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Valérie Trierweiler : le 'people' annexe la politique
La dame de l'Elysée règle ses comptes sentimentaux sur la scène électorale, avec le soutien de Geneviève de Fontenay :
Nous avions eu Carla Bruni-Sarkozy, émanation du showbiz. Nous avons Valérie Trierweiler, émanation de l'organe central du showbiz : Paris-Match.
Cette dame est un symptôme encore plus aigu que ne l'était Carlita. Mme Trierweiler exige d'être à la fois personne privée (au nom du dogme de l'individualisme consumériste) et leader d'opinion (au nom de sa position élyséenne).
D'une part elle exige de rester journaliste tout en étant compagne du chef de l'Etat : privilège inédit.
D'autre part elle exige de pouvoir donner des directives électorales, par exemple contre Mme Royal à La Rochelle ! Le fait que Mme Royal soit l'ex-compagne du même Hollande (et que l'animosité entre ces deux femmes défraie la chronique) montre à quel degré est descendue la vie politique : Mme Trierweiler trouve normal d'user de sa présence à l'Elysée pour régler ses comptes sentimentaux. Cela s'est toujours fait ? Pas évident... On aurait même du mal à trouver des précédents, sauf à remonter à l'époque de Frédégonde et Brunehaut : en des temps où le politique n'existait plus, ou pas encore.
Aggravé par l'usage du twitt (mode d'expression caractéristique du "tout-au-privé"), le comportement de Mme Trierweiler énerve les dirigeants du PS : et on peut les comprendre, à la veille du second tour d'élections difficiles en période de crise mondiale.
Mais Najat Vallaud-Belkacem, officielle porte-parole du gouvernement, déclare que la compagne de Hollande s'exprime en tant que "femme libre et moderne" : ce qui équivaut à prendre acte de la fin des normes voulant qu'un (une) non-élu(e) n'a pas à s'exprimer depuis un palais de l'Etat, et que les affaires privées ne se confondent pas avec les affaires publiques. Le point de vue de Najat a été aussitôt confirmé (à France Inter) par deux caciques de l'ère du showbiz : Jacques Séguéla et Geneviève de Fontenay.
Le problème est donc grave. L'attitude de Mme Trierweiler nous fait franchir une étape supplementaire dans dans le démembrement du politique : ce que Zinoviev appelait "votre post-démocratie occidentale".
13/06/2012 | Lien permanent | Commentaires (15)
Servier refuse d'indemniser les victimes de son Mediator – L'Etat obligé de créer lui-même un fonds d'indemnisation
Vous vous souvenez de
l'axiome de nos libéraux :
"L'Etat c'est le vol,
seul le privé est moral " ?
Les théoriciens de l'économie libérale hurlent en permanence à "l'oppression étatiste" ; mais quand une entreprise privée se trouve face à des victimes demandant réparation, elle leur dit d'aller voir l'Etat. C'est ce qui se passe avec Servier... Le deuxième laboratoire pharmaceutique français refuse d'assumer "seul" (!!) l'indemnisation inconditionnelle des victimes du Mediator, le faux antidiabétique accusé d'avoir tué de 500 à 2.000 personnes entre 1976 et 2009. L'Etat va donc devoir créer un fonds d'indemnisation de ces victimes : mercredi, après une énième réunion avec la présidente de la chambre commerciale de la Cour de cassation chargée du dossier, le ministre de la Santé a annoncé qu'il allait proposer cette solution à l'Elysée et à Matignon.
"Il n'est pas question que la solidarité nationale paie à la place du premier responsable, les laboratoires Servier", précise néanmoins le ministre : "avant toute indemnisation par l'Oniam, une demande d'indemnisation sera formulée aux laboratoires Servier. Si ceux-ci refusent, l'Oniam pourra, après avoir indemnisé les victimes, saisir la justice pour se faire rembourser ces sommes. Dans ce cas, le responsable pourra se voir appliquer une pénalité pour ne pas avoir accepté la demande initiale."
La logique de Servier est la même que celles des firmes d'hydrocarbures américaines (cf. le film Gasland) : si les victimes veulent un chèque, elles doivent renoncer à toute action judiciaire. Cette pression scandalise les victimes et indigne les responsables de l'Assurance maladie. Certes l'Etat a une part de responsabilité, ayant fermé les yeux depuis vingt ans sur les ivresses du privé ; la soumission du politique au capitalisme ultralibéral dérégulé est une catastrophe. Mais ça n'excuse en rien l'attitude des firmes.
PS - Pas un mot de ça chez les sites qui mutilent la pensée sociale de l'Eglise pour faire croire qu'elle correspond au libéralisme. (S'ils finissent par en parler, ce sera pour traiter le ministre d'abominable franc-maçon).
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07/04/2011 | Lien permanent | Commentaires (7)
TV publique : un débat en trompe-l'oeil
Médias : << Plus d'un Français sur deux se dit "pessismiste" à propos de l'avenir du service public de la télévision, selon un sondage CSA pour Le Parisien-Aujourd'hui en France de lundi. A propos de l'avenir du service public de la télévision (France 2, France 3, France 4, France 5, Arte), 56% des sondés se disent très ou plutôt pessimistes et 37% au contraire très ou plutôt optimistes. Pour assurer l'avenir de la télévision publique, les sondés déclarent faire confiance à 78% au personnel de France Télévisions et à 66% à la direction de France Télévisions. A la même question, ils sont 44% à déclarer ne pas faire confiance (plutôt pas ou pas du tout), à la commission parlementaire dirigée par Jean-François Copé (contre 40% à lui faire confiance), et 59% à ne pas faire confiance à Nicolas Sarkozy et son gouvernement. Sur la publicité que le gouvernement envisage de supprimer sur les chaînes de télévision publiques, 36% des interrogés se disent favorables au maintien du système actuel, 33% en faveur d'une "taxe accrue sur les recettes publicitaires des chaînes privées", et 24% pour l'instauration d'une taxe sur le chiffre d'affaires des opérateurs de téléphonie et des fournisseurs d'accès à Internet. >>
Commentaire - Cette « bataille » se justifierait si le service public n’avait cessé, depuis longtemps, d’agir en faveur de la qualité (de l’information et de la culture). A tel point que, par comparaison, FR2 est souvent au dessous de TF1. Notamment par la futilité des journaux télévisés du public… Une privatisation finale de ces chaînes ne ferait qu’ajuster le droit au fait, qui est le dérapage de la TV publique vers les pires tropismes du privé ; de même que la classe politique a dérapé (elle aussi depuis longtemps) vers les pires tropismes médiatiques. Tout ça forme un décor qui tombera d’un seul coup, un jour ou l’autre.
16/06/2008 | Lien permanent | Commentaires (4)
Supprimer l'ENA ? Elle avait déjà dégénéré en ”business-school bis”, perdant ainsi sa raison d'être...
...et relayant désormais "une religion de l'impuissance de l'Etat” :
► Marie-Françoise Bechtel, ex-directrice de l’ENA (Libération 18/04), avoue d’où vient le problème actuel de l’ENA :
<< La formation des élèves a subi le grand vent de la mondialisation. L’origine de ce problème […] se trouve à Sciences-Po dont elle est l’école d’application. C’est dans les années 2000, avec son directeur Richard Descoings, que Sciences-Po a pris ce tournant et est devenue “l’école du marché”. […] Les enseignants sont également formatés par cette pensée unique. [...] la libéralisation de l’économie a pénétré le système. Quand vous apprenez aux élèves que la seule chose qui vaille, c’est le respect des équilibres budgétaires, vous prêchez une religion de l’impuissance de l’Etat. J’ai appartenu à le promotion Voltaire (1978-1980), c’était déjà […] l’idée que toutes les politiques sociales et éducatives devaient être passées à ce crible. Cela resserre et assèche l’imagination des élèves. >>
► Créée en 1945 par le général de Gaulle pour être le vivier méritocratique de l’Etat républicain, l’ENA avait vite dégénéré en chaîne de montage de la grande technocratie, détestée pour cette raison par le reste de la société française. Depuis les années 1980 elle a carrément renié ses origines pour devenir une business-school-bis, alignée sur le tout-finance de l’ultralibéralisme et perdant ainsi toute raison d’être. Pourquoi l’ENA quand il y a HEC ?
M. Macron étant un pur produit de cette ENA last-version, et sa “gouvernance” reflétant largement la pensée unique, on se demande par quoi il compte remplacer l’école. Par un sas du privé vers l’ex-“public”, selon la rumeur ? Cette idée inquiète (dans Libé) un actuel étudiant de l’ENA : “les Français souhaitent-ils véritablement remplacer les hauts fonctionnaires par des cadres issus du secteur privé ?” Il pourrait se demander si les ultimes énarques ne ressemblent pas déjà à des cadres du secteur privé.
18/04/2019 | Lien permanent | Commentaires (3)
4-5 juin 1944 : Français et Américains libèrent Rome
Qui s'en souvient aujourd'hui ? Qui connaît et enseigne encore les exploits de l'armée française d'Italie ? Eric Levavasseur nous rappelle cette page d'histoire :
Les 4 et 5 juin 1944, l'armée française et américaines ont libéré Rome, la Ville Eternelle. Qui s'en souvient ? Qui connait les exploits de cette armée française ?
Entièrement ré équipée par les Américains, elle a débarqué en Italie en novembre 1943. Auparavant, pendant la campagne de Tunisie (novembre 42 -mai 43) c'est elle qui a sauvé la situation des Alliés lors de la bataille de Medjez el Bab. Avec un armement complètement dépassé, les Français ont combattu dans les montagnes, sur les dorsales tunisiennes, en plein hiver, sous les bombardements incessants de l'aviation allemande qui a conservé la maîtrise de l'air jusqu'à la mi-mars 1943.
En mai 43, Tunis est libéré ; les Anglo-Américains et un contingent français débarquent en Sicile.
L'armée française, qui a été au plus fort de combats de Tunisie, se rééquipe totalement, puis, seule, traverse de nuit la Méditerranée jusqu'à la Corse où elle débarque le 8 septembre pour affronter deux divisions allemandes, dont une SS, dans une bataille très difficile où les Corses montrent beaucoup de courage. Ainsi la première ville française libérée n'est pas Sainte-Mère-Eglise le 6 juin 44, mais Ajaccio, par l'armée française.
Les Français offrent ainsi aux Alliés les services de cet immense porte-avion, totalement insubmersible, que les Américains surnomment le USS Corsica.
Puis, en novembre 43, l'armée française rejoint les Alliés en Italie. Depuis janvier 1944, Ceux-ci sont bloqués devant le Mont Cassin où les parachutistes allemands, en position dominante, déjouent toutes les attaques.
Après avoir été bloqués pendant trois mois, les Alliés adoptent le plan français de débordement : au lieu d'attaquer frontalement, on attaquera sur le flanc, par une montagne réputée imprenable, ce qui obligera les Allemands pour ne pas être encerclés à abandonner leur position. La manœuvre réussit et les Polonais peuvent prendre le mont d'assaut. La route de Rome est ouverte.
A Rome la situation est terrible. Le roi d'Italie a finalement fait arrêter Mussolini et fait entrer l'Italie en guerre aux côtés des Alliés : mais à la nouvelle de l'entrée des Allemands dans son pays, il s'est enfui de nuit dans le Mezzogiorno, abandonnant les Italiens et laissant les troupes sans ordres.
Le pape Pie XII apparaît comme la seule autorité légitime. Il s'efforce de faire déclarer la ville ouverte pour éviter combats et bombardements. On le voit dans les ruines visitant les sinistrés. Des centaines d'Italiens sont sauvagement massacrés. Une tension épouvantable règne. L'Eglise se montre extrêmement active pour cacher fugitifs et pilotes alliés, Quatre mille juifs sont cachés dans les couvents et institutions religieuses, des prêtres sont fusillés. A Saint-Jean de Latran, le pape cache les principaux dirigeants des partis d'avant 1922 qui ont formé le Comité de libération nationale.
Le général allemand Kesselring, par l'entremise du Vatican, cherche à obtenir l'accord des Alliés pour maintenir la ville hors de la zone des combats. Ne l'obtenant pas, il décide d'évacuer. L'armée allemande se retire donc de Rome tout en menant d'incessants combats de retardement et en piégeant les routes.
Le 4 juin, les Français entrent dans Rome en passant par Tivoli.
Au palais Farnèse, le soldat Paul Poggionovo hisse le drapeau français sur l'ambassade de France (photo).
Une prise d'armes est organisée. Juin, en raison d'un vieille blessure, salue du bras gauche. Le général américain Clarke qui a retiré de la campagne une vive admiration pour l'armée française, donne rendez-vous au général Juin pour "visiter Rome", lui cède la place dans sa jeep, et les voilà partis. Applaudis, ils visitent la Ville Eternelle, se rendent au palais du Quirinal où Clarke s'efface devant Juin en lui disant : « après vous, car sans vous nous ne serions pas là ! » « Nous non plus : sans votre aide, nous ne serions pas là", répond Juin.
Puis vient la visite au pape. « Votre sainteté, je crains de vous avoir un peu dérangé avec le bruit de mes tanks. Je vous prie de m’en excuser », dit Clarke. « Général, à chaque fois que vous viendrez libérer Rome, vous pourrez faire autant de bruit qu’il vous plaira », répond Pie XII.
Le 6 juin un grand défilé se tient depuis le Colisée jusqu'à la Piazza Venezia (photo ci-dessus).
Il restera aux Français à libérer l'Ile d'Elbe dans une opération folle, à libérer Sienne "sans casser une statue", à terminer la bataille de Falaise, à débarquer en Provence, remonter le Rhône, libérer Paris, gagner la bataille d'Alsace, franchir le Rhin les premiers, et planter les premiers le drapeau tricolore de la 2ème DB sur Berchtesgaden.
Mais le 6 juin, pendant que l'armée défile à Rome, à 2000 kilomètres de là, les Alliés ont débarqué en Normandie : dans la nuit du 5 au 6, des parachutistes français ont déjà touché le sol français dans le cadre des opérations Samwest Dingson et Cooney, afin d'empêcher les cent mille hommes de la Wehrmacht stationnés en Bretagne de rejoindre le front normand, en sabotant tout (carte).
Mission parfaitement réussie :cent mille hommes bloqués au prix de 77 paras et 116 résistants tués. Mais cela, c'est une autre histoire.
E.L.
05/06/2014 | Lien permanent | Commentaires (6)
Vidéo : ”le Guatemala sous la coupe de l'agro-business”
Dans ce petit pays d'Amérique centrale, des Indiens sont évincés de leurs terres par la police, l'armée et les milices de grands propriétaires, pour céder la place à la monoculture de la palme ou de la canne. Version locale de la ruée planétaire sur les terres du Sud sur fond de crise mondiale, avec (à la clé) des émeutes de la faim. Reportage audio-vidéo : http://www.lemonde.fr/week-end/infographe/2011/06/03/le-g...
Voir aussi :"Terres accaparées, paysans en danger", http://farmlandgrab.org/post/view/18307
09/06/2011 | Lien permanent | Commentaires (13)
Macron, virtuose du double langage
Une "relance de l'Europe" (notamment militaire) par l'Elysée ?
M. Macron "relance l'Europe". Ses propositions contiennent des idées de bon sens mais aussi des idées factices, notamment celle d'une armée européenne dotée "d'une culture commune pour agir". Cette "force d'intervention" aurait "un budget de défense commun" : mais quelle "culture commune" pourrait exister entre des Etats qui ne partagent ni la même géopolitique, ni les mêmes intérêts - et dont certains s'en remettent aux Etats-Unis pour les questions de "défense",- ce qui fait d'eux un rouage dans la nouvelle guerre froide du complexe militaro-industriel américain ?
Toute la question est là : l'UE étant le verso de l'OTAN, les gouvernements de l'UE suivent plus ou moins la politique étrangère de la Maison Blanche et parfois renchérissent sur elle. La doxa en vigueur est de feindre de croire à une menace d'invasion de l'Europe par l'armée russe, pour approuver l'engrenage militaire US sur la Baltique et en Ukraine : situation absurde (voire dangereuse) qui annexe les Européens - en tout cas les Français - à des intérêts contraires aux leurs, et qui interdit toute réflexion stratégique.
Il arrive à M. Macron d'exprimer des vues autres que celles de Washington. Mais il les contredit lorsqu'il évoque les moyens de concrétiser ces vues. Il se dit partisan de la souveraineté, mais il la transfère à "l'Europe", or l'UE n'est pas indépendante des Etats-Unis et ne veut pas l'être ; elle ne veut d'ailleurs pas avoir une géostratégie ; elle est hors d'état de définir une politique autre que celle des poncifs internationaux habituels. Le militaire n'étant que l'outil du politique, à quoi servirait une euro-armée s'il n'existe pas de politique européenne ? et comment y aurait-il une politique de l'UE, puisque l'UE s'est construite contre la notion même de politique ? Une plate-forme de libre-échange n'a pas d'armée. Quant à M. Macron lui-même, nombre de ses discours sont contredits par ses décisions pratiques (par exemple sur le climat alors que M. Macron approuve le CETA) ; ou bien ce sont des propositions cosmétiques dont il sait que l'UE ne voudra pas. Son idée de défense européenne "en complément de l'OTAN" n'a pas plus d'authenticité que sa taxe carbone européenne, vouée au même insuccès que sous Sarkozy. Double langage de sa part ? Selon Benjamin Coriat (des 'Economistes atterrés'), "Macron met en avant des perspectives dont il sait qu'elles n'auront aucune chance de voir le jour."
27/09/2017 | Lien permanent | Commentaires (8)
Général Lecointre : une leçon de civisme militaire
L'explication qu'il donne de son départ (un an avant la présidentielle) rappelle aux Français qu'il existe autre chose que les hystéries d'opinions partisanes... Mon éditorial à RCF :
<< Chef d’état-major des armées, le général Lecointre démissionne mais de façon pédagogique : hier sur LCI il a donné un exemple de civisme militaire et de service du bien commun.
Pourquoi s’en va-t-il maintenant ? Pour éviter une politisation du rôle de chef d’état-major : politisation qui aurait lieu s’il partait à la fin d’un quinquennat… Il explique : “Je ne suis pas au service d’Emmanuel Macron mais du président de la République… Un chef d’état-major est au service du président quel qu’il soit”.
Donc, apolitisme total de l’armée ! En réponse aux questions sur la récente agitation sur un mirage de putsch militaire, le général Lecointre enfonce le clou : les militaires en activité, dit-il, sont incompétents sur la politique intérieure, ils n’ont aucune légitimité pour y intervenir ; s’ils y interviennent, ils ont tort. Car une implication de militaires dans les controverses politiques aurait le résultat catastrophique de diviser l’armée et de saper la confiance entre ses membres : confiance indispensable, et même vitale, pour accomplir leurs missions.
Certains généraux proches de la retraite sont sortis récemment du mutisme, pour se mêler du conflit d’opinions et le chauffer au rouge : intervention que le général Lecointre leur reproche sévèrement. Pourquoi sa leçon nous est-elle utile ? Parce que François Lecointre nous rappelle que d’un côté, oui, il y a les conflits d’opinions des factions, mais que de l’autre côté il y a le bien commun de toute la société française. Ce sont deux choses différentes. Aujourd’hui on n’entend plus que les conflits d’opinions ; peu de gens arrivent à parler du bien commun, c’est-à-dire de l’intérêt supérieur de tous dans tous les domaines. Un homme comme le général Lecointre témoigne de l’existence de cet intérêt supérieur. Bien sûr il en témoigne du point de vue de l’armée, qui est une forme exceptionnelle du service du bien commun dans des circonstances dramatiques. Mais le bien commun ordinaire est civil, il existe dans la vie quotidienne : et il faut veiller à ce qu’il ne soit pas submergé par le tapage des conflits d’opinions. >>
14/06/2021 | Lien permanent
François Brune : ”Le bonheur conforme”
Essai sur la normalisation publicitaire (publié en 1985 par Gallimard), cet ouvrage a été réédité en 2012 par les éditions de Beaugies. Synthèse du livre, par Serge Lellouche :
François Brune (Bruno Hongre de son vrai nom) est né en 1940. Ecrivain et essayiste, il a d'abord collaboré à Combat, à la revue Esprit, puis au Monde, et aujourd'hui au Monde diplomatique et à La Décroissance. Militant contre l'agression publicitaire, il a écrit de nombreux ouvrages, notamment sur l'idéologie véhiculée par la publicité et les médias. En 2012 fut créée l'Association des Amis de François Brune/Bruno Hongre, en vue de faire connaître son œuvre, qui s'inscrit dans la double tradition judéo-chrétienne et gréco-latine. Pour acheter son livre auprès de l'éditeur : http://www.editionsdebeaugies.org/bonheurconforme.php ... Au risque de ternir cette brève présentation, signalons tout de même qu'à près de 75 ans, François Brune continue de se refuser au vrai bonheur : il semblerait en effet qu'il n'ait toujours pas de Rolex.
On ne s'en affranchira pas tant que l'on ne reconnaîtra pas les finalités du monde publicitaire pour ce qu'elles sont : une colonisation accélérée de nos imaginaires et de notre langage, une conquête sans répit de nos inconscients psychiques et de nos âmes, destinées à nous maintenir dans l'utérus artificiel de nos pulsions infantiles, savamment stimulées, remodelées et orientées vers un seul et unique réflexe pavlovien : ACHETER.
Avec ses «créneaux», ses «cibles» et ses «campagnes», l'armée des publicitaires livre une guerre d'une violence et d'une perversion abyssales, soigneusement camouflées sous l'apparence sucrée et souriante de ses messages séducteurs, sexy et rigolos. Ce déchaînement quotidien de violence à l'allure festive n'a qu'un but : que l'être ne se vive plus autrement (sans même qu'il ne le sache) que comme un consommateur standardisé, docile et policé, ayant fini par prendre goût à sa confortable condition d'esclave, et même à l'aimer. En novlangue militaro-publicitaire, cela s'appelle «faire rêver les gens».
Au bout de cette conquête sous hypnose, se profile déjà le spectre terrifiant de notre totale dépersonnalisation, faisant de nous les heureux de Panurge, dont, pour reprendre les mots de l'auteur, «les flashs publicitaires rythment désormais le film de la vie et en normalisent le sens».
Dans la brèche de tous nos manques, frustrations, angoisses existentielles et blessures intimes : très précisément là se situe le champ d'action de l'agression publicitaire. Nous attaquer avec le sourire jovial à coup de promesses factices, en cette faille de nos détresses obscures : tel est l'art du Tentateur-Séducteur. Il sait fort bien de Qui il nous détourne.
«Que nous apportent les prêtres du dieu publicité? Le salut par le rêve». Dans le prolongement de ce livre qui nous aide si intelligemment à cette prise de conscience libératrice de l'emprise publicitaire en nos vies, on posera d'emblée la question : dans notre irréductible singularité humaine, sommes nous faits, chacun de nous, à l'image et à la ressemblance de notre Dieu, ou bien alors à celle de tous ces objets-produits dans lesquels nous nageons jusqu'au cou et auxquels on nous invite, pistolet invisible sous la tempe, à nous identifier jusqu'à la moelle?
Si nous croyons que la deuxième réponse est la bonne, alors, contre l'auteur de ce livre, crions bien fort à l'extrémisme gauchiste, au jansénisme sectaire ou au passéisme réactionnaire, au choix selon la ligne publicitaire que nous avons faite nôtre.
Avec un brio décapant, et souvent pour notre franche hilarité, François Brune décrypte une multitude de spots publicitaires du début des années 80, par lesquels on presse l'individu de croire que ses aspirations et que sa vie entière se réduisent à la consommation. Ainsi, bien dressé, «il sera censé retrouver le giron familial dans un flan, vivre la fête dans un pantalon, s'ouvrir au monde grâce à un slip et, même, rencontrer Dieu dans son assiette».
Commençons par le fromage, dont sa publicité réquisitionne la valeur convivialité du plateau partagé, mobilise la nostalgie du «pays», du terroir, du village d'antan, de la France profonde et provinciale, de l'enracinement filial dans les champs ancestraux. Telle est la «fro-magie» publicitaire : «Le fromage nous promet ce que nous n'avons pas ou plus. La mythologie publicitaire développe sans vergogne les nostalgies du Français moyen urbanisé. Du même coup, cet étalage de promesses devient le tableau de nos frustrations. Tout se retourne contre le consommateur appâté de toutes parts : l'offre de la plénitude avive en lui le sentiment de ses manques». Et, bien entendu, «le seul moyen de retrouver la nature perdue sera d'acheter et de consommer». Promis juré, en achetant du roquefort ou du cantadou, notre France de toujours renaîtra dans nos assiettes.
Puis, sans transition, on passe des ressorts inconscients de la nostalgie à ceux de l'érotisme : «l'érotisation des produits est intentionnelle, systématique et calculée»,comme ici avec la savonnette «Atlantic», où, face à la mer, une femme nue s'offre à l'Océan. «L'Océan, c'était donc «Lui» ! Pour se faire désirer des ménagères, «Atlantic» s'est fait homme (…) Identifiez-vous mesdames...». Ici encore, la pulsion sexuelle est étroitement réduite à celle de l'achat : «Apparemment libérée de l'emprise puritaine, voilà la sexualité ré-aliénée aux objets, et l'individu avec, pour entretenir la course à la consommation».
Freud expliquait que «le désir conscient ou inconscient d'être un homme est très fréquent chez les femmes». Les publicitaires ont parfaitement intégré les théories freudiennes et compris le profit qu'ils pourraient en tirer. Ainsi le complexe de castration consiste pour les filles à se sentir privées de ce qu'ont les garçons et qu'elles n'ont pas. A cette absence essentielle, à ce manque inconscient, les publicitaires vont, tout naturellement, «greffer un désir d'achat» : «Ce dont les femmes manquent par nature, se sont-ils dit, nous allons le leur offrir symboliquement à travers les produits que nous voulons leur faire acheter (…) Et c'est ainsi que nombre de publicités promettent aux dames, sans le leur dire, le phallus salvateur dont elles sont censées rêver sans le savoir». Ainsi en va-t-il du parfum «Audace» de Rochas, avec son bouchon de verre en forme de gland, ou du déodorant Williams que chacune peut s'offrir comme un bâton de jeunesse ; sans parler de la virilité musclée de «Monsieur Propre», au service des ménagères. Tout ce symbolisme phallique étant bien sûr d'autant plus efficace qu'il agit subtilement, sous le mode du conditionnement par la suggestion inconsciente : «En somme, on endort ''loyalement'' la raison pour mieux agir clandestinement sur les pulsions.»
Par parenthèse, et à la vue d'événements socio-politiques récents en France, on ne s'étonnera donc pas de constater en quoi les processus d'indifférenciation sexuelle, avant d'être inscrits dans des textes de loi, s'impriment d'abord, lentement mais profondément, dans les têtes. On s'étonnera, par contre, beaucoup plus, que nombre de ceux qui en ont fustigé les conséquences dévastatrices pour la famille, se soient nettement moins empressés d'en dénoncer les causes, si directement liées à la dynamique pulsionnelle et indifférencialiste du capitalisme, véhiculée par son instance de propagande qu'est la publicité et son annexe consubstantielle que sont «les grands médias». La cause de la famille et de l'enfant reste propre tant que les intérêts de classe demeurent préservés. Alors mieux vaut dénoncer «le pouvoir socialiste» que les multinationales de la pub...
La publicité récupère tout, y compris ce qui peut lui sembler contraire, comme la politique. Elle est même passée maîtresse dans l'art de récupérer la thématique révolutionnaire, pour évidemment la vider de sa substance en lui faisant perdre sa signification politique, et pour instrumentaliser les grands mouvements sociaux issus de 68, tels le féminisme, l'écologie ou le régionalisme. Derrière son style «anar», «le ''progressisme apparent'' du discours publicitaire couvre la bonne vieille marche en avant de la production capitaliste, et rien d'autre». Non seulement la publicité instrumentalise la politique mais elle envahit son champ propre. Il suffit de voir le basculement de toute la classe politique dans la fascination pour les techniques publicitaires qu'ils se sont appropriés, et par lesquelles ils ont appris à se vendre comme l'on vend une lessive, et selon les mêmes procédés rhétoriques.
Mais pour les publicitaires, il va s'agir aussi d'attaquer l'enfance pour que s'imprègne au plus tôt chez l'individu l'adéquation de la vie et du bonheur à la consommation, et afin de l'habituer dès que possible à la contemplation narcissique de lui-même. Devenir adulte devra signifier pour lui «pouvoir consommer davantage» : «c'est précisément ce modèle d'adulte que les publicitaires préparent sous le modèle d'enfant : un consommateur infantilisé, à la fois adulte nostalgique et enfant demeuré, éternel spectateur d'un monde qu'il n'assume pas, passant sa vie à singer un mode de vie qui n'est jamais sa vie, à se consommer lui-même au lieu de se transformer».
Réduire l'humain à un consommateur, par l'injonction simultanée de jouissance, de puissance et de fonctionnalité : telle est la visée anthropologique de ce harcèlement publicitaire quotidien, poursuit François Brune.Telle une litanie, la promesse déferle sur quasiment tous les spots publicitaires : «Tout le plaisir, tous les plaisirs». Toutes les valeurs sont subordonnées au plaisir, devenu aussi impératif qu'urgent et bien entendu présenté comme une libération des interdits, des censures de la morale traditionnelle, principale obstacle à l'empire de la publicité. «Winston, c'est si bon que c'est presque un péché». Celui qui «résiste» à la morale collective de la jouissance est promis au ridicule, à la honte et à la mise à l'écart : «cette culpabilité est, elle aussi, plus perverse que la culpabilité traditionnelle».
Le plaisir se segmente en des tranches successives et quantifiables, perpétuellement remplacées par un nouvel objet de plaisir, selon «le règne de l'instant». «Du même coup, l'homme moderne n'a plus ni mémoire ni avenir (…) En un mot, la réduction du désir à une dévoration instantanée, non seulement conduit l'individu à n'être qu'un automate de l'instant, mais elle conduit à la mort du désir lui-même».
Dans le passage qui suit, François Brune traduit tragiquement bien la misère addictive dans laquelle nous a plongée notre société de consommation sous hypnose publicitaire : «c'est véritablement d'une philosophie de drogués que l'hédonisme publicitaire imprègne notre monde. Jouissez, droguez-vous : c'est l'impératif central de la société de surconsommation. Droguez-vous pour jouir, droguez-vous pour oublier que vous êtes drogués, droguez-vous pour oublier que vous manquez l'essentiel – le pouvoir sur votre vie -, droguez-vous pour fuir la mort, pour vous cacher votre décadence, pour vous cacher votre violence, pour oublier que vous gaspillez, pour oublier que vous piller, pour oublier que le tiers-monde crève de faim, que vous en avez honte, qu'il va bientôt émerger pour vous demander des comptes ! Droguez-vous parce que tout le monde se drogue, droguez-vous parce que... Mais vous ne savez même plus et ne devez plus savoir pourquoi vous vous droguez : on ne se droguerait plus si l'on savait pourquoi, et c'est cette conscience que veut empêcher la machine économique capitaliste qui s'est prise elle-même pour sa propre fin».
Partout, sans relâche, et dans l'unique perspective de l'achat, le fantasme de toute-puissance est nourri, à chaque fois sous un angle bien précis selon la cible à séduire : «au royaume des lessives, les ménagères sont reines. La culture publicitaire leur offre tout : la logique, la pureté, le pouvoir». Grâce à Ariel et à Bonux, la ménagère se mue en terminator livrant une bataille obsessionnelle contre la dernière tache qui résisterait à ses puissants assauts purificateurs. Et la compétition anti-souillure avec la voisine est rude : «c'est à qui sera la plus performante, par lessive interposée». Subliminalement, de la répression acharnée des dernières impuretés, à la soumission à l'ordre répressif, il n'y a qu'un tout petit pas.