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12/08/2013

"Le Chant des créatures" (2)

La vraie foi chrétienne, apothéose de l'écologie :

 


 

Hélène et Jean Bastaire

Le Chant des créatures : les chrétiens et l'univers d'Irénée à Claudel

 (Cerf, 1996)

 

Dans ce long récit du christianisme cosmique d'Irénée à Claudel, sont constamment entremêlés les grandes perspectives des théologies de la création, abordés dans le premier volet, au vécu beaucoup plus concret de tous ces saints, ermites et mystiques, qui sans doute plus intimement encore, ont approché le mystère de la fraternité universelle entre toutes les créatures.

Le récit est parsemé d'histoires extraordinaires relatant les liens de grande familiarité, d'amitié, de compassion que tous ces pauvres de Dieu ont établis avec les bêtes, aussi féroce ou apparemment insignifiantes soient-elles, comme par anticipation prophétique de la grande réconciliation parousiaque de l'homme et du cosmos. Nous en retiendrons quelques unes ici...

Ces histoires abondent chez les pères du désert. Les ascètes de Syrie, de Palestine et d'Egypte incarnent cette convivialité rétablie par le Christ entre toutes les créatures. Ainsi Macaire l'Egyptien témoigne aux animaux de la même miséricorde que Jésus guérissant l'aveugle-né avec sa salive : «Une hyène lui apporta un jour son petit qui était aveugle. Macaire le prit, lui cracha sur les yeux, fit une prière : sur le champ, l'animal retrouva la vue. Après l'avoir allaité, la mère le remporta. Mais elle revint le lendemain pour faire cadeau au saint de la toison d'une grande brebis » (Pallade, Histoire lausiaque, 18).

Dans son Histoire des moines de Syrie, Théodoret de Cyr raconte l'histoire de cet anachorète qui a pour acolyte un lion, qui lui apporte de la nourriture, dort à ses côtés, redevenu comme au paradis le serviteur de l'homme, non en esclave dompté, mais en humble frère, qui se laisse à son tour servir par ce moine lui fournissant du pain et des pois chiches à condition que le lion cesse de s'en prendre aux autres créatures.

Au VIIème siècle, Isaac le Syrien l'exprime magnifiquement, en soulignant de l'humble de cœur que «les fauves meurtriers, dès qu'ils le voient, s'approchent de lui comme de leur maître. Ils remuent la tête, lèchent ses mains et ses pieds, car ils ont senti, émanant de lui, cette odeur qu'exhalait Adam avant la transgression et que Jésus nous rend par son avènement » (œuvres spirituelles).

A la même époque, le monachisme irlandais préfigure également l'esprit de François d'Assise, cet élan d'amitié profonde avec les animaux et la nature. Brigide de Kildare appelait les canards sauvages qui volant vers elle, se laissaient prendre et embrasser. Lorsqu'ils se retiraient dans la solitude, les anachorètes redoublaient d'intimité avec les bêtes : « saint Moling avait l'amitié d'une mouche, d'un roitelet et d'un chat ; la mouche suivait ligne à ligne les textes que le saint lisait et s'arrêtait quand son attention faiblissait, le gardant ainsi du sommeil. Ciaran eut pour premiers disciples un ours, un renard, un blaireau, un loup, un cerf » (Olivier Loyer, Les Chrétientés celtiques, p.47).

Ce délicieux poème d'un moine celtique traduit l'infinie bienveillance de Dieu dans la nature, manifestée à travers ses créatures :

«Une haie d'arbres m'entoure / La couvée d'un merle chante pour moi. /  Au dessus de la page rayée de mon livre / Les oiseaux, tressaillant de joie, déroulent leur psalmodie. / Dans son manteaux gris, du haut des branches, un coucou chante / Oh, que Dieu me protège ! Comme j'écris bien sous le vert des bois ! » (Ibid)

Au XIIIe siècle, par une tendresse intuitive qui élargit ce qu'a souvent de trop étroit la théologie masculine, plusieurs moniales cisterciennes incarnent une attitude de compassion cosmique. Béatrice de Nazareth, prieure du couvent du même nom dans les Flandres, étend toute sa compassion au règne animal dont elle partageait les souffrances. Sa contemporaine allemande Gertrude d'Helfta, tout aussi touchée par un vif sentiment de pitié envers toute créature, prie pour les animaux, «offrant pieusement à Dieu pour sa louange éternelle cette souffrance d'un être sans raison, car elle s'attachait à la dignité d'être que toute créature possède souverainement avec perfection et noblesse dans le Créateur, et elle désirait que le Seigneur, prenant en pitié sa créature, daignât la relever de sa misère » (Gertrude d'Helfta, Le Héraut, livre I, chap. VIII, 1).

On est loin, si loin de l'animal objet. Ce cri d'amour confère à toute créature un statut qui reconnaît en elle une source royale et lui vaut un respect sans limites.

A la même époque, et dans le même couvent d'Helfta, Mechtilde de Hackeborn, avec cette merveilleuse fraîcheur se représente son âme «sous la forme d'un petit lièvre endormi les yeux ouverts sur le sein de Dieu (et elle prie :) Mon Seigneur Dieu, donnez-moi les mœurs de cet animal ; lorsque mon corps s'endort, que mon esprit veille pour vous» (Le Livre de la grâce spéciale, III, 7). Une autre fois, elle compare les prières des moniales à des alouettes volant joyeusement à Dieu et lui donnant des baisers.

Au XVe siècle, ce sont encore des femmes qui embrassent de leur tendresse toute la Création. Parmi elles en France, on trouve Colette de Corbie, une disciple de François d'Assise. Les oiseaux se posent en chantant sur sa main, une alouette mange dans son écuelle quand elle est à table.

En Italie, la mystique Catherine de Gênes retrouve la sensibilité aïgue de Gertrude d'Helfta au mystère ontologique des créatures et s'évanouit «lorsqu'on abat un animal ou que l'on coupe un arbre (car) elle semble ne pouvoir supporter de les voir perdre l'être que Dieu leur a donné » (Vie admirable et doctrine sainte de la bienheureuse Catherine de Gênes, chap.XLII).

En Angleterre, Julienne de Norwich considère l'univers réduit aux dimensions d'une petite noisette au creux de la main : «Je m'étonnai que cela puisse subsister, car il me semblait que cela pouvait être anéanti en un clin d'oeil. Il me fut répondu en mon entendement : «Cela subsiste et subsistera toujours parce que Dieu l'aime. C'est par amour que Dieu a tout créé, et tout est gardé dans le même amour et le sera toujours » (Une révélation de l'amour de Dieu).

Deux autres humbles mendiants nous ramènent à l'active compassion journalière. En Italie, Séraphin de Montegranaro, disciple de François, appartient à une nouvelle branche de l'ordre : les Capucins. Il se penche un jour sur un étang et effectue une pêche miraculeuse. A sa voix, les poissons sautent hors de l'eau, brandissent sur la rive et se glissent dans les manches de son habit : « Voyez (dit Séraphin), comme ces petites créatures sont obéissantes. Ne serait-ce point dommage de leur ôter la vie ? (il les restitue à l'étang en leur recommandant:) Allez vite, créatures de Dieu, et rendez grâce à Celui qui vous a fait si beaux » (dans R.P. Constant, La légende dorée des Capucins).

A l'autre extrémité du monde chrétien, en cette fin de XVIe siècle, le moine dominicain Martin de Porrès vit au Pérou et parle aux animaux comme à des frères en détresse. Il panse un coq qui s'est cassé la patte et lui ordonne de revenir tous les jours se faire soigner, prescription à laquelle le coq obéit.

Avec Benoît Joseph-Labre, qui après avoir réalisé sa vocation d'ermite vagabond sur les routes de France, d'Espagne, de Suisse et d'Italie, pour finir par se nicher dans un trou du Colisée à Rome, on a affaire à un errant complètement démuni et entièrement livré à la contemplation de la nature. «La vue d'une fleur lui suggérait la splendeur de la Trinité » (Agnès de La Gorce, Un pauvre qui trouva la joie). Il acquit à Rome une célébrité de « fol en Christ », notamment par le soin qu'il mettait à entretenir une belle quantité de poux, dans son désir profond d'être, là comme ailleurs, un parfait imitateur du Poverello. Au siècle suivant, Verlaine et Germain Nouveau, bohêmes convertis, célébreront le saint pouilleux : « vous les poux, qu'il laissait paraître sur sa tête, bon pour vous et dur pour sa bête, dites par la voix du poète, à quel point ce pauvre était doux » (Germain Nouveau, La doctrine de l'amour).

Si nombreux sont ces « fols en Christ » qui circulent sur les routes et dans les villages de la Russie du XIXe siècle, se mêlant à tous les pèlerins sillonnant la terre russe. Le plus célèbre est celui dont nous sont parvenus les Récits, probablement un paysan instruit, qui fréquentait le monastère d'Optino, grand centre de rayonnement spirituel. Le pèlerin pratique la « prière de Jésus » et lit la Philocalie, recueil de textes patristiques, dont il tire des délices qui vont métamorphoser à ses yeux la Création : «Tout m'appelait à aimer et à louer Dieu. Les hommes, les arbres, les plantes, les bêtes, tout m'était comme familier et partout je trouvais l'image du nom de Jésus-Christ » (Récits d'un pèlerin russe). Il récupère un peu de cet état d'innocence que possédait Adam avant le péché, lorsque tous les animaux lui étaient soumis ; l'âme sanctifie son corps et les animaux s'en rendent compte : «Cette force d'innocence est ressentie par eux surtout au moyen de l'odorat, car le nez est l'organe essentiel des sens chez l'animal » (Ibid). Douze siècles plus tôt, Issac le Syrien mentionnait déjà l' «odeur de paradis ».

En 1878, Dostoïevski se rend au même couvent d'Optino où il y rencontre le starets Ambroise, qui lui sert de modèle pour le starets Zossime dans Les frères Karamazov. Zossime raconte l'histoire de son frère aîné qui peu avant de mourir se mit à demander pardon aux oiseaux en pleurant de joie : «Oui, la gloire de Dieu m'entourait : les oiseaux, les arbres, les prairies, le ciel ; moi seul, je vivais dans la honte, déshonorant la Création » (Les Frères Karamazov). Avec une simplicité bouleversante, Dostoïevski retrouve l'affirmation de Paul selon laquelle «la Création tout entière gémit dans les douleurs de l'enfantement » et « attend avec impatience la révélation des enfants de Dieu». Comme en témoigne Zossime, dès maintenant le repentir de l'homme peut soulager la souffrance de la Création.

Plus près de nous enfin, l'on trouve tous ces chrétiens amis de la nature qui se rassembleront dans le scoutisme. Ce mouvement de pensée et d'action a contribué à réinsérer ses adhérents dans la Création, non sans soulever des résistances de la part de chrétiens jansénistes qui les taxaient de paganisme, alors qu'ils ne faisaient que rétablir la grande alliance avec la nature que les croyants des derniers siècles avaient beaucoup trop perdu de vue. Guy de Larigaudie a fait rêver plusieurs générations d'adolescents, à qui il proposait une mystique de l'amour du monde aux antipodes d'un naturalisme païen parfois dangereusement exalté. Dans l'élan de sa jeunesse éblouie, Larigaudie se jette à la rencontre des créatures. La splendeur du monde relance son désir, elle lui fait signe au sens littéral du mot, offrant une indication décisive que la source est ailleurs. Voilà pourquoi, deux ans avant d'être tué à la guerre, il ne craint pas de mourir, comme il l'écrit dans Le beau jeu de ma vie  : «J'ai toujours eu au fond de moi, la nostalgie du ciel, plus encore maintenant où je connais mieux les beautés du monde. Le ciel sera l'épanouissement, la plénitude de toutes ces beautés».

 

SL - FCI

 

 

 

13:25 Publié dans Ecologie, Idées, Synthèses | Lien permanent | Tags : écologie, christianisme