Voeux 2015 ! (1) une véritable écologie chrétienne

Que les catholiques français s'engagent aussi – comme les y appelle le pape – dans l'action autour du sommet sur le climat convoqué à Paris en novembre 2015 ! Et à propos d'écologie, voici quelques réflexions sur une émission :

 

Ce matin, émission « spirituelle » d'une radio. L'invité explique bien que « les monothéismes » ne sont pas responsables de la rupture entre l'homme et la nature, consommée aux XVIIe-XVIIIe par Descartes et les postcartésiens qui furent peu chrétiens et pas du tout bibliques. Mais l'animateur de l'émission résiste : si, si, Descartes était l'aboutissement de la théologie catholique médiévale qui avait consommé la rupture de l'homme et du cosmos, etc.

Nous voilà obligés de l'inviter à réviser l'histoire du christianisme. Il aura des surprises. Par exemple ce texte :

<< Au centre, la Terre pleure, les larmes qu'elle verse sont des pleurs heureux. En une sécrétion perpétuelle, elle met au monde une fontaine et sanglote la douce boisson des eaux. Le liquide argenté expulse le limon de sa naissance, revenant à la consistance d'un élément pur il étincelle de son propre éclat, libéré de la boue vagabonde. Cette boisson enivre le sein de la terre prégnante et incline le souhait de la Terre mère à l'enfantement. La terre n'est pas jalouse, elle donne aux arbres la même boisson et leur suggère le désir d'enfanter... >>

Quel sectateur de la deep ecology a écrit cet hymne à la terre mère ? Le recteur de l'université de Paris sous Philippe Auguste ! Autrement dit : Alain de Lille, dit « le Docteur universel ». Auteur (parmi quarante livres) d'une réfutation de la religion cathare* et d'un appel aux autres intellectuels du XIIe siècle pour les encourager à appuyer leurs raisonnements sur la nature...

Et c'est ce que fait le De tribus diebus, traité du XIIe écrit par Hugues de Saint-Victor (autre intellectuel parisien et champion de l'orthodoxie catholique contre Abélard) :

<< Voici la terre couronnée de fleurs, comme elle offre un aspect agréable, comme elle plaît à voir, comme elle émeut tendrement ! Nous voyons des roses rouges, des lis blancs, des violettes pourpres ; et, en toutes ces fleurs, non seulement la beauté, mais l'origine aussi est admirable, c'est-à-dire comment, à partir de la poussière du sol, la sagesse divine produit une telle apparence. Enfin la verdure, plus belle que tout, comme elle ravit l'esprit de qui la regarde, lorsqu'au printemps nouveau une vie nouvelle fait sortir les jeunes pousses dressées sur leurs tiges comme pour fouler la mort aux pieds, elles percent ensemble vers la lumière, à l'image de la résurrection à venir ! >>

Lorsque le bénédictin Conrad de Hirschau veut évoquer les noces de l'âme avec le Christ, c'est dans la nature qu'il en trouve l'analogie :

<< Les boutons verdoyants des fleurs se gonflent sous le doux nectar, c'est un délire de violettes, de myrrhe, de crocus, d'aloès. Le palmier, signe de victoire, embellit sa grappe épanouie, et s'émerveille du jardin, de ses plantes et herbes fleuries, le nard, le narcisse et le baume brillent partout en ce jardin...>>

Toujours au XIIe siècle, la future sainte (et docteur de l'Eglise) Hildegarde de Bingen écrit dans le tome 1 de sa Physica :

<< Dieu a créé le monde pour glorifier son nom. Il a renforcé le monde avec le vent. Il a relié le monde aux étoiles. Il a rempli le monde avec toutes sortes de créatures. Puis Il a mis les êtres humains partout dans le monde, leur donnant une grande puissance en tant que gardiens de toute la Création. Les êtres humains ne peuvent vivre sans le reste de la nature, ils doivent veiller sur toutes les choses naturelles... >>

Dans son Livre des oeuvres divines, Hildegarde écrit :

<< Ceux qui ont foi en Dieu honoreront la stabilité du monde... Nous n'avons pas d'autre endroit où poser le pied. Si nous abandonnons ce monde, nous serons détruit par les démons et privés de la protection des anges. >>

 

Voilà la réalité de la théologie médiévale, quoi qu'en dise le religieusement-correct depuis quarante ans.

Nos marchands de spiritualités de bazar croient tous s'inspirer de l'universitaire américain Lynn White, auteur-imposteur de la fameuse accusation contre le livre de la Genèse (censé avoir inspiré le ravage de la planète par le productivisme industriel). Comment ce livre aurait-il pu inspirer le ravage, puisque le productivisme industriel est un résultat des Lumières qui ont consommé la rupture de l'intelligentsia avec la Bible ? White ne répondait pas à cette question. Il se contentait de marteler son axiome : en « séparant » l'homme du cosmos, la Bible ouvrait la voie au ravage, etc.

D'où une autre question : la Bible « sépare »-t-elle réellement l'homme du cosmos ? Non, si on la lit sérieusement : elle institue l'homme cultivateur et gardien (et « dominer » en hébreu n'a pas le sens de « ravager »). Le sang d'Abel versé sur le sol soulève la révolte du sol contre Caïn : on ne peut pas imaginer plus grande solidarité entre la nature et l'humanité. Et le sang du Christ, réconciliant l'homme et son Créateur, réconcilie par conséquent le sol (la nature) avec l'homme... D'où la profonde unité entre le cosmos et l'homme chrétien, proclamée par saint Paul dans la lettre aux Romains, et célébrée par Joseph Ratzinger dans L'esprit de la liturgie.**

Troisième question : White fut-il vraiment le premier à accuser la Bible (le « judéo-christianisme ») d'avoir opposé l'homme et la nature ? Cette question mène à une découverte. Elle se trouve dans le gros et terrible livre de Johann Chapoutot La loi du sang - Penser et agir en nazi, étude exhaustive sur les intellectuels du IIIe Reich parue en septembre 2014 chez Gallimard.

Voici la découverte : le grief d'avoir « séparé l'homme de la nature », dirigé contre le judéo-christianisme, est le pilier de l'idéologie nationale-socialiste. Son idée fixe est que la nature est incompatible avec une « sur-nature », et que prétendre le contraire revient à « accabler la vie de maladie et de bêtise » selon l'expression du Pr Karl Astel (chaire d'eugénisme de l'université d'Iéna). 

Selon l'édition 1938 de l'encyclopédie Brockhaus, « dans la religion germanique, la nature était cette réalité imprégnée de divin et par là même objet de culte. Aux yeux du christianisme, la nature passait pour un règne étranger et hostile au divin, pour le règne du diable. » Pour l'universitaire national-socialiste Lothar Stengel, il faut, « malgré Rome et Jérusalem », mettre fin à la « division malsaine entre l'esprit et la nature » instaurée par le judéo-christianisme. Pour la revue SS Schwarze Korps, le judéo-christianisme « fait tout bonnement de la nature vivante quelque chose d'inférieur ». Walter Buch (chef de la juridiction interne du NSDAP) demande la rupture avec les normes traditionnelles et l'alignement de l'homme sur les pulsions animales : «Nous, les nationaux-socialistes, nous approprions les lois que les animaux suivent inconsciemment. »  La porte est ouverte sur le pire...

Loin de nous de prétendre que Lynn White connaissait ces textes ; un homme qui parle de la Bible sans l'avoir étudiée est visiblement indifférent aux sources et aux bibliographies. Mais la situation actuelle est issue du faux procès fait à la Bible et au christianisme dans les années 1970 par White et ses épigones, procès qui a formaté la phobie antireligieuse inhérente à la sous-culture médiatique d'aujourd'hui. Sachant quels résultats a produit naguère le même faux procès dans sa version nationale-socialiste, on ne peut qu'alerter les consciences.

Il y a une façon de célébrer « la vie » qui mène à outrager la vie. Cette pseudo-célébration repose sur l'idée que la foi en un Créateur contredit « les lois de la vie ». Mais nous, les chrétiens, nous savons que c'est l'inverse : c'est en reconnaissant le Créateur comme seul maître de la Création, et en regardant la Création comme un message du Créateur, que nous respectons la vie.

D'où les voeux que nous formons pour 2015...

 

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* ...religion qui, elle, opposait vraiment l'homme à la nature ! N'étant pas un christianisme, le catharisme était une haine envers le monde créé... On aimerait savoir pourquoi le religieusement-correct voue une telle tendresse aux cathares. (Et à la religion aztèque, bien qu'elle ait produit une sorte de Shoah permanente).

** Je me permets de convier les animateurs d'émissions "spirituelles" à prendre connaissance de tous ces documents.