, comme il enfreint la loi du sabbat, pour mettre en cause l'arbitraire de l'oligarchie religieuse. Celle-ci ne s'y trompe pas : elle lui demande « par quelle autorité » il agit ainsi. C'est le coeur du problème. L'intervention spectaculaire de Jésus sur le parvis est l'une de ces prophéties en acte dont l'Ancien Testament est plein***, mais elle sera suivie d'un acte infiniment plus important : le « zèle de la maison » du Père va « dévorer » le Fils au point de manifester que le Temple de son corps remplace et surclasse infiniment le mont du Temple. La Passion-Résurrection fera infiniment plus que de purifier à coups de fouet la religion formelle des Judéens : fouetté Lui-même, crucifié et ressurgi de la mort, le Fils révélera le Père à l'humanité entière.
■ La leçon pour nous est évidente. Jésus « connaît ce qu'il y a dans l'homme » (c'est la fin du passage d'évangile lu aujourd'hui dans toutes les églises). Traitons par le fouet nos idoles intérieures : celles qui nous poussent à déformer la religion pour l'assujettir au négoce, ou à nos volontés de puissance.
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* Jacqueline Genot-Bismuth, Un homme nommé Salut (OEIL 1986).
** en vieux français, « gentils » veut dire : « étrangers ». Au XVe siècle on appelle « oiseaux gentils » les oiseaux migrateurs. Le changement de sens des mots au fil du temps explique les quiproquos entre nos mentalités et le français « biblique », qui n'a été mis à jour que tardivement.
*** Dans le récit parallèle des évangiles synoptiques, Matthieu, Marc et Luc mettent dans la bouche de Jésus des citations de prophètes : Zacharie 9:9, Isaïe 56:7, Jérémie 7:11. Chez Jean, c'est Jésus en son propre nom qui profère l'interdiction de mêler le trafic à la religion : « Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce. »
08/03/2015 | Lien permanent | Commentaires (4)
Merci à l'abbé Chanut
Nous étions nombreux ce matin, dans l'église de Milly-la-Forêt, à la messe des funérailles de l'abbé Christian-Philippe Chanut présidée par l'évêque, Mgr Michel Dubost :
L'abbé Chanut a rendu son âme à Dieu le 17 août. Il avait 66 ans. Nous avions donc presque le même âge, mais il fut l'un des "pères" de ma conversion : l'un de ceux qui m'ont aidé à renaître à l'Eglise sans tomber dans les déviations partisanes, à une époque où le catholicisme français ressemblait à une guerre civile. C'était au tournant des années 1980. Christian-Philippe Chanut était curé de Saulx-les-Chartreux dans l'Essonne. Il dopait son ministère par une gamme de dons singulièrement vaste : l'intelligence, l'humour, la chaleur humaine, l'érudition (il était historien), l'éloquence, et un coffre de baryton capable de tenir l'assistance à lui seul.
Mais à Saulx, dans sa jolie petite église du XIIe siècle, l'abbé Chanut n'était pas seul à chanter. Sa communauté chantait en bloc : toute l'assistance, jeunes et vieux, avec une ardeur qui transformait la nuit du Samedi Saint en un marathon choral. Saulx-les-Chartreux ne chantait pas le répertoire CNPL de ces années-là (1970-1980), mais un ensemble d'hymnes latins classiques et de psaumes en français sur des mélodies modernes musclées, orné de quelques cantiques vieille-France (l'abbé Chanut était historien dix-huitiémiste)... La liturgie de Saulx était inclassable aussi : entraînante, captivante, en français et en latin (comme le voulait le concile), ce n'était pas du "saint-Pie-V" mais du "Paul VI" célébré avec verdeur, selon les directives de Vatican II (constitution Sacrosanctum Concilium, 1963) : une liturgie "pleine, active et communautaire", des fidèles participant "de façon consciente, active et fructueuse", et une "noble simplicité" dans la célébration.
D'où le rayonnement progressif de Saulx-les-Chartreux durant ces années 1980 en France : des années difficiles pour les catholiques français qui voulaient résister au démantèlement du catholicisme par un certain camp, mais sans tomber dans le passéisme et le sectarisme d'un autre camp. Inclassable, irrésistible et très personnelle, la pastorale de l'abbé Chanut fit de Saulx le laboratoire où des croyants sincères venaient vivre autre chose que le "progressisme" ou "l'intégrisme", ces deux façons de sortir de la foi, qui occupaient la scène à l'époque.
Vous n'étiez pas seul au travail, monsieur l'Abbé : d'autres communautés oeuvraient dans le même sens ; mais pour avoir fait de votre église un lieu libéré des conformismes de ces années-là, et contribué avec énergie à semer les germes des renouveaux, merci.
Dieu, tu révèles ta lumière
à ceux qui passent par la nuit
béni sois-tu
pour les yeux qui s'ouvrent aujourd'hui
sur la terre nouvelle :
ils te rencontrent, Dieu vivant !
Hymne de l'office des défunts
22/08/2013 | Lien permanent
Migrants morts en mer : le cri de Giusi Nicolini
...maire de l'île de Lampedusa, hier 19 novembre :
<< Je suis le nouveau maire des îles de Lampedusa et Linosa. J'ai été choisi en mai, et, le 3 novembre, 21 cadavres m'ont été consignés. Ce sont des gens qui se sont noyés pendant qu'ils essayaient d'atteindre Lampedusa et pour moi c'est quelque chose qui est insupportable. Pour Lampedusa c'est un fardeau énorme de tristesse. En traversant la Préfecture, nous avons dû demander de l'aide aux maires de la province pour pouvoir offrir un enterrement digne aux 11 derniers corps, parce que notre cimetière n'a plus de places disponibles. Nous créerons plus de places. Mais je pose cette question à tout le monde: quelle taille devrais-je donner au cimetière de mon île ?
Je ne peux pas comprendre qu'une telle tragédie puisse être considérée comme normale. Comment est-il possible de banaliser l'idée, par exemple, que 11 personnes, y compris 8 femmes vraiment jeunes et deux gosses de 11 et 13 ans, peuvent mourir tous ensemble, comme ça s'est passé samedi dernier, pendant un voyage qui aurait dû être le commencement d'une nouvelle vie pour eux ? 76 ont été sauvés mais il y en avait 115 en tout. Le nombre de ceux qui sont morts est toujours beaucoup plus grand que le nombre de corps qui sont rendus par la mer.
Je suis outré par l'impression de normalité qui semble s'être étendue à tout le monde comme une contagion. Je suis scandalisé par le silence de l'Europe, qui vient de recevoir le prix Nobel de la paix et qui reste silencieuse face à un massacre qui fait des milliers de victimes, comme une guerre. Je deviens plus convaincu que la politique européenne sur l'immigration considère ce sacrifice humain comme une façon de restreindre les flux migratoires, ou peut-être une dissuasion. Mais, si pour ces gens, le voyage sur les bateaux est la dernière possibilité d'espoir, je crois que leur mort en mer doit être une raison pour l'Europe de se sentir humiliée et déshonorée.
Dans toute cette page vraiment triste de l'histoire que nous sommes en train d'écrire, la seule raison que nous avons d'être fiers est offerte tous les jours par les hommes de l'Etat italien qui sauvent des vies humaines à une distance de 140 milles de Lampedusa, pendant que ceux qui n'étaient qu'à 30 milles des naufragés (samedi dernier) et qui auraient dû se hâter - avec les vedettes rapides que notre gouvernement précédent avait offertes à Khadafi - ont ignoré leur appel à l'aide. Ces mêmes vedettes rapides servent à arraisonner nos bateaux de pêche, même en dehors des eaux territoriales libyennes...
Tout le monde doit savoir que c'est Lampedusa, avec ses habitants, avec les unités consacrées à fournir assistance et hospitalité, qui donnent la dignité d'êtres humains à ces gens, et qui donnent par conséquent une dignité à notre pays et à la totalité de l'Europe. Mais si l'on veut faire comme si ces gens ne relevaient que de nous, ici, alors j'exige de recevoir des télégrammes de condoléances après que chaque noyé me soit consigné. Comme si les victimes avaient la peau blanche. Comme si chacun [de ces télégrammes] était envoyé par le fils de quelqu'un qui se serait noyé ici pendant ses vacances. >>
20/11/2012 | Lien permanent | Commentaires (10)
”On a tous droit au divorce” - ”Je veux pas me marier mais je veux le droit” - ”L'homophobie revient”
Trois slogans de ce week-end, qui sont des indices :
Samedi et dimanche, cortèges PS + Verts (et LGBT pour faire vrai). Trois slogans gays m'ont frappé :
"On a tous droit au divorce"
À l'heure où la société économique libérale (hyper-individualiste) achève de détruire le couple durable homme-femme, les jeunes gays ne se font pas d'illusions sur leur propre revendication : leurs mariages seraient aussi fragiles – voire plus – que les mariages classiques. En régime économique libéral dérégulé, que pèse en effet un contrat ? Ou a fortiori une promesse ? Rien dans les ménages, disloqués par la pression de l'emploi ou du chômage. Mais rien non plus dans l'entreprise, comme l'a montré M. Mittal qui s'assied sur ses engagements dès que la situation globale de son groupe devient mauvaise – largement par sa faute de mégalomane... A ce sujet, indignons-nous d'avoir entendu à la radio un jeune monsieur de droite, se déclarant (à juste titre) adversaire du mariage gay, déraper peu après en déclarant que la colère des salariés envers M. Mittal vient de notre animosité nationale à l'encontre de "ceux qui réussissent". Avec des adversaires comme ce garçon, le PS a de beaux jours devant lui.
"Je n'ai pas envie de mariage mais je veux le droit"
On entend répéter ça à l'infini, et c'est un symptôme qu'il est inutile de commenter une fois de plus (le livre de Philippe Ariño suffit)... La pulvérisation de la société par le libéralisme réduit tout à l'individu, consommateur de "droits" de plus en plus artificiels indexés sur le flux variable des pulsions – elles-mêmes objet de toutes les manipulations commerciales.
"L'homophobie revient"
Cécile Duflot a dit ça hier. Le Monde l'avait titré à la une avant-hier. Ni Duflot ni Le Monde n'ont fourni le moindre indice d'un retour de l'homophobie. J'ai entendu, pour ma part, des manifestants en dire un peu plus : le retour de l'homophobie, expliquaient-ils, c'est "la banderole de la manifestation du 17 novembre". Quelle banderole ? "La France a besoin d'enfants, pas d'homosexuels". Mais cette banderole-là, c'était l'autre manifestation : celle du dimanche 18 novembre, non celle du samedi 17 ! La haine ne "revient" pas dans certains groupuscules, puisqu'elle n'en était jamais partie ; et elle était tout à fait absente de la grande manifestation du samedi, radicalement différente la petite manifestation du dimanche. Mais le jeu du gouvernement est d'imposer une confusion entre les deux manifestations, pour attribuer aux slogans roses du 17 les noirceurs du 18. Ce jeu va continuer.
> Subite illumination ? Lucidité involontaire ? Les Guignols de Canal, vendredi, ont dénoncé l'imposture du "mariage pour tous" en une saynète PPDA-Duflot. Elle : en post-ado hystérique récitant les mots d'ordre libéraux-libertaires. Lui : évoquant (avec embarras) l'hypothèse selon laquelle toute cette histoire ne serait qu'une diversion pour faire oublier l'effondrement économique et la misère sociale. Parfait. Rien à ajouter.
17/12/2012 | Lien permanent | Commentaires (17)
La biodiversité, le climat, Benoît XVI et les señoritos
Deux publications importantes de la revue Nature :
Rencontrés récemment, deux señoritos m'ont demandé (sarcastiques) pourquoi ce blog ne parlait pas « encore plus souvent » du changement climatique. Puis ils ont gloussé. Rassurons-les : le blog continuera à les amuser de ses clowneries, qui consistent à parler du monde réel.
En voici un nouvel écho. Le 7 juin, la revue scientifique de référence Nature a publié deux synthèses des travaux pluridisciplinaires internationaux sur la dégradation de la biosphère : une étude pilotée par le département de biologie intégrative de l'université de Californie, et une étude pilotée par l'université du Michigan. Conclusion de la première étude : le processus actuellement en cours fait prévoir que « dans le siècle, les climats rencontrés aujourd'hui sur 10 % à 48 % de la superficie de la terre aient disparu, et que des conditions climatiques qui n'ont jamais été rencontrées par les organismes actuels règnent sur 12 % à 39 % de la surface de la planète. » Notamment en ce qui concerne la chimie des océans (acidifiés par la concentration atmosphérique en C02) et la production de biomasse par l'océan (phénomène des « zones mortes »*). Etablie par les scientifiques, la responsabilité du modèle économique actuel dans ce processus – consumérisme, mégalopoles, pollution-gaspillage – n'est plus contestée que par les señoritos : voir plus haut).
La seconde étude publiée par Nature concerne la diversité des espèces et la diversité génétique au sein des espèces, autrement dit la biodiversité : « Nous avons passé en revue environ un millier d'études publiées au cours des vingt dernières années, explique Anne Larigauderie, directrice exécutive de l'association scientifique Diversitas et co-auteur de ces travaux. À grands traits, le consensus auquel nous parvenons est que la perte de biodiversité endommage la stabilité et le fonctionnement des écosystèmes, réduisant ainsi leur capacité à fournir les services auxquels nous sommes habitués ** ».
On incline donc à suivre Achim Steiner, directeur du Programme des Nations-Unies pour l'environnement, quand il conclut (le 6 juin) son rapport sur « l'avenir de l'environnement durable » en demandant « une transition définitive vers une économie verte faiblement émettrice de CO2. » Rappelons à ce sujet que l'Eglise catholique (pape et nonces en tête) ne manque jamais une occasion de souligner que la tâche de l'ONU est, en principe, de soutenir le bien commun mondial dans tous les domaines - ce qui réclame l'instauration d'un gouvernement économique-écologique subsidiaire et mondial, comme l'indique Caritas in Veritate : l'encyclique qui fait crier « non possumus » aux dadais. Je conseille à ce sujet de lire le dernier numéro de la revue Kephas sur l'écologie et le Magistère catholique...
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* Le phénomène des « zones mortes » est expliqué notamment dans mon livre L'écologie de la Bible à nos jours (éd. L'Oeuvre).
12/06/2012 | Lien permanent | Commentaires (8)
Le dandy des incendies
Il publie sa tragi-comédie libyenne. BHL « tient son grand roman de la liberté et un accomplissement personnel », écrit Le Monde :
Nathalie Nougayrède (Le Monde, 9/11), extraits :
« Quelle belle démonstration d'influence, pour un homme de plume, de faire croire qu'il a convaincu un chef d'Etat d'employer la force armée ! »
« BHL apporte au président une théâtralité et une caution intellectuelle que Bernard Kouchner, le grand absent de l'intervention en Libye, aurait eu du mal à fournir... »
« Homme de réseaux, bien introduit dans la presse (il est membre du conseil de surveillance du Monde), il a assuré l'après-vente efficace de ses initiatives. Récits, photos où on le voit enjamber le canon d'un tank ou donner l'accolade aux rebelles,se sont multipliés. Aux Etats-Unis, il est l'invité de l'émission-vedette de Charlie Rose, un ami de longue date.. »
« BHL monte dans le train libyen au moment où celui-ci est déjà en marche. […] Il campe un Nicolas Sarkozy chef de guerre, "bloc de détermination, de sérénité". Il décrit son rôle d'agent de liaison improvisé entre un président consentant et une rébellion assoiffée de reconnaissance. […] Le président se sert du philosophe comme un puissant agent de promotion de sa politique... »
« Tel un barde, il apporte à Nicolas Sarkozy, clé en main, un récit lyrique : la comparaison avec la colonne Leclerc qui libéra Paris en 1944... »
« ...et peu importait, à ses yeux, le passé kadhafiste de certains membres du CNT, les mentions de la charia, ou encore, la présence parmi les rebelles d'anciens soutiens d'Al-Qaida. Malgré des inquiétudes, rien n'a découragé le philosophe, grand pourfendeur de 'l'islamo-fascisme', d'ériger les insurgés, en bloc, en combattants de la liberté... »
« "Il y aura aussi le DVD !", se réjouit un proche [de Sarkozy], car un film doit suivre le livre. »
Sans commentaires. Sinon celui-ci : le « grand pourfendeur de l'islamo-fascisme » ne savait pas que les moudjahidine afghans étaient des islamistes. Apparemment il ne sait pas non plus que le drapeau noir et or d'Al-Qaida flotte sur des bâtiments libyens depuis un mois.
09/11/2011 | Lien permanent | Commentaires (8)
Le livre du pape – 4. La conversion du désir
Au chapitre 6, qui analyse les évangiles de l'agonie de Jésus à Gethsémani avant son arrestation (et en particulier le récit de saint Jean), Benoît XVI ouvre une perspective abyssale :
Ce récit de Gethsémani, dit-il,« exprime sans nul doute l'angoisse primordiale de la créature à l'approche de la mort, mais il y a toutefois quelque chose de plus : le trouble particulier de Celui qui est la Vie même, devant l'abîme de tout le pouvoir de la destruction, du mal, de ce qui s'oppose à Dieu et qui maintenant le submerge, qu'il doit maintenant et sans délai prendre sur lui : bien plus, qu'il doit accueillir en lui au point d'être personnellement ''fait péché '' (2 Corinthiens 5, 21)/ Et justement, parce qu'il est le Fils, il peut voir avec une extrême clarté toute la marée immonde du mal, tout le pouvoir du mensonge et de l'orgueil, toute la ruse et l'atrocité du mal qui met sur lui le masque de la vie et oeuvre continuellement à détruire l'être, à défigurer et anéantir la vie... »
Le mal « met le masque de la vie » : image impressionnante. Elle débusque nos mensonges. Ils sont instinctifs et polymorphes : « mon nom est légion car nous sommes nombreux», dit l'esprit impur [1]. La « culture de mort » – disait Jean-Paul II – se démultiplie : elle se pare de toutes les couleurs de la vie, de tous les désirs, du plus matériel au plus « spirituel », dopés en tant que « pulsions » (le marketing) et captés pour tourner en rond – au profit des actionnaires du manège ! C'est cet enfermement circulaire qui est mortel : Eros (tous les désirs) devient le masque de Thanatos. Toutes les envies et toutes les « causes », même apparemment honorables et pieusement badigeonnées, peuvent masquer du morbide, c'est-à-dire du pouvoir et de l'égocentrisme.
Pour libérer Eros de Thanatos, il faut le convertir, expliquait Benoît XVI dans Dieu est amour, son encyclique de 2006 : l'éros de l'homme doit faire écho à l'éros de Dieu envers l'homme. Un éros totalement gratuit et miséricordieux...
D'où la leçon de Gethsémani, ainsi résumée (« avec justesse », dit le pape) par le pourtant libéral Bultmann : « Jésus est là non seulement comme un prototype en qui le comportement demandé à l'homme devient visible de manière exemplaire... mais il est aussi et surtout Celui qui révèle : Celui dont le seul choix rend possible l'option humaine pour Dieu en une telle heure. »
Le pape explique : « Le drame du Mont des Oliviers consiste en ce que Jésus ramène la volonté naturelle de l'homme de l'opposition à la synergie et rétablit ainsi l'homme dans sa grandeur. Dans la volonté humaine naturelle de Jésus est en quelque sorte présente en Jésus lui-même toute la résistance de la nature humaine contre Dieu. Notre obstination à tous, toute l'opposition à Dieu, est là, et Jésus entraîne dans son combat la nature récalcitrante vers le haut, vers son essence véritable... Dans l'obéissance du Fils, nous sommes tous présents, nous sommes entraînés dans la condition de fils. »
[à suivre]
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[1] Marc 5, 9.
12/03/2011 | Lien permanent | Commentaires (9)
Fukushima : c'est ”l'apocalypse” d'une multinationale
Tepco, multinationale géante de l'industrie nucléaire (premier producteur mondial d'électricité), était déjà une firme suspecte de minimiser les risques :
Un vent de panique nucléaire se lève sur le Japon. Bruxelles parle d'« apocalypse ». Les médias occidentaux rapatrient leurs envoyés spéciaux. Les navires de guerre US venus prêter main-forte repartent vers le large. Et les habitants de Tokyo (stoïques jusqu'ici) donnent les premiers signes d'affolement. Tepco, la multinationale opératrice de la centrale de Fukushima Dai-ichi, vient en effet de déclarer que « des brèches » s'ouvrent dans l'enceinte extérieure du bâtiment du réacteur n°4, libérant directement de la radioactivité dans l'atmosphère.
On découvre alors que Tepco, géant de l'industrie nucléaire (premier producteur mondial d'électricité), est une firme suspecte depuis des années.
Fondée en 1951, Tokyo Electric Power Company, (3 centrales nucléaires, plus des centrales hydroélectriques, des parcs éoliens et une centrale géothermique) a été plusieurs fois accusée de « défaut de préparation à un accident » et de « falsification de documents » [1].
En avril 2003, le gouvernement japonais ordonnait à Tepco de fermer tous ses réacteurs nucléaires pour un contrôle de sécurité après la découverte de documents falsifiés.
Le 16 juillet 2007, le séisme de Chuetsu-oki (magnitude 6,8) endommageait une centrale nucléaire de Tepco dans la région de Niigata. On constatait alors que les concepteurs de la centrale avaient sous-estimé des deux tiers la puissance des séismes possibles, et minimisé en proportion les investissements de sécurité. Un rapport sévère était déposé en ce sens par le sismologue Katsuhiko Ishibashi, conseiller du gouvernement pour la sécurité nucléaire anti-séismes.
En ce mois de mars 2011, après le séisme-tsunami et pendant la catastrophe nucléaire de Fukushima Dai-ichi (l'une des 25 plus grandes du monde), Tepco envoie des informations contradictoires à l'AIEA et donne au public japonais des renseignements vagues et parcimonieux. Or Fukushima Dai-ichi est la première centrale japonaise à avoir été entièrement conçue par Tepco. Construisant cette centrale au bord des eaux les plus dangereuses de la planète, Tepco a-t-elle sous-estimé la puissance possible des tsunami comme elle avait sous-estimé celle des séismes ? C'est la rumeur qui monte au Japon.
Rappelons qu'en 1986, lors de la catastrophe de Tchernobyl (dont celle de Fukushima pourrait devenir l'équivalent), les idéologues libéraux martelaient comme une évidence : «Ce n'est pas un accident nucléaire, c'est un accident soviétique. » Ce qui est en train d'arriver au Japon montre que les multinationales du Global World ne sont pas plus fiables que la défunte URSS. A une différence près : l'URSS était une puissance pauvre ; les multinationales sont des puissances aveugles.
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[1] Le Figaro, 14 mars 2011 : Quand le géant du nucléaire japonais cachait des incidents.
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15/03/2011 | Lien permanent | Commentaires (20)