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24/08/2024

L'affaire du 'Shtandart' : comment le centrisme parisien favorise l'éclosion d'une xénophobie correcte

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Refuser à un navire de se ravitailler dans quelque port français que ce soit. Le lui refuser à cause d'une nationalité qui n'est pourtant plus la sienne. Et suspecter son capitaine de soutenir un régime qu'il désapprouve pourtant clairement... Ça ne tient pas debout ! Mais c'est la politique de Paris en 2024 :


 

Les “sanctions” bruxelloises interdisent les ports européens aux navires battant pavillon russe. C'est logique en ce qui concerne les navires de commerce, liés à l’économie de guerre du Kremlin. Mais la mesure a été étendue très récemment à deux catégories discutables: 1. les “navires répliques historiques”, pourtant dénués du moindre lien avec l’économie de guerre ; 2. les “navires ayant battu pavillon russe avant le 24 février 2022”. Et cette mesure-là est une injustice flagrante envers certains bâtiments : ceux qui, précisément, ont quitté le pavillon russe après février 2022 pour se désolidariser de la guerre d’Ukraine.  C’est le cas de la frégate Shtandart.

L'affaire du trois-mâts carré

Réplique d’un bâtiment de l’époque de Pierre le Grand, ce trois-mâts carré à quatorze voiles, lancé en 1999, est un navire de formation pour jeunes stagiaires. Son propriétaire est une association privée sans but lucratif. Dès son lancement, le Shtandart est devenu l’une des stars des fêtes maritimes européennes, notamment en France : Brest 2000, Brest 2004, Brest 2008, Brest 2012, Rouen 2013, Brest 2016 Sète 2016, Le Havre 2017, Golfe du Morbihan 2017, Honfleur 2017, Rouen 2019, Morbihan 2019, Vendée Globe 2020… Puis c’est l’invasion russe en Ukraine. Vladimir Martus, capitaine du Shtandart, n’est pas poutinien. Il désapprouve cette guerre. Il devient donc persona non grata à Saint-Pétersbourg, son port d’attache. Pour que la situation soit claire, Martus renonce alors aux couleurs russes. Le Shtandart naviguera sous l’un des pavillons du roi Charles III, le Blue Ensign des îles Cook associées à la Nouvelle-Zélande : d’azur à quinze étoiles d’argent, Union Jack au guindant ! La frégate ex-russe est reçue aux fêtes maritimes de Douarnenez en juillet 2022, à la semaine du golfe du Morbihan 2023, à l’Armada de Rouen 2023, à la Grande Bordée des Sables-d’Olonne 2023, à la Grand’Escale de Fécamp 2024, aux fêtes de La Rochelle 2024… Puis le couperet tombe : avant Brest 2024, le préfet du Finistère fait savoir que le Shtandart ne peut plus entrer dans un port européen en vertu du nouveau règlement (voir ci-dessus).  Et le couperet tombe à nouveau le 14 août, avant le festival des Voiles de travail à Granville… Choqué, Martus proteste : il n’a “aucun lien financier ni structurel avec le gouvernement ou les oligarques russes”, il a “exprimé à plusieurs reprises son opposition aux actions du gouvernement russe en Ukraine” ; lui et les propriétaires du bateau sont des résidents européens, et désormais le bateau “bat pavillon des îles Cook” !  Rien n’y fait. Aux yeux de Gérald Darmanin, le Shtandart reste russe même s’il a cessé de l'être. Cette frégate n’entrera plus dans un port français, que les élus locaux le souhaitent ou non.

Ce qu'on croit voir en Vladimir Martus

Le vice-président du festival de Granville, Didier Leguelinel, s’indigne : “Le Shtandart s’est plié aux exigences de l’Etat en changeant son pavillon. Ce voilier est en rupture de ban avec le régime de Poutine et c’est pour cela qu’il ne peut retourner en Russie. Il s’est expatrié pour des raisons politiques, et on l’associe au régime qu’il a fui !” Le président du festival, Stéphane Sorre, se plie nécessairement à la décision du préfet. Il en souligne aussi l’origine politique : les “circonstances diplomatiques”, dit-il. En clair: la ligne OTAN-UE. Paris fait circuler un étrange argumentaire : le Shtandart, frégate-école ne transportant nul fret, y est assimilé aux gaziers et aux porte-conteneurs qui “contournent les sanctions européennes” ! Cet amalgame insoutenable est appelé “cohérence” par la place Beauvau. Il aboutit à refuser à un bateau de se ravitailler en vivres, en eau et en gazole, ce qui viole les lois de la mer.

Ce viol est imposé par une politique. Et cette politique ne se réduit sans doute pas aux outrances de M. Darmanin : son origine est à l’Elysée. M. Macron ne veut certes pas affamer l’équipage du Shtandart (qui compte d’ailleurs de jeunes Ukrainiens), mais sa politique russe a fait naître un grave malentendu. Longtemps suspect de poutinophilie aux yeux de Bruxelles, M. Macron a changé de cap l’an dernier pour devenir le no 1 des poutinophobes. Mais si M. Macron croit affronter M. Poutine au plus haut niveau, ses consignes dégénèrent en descendant : M. Darmanin et ses préfets les interprètent en simple russophobie.  Peu leur importe que le Shtandart soit quasiment sous pavillon britannique, que son capitaine soit un anti-Poutine exclu de Russie, et qu’il n’y ait rien à reprocher à ses paroles ni à ses actes. Ce que les gens de la place Beauvau semblent combattre en Vladimir Martus n’est pas tangible. Ils ont l'air de lui prêter on ne sait quelle indéfinissable russité profonde, atavique peut-être, en tout cas toxique et indélébile : même si le capitaine Martus est anti-Poutine, même s’il a des Ukrainiens à son bord, sa russité, paraît-il, le rend inacceptable dans un port français.

Voilà comment le centrisme parisien fait ressurgir – inconsciemment – une sorte de xénophobie. Voire de racisme. Car ce qu'on semble reprocher au capitaine Martus, ce n’est pas ce qu’il dit ni ce qu'il fait. C'est ce qu’on croit qu'il est.

 

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Commentaires

BIEN PUNI

> La guerre menée par l'occident est aussi une guerre culturelle. Déjà qu'il défait sa propre culture, il doit détruire impitoyablement celle de son ennemi. Ce qui est comique, c'est l'accueil fait à un Russe qui croit encore à la belle liberté occidentale. Ce Russe est bien puni.
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Écrit par : Albert / | 25/08/2024

ESPIONS ?

> Vos arguments sont tout à fait acceptables mais si tout simplement le gouvernement français voulait se protéger des risques d'espionnage.
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Écrit par : B. Trapes / | 26/08/2024

à B. Trapes

> Espionnage à voiles ? Des gabiers de misaine menacent la sécurité nationale ?
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Écrit par : N. Le Hir | 27/08/2024

DROITE ?

> "la guerre menée par l'occident" !!!! elle est bien bonne celle là. La poutinophilie d'une bonne partie de la droite réactionnaire n'est plus un secret...
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Écrit par : Tangui / | 27/08/2024

IDÉES

> Que peut-il encore sortir du cerveau d'Emmanuel Macron, quels coups peut-il encore tenter:
- nomination de Tony Estanguet comme Premier ministre ? avec Bernard Cazenave et Xavier Bertrand comme ministres d'Etat ?
- un referendum pour changer le mode de scrutin aux élections législatives pour rendre moins désirable à certains partis une éventuelle dissolution dans un an ?
- autre....
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Écrit par : B.H. / | 27/08/2024

NAUFRAGEURS

La cabale est également soutenue avec force depuis la Bretagne par un certain Bernard Grua, russophobe patenté n'hésitant pas à comparer quiconque soutiendrait le Shtandart aux Miliciens de 1944.
Certains de ses amis appellent purement et simplement à couler le navire.
https://x.com/BernardGrua
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Écrit par : Louis / | 30/08/2024

ESCALES

> Des espions ? Que peut-on espionner quand on se ravitaille dans un port ?
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Écrit par : Bernadette / | 01/09/2024

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