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La ”Lettre du pape François au peuple de Dieu”
C'est le moment de relire cet appel lancé à tous par le pape François le 20 août 2018 : "Je constate, une fois encore, la souffrance vécue par de nombreux mineurs à cause d’abus sexuels, d’abus de pouvoir et de conscience, commis par un nombre important de clercs et de personnes consacrées..." Voici ce texte, suivi de nos commentaires à l'époque :
LETTRE DU PAPE FRANÇOIS
AU PEUPLE DE DIEU
« Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui » (1 Cor 12,26). Ces paroles de saint Paul résonnent avec force en mon cœur alors que je constate, une fois encore, la souffrance vécue par de nombreux mineurs à cause d’abus sexuels, d’abus de pouvoir et de conscience, commis par un nombre important de clercs et de personnes consacrées. Un crime qui génère de profondes blessures faites de douleur et d’impuissance, en premier lieu chez les victimes, mais aussi chez leurs proches et dans toute la communauté, qu’elle soit composée de croyants ou d’incroyants. Considérant le passé, ce que l’on peut faire pour demander pardon et réparation du dommage causé ne sera jamais suffisant. Considérant l’avenir, rien ne doit être négligé pour promouvoir une culture capable non seulement de faire en sorte que de telles situations ne se reproduisent pas mais encore que celles-ci ne puissent trouver de terrains propices pour être dissimulées et perpétuées. La douleur des victimes et de leurs familles est aussi notre douleur ; pour cette raison, il est urgent de réaffirmer une fois encore notre engagement pour garantir la protection des mineurs et des adultes vulnérables.
1. Si un membre souffre
Ces derniers jours est paru un rapport détaillant le vécu d’au moins mille personnes qui ont été victimes d’abus sexuel, d’abus de pouvoir et de conscience, perpétrés par des prêtres pendant à peu près soixante-dix ans. Bien qu’on puisse dire que la majorité des cas appartient au passé, la douleur de nombre de ces victimes nous est parvenue au cours du temps et nous pouvons constater que les blessures infligées ne disparaissent jamais, ce qui nous oblige à condamner avec force ces atrocités et à redoubler d’efforts pour éradiquer cette culture de mort, les blessures ne connaissent jamais de « prescription ». La douleur de ces victimes est une plainte qui monte vers le ciel, qui pénètre jusqu’à l’âme et qui, durant trop longtemps, a été ignorée, silencieuse ou passé sous silence. Mais leur cri a été plus fort que toutes les mesures qui ont entendu le réprimer ou bien qui, en même temps, prétendaient le faire cesser en prenant des décisions qui en augmentaient la gravité jusqu’à tomber dans la complicité. Un cri qui fut entendu par le Seigneur en nous montrant une fois encore de quel côté il veut se tenir. Le Cantique de Marie ne dit pas autre chose et comme un arrière-fond, continue à parcourir l’histoire parce que le Seigneur se souvient de la promesse faite à nos pères : « Il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides » (Lc 1, 51-53) ; et nous ressentons de la honte lorsque nous constatons que notre style de vie a démenti et dément ce que notre voix proclame.
Avec honte et repentir, en tant que communauté ecclésiale, nous reconnaissons que nous n’avons pas su être là où nous le devions, que nous n’avons pas agi en temps voulu en reconnaissant l’ampleur et la gravité du dommage qui était infligé à tant de vies. Nous avons négligé et abandonné les petits. Je fais miennes les paroles de l’alors cardinal Ratzinger lorsque, durant le Chemin de Croix écrit pour le Vendredi Saint de 2005, il s’unit au cri de douleur de tant de victimes en disant avec force : « Que de souillures dans l’Église, et particulièrement parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient lui appartenir totalement ! Combien d’orgueil et d’autosuffisance ! […] La trahison des disciples, la réception indigne de son Corps et de son Sang sont certainement les plus grandes souffrances du Rédempteur, celles qui lui transpercent le cœur. Il ne nous reste plus qu’à lui adresser, du plus profond de notre âme, ce cri : Kyrie, eleison – Seigneur, sauve-nous (cf. Mt 8, 25) » (Neuvième Station).
2. Tous les membres souffrent avec lui
L’ampleur et la gravité des faits exigent que nous réagissions de manière globale et communautaire. S’il est important et nécessaire pour tout chemin de conversion de prendre connaissance de ce qui s’est passé, cela n’est pourtant pas suffisant. Aujourd’hui nous avons à relever le défi en tant que peuple de Dieu d’assumer la douleur de nos frères blessés dans leur chair et dans leur esprit. Si par le passé l’omission a pu être tenue pour une forme de réponse, nous voulons aujourd’hui que la solidarité, entendue dans son acception plus profonde et exigeante, caractérise notre façon de bâtir le présent et l’avenir, en un espace où les conflits, les tensions et surtout les victimes de tout type d’abus puissent trouver une main tendue qui les protège et les sauve de leur douleur (Cf. Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n.228). Cette solidarité à son tour exige de nous que nous dénoncions tout ce qui met en péril l’intégrité de toute personne. Solidarité qui demande de lutter contre tout type de corruption, spécialement la corruption spirituelle, « car il s’agit d’un aveuglement confortable et autosuffisant où tout finit par sembler licite : la tromperie, la calomnie, l’égoïsme et d’autres formes subtiles d’autoréférentialité, puisque "Satan lui-même se déguise en ange de lumière" (2Co 11,14) » (Exhort. ap. Gaudete et Exsultate, n.165). L’appel de saint Paul à souffrir avec celui qui souffre est le meilleur remède contre toute volonté de continuer à reproduire entre nous les paroles de Caïn : « Est-ce que je suis, moi, le gardien de mon frère ? » (Gn 4,9).
Je suis conscient de l’effort et du travail réalisés en différentes parties du monde pour garantir et créer les médiations nécessaires pour apporter sécurité et protéger l’intégrité des mineurs et des adultes vulnérables, ainsi que de la mise en œuvre de la tolérance zéro et des façons de rendre compte de la part de tous ceux qui commettent ou dissimulent ces délits. Nous avons tardé dans l’application de ces mesures et sanctions si nécessaires, mais j’ai la conviction qu’elles aideront à garantir une plus grande culture de la protection pour le présent et l’avenir.
Conjointement à ces efforts, il est nécessaire que chaque baptisé se sente engagé dans la transformation ecclésiale et sociale dont nous avons tant besoin. Une telle transformation nécessite la conversion personnelle et communautaire et nous pousse à regarder dans la même direction que celle indiquée par le Seigneur. Ainsi saint Jean-Paul II se plaisait à dire : « Si nous sommes vraiment repartis de la contemplation du Christ, nous devrons savoir le découvrir surtout dans le visage de ceux auxquels il a voulu lui-même s'identifier » (Lett. ap. Novo Millenio Ineunte, n.49). Apprendre à regarder dans la même direction que le Seigneur, à être là où le Seigneur désire que nous soyons, à convertir notre cœur en sa présence. Pour cela, la prière et la pénitence nous aideront. J’invite tout le saint peuple fidèle de Dieu à l’exercice pénitentiel de la prière et du jeûne, conformément au commandement du Seigneur[1], pour réveiller notre conscience, notre solidarité et notre engagement en faveur d’une culture de la protection et du « jamais plus » à tout type et forme d’abus.
Il est impossible d’imaginer une conversion de l’agir ecclésial sans la participation active de toutes les composantes du peuple de Dieu. Plus encore, chaque fois que nous avons tenté de supplanter, de faire taire, d’ignorer, de réduire le peuple de Dieu à de petites élites, nous avons construit des communautés, des projets, des choix théologiques, des spiritualités et des structures sans racine, sans mémoire, sans visage, sans corps et, en définitive, sans vie [2].
Cela se manifeste clairement dans une manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Eglise – si commune dans nombre de communautés dans lesquelles se sont vérifiés des abus sexuels, des abus de pouvoir et de conscience – comme l’est le cléricalisme, cette attitude qui « annule non seulement la personnalité des chrétiens, mais tend également à diminuer et à sous-évaluer la grâce baptismale que l’Esprit Saint a placée dans le cœur de notre peuple »[3]. Le cléricalisme, favorisé par les prêtres eux-mêmes ou par les laïcs, engendre une scission dans le corps ecclésial qui encourage et aide à perpétuer beaucoup des maux que nous dénonçons aujourd’hui. Dire non aux abus, c’est dire non, de façon catégorique, à toute forme de cléricalisme.
Il est toujours bon de rappeler que le Seigneur, « dans l’histoire du salut, a sauvé un peuple. Il n’y a pas d’identité pleine sans l’appartenance à un peuple. C’est pourquoi personne n’est sauvé seul, en tant qu’individu isolé, mais Dieu nous attire en prenant en compte la trame complexe des relations interpersonnelles qui s’établissent dans la communauté humaine : Dieu a voulu entrer dans une dynamique populaire, dans la dynamique d’un peuple » (Exhort. ap. Gaudete et Exsultate, n.6). Ainsi, le seul chemin que nous ayons pour répondre à ce mal qui a gâché tant de vies est celui d’un devoir qui mobilise chacun et appartient à tous comme peuple de Dieu. Cette conscience de nous sentir membre d’un peuple et d’une histoire commune nous permettra de reconnaitre nos péchés et nos erreurs du passé avec une ouverture pénitentielle susceptible de nous laisser renouveler de l’intérieur. Tout ce qui se fait pour éradiquer la culture de l’abus dans nos communautés sans la participation active de tous les membres de l’Eglise ne réussira pas à créer les dynamiques nécessaires pour obtenir une saine et effective transformation. La dimension pénitentielle du jeûne et de la prière nous aidera en tant que peuple de Dieu à nous mettre face au Seigneur et face à nos frères blessés, comme des pécheurs implorant le pardon et la grâce de la honte et de la conversion, et ainsi à élaborer des actions qui produisent des dynamismes en syntonie avec l’Evangile. Car « chaque fois que nous cherchons à revenir à la source pour récupérer la fraîcheur originale de l’Évangile, surgissent de nouvelles voies, des méthodes créatives, d’autres formes d’expression, des signes plus éloquents, des paroles chargées de sens renouvelé pour le monde d’aujourd’hui » (Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n.11).
Il est essentiel que, comme Eglise, nous puissions reconnaitre et condamner avec douleur et honte les atrocités commises par des personnes consacrées, par des membres du clergé, mais aussi par tous ceux qui ont la mission de veiller sur les plus vulnérables et de les protéger. Demandons pardon pour nos propres péchés et pour ceux des autres. La conscience du péché nous aide à reconnaitre les erreurs, les méfaits et les blessures générés dans le passé et nous donne de nous ouvrir et de nous engager davantage pour le présent sur le chemin d’une conversion renouvelée.
En même temps, la pénitence et la prière nous aideront à sensibiliser nos yeux et notre cœur à la souffrance de l’autre et à vaincre l’appétit de domination et de possession, très souvent à l’origine de ces maux. Que le jeûne et la prière ouvrent nos oreilles à la douleur silencieuse des enfants, des jeunes et des personnes handicapées. Que le jeûne nous donne faim et soif de justice et nous pousse à marcher dans la vérité en soutenant toutes les médiations judiciaires qui sont nécessaires. Un jeûne qui nous secoue et nous fasse nous engager dans la vérité et dans la charité envers tous les hommes de bonne volonté et envers la société en général, afin de lutter contre tout type d’abus sexuel, d’abus de pouvoir et de conscience.
De cette façon, nous pourrons rendre transparente la vocation à laquelle nous avons été appelés d’être « le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Conc. Oecum. Vat.II, Lumen Gentium, n.1).
« Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui », nous disait saint Paul. Au moyen de la prière et de la pénitence, nous pourrons entrer en syntonie personnelle et communautaire avec cette exhortation afin que grandisse parmi nous le don de la compassion, de la justice, de la prévention et de la réparation. Marie a su se tenir au pied de la croix de son fils. Elle ne l’a pas fait de n’importe quelle manière mais bien en se tenant fermement debout et à son côté. Par cette attitude, elle exprime sa façon de se tenir dans la vie. Lorsque nous faisons l’expérience de la désolation que nous causent ces plaies ecclésiales, avec Marie il est nous bon «de donner plus de temps à la prière » (S. Ignace de Loyola, Exercices Spirituels, 319), cherchant à grandir davantage dans l’amour et la fidélité à l’Eglise. Elle, la première disciple, montre à nous tous qui sommes disciples comment nous devons nous comporter face à la souffrance de l’innocent, sans fuir et sans pusillanimité. Contempler Marie c’est apprendre à découvrir où et comment le disciple du Christ doit se tenir.
Que l’Esprit Saint nous donne la grâce de la conversion et l’onction intérieure pour pouvoir exprimer, devant ces crimes d’abus, notre compassion et notre décision de lutter avec courage.
Du Vatican, le 20 août 2018.
François
[1] « Mais cette sorte de démons ne se chasse que par la prière et par le jeûne » (Mt 17,21).
[2] Cf. Lettre au peuple de Dieu en marche au Chili, 31 mai 2018.
10/10/2021 | Lien permanent | Commentaires (28)
Sept jours qui ébranlèrent la finance (1)
par Jacques Sapir (directeur d’études à l’EHESS et directeur du CEMI-EHESS) :
La crise financière a connu un tournant majeur dans la semaine qui s’est écoulée entre le dimanche 14 septembre et le vendredi 19septembre 2008. L’accélération brutale des événements a provoqué leur changement de nature. L’accumulation quantitative des chocs a induit leur transformation qualitative. Les représentations des acteurs se sont révélées tout comme elles se sont brutalement transformées. En ce sens les six journées dramatiques qui vont de l’après-midi du dimanche 14 à la clôture de la séance à Wall Street le vendredi 19 constituent un de ces « moments » historiques où sont testées tout autant les stratégies que les doctrines et les théories qui les sous-tendent.
La décision prise par les autorités américaines de créer une gigantesque caisse de défaisance pour tenter, enfin, de dénouer la crise est une étape décisive. Elle était inévitable et survient probablement bien plus tard qu’il n’eut fallu[2]. Cette décision, renforcée par des mesures techniques très contraignantes comme l’interdiction de vente à découvert (short selling) ne met pas fin à la crise. Elle en transforme cependant le processus et conduit à un déplacement du front des événements qui désormais sont susceptibles de survenir.
S’il est encore trop tôt pour prétendre en tirer toutes les leçons, certains enseignements sont d’ores et déjà disponibles et doivent être pris en compte.
I. La folle semaine d’Henry Paulson, Ben Bernanke et de quelques autres…
« Tu montreras cette crise au Peuple. Elle en vaut la peine »
Pcc Danton (sur l’échafaud).
La folle semaine commence un dimanche. Les autorités financières américaines, le Trésor représenté par son Secrétaire Henry Paulson et la FED, représentée par son Président Ben Bernanke, sont au chevet de l’une des plus importantes banques d’investissement américaines et certainement la plus ancienne, Lehman Brothers.
Le malade est gravement atteint et toute la communauté financière le sait depuis la crise de la Bear Stearns au printemps. Cette dernière banque avait été sauvée pour éviter justement la faillite de Lehman et l’affaiblissement irrémédiable de Merrill Lynch et Morgan Stanley. Mais la situation est différente en cette mi-septembre. Les autorités financières américaines ont du se porter au secours des deux principaux assureurs de prêts hypothécaires, Fannie Mae et Freddie Mac, aboutissant de fait à nationaliser ces deux institutions. La grogne monte des rangs du Parti Republicain devant ce que certains appellent le « socialisme » de Paulson. Le candidat du parti, McCain, remis en selle face à son adversaire Démocrate par la guerre d’Ossétie du Sud, joue à fond du discours ultra-libéral traditionnel de la droite des Républicains, à laquelle il s’est allié en prenant S. Palin comme co-listière.
Devant le refus des deux banques privées consultées pour une reprise de Lehman, Paulson décide de laisser mourir le malade et d’annoncer que le Trésor ne se portera pas à son secours. Cette décision constitue le premier tournant important dans l’attitude des autorités américaines. L’annonce le lundi matin de la faillite de Lehman Brothers va enclencher la suite des événements de cette semaine fatidique.
On peut donner à la décision du Secrétaire au Trésor bien des explications techniques, mais elles sont boiteuses.
Paulson aurait voulu casser la spirale de l’aléa moral que la multiplication des interventions publiques aurait initiée. Mais un tel argument suppose que l’aléa moral est un risque plus grand à court terme que la crise systémique, ce que dément toute étude sérieuse des crises financières[3]. L’irresponsabilité des acteurs, que l’on assimile parfois un peu imprudemment à l’aléa moral en oubliant que ce dernier est un concept lié à un cadre théorique particulier et en réalité très fragile[4], est un problème qui se manifeste dans le moyen terme. Cette irresponsabilité est sans doute plus et mieux explicable par les structures de rémunération au seins des banques et des sociétés financières que par une garantie de sauvetage accordée par les autorités publiques.
Un autre argument évoqué est que Paulson, issu de l’une des plus fameuses banques d’investissement de Wall Street, Goldman Sachs, n’aurait pas voulu donner l’impression qu’il faisait passer ses intérêts d’ancien acteur du système avant ses responsabilités gouvernementales. Mais l’enjeu est bien trop important pour qu’un sauvetage de Lehman puisse être porté au crédit d’une quelconque faiblesse de Paulson envers d’anciens confrères.
Un troisième argument, plus sérieux, est que Paulson savait que l’Etat devrait intervenir rapidement. L’assureur AIG était au bord de la faillite et ses encours pouvaient avoir un effet autrement plus déstabilisant sur le système financier. Une manière de rationaliser la décision de Paulson consiste à dire que ce dernier aurait voulu envoyer au marché un signal clair que désormais on distinguerait l’essentiel du superflu, Fannie Mae et Freddie Mac[5] étant l’essentiel et Lehman le superflu. Cette explication serait recevable si tel avait été le discours tenu par les autorités américaines. Une déclaration publique de Paulson et du Président Bush affirmant que les autorités ne cèderaient pas sur l’essentiel mais ne gaspilleraient pas leur temps sur des fronts secondaires eut pu – peut être – cautériser la plaie. Or, le discours qui fut tenu dans la nuit du 14 au 15 septembre et dans la matinée du lundi fut le pire de tous : « le marché doit s’occuper du marché ». Sans doute était-ce ce que la droite républicaine et le Financial Times voulaient entendre[6]. Mais ce tournant idéologique vers un soi-disant retour aux valeurs du libéralisme est absolument inadéquat et ne répond pas aux urgences de l’heure.
Une autre interprétation à mon sens plus robuste, est que la décision de Paulson a été surdéterminée par une impasse stratégique et des préoccupations politiciennes de court terme.
L’impasse stratégique est celle dans laquelle les autorités américaines, Trésor et FED, se sont mises en s’engageant à traiter au coup par coup les chocs financiers à partir de la crise de la Bear Stearns[7]. Paulson et Bernanke ont adopté ce qui, en langage militaire, s’appelle une défense en ligne continue. Quand l’ennemi perce en un point, on colmate et l’on cherche à réparer la ligne. Dans une situation aussi mouvante qu’une crise financière majeure, c’est une erreur aussi tragique que celle de Gamelin en mai-juin 1940. Ce qui caractérise une telle erreur s’est qu’elle s’auto-renforce. Une fois prise la décision de défendre une ligne continue, on devient rapidement absorbé par chaque choc tactique que l’on cherche à réparer. La stratégie se réduit rapidement dans les représentations des acteurs à une suite d’opérations tactiques, conduisant à une perte de la vue d’ensemble du problème. Cette dilution de la stratégie dans la tactique, induit alors une crise de confiance entre les exécutants et les décideurs, ce que l’on appelle une « crise de leadership ».
À ce problème vient s’ajouter la dynamique de la campagne électorale américaine. La convention du Parti Républicain avait permis à McCain de reprendre un avantage sur Obama. Le discours anti-russe au moment de la guerre d’Ossétie du Sud permet au candidat républicain de conforter cet avantage. Mais, tout le monde sait qu’il est fragile sur le terrain économique. Il faut éviter de donner des arguments aux démocrates et pour remobiliser la droite du parti Républicain, le « retour aux valeurs » s’impose. La décision de Paulson, quelle qu’ait pu en être la raison fondamentale, est ainsi habillée idéologiquement. Mais ces habits en sont sa tunique de Nessus. Venant en sus du sentiment de « crise de leadership » induit par la dilution en tactique de la stratégie adoptée jusque là, cet habillage idéologique accélère la crainte des opérateurs d’une démission des autorités (ou de leur profonde irresponsabilité) face à la crise.
Le résultat ne se fait pas attendre. La journée du lundi 15 est marquée par de fortes baisses des cours. Le placement de Lehman Brothers sous la protection de l’Article 11 déclenche l’activation de la chaîne des Credit Default Swaps, les CDS qui sont une des courroie de transmission de la crise. L’assureur AIG est le plus directement touché[8]. Le doute touche d’autres institutions bancaires. Merrill Lynch doit se laisser absorber par Bank of America, Morgan Stanley et même Goldman Sachs inspirent une méfiance croissante qui se traduit par une baisse rapide de leur valeur. Une des grandes banques d’épargne, Washington Mutual est dans une situation dangereuse et se voit dégrader par Standard & Poor’s, tandis que de lourdes incertitudes pèsent sur Wachovia. La possibilité de voir les établissements bancaires américains s’effondrer tels des dominos devient à chaque heure qui passe plus crédible, et le nombre de banques régionales sous pression augmente rapidement, passant de 110 dans les estimations fournies le 12 septembre à 147 dans celles du 16 septembre.
La posture prise par Henry Paulson dans la nuit du dimanche au lundi s’est donc révélée pleinement inefficace. En fait, il semble bien que ce soit le sauvetage final de Fannie Mae et Freddie Mac le 7 septembre qui ait persuadé les opérateurs de la gravité de la situation. Dans un tel contexte, le retour du refoulé libéral de l’administration américaine ne pouvait qu’aggraver considérablement les inquiétudes[9].
Dès mardi matin, il est clair que la situation s’est considérablement dégradée. Le risque de système qu’une faillite potentielle de AIG fait courir est tel que Paulson doit intervenir. Le mythe d’une « caisse de secours privée » constituée par les principales banques ne résiste pas à l’urgence. Ce mythe était une résurgence de l’une des pires erreurs de 1929, quand le gouvernement américain avait demandé à Rockefeller de prendre la tête d’un « syndicat de banquiers » pour stopper la crise, avec le résultat que l’on connaît. Le Trésor et la FED doivent passer à l’action et le discours du « marché sauvera le marché », passe par la fenêtre. Le Trésor s’engage dans une opération financièrement lourde en décidant d’acquérir près de 80% d’AIG avec un prêt-relais du FED de 80 milliards de Dollars. C’est bien à une nationalisation en bonne et due forme que l’on assiste, financée par de la création monétaire.
Prise comme telle, la décision de Paulson et Bernanke est unique dans l’histoire des Etats-Unis depuis la contre-révolution conservatrice de Reagan. Mais ce qui est encore plus unique est qu’un acte d’une telle ampleur et d’une telle signification ne rétablit pas la confiance. Bien au contraire. La journée du mercredi 17 est désastreuse.
Reprenons la métaphore militaire, car elle permet de donner du sens à la succession de nouvelles qui tombe des agences de presse et remplissent les écrans d’ordinateurs. Sentant le front craquer, Paulson et Bernanke ont lancé une contre-attaque importante. Ils sécurisent le saillant que l’ennemi menaçait mais ils n’ont ni cassé l’offensive, ni rétabli la confiance au sein de leurs troupes. Le sauvetage de AIG, c’est Abbeville fin mai 40 : un succès tactique mais qui ne change en rien la situation stratégique. Cette dernière s’aggrave d’ailleurs d’heure en heure obligeant les Banques Centrales à faire donner les réserves. Le FED promet 180 milliards de Dollars, la BCE, 110, la Banque du Japon, 60[10]. Les milliards tombent comme obus à Gravelotte. C’est désormais au Trésor de prêter au FED[11].
Il se produit alors, dans la nuit du mercredi 17 au jeudi 18 septembre un événement incroyable. Tout le monde s’attend à ce qu’une telle injection de liquidités provoque une forte réaction positive des marchés. Et c’est l’inverse qui se produit ! Si les cours « aux futurs » sont à la hausse dans les 2 heures qui précèdent l’ouverture sur toutes les grandes bourses, moins de 2 heures après l’ouverture, on a plongé dans le rouge. Le LIBOR à 3 mois monte à un niveau inconnu depuis le krach d’octobre 1987[12]. Mais il y a encore plus grave : pour la première fois des doutes se font jour sur la dette souveraine américaine. Le coût des CDS assurant des Bons du Trésor américain devient désormais très sensiblement supérieur à ceux assurant la dette japonaise.
La situation est alors d’une extrême gravité. Il est clair que la stratégie adoptée par Paulson et Bernanke au printemps 2008 a atteint ses limites. La crise d’autorité est totale et la panique menace. Dans la nuit du jeudi au vendredi Paulson et Bernanke décident, enfin, de changer radicalement de stratégie et de s’engager dans la seule voie qui reste possible : la constitution d’une gigantesque « caisse de défaisance » qui absorbera les mauvais actifs détenus dans le système bancaire et chez les assureurs américains[13]. Cette décision s’accompagne de mesures techniques importantes. L’autorité des marchés financiers de Londres décide d’interdire provisoirement les ventes à découvert (short selling) un mouvement imité dans la nuit par la SEC de Wall Street[14], qui fournit alors une liste de 800 sociétés concernées par cette interdiction[15]. Rapidement, on assiste à une course effrénée des grandes sociétés américaines pour figurer sur cette liste, qui constitue une garantie contre l’action des spéculateurs[16]. Cette mesure sera reprise par les autorités de surveillance des marchés financiers en Australie, Irlande, Suisse et France dans les heures qui suivront.
Cette décision est bien le choc que les opérateurs financiers attendaient. Que des survivants du monétarisme le plus recuit puissent hurler au « socialisme » et traiter les autorités financières américaines de « françaises »[17], la pire injure qu’il soit dans la bouche d’un libéral Néo-Con, ne change rien à l’affaire. Ce qui devait être fait a été fait.
La réaction des marchés est spectaculaire. La hausse se propage de Tokyo à Wall Street, avec l’aide des États qui, en Chine et en Russie, donnent de sérieux coups de pouce sur leurs propres marchés[18]. Le coût d’une telle opération risque d’être élevé, et d’autant plus élevé que l’on aura tardé. L’ancien économiste en chef du FMI, K. Rogoff, avance le vendredi une estimation des montants nécessaires qui est comprise entre 1000 et 2000 milliards de Dollars[19].
La semaine n’est cependant pas encore finie quand Wall Street clôture vendredi soir. Un dernier écho de la crise sera la décision historique dimanche 21 septembre de Goldman Sachs et Morgan Stanley de changer de statut afin de devenir des « Bank Holding Companies »[20]. Cette décision, qui met fin à leur existence en tant que banques d’investissement indépendantes, a été dictée par la nécessité pour ces deux banques de pouvoir avoir recours aux lignes de crédit ouvertes par le FED et administrée par la Federal Reserve Bank of New York. Venant après la faillite de Lehman Brothers, qui ouvrit cette « folle semaines » et le rachat de Merrill Lynch, cette décision clôt une époque, celle où Wall Street était dominé par les grandes banques d’investissement indépendantes, réputées faire la pluie et le beau temps sur le marché. De ces dernières, il ne reste plus désormais que J.P. Morgan.
Pour le spécialiste de la Russie, voir Goldman Sachs venir ainsi à Canossa dix ans après la crise de 1998 n’est pas sans ironie ni satisfaction.
II. Changements dans les représentations et enseignements.
« Bien que ce soit de la folie, cela ne manque pas de méthode[21] »
Polonius
Hamlet, Acte II, scène 2
Il ne fait aucun doute que cette « folle semaine » laissera des traces profondes non seulement dans l’économie, mais aussi dans les représentations. Le retour de l’État a signifié un brutal retour du principe de réalité. Ceci n’implique pourtant pas que le travail d’excuse et d’auto-justification ne soit en place. Il implique donc de bien préciser les leçons que l’on peut tirer des événements de ces derniers jours.
Typique de ce travail d’auto-justification est le discours apparemment critique tenu par divers responsables politiques. Ainsi, en France, le Premier Ministre François Fillon va-t-il depuis Rome dénoncer le « dévoiement de la finance » comme l’une des cause de cette crise. Aux Etats-Unis John McCain, qui s’est illustré durant cette semaine par un mémorable « les fondamentaux de l’économie américaines sont sains » concentre désormais ses critiques contre l’irresponsabilité des banquiers et le soutien qu’ils trouvent auprès du gouvernement. L’attaque contre le « Big business » et le « Big government » est au sein de la droite du parti Républicain la réaction classique aux difficultés. Au-delà de ces déclarations, on voit bien la ligne de défense qui se met en place : la crise que l’on a connue est le produit de quelques irresponsables et d’une insuffisance de réglementations qui a permis le développement de pratiques peu transparentes. Le système n’a pas failli, même si certains de ses membres sont coupables. Qui a travaillé sur le système soviétique connaît bien la logique autistique d’un tel discours.
La réalité est bien différente. Les dérives de la finance américaine qui ont contaminé une bonne partie de la finance mondiale sont d’abord et avant tout le produit de la crise d’un modèle de développement, celui du neo-libéralisme américain qui prétend développer une économie capitaliste en comprimant toujours plus les salaires et en conduisant une fraction toujours plus grande de la population de la paupérisation relative à la paupérisation absolue.
Aux Etats-Unis, entre 2000 et 2007, le revenu moyen s’est accru d’environ 2,5% par an quand le revenu du salarié médian n’a progressé que de 0,1%[22] ; le revenu réel du ménage médian a quant à lui baissé durant cette période, sous l’effet de la pression à la baisse des rémunérations induit par le libre-échange[23].
Le coût des assurances de santé par contre a fortement augmenté (+68% de 2000 à 2007) ainsi que les frais d’éducations (+46%)[24]. La proportion des habitants sans couverture pour les frais de santé est passée de 13,9% à 15,6% entre 2000 et 2007[25]. Dans ces conditions, seul l’endettement a permis aux classes moyennes de maintenir leur niveau de vie. Il prend alors la forme du crédit hypothécaire qui est devenu un instrument de crédit global, se substituant en partie aux formes traditionnelles de crédit à la consommation. Quand la valeur du bien immobilier s’accroît, la différence entre la valeur vénale théorique du bien et le montant gagé dans l’hypothèque, peut être mobilisée par l’emprunteur. C’est le Home Equity Extraction. Les banques accordent des crédits renouvelables fondés sur cette différence (Home Equity Line Of Credit ou HELOC). Ceci permet de comprendre la montée explosive de l’endettement des ménages américains, qui représente aujourd’hui 93% du PIB (dont 77% du PIB pour le seul endettement hypothécaire).
L’appréciation des actifs, biens immobiliers (+52% de 2003 à 2006) mais aussi actions et obligations, a produit un effet de richesse positif qui a conduit les ménages à diminuer leur effort d’épargne, ce que l’on constate en parallèle avec l’explosion de l’endettement.
(à suivre)
22/09/2008 | Lien permanent | Commentaires (7)
Le discours du pape aux ambassadeurs
A lire ici in extenso. Ce texte est loin de se résumer au sujet sur lequel les dépêches ont titré : « l'avortement », en réalité une seule phrase de 126 signes (sur un texte de plus de 16 000 signes abordant tous les grands sujets du monde actuel)...
<< L’année qui vient de se conclure a été particulièrement dense en événements non seulement dans la vie de l’Église, mais aussi dans le domaine des relations que le Saint-Siège entretient avec les États et les Organisations internationales. Je rappelle, en particulier, l’établissement des relations diplomatiques avec le Sud Soudan, la signature d’accords, de base ou spécifiques, avec le Cap-Vert, la Hongrie et le Tchad, et la ratification de celui avec la Guinée Équatoriale souscrit en 2012. La présence du Saint-Siège s’est aussi développée dans le domaine régional, que ce soit en Amérique centrale, où il est devenu Observateur Extrarégional auprès du Sistema de la Integración Centroamericana, ou en Afrique, avec l’accréditation du premier Observateur Permanent auprès de la Communauté économique des États de l’Afrique occidentale.
Dans le message pour la Journée mondiale de la Paix, consacré à la fraternité comme fondement et chemin pour la paix, j’ai souligné que « la fraternité commence habituellement à s’apprendre au sein de la famille » qui, « par vocation devrait gagner le monde par son amour » et contribuer à faire mûrir cet esprit de service et de partage qui construit la paix. C’est ce que nous raconte la crèche, où nous voyons la Sainte Famille non pas seule et isolée du monde, mais entourée des bergers et des mages, c’est-à-dire une communauté ouverte, dans laquelle il y a de la place pour tous, pauvres et riches, proches et lointains. Et on comprend ainsi les paroles de mon bien-aimé prédécesseur Benoît XVI, qui soulignait combien « le lexique familial est un lexique de paix ».
Malheureusement, souvent ce n’est pas ce qui arrive, parce que le nombre des familles divisées et déchirées augmente, non seulement à cause de la conscience fragile du sens de l’appartenance qui caractérise le monde actuel, mais aussi à cause des conditions difficiles dans lesquelles beaucoup d’entre elles sont contraintes de vivre, au point de manquer des moyens-mêmes de subsistance. Par conséquent, des politiques appropriées qui soutiennent, favorisent et consolident la famille sont rendues nécessaires !
Il arrive en outre que les personnes âgées soient considérées comme un poids, tandis que les jeunes ne voient pas devant eux des perspectives sûres pour leur vie. Les aînés et les jeunes sont au contraire l’espérance de l’humanité. Les premiers apportent la sagesse de l’expérience ; les seconds nous ouvrent à l’avenir, empêchant de nous refermer en nous-mêmes. Il est sage de ne pas exclure les personnes âgées de la vie sociale pour maintenir vivante la mémoire d’un peuple. De même, il est bon d’investir sur les jeunes, avec des initiatives adéquates qui les aident à trouver du travail et à fonder un foyer domestique. Il ne faut pas éteindre leur enthousiasme ! Je garde vivante dans mon esprit l’expérience de la XXVIIIème Journée mondiale de la Jeunesse de Rio de Janeiro. Que de jeunes heureux j’ai pu rencontrer ! Que d’espérance et d’attente dans leurs yeux et dans leurs prières ! Que de soif de vie et de désir de s’ouvrir aux autres ! La fermeture et l’isolement créent toujours une atmosphère asphyxiante et lourde, qui tôt ou tard finit par attrister et étouffer. Par contre, un engagement commun de tous est utile pour favoriser une culture de la rencontre, parce que seul celui qui est en mesure d’aller vers les autres est capable de porter du fruit, de créer des liens de communion, d’irradier la joie, de construire la paix.
Les images de destruction et de mort que nous avons eues devant les yeux au cours de l’année qui vient de s’achever le confirment, s’il en était besoin. Que de souffrances, que de désespoir à cause de la fermeture sur soi-même, qui prend peu à peu le visage de l’envie, de l’égoïsme, de la rivalité, de la soif de pouvoir et d’argent ! Il semble, quelquefois, que ces réalités soient destinées à dominer. Noël, au contraire, fonde en nous, chrétiens, la certitude que la parole ultime et définitive appartient au Prince de la Paix, qui change « les épées en soc et les lances en serpes » (cf. Is 2, 4), et transforme l’égoïsme en don de soi et la vengeance en pardon.
C’est avec cette confiance que je désire regarder l’année qui est devant nous. Je ne cesse donc pas d’espérer que le conflit en Syrie ait finalement une fin. La sollicitude pour cette chère population et le désir de conjurer l’aggravation de la violence m’ont amené, en septembre dernier, à promulguer une journée de jeûne et de prière. À travers vous, je remercie profondément tous ceux qui, nombreux dans vos pays, Autorités publiques et personnes de bonne volonté, se sont associés à cette initiative. Il faut maintenant une volonté politique commune renouvelée pour mettre fin au conflit. Dans cette perspective, je souhaite que la Conférence "Genève 2", convoquée pour le 22 janvier prochain, marque le début du chemin désiré de pacification. En même temps, le plein respect du droit humanitaire est incontournable. On ne peut accepter que la population civile sans défense, surtout les enfants, soit frappée. En outre, j’encourage chacun à favoriser et à garantir, de toutes les façons possibles, la nécessaire et urgente assistance d’une grande partie de la population, sans oublier le louable effort des pays, surtout le Liban et la Jordanie, qui avec générosité ont accueilli sur leur territoire les nombreux réfugiés syriens.
Restant au Moyen-Orient, je note avec préoccupation les tensions qui de différentes manières frappent la région. Je regarde avec une particulière inquiétude le prolongement des difficultés politiques au Liban, où un climat de collaboration renouvelée entre les différentes instances de la société civile et les forces politiques est plus que jamais indispensable pour éviter l’aggravation de divergences qui peuvent miner la stabilité du pays. Je pense aussi à l’Égypte, qui a besoin de retrouver une concorde sociale, comme aussi à l’Irak, qui peine à arriver à la paix espérée et à la stabilité. En même temps, je relève avec satisfaction les progrès significatifs accomplis dans le dialogue entre l’Iran et le "Groupe 5+1" sur la question nucléaire.
Partout, la voie pour résoudre les problématiques ouvertes doit être la voie diplomatique du dialogue. C’est le chemin éminent déjà indiqué avec lucidité par le Pape Benoît XV alors qu’il invitait les responsables des Nations européennes à faire prévaloir « la force morale du droit » sur la force « matérielle des armes » pour mettre fin à ce « désastre inutile » qu’a été la Première Guerre mondiale, dont cette année a lieu le centenaire. Il faut « le courage d’aller au-delà de la surface du conflit » pour considérer les autres dans leur dignité la plus profonde, afin que l’unité prévale sur le conflit et qu’il soit « possible de développer une communion dans les différences ». En ce sens, il est positif que les négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens aient été reprises, et je forme le vœu que les Parties soient déterminées à assumer, avec le soutien de la communauté internationale, des décisions courageuses pour trouver une solution juste et durable à un conflit dont la fin se révèle toujours plus nécessaire et urgente. L’exode des chrétiens du Moyen-Orient et du Nord de l’Afrique ne cesse de préoccuper. Ils désirent continuer à faire partie de l’ensemble social, politique et culturel des pays qu’ils ont contribué à édifier, et ils aspirent à concourir au bien commun des sociétés dans lesquelles ils veulent être pleinement insérés, comme des artisans de paix et de réconciliation.
De même en d’autres parties de l’Afrique, les chrétiens sont appelés à témoigner de l’amour et de la miséricorde de Dieu. Il ne faut jamais renoncer à faire le bien, même quand c’est difficile et quand on subit des actes d’intolérance, ou même de vraie persécution. Dans de grandes zones du Nigéria les violences ne cessent pas et beaucoup de sang innocent continue à être versé. Ma pensée va surtout vers la République Centrafricaine, où la population souffre à cause des tensions que le pays traverse, et qui ont semé à plusieurs reprises destructions et mort. Alors que j’assure de ma prière pour les victimes et pour les nombreuses personnes déplacées, contraintes à vivre dans des conditions d’indigence, je souhaite que l’attention de la Communauté internationale contribue à faire cesser les violences, à rétablir l’état de droit et à garantir l’accès des aides humanitaires, même dans les zones les plus reculées du pays. Pour sa part, l’Église catholique continuera d’assurer sa présence et sa collaboration, en se dévouant avec générosité pour fournir toute l’aide possible à la population, et surtout pour reconstruire un climat de réconciliation et de paix entre toutes les composantes de la société. Réconciliation et paix sont aussi des priorités fondamentales en d’autres parties du continent africain. Je me réfère en particulier au Mali, où on remarque la reprise positive des structures démocratiques du pays, comme aussi au Sud Soudan où, au contraire, l’instabilité politique de ces derniers temps a déjà provoqué de nombreux morts et une nouvelle urgence humanitaire.
Le Saint-Siège suit également avec une vive attention les évènements en Asie, où l’Église désire partager les joies et les attentes de tous les peuples qui composent ce vaste et noble continent. À l’occasion du 50ème anniversaire des relations diplomatiques avec la République de Corée, je voudrais implorer de Dieu le don de la réconciliation dans la péninsule, souhaitant que, pour le bien de tout le peuple coréen, les parties concernées ne se lassent pas de chercher des points de rencontre et de possibles solutions. L’Asie, en effet, a une longue histoire de cohabitation pacifique entre ses diverses composantes civiles, ethniques et religieuses. Il faut encourager ce respect réciproque, surtout face à certains signes préoccupants de son affaiblissement, en particulier face à des attitudes croissantes de fermeture qui, s’appuyant sur des motifs religieux, tendent à priver les chrétiens de leurs libertés et à mettre en danger la cohabitation civile. Le Saint-Siège regarde, en revanche, avec grande espérance les signes d’ouverture qui viennent de pays de grande tradition religieuse et culturelle, avec lesquels il désire collaborer à l’édification du bien commun.
La paix, de plus, est blessée par certaines négations de la dignité humaine, en premier lieu par l’impossibilité de se nourrir de manière suffisante. Les visages de tant de personnes qui souffrent de la faim, surtout des enfants, ne peuvent nous laisser indifférents, si l’on pense à tant de nourriture gaspillée chaque jour en de nombreux endroits dans le monde, immergés dans ce que j’ai plusieurs fois défini comme « la culture du déchet ». Malheureusement, ce ne sont pas seulement la nourriture ou les biens superflus qui sont objet de déchet, mais souvent les êtres humains eux-mêmes, qui sont « jetés » comme s’ils étaient des « choses non nécessaires ». Par exemple, la seule pensée que des enfants ne pourront jamais voir la lumière, victimes de l’avortement, nous fait horreur ; ou encore ceux qui sont utilisés comme soldats, violentés ou tués dans les conflits armés, ou ceux qui sont objets de marché dans cette terrible forme d’esclavage moderne qu’est la traite des êtres humains, qui est un crime contre l’humanité.
Le drame des multitudes contraintes à fuir la famine ou les violences et les abus ne peut nous laisser insensibles, en particulier dans la Corne de l’Afrique et dans la région des Grands Lacs. Beaucoup vivent en déplacés ou en réfugiés dans des camps où ils ne sont plus considérés comme des personnes mais comme des numéros anonymes. D’autres, avec l’espérance d’une vie meilleure, entreprennent des voyages de fortune, qui, bien souvent, se terminent tragiquement. Je pense en particulier aux nombreux migrants qui d’Amérique Latine vont aux États-Unis, mais surtout à tous ceux qui d’Afrique ou du Moyen Orient cherchent refuge en Europe.
La brève visite que j’ai faite à Lampedusa en juillet dernier pour prier pour les nombreux naufragés en Méditerranée, est encore vive dans ma mémoire. Malheureusement il y a une indifférence générale devant de semblables tragédies, signe dramatique de la perte du « sens de la responsabilité fraternelle », sur lequel est basé toute société civile. Mais à cette occasion j’ai pu constater aussi l’accueil et le dévouement de beaucoup de personnes. Je souhaite au peuple italien, que je regarde avec affection, également en raison des racines communes qui nous lient, de renouveler son louable engagement de solidarité envers les plus faibles et les sans défense, et, avec l’effort sincère et général des citoyens et des institutions, de dépasser les difficultés actuelles, en retrouvant le climat de créativité sociale constructive qui l’a longtemps caractérisé.
Enfin, je désire mentionner une autre blessure à la paix, qui vient de l’exploitation avide des ressources environnementales. Même si « la nature est à notre disposition », trop souvent « nous ne la respectons pas et nous ne la considérons pas comme un don gratuit dont nous devons prendre soin, et à mettre au service des frères, y compris des générations futures ». Également dans ce cas, il est fait appel à la responsabilité de chacun pour que, dans un esprit fraternel, des politiques respectueuses de notre terre qui est la maison de chacun d’entre nous soient poursuivies. Je me souviens d’un dicton populaire qui dit : « Dieu pardonne toujours, nous, nous pardonnons parfois, la nature – la création – ne pardonne jamais quand elle est maltraitée ! ». D’autre part, nous avons eu devant les yeux les effets dévastateurs de certaines catastrophes naturelles récentes. En particulier, je désire rappeler encore les nombreuses victimes et les graves dévastations aux Philippines et en d’autres pays du Sud-Est asiatique provoquées par le typhon Haiyan.
Excellence, Mesdames et Messieurs,
Le Pape Paul VI remarquait que la paix « ne se réduit pas à une absence de guerre, fruit de l’équilibre toujours précaire des forces. Elle se construit jour après jour, dans la poursuite d’un ordre voulu par Dieu, qui comporte une justice plus parfaite entre les hommes ». Voilà l’esprit qui anime l’action de l’Église partout dans le monde, à travers les prêtres, les missionnaires, les fidèles laïcs, qui avec grand esprit de dévouement, se dépensent, entre autre, en de mult
13/01/2014 | Lien permanent | Commentaires (3)
Annexe du 'Manifeste des chrétiens indignés'
Voir dans ce blog le Manifeste, note du 2/11 - Illustrations apportées -- au point 2 : « Aux côtés du Christ, en route vers une sobriété joyeuse », témoignages :
<< Auteurs de ce manifeste, nous avons voulu laisser le témoignage des changements survenus dans notre vie quotidienne ces dernières années. Dans les pages qui suivront, nous avons retranscrit fidèlement les propos des uns et des autres en les ordonnant comme eux-mêmes l’ont souvent fait :
- le Christ en tête,
- la vie dans l’Église,
- puis le souci des autres et le sens donné à la vie sociale,
- la naissance d’une conscience politique ensuite
- qui débouche enfin concrètement sur l’ajustement de notre vie aux défis de l’époque.
Qui sommes-nous ? Professeurs, musiciens, salariés, cadres d’entreprise, mères au foyer, anthropologues, hauts fonctionnaires, journalistes… Jeunes ou âgés, citadins et habitants des campagnes, mariés, parents ou célibataires, nos horizons vont au-delà des limites habituelles qui fixent souvent les cadres de nos relations d’amitié ! S’il est bien une caractéristique de notre groupe, c’est sa diversité.
De plus, les épreuves de la vie n’ont pas épargné certains d’entre nous : « Mon épouse et moi-même avons deux jeunes enfants, et le dernier, atteint d'un handicap psychomoteur, est incapable de s'alimenter. Par la grâce de Dieu toute la famille va très bien et ce qui fut d'abord une épreuve se trouve être depuis, et au quotidien, une véritable grâce. » Une seconde famille a également un fils malade, et un couple attend toujours l’enfant qui ne vient pas. Bref, nous vivons bien sur la même planète que vous qui nous lisez !
I Le Christ et l’Église sont au cœur de nos vies.
Nous cherchons tous le Christ.
Dans notre groupe, les convertis ou ‘’born again’’ sont nombreux. Le chemin de foi n’est pas évident pour autant, mais il est envers et contre tout le fil rouge de nos existences et le socle de nos engagements.
- « Aux côtés de celle qui est devenue depuis ma femme, j'ai découvert la foi chrétienne. La grâce de la conversion s'est affirmée clairement au cours d'une retraite au foyer de charité de Tressaint. Les longues heures de "méditation transcendantale" se sont muées en heures de prières. Après trois ans de catéchuménat, j'ai reçu le baptême. J'avais alors vingt-cinq ans et je suis né. »
- « Ma vie a basculé un beau jour de décembre 2003. Ce jour-là, depuis le milieu de l’étouffante impasse dans laquelle je me trouvais alors, le Seigneur, dans sa délicatesse infinie, est venu se présenter à moi, me saisissant de tout son amour et me faisant le don de la foi. »
- « Je me considère comme un converti, même s’il semblerait qu’on me qualifie plutôt de “recommençant ”. »
- « [Tout cela] mériterait d'être complété par une petite phrase qui m'accompagne au quotidien depuis qu'un prêtre me l'a suggérée : “Ô Jésus doux et humble de cœur, rends mon cœur semblable au tien". »
- « Je viens d'une famille de Corses pieds-noirs. J'ai grandi dans un milieu traditionnel limite intégriste. J'ai donc eu une éducation religieuse sérieuse mais très ritualiste et fortement identitaire. J'ai passé une partie de mon enfance dans les cités HLM de Marseille avant de partir vers la Côte d'Azur. C'est à l'âge de 18 ans, quand un ami de lycée m'a littéralement traîné à l'aumônerie que j'ai commencé ce que j'appelle ma conversion en découvrant grâce à un prêtre issu du Renouveau charismatique ce qu'était la foi en Christ. Puis j'ai entamé mon chemin avec des périodes de confiance et d'abandon total et des moments de découragement, voire d'effondrement, de révolte, de luttes très dures. La découverte du blog de Patrice de Plunkett fut pour moi une immense ouverture. Je découvrais la doctrine sociale de l’Église et la confirmation que la foi n’est pas un drapeau ou une identité mais uniquement une rencontre personnelle. Cela me permit d’achever une conversion commencée il y a longtemps. »
- « Nous sommes ancrés dans notre foi en Christ et nourris quotidiennement par la lecture et relecture des Évangiles. […] Toutes nos actions écologiques et sociales ne prennent vraiment sens que dans cette foi catholique. »
Nous prenons part à la vie de l’Église dont nous sommes les enfants.
Certains se sont engagés dans le scoutisme, d’autres dans l’animation de groupes de prière (prière des mères, prière entre voisins). Les uns sont responsables d’un groupe paroissial d’adoration, beaucoup sont membres de l’équipe d’animation paroissiale (service de la liturgie, animation des chants…), d’autres encore membres de groupes d’Action catholique. Ici un membre lié au mouvement des Focolari, là un autre membre qui appartient à la communauté de l’Emmanuel, d’autres à la Communauté Vie Chrétienne (CVX) ou encore un qui passe une année dans une École de charité et mission.
- « Le groupe de jeunes couples auquel nous appartenons sert par ailleurs d’équipe liturgique certaines semaines.»
II Notre foi, la doctrine sociale de l’Église et les enjeux de notre époque conduisent nécessairement nos choix de vie personnels ou familiaux vers la sobriété.
1. Nos choix de vie ont une portée largement spirituelle.
Chrétiens, nous essayons d’abord de vivre dans l’unité. Vie spirituelle et vie sociale ne peuvent pas rester longtemps séparées. Nous ne cherchons pas à nous donner bonne conscience mais à engager une transformation intérieure qui désencombre nos vies en la libérant de la surenchère matérialiste qui caractérise notre temps. Cette vie intérieure contribue à éclairer la portée de nos choix de vie, et en particulier nos responsabilités dans cette époque qui a exploité sans retenue des ressources limitées dont nous devions être les intendants prudents.
- « C’est dans l’enracinement de mon chemin de foi que se sont forgées mes convictions politiques. Et c’est de façon de plus en plus claire pour moi que s’est imposée une continuité entre le mystère de la pauvreté évangélique et l’impératif, sur le plan politique et existentiel, d’un tournant radical vers la sobriété et le partage ».
- « Nous voilà partis sur un chemin qui nous fait approfondir notre foi, un chemin qui nous redonne la paix. »
- « Au sujet de la dimension spirituelle et intérieure de nos échanges, je parlerais de deux choses: la liberté et la joie. Liberté d’abord, gagnée en nous libérant des soucis, des angoisses de budgets, de crédits, de manquer la dernière occasion, la dernière promotion ou de manquer tout court. On ne sent plus ce poids de l'achat et du paiement sur nous. On est libéré du fardeau d'avoir toujours plus. La joie ensuite. La joie de remettre quelque chose en marche, de redonner ‘’vie’’ à un objet promis à la casse, d'éviter de puiser encore une fois dans les réserves de la Terre et de mon compte en banque. Quand je répare un truc ou que je bricole dans la maison, j'ai l'impression de construire, d'apporter quelque chose à ma famille et en plus j'ai une joie personnelle d'y arriver. »
- « La crise de 2007-2008 fut un déclencheur, une invitation à comprendre comment on en était « arrivé là », et à approfondir des interrogations latentes sur les dysfonctionnements de notre système économique, social et politique, mais aussi de notre mode de vie. Cette période de questionnements a permis un approfondissement de notre vie spirituelle et sacramentelle, une fréquentation plus grande des textes du magistère, mais aussi de plusieurs économistes ‘’hétérodoxes’’, des échanges et des dialogues riches et variés sur le blog de Patrice de Plunkett, la découverte in fine que d’autres styles de vie sont possibles, sous les couleurs de la « sobriété joyeuse » promue par Benoît XVI, plus épanouissants, plus conformes à nos responsabilités sociales de chrétiens, compatibles avec les limites de la Création que Dieu a confiée à notre garde, et non moins « joyeux » voire « festifs » que notre « vie d’avant ».
- « Notre regard sur le monde sera bien plus joyeux et rempli de respect et de simplicité si nous savons à nouveau admirer l'araignée orbitèle qui construit sa toile, si nous savons remarquer le matin où les chants de rouges-gorges sont plus nombreux que la veille, celui où telle fleur est apparue dans le sous-bois, lire le rythme des saisons dans un bourgeon, un chant d'oiseau, la lumière changée, admirer le papillon, s'attendre à voir le castor sur la berge - et pas sur une page Wikipedia. Se rendre présent à la Création : aux nuages, au soleil, à la plante, à l'oiseau, au lézard, à l'insecte. Se dire que - même si on n'est pas très calé en écologie - ils ne sont pas là "par hasard" mais qu’ils sont en train de jouer leur partition dans un concert, leur part dans un ballet. Qu'il y a sens pour le genêt à pousser sur ce coteau, pour la pie-grièche à se percher sur le genêt. C’est une réalité profonde pour moi, et je pense que cela peut aussi répondre à des recherches, à des attentes, et amener à plus de respect, de paix et de sérénité aussi.»
2. On ne peut pas distinguer enjeux sociaux et enjeux écologiques : tout se tient.
C’est aussi en rencontrant les plus pauvres, et pour certains en vivant au milieu d’eux, que nous avons compris l’ardente nécessité de vivre simplement.
- « J'ai fait trente-six boulots pour payer mes études et j'ai exercé près de dix ans dans des établissements ZEP. Ces diverses expériences m'ont ouvert sur la société, le système économique et le souci des petits, des pauvres, de ceux qu'on laisse au bord de la route. »
- « Après une année assez prenante de colocation avec des personnes de la rue, j’ai repris la distribution de repas aux Restos du Cœur. »
- « Nous avons vécu deux années dans un petit village en Asie. Nous n’avons pas idéalisé la vie de ceux que nous avons rencontrés, mais nous avons cependant réalisé à quel point notre mode de vie occidental nous a peu à peu coupé de l’essentiel : la relation à l’autre, la vie communautaire. »
3. Vers la sobriété
Ø Un chemin ouvert à tous
Beaucoup d’actions relatées ici pourront sembler hors de portée à certains. Il n’est pas facile de cultiver son potager biologique quand on habite un petit appartement en ville ou un logement dans une zone relativement polluée. Les auteurs de ce manifeste et les sympathisants qui ont apporté leurs témoignages viennent d’horizons socio-économiques variés. Tous ne mettent pas en pratique toutes les actions que nous avons réunies ici mais chacun cherche à agir à la mesure de ses moyens. Nous sommes conscients qu’il s’agit d’abord d’un chemin individuel et que chacun assortit ses choix à ses contraintes (situation professionnelle, revenus, situation géographique, conjoint...).
Ces actions ne sont donc pas une liste de conduites auxquelles le bon chrétien doit impérativement se conformer mais d’abord des suggestions dans lesquelles chacun peut trouver, selon son cheminement personnel, matière à réflexion et à approfondissement. En réunissant ces témoignages, nous avons voulu vous proposer une démarche qui débouche sur une autre vision de la vie et une autre façon d’être au monde.
Ø Nous cherchons à ce que notre mode de consommation permette aux producteurs de vivre décemment. En particulier, que notre argent aille en priorité chez celui qui produit et non pas chez celui qui distribue, dont le
24/11/2011 | Lien permanent | Commentaires (1)
Le Christ, sens de l'histoire : une catéchèse de Benoît XVI
À lire... dans sa totalité ! ''Les œuvres du Christ ne reculent pas, ne manquent pas, mais elles progressent'' - ''Le caractère unique du Christ garantit également des nouveautés et un renouveau pour toutes les périodes de l'histoire'' :
Catéchèse du mercredi 10 mars :
<< La semaine dernière, j'ai parlé de la vie et de la personnalité de saint Bonaventure de Bagnoregio. Ce matin, je voudrais poursuivre sa présentation, en m'arrêtant sur une partie de son œuvre littéraire et de sa doctrine.
Comme je le disais déjà, saint Bonaventure a eu, entre autres mérites, celui d'interpréter de façon authentique et fidèle la figure de saint François d'Assise, qu'il a vénéré et étudié avec un grand amour. De façon particulière, à l'époque de saint Bonaventure, un courant de Frères mineurs, dits « spirituels », soutenait qu'avec saint François avait été inaugurée une phase entièrement nouvelle de l'histoire, et que serait apparu l'« Evangile éternel », dont parle l'Apocalypse, qui remplaçait le Nouveau Testament. Ce groupe affirmait que l'Eglise avait désormais épuisé son rôle historique, et était remplacée par une communauté charismatique d'hommes libres, guidés intérieurement par l'Esprit, c'est-à-dire les « Franciscains spirituels ». A la base des idées de ce groupe, il y avait les écrits d'un abbé cistercien, Joachim de Flore, mort en 1202. Dans ses œuvres, il affirmait l'existence d'un rythme trinitaire de l'histoire. Il considérait l'Ancien Testament comme l'ère du Père, suivie par le temps du Fils et le temps de l'Eglise. Il fallait encore attendre la troisième ère, celle de l'Esprit Saint. Toute cette histoire devait être interprétée comme une histoire de progrès : de la sévérité de l'Ancien Testament à la liberté relative de l'époque du Fils, dans l'Eglise, jusqu'à la pleine liberté des Fils de Dieu au cours de la période de l'Esprit Saint, qui devait être également, enfin, la période de la paix entre les hommes, de la réconciliation des peuples et des religions. Joachim de Flore avait suscité l'espérance que le début du temps nouveau aurait dérivé d'un nouveau monachisme. Il est donc compréhensible qu'un groupe de franciscains pensait reconnaître chez saint François d'Assise l'initiateur du temps nouveau et dans son Ordre la communauté de la période nouvelle - la communauté du temps de l'Esprit Saint, qui laissait derrière elle l'Eglise hiérarchique, pour commencer la nouvelle Eglise de l'Esprit, non plus liée aux anciennes structures.
Il existait donc le risque d'un très grave malentendu sur le message de saint François, de son humble fidélité à l'Evangile et à l'Eglise, et cette équivoque comportait une vision erronée du christianisme dans son ensemble.
Saint Bonaventure, qui, en 1257, devint ministre général de l'Ordre franciscain, se trouva face à une grave tension au sein de son Ordre même, précisément en raison de ceux qui soutenaient le courant mentionné des « Franciscains spirituels », qui se référait à Joachim de Flore. C'est justement pour répondre à ce groupe et pour redonner une unité à l'Ordre, que saint Bonaventure étudia avec soin les écrits authentiques de Joachim de Flore et ceux qui lui étaient attribués et, en tenant compte de la nécessité de présenter correctement la figure et le message de son bien-aimé saint François, il voulut exposer une juste vision de la théologie de l'histoire.
Saint Bonaventure affronta le problème précisément dans sa dernière œuvre, un recueil de conférences aux moines de l'étude parisienne, demeurée incomplète et qui nous est parvenue à travers les transcriptions des auditeurs, intitulée Hexaëmeron, c'est-à-dire une explication allégorique des six jours de la création. Les Pères de l'Eglise considéraient les six ou sept jours du récit sur la création comme une prophétie de l'histoire du monde, de l'humanité. Les sept jours représentaient pour eux sept périodes de l'histoire, interprétées plus tard également comme sept millénaires. Avec le Christ, nous devions entrer dans le dernier, c'est-à-dire dans la sixième période de l'histoire, à laquelle devrait succéder ensuite le grand sabbat de Dieu.
Saint Bonaventure présuppose cette interprétation historique du rapport avec les jours de la création, mais d'une façon très libre et innovatrice. Pour lui, deux phénomènes de son époque rendent nécessaire une nouvelle interprétation du cours de l'histoire :
Le premier : la figure de saint François, l'homme entièrement uni au Christ jusqu'à la communion des stigmates, presque un alter Christus, et avec saint François, la nouvelle communauté qu'il avait créée, différente du monachisme connu jusqu'alors. Ce phénomène exigeait une nouvelle interprétation, comme nouveauté de Dieu apparue à ce moment.
Le deuxième : la position de Joachim de Flore, qui annonçait un nouveau monachisme et une période totalement nouvelle de l'histoire, en allant au-delà de la révélation du Nouveau Testament, exigeait une réponse.
En tant que ministre général de l'Ordre des franciscains, saint Bonaventure avait immédiatement vu qu'avec la conception spiritualiste, inspirée par Joachim de Flore, l'Ordre n'était pas gouvernable, mais allait logiquement vers l'anarchie. Deux conséquences en découlaient selon lui :
La première : la nécessité pratique de structures et d'insertion dans la réalité de l'Eglise hiérarchique, de l'Eglise réelle, avait besoin d'un fondement théologique, notamment parce que les autres, ceux qui suivaient la conception spiritualiste, manifestaient un fondement théologique apparent.
La seconde : tout en tenant compte du réalisme nécessaire, il ne fallait pas perdre la nouveauté de la figure de saint François.
Comment saint Bonaventure a-t-il répondu à l'exigence pratique et théorique ? Je ne peux donner ici qu'un résumé très schématique et incomplet sur certains points de sa réponse :
1. Saint Bonaventure repousse l'idée du rythme trinitaire de l'histoire. Dieu est un pour toute l'histoire et il ne se divise pas en trois divinités. En conséquence, l'histoire est une, même si elle est un chemin et - selon saint Bonaventure - un chemin de progrès.
2. Jésus Christ est la dernière parole de Dieu - en Lui Dieu a tout dit, se donnant et se disant lui-même. Plus que lui-même, Dieu ne peut pas dire, ni donner. L'Esprit Saint est l'Esprit du Père et du Fils. Le Seigneur dit de l'Esprit Saint : « ...il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 26) ; « il reprend ce qui vient de moi pour vous le faire connaître » (Jn 16, 15). Il n'y a donc pas un autre Evangile, il n'y a pas une autre Eglise à attendre. L'ordre de saint François doit donc lui aussi s'insérer dans cette Eglise, dans sa foi, dans son organisation hiérarchique.
Cela ne signifie pas que l'Eglise soit immobile, fixée dans le passé et qu'il ne puisse pas y avoir de nouveauté dans celle-ci. « Opera Christi non deficiunt, sed proficiunt », « les œuvres du Christ ne reculent pas, ne manquent pas, mais elles progressent », dit le saint dans la lettre De tribus quaestionibus. Ainsi, saint Bonaventure formule explicitement l'idée du progrès, et cela est une nouveauté par rapport aux Pères de l'Eglise et à une grande partie de ses contemporains. Pour saint Bonaventure le Christ n'est plus, comme il l'avait été pour les Pères de l'Eglise, la fin, mais le centre de l'histoire ; avec le Christ, l'histoire ne finit pas, mais une nouvelle période commence. Il y a une autre conséquence : jusqu'à ce moment dominait l'idée que les Pères de l'Eglise avaient été le sommet absolu de la théologie ; toutes les générations suivantes ne pouvaient être que leurs disciples. Saint Bonaventure reconnaît lui aussi les Pères comme des maîtres pour toujours, mais le phénomène de saint François lui donne la certitude que la richesse de la parole du Christ est intarissable et que chez les nouvelles générations aussi peuvent apparaître de nouvelles lumières. Le caractère unique du Christ garantit également des nouveautés et un renouveau pour toutes les périodes de l'histoire.
Assurément, l'ordre franciscain - souligne-t-il - appartient à l'Eglise de Jésus Christ, à l'Eglise apostolique et il ne peut pas se construire dans un spiritualisme utopique. Mais, dans le même temps, la nouveauté de cet ordre par rapport au monachisme classique est valable, et saint Bonaventure - comme je l'ai dit dans la catéchèse précédente - a défendu cette nouveauté contre les attaques du clergé séculier de Paris : les franciscains n'ont pas de monastère fixe, ils peuvent être présents partout pour annoncer l'Evangile. C'est précisément la rupture avec la stabilité, caractéristique du monachisme, en faveur d'une nouvelle flexibilité, qui restitua à l'Eglise le dynamisme missionnaire.
A ce point, il est peut-être utile de dire qu'aujourd'hui aussi, il existe des points de vue selon lesquels toute l'histoire de l'Eglise au deuxième millénaire aurait été un déclin permanent ; certains voient déjà le déclin immédiatement après le Nouveau Testament. En réalité, « opera Christi non deficiunt, sed proficiunt », les œuvres du Christ ne reculent pas, mais elles progressent. Que serait l'Eglise sans la nouvelle spiritualité des cisterciens, des franciscains et des dominicains, la spiritualité de sainte Thérèse d'Avila et de saint Jean de la Croix, et ainsi de suite ? Aujourd'hui aussi vaut l'affirmation « opera Christi non deficiunt, sed proficiunt », elles vont de l'avant. Saint Bonaventure nous enseigne l'ensemble du discernement nécessaire, même sévère, du réalisme sobre et de l'ouverture à de nouveaux charismes donnés par le Christ, dans l'Esprit Saint, à son Eglise. Et alors que se répète cette idée du déclin, il y a également l'autre idée, cet « utopisme spiritualiste », qui se répète. Nous savons, en effet, qu'après le concile Vatican II certains étaient convaincus que tout était nouveau, qu'il y avait une autre Eglise, que l'Eglise pré-conciliaire était finie et que nous en aurions eu une autre, totalement « autre ». Un utopisme anarchique ! Et grâce à Dieu, les sages timoniers de la barque de Pierre, le Pape Paul VI et le Pape Jean-Paul II, d'une part ont défendu la nouveauté du concile et, de l'autre, ils ont en même temps défendu l'unicité et la continuité de l'Eglise, qui est toujours une Eglise de pécheurs et toujours un lieu de grâce.
4. Dans ce sens, saint Bonaventure, en tant que ministre général des franciscains, suivit une ligne de gouvernement dans laquelle il était bien clair que le nouvel Ordre ne pouvait pas, comme communauté, vivre à la même « hauteur eschatologique » que saint François, chez qui il voit anticipé le monde futur, mais - guidé, dans le même temps, par un sain réalisme et par le courage spirituel - il devait s'approcher le plus possible de la réalisation maximale du Sermon de la montagne, qui pour saint François fut la règle, tout en tenant compte des limites de l'homme, marqué par le péché originel.
Nous voyons ainsi que pour saint Bonaventure gouverner n'était pas simplement un acte, mais signifiait surtout penser et prier. A la base de son gouvernement nous trouvons toujours la prière et la pensée ; toutes ses décisions résultent de la réflexion, de la pensée éclairée par la prière. Son contact intime avec le Christ a toujours accompagné son travail de ministre général et c'est pourquoi il a composé une série d'écrits théologico-mystiques, qui expriment l'âme de son gouvernement et manifestent l'intention de conduire intérieurement l'Ordre c'est-à-dire de gouverner non seulement par les ordres et les structures, mais en guidant et en éclairant les âmes, en les orientant vers le Christ.
De ces écrits, qui sont l'âme de son gouvernement et qui montrent la route à parcourir tant à l'individu qu'à la communauté, je ne voudrais en mentionner qu'un seul, son chef-d'œuvre, l'Itinerarium mentis in Deum, qui est un «manuel » de contemplation mystique. Ce livre fut conçu en un lieu de profonde spiritualité : le mont de la Verne, où saint François avait reçu les stigmates. Dans l'introduction, l'auteur illustre les circonstances qui furent à l'origine de ce texte : « Tandis que je méditais sur les possibilités de l'âme d'accéder à Dieu, je me représentai, entre autres, cet événement merveilleux qui advint en ce lieu au bienheureux François, la vision du Séraphin ailé en forme de Crucifié. Et méditant sur cela, je me rendis compte immédiatement que cette vision m'offrait l'extase contemplative du père François et dans le même temps la voie qui y conduit » (Itinéraire de l'esprit en Dieu, prologue, 2 in Opere di San Bonaventura. Opuscoli Teologici / 1, Rome, 1993, p. 499).
Les six ailes du Séraphin deviennent ainsi le symbole des six étapes qui conduisent progressivement l'homme de la connaissance de Dieu à travers l'observation du monde et des créatures et à travers l'exploration de l'âme elle-même avec ses facultés jusqu'à l'union gratifiante avec la Trinité par l'intermédiaire du Christ, à l'imitation de saint François d'Assise. Les dernières paroles de l'Itinerarium de saint Bonaventure, qui répondent à la question sur la manière dont on peut atteindre cette communion mystique avec Dieu, devraient descendre profondément dans nos cœurs : « Si à présent tu soupires de savoir comment cela peut advenir (la communion mystique avec Dieu), interroge la grâce, non la doctrine ; le désir, non l'intellect ; le murmure de la prière, non l'étude des lettres ; l'époux, non le maître ; Dieu, non l'homme ; la ténèbre, non la clarté ; non la lumière, mais le feu qui tout enflamme et transporte en Dieu avec les fortes onctions et les très ardentes affections... Entrons donc dans la ténèbre, étouffons les angoisses, les passions et les fantômes ; passons 'avec le Christ crucifié de ce monde au Père', afin qu'après l'avoir vu, nous disions avec Philippe : 'cela me suffit' » (ibid., VII, 6).
Chers frères et sœurs, accueillons l'invitation qui nous est adressée par saint Bonaventure, le Docteur Séraphique, et mettons-nous à l'école du Maître divin : écoutons sa Parole de vie et de vérité, qui résonne dans l'intimité de notre âme. Purifions nos pensées et nos actions, afin qu'Il puisse habiter en nous et que nous puissions entendre sa Voix divine, qui nous attire vers la vraie félicité. >>
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12/03/2010 | Lien permanent | Commentaires (5)
Mgr Guy Bagnard (évêque de Belley-Ars) parle de... l'identité nationale
Mgr Bagnard évoque ici des données : a) dont il est peu question dans le débat officiel ; b) qui sont désormais à l'état de vestiges culturels ; c) et dont personne, peut-être, n'aura plus connaissance dans vingt ans [auquel cas l'évangélisation de l'espace européen doit s'inventer sur des bases inédites] :
Identité nationale
par Mgr Guy Bagnard, évêque de Belley-Ars
(cf. site internet du diocèse)
<< Si l’on s’interroge sur l’identité nationale, c’est que l’on ne sait plus ce que l’expression recouvre exactement. La cause en est due d’abord à l’impact de l’Europe sur notre pays ! En devenant membres de l’Union européenne, les Français voient plus ou moins s’effacer le sentiment de leur appartenance à la nation. De ce fait, la notion de nationalité, sans vraiment disparaître, passe au second plan. On se dit facilement citoyen de l’Europe et même parfois, plus radicalement encore, "citoyen du monde." Que devient alors le lien qui unit à son propre pays ?
L’une des autres causes qui entoure d’un brouillard l’identité nationale, c’est l’arrivée dans notre pays d’un grand nombre d’ « étrangers ». [...] Or, c’est au moment où se brouille la conscience de ce que l’on croyait être jusqu’alors, que l’on s’interroge sur la réalité de ce que l’on était vraiment !
Qu’est-ce qui fait que l’on est français ?
A n’en pas douter, l’un des chemins qui ouvre à l’identité nationale passe par l’histoire. C’est dans l’héritage reçu des siècles que se reflète le visage d’une nation. "Qu’avons-nous que nous n’ayons reçu ?" Que pourrions-nous dire de nous-mêmes et de notre pays si, faute de mémoire, nous ne parvenions pas à nous situer dans le prolongement d’une histoire ? Ce serait le silence ou l’arbitraire d’une parole tirée de l’immédiat !
Ainsi, comme évêque de Belley-Ars, je ne peux pas ignorer que la présence d’un évêque, identifiée avec certitude par l’histoire dans la Ville de Belley, remonte à l’an 412. Il s’appelait Audax. L’évêque actuel est le centième d’une lignée qui en compte quatre-vingt-dis neuf avant lui. Ainsi, depuis seize siècles, le christianisme est présent - de façon organisée - sur notre région. Comment, sur une aussi longue durée, l’Évangile n’aurait-il pas façonné le comportement de ses habitants, leur mode de pensée, leur culture, leur vision de l’existence ?
On peut discuter sur le bien fondé de cet impact, mais on ne peut contester les données objectives de l’histoire. Les traces de cet héritage sont là sous nos yeux. Il suffit de voir "ce long manteau d’églises et de cathédrales qui recouvre notre pays pour comprendre que les valeurs chrétiennes ont dû quand même y jouer un rôle", déclarait Nicolas Sarkozy, le 13 décembre 2007. Pourquoi s’en excuser ? Pourquoi s’en défendre puisque nous sommes tout simplement devant une donnée de fait ?
La culture issue de cette imprégnation des siècles est si profondément enracinée qu’elle est devenue comme une seconde nature ; elle fait si bien corps avec chacun d’entre nous qu’elle a ce grave inconvénient de ne plus s’interroger sur les origines où elle a puisé sa sève.
Jean-Paul II avait justement osé dire au Bourget, le 1er juin 1980 : "On sait la place que l’idée de liberté, d’égalité et de fraternité tient dans votre culture, dans votre histoire. Au fond, ce sont là des idées chrétiennes."
S’interroger sur l’identité nationale, c’est donc retrouver le chemin des origines et les assumer comme un creuset qui, au fil des siècles, a forgé l’identité de notre pays.
Cette interrogation conduit à reconnaître que l’un des facteurs majeurs de cette identité, c’est bien le christianisme. Nicolas Sarkozy avait dit au Latran : "Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes... Une nation qui ignore l’héritage éthique, spirituel, religieux, de son histoire commet in crime contre sa culture.. Arracher la racine, c’est perdre la signification, c’est affaiblir le ciment de l’identité nationale et dessécher davantage encore les rapports sociaux qui ont tant besoin de symboles de mémoire."
Il est vrai que le siècle des Lumières a contesté cet héritage, mais il en est resté, malgré lui, profondément imprégné. Le cadre mental dans lequel il exprimait ses "idées nouvelles" continuait à s’alimenter souterrainement à la Source qu’en surface il rejetait ! Sans ce référentiel fondamental, il n’aurait pas pu élaborer la Déclaration universelle des Droits de l’homme, dont l’un des principes fondamentaux est le respect dû à tout être humain. Car tous les hommes sont égaux en dignité. Chacun a donc le droit d’être reconnu pour lui-même, qu’il soit croyant, non croyant, libre penseur, etc...
Et justement, l’esprit de la laïcité s’engage à réunir les conditions permettant aux croyants et aux incroyants de vivre ensemble, la base de cette convivialité étant le respect de la conscience de chacun. Nous sommes typiquement devant la version séculière du message évangélique !
Aussi quand, sur l’horizon qui nous est familier, surgissent d’autres cultures - issues d’autres religions - nous nous interrogeons légitimement sur leur compatibilité avec notre propre identité nationale. Et c’est aussi l’occasion d’avoir une plus claire conscience de ce que veut dire être français. Au nom de cette identité, nous interrogeons l’islam. Accepte-t-il, dans les faits, la liberté de conscience ? Intègre-t-il, dans le champ social, l’égalité entre l’homme et la femme ? Le respect des consciences va-t-il jusqu’à accueillir le changement de religion sans crainte de représailles ? Peut-on être tranquillement adepte d’une autre religion dans un pays musulman ? Si la réponse est "oui" pour tel pays, et "non" pour tel autre, alors y a-t-il un organisme officiel qui définit la juste pensée de l’Islam ? Où se trouve la véritable interprétation ? Le Français a besoin de le savoir au moment où son pays accueille cette culture sur son territoire et cela au nom de l’identité nationale.
Car voici, par exemple, ce que je lis sous la plume d’un père jésuite égyptien, le P. Boulad, bon connaisseur de l’islam : "Quand un musulman me dit : l’islam est la religion de la tolérance, je lui réponds : parmi les 57 pays musulmans de la planète, cite m’en un seul où la liberté religieuse existe. Si bien que le non-musulman n’a pas sa place. Il est toléré, tout juste, comme dhimmi, mais à part ça, non. La tolérance, pour l’islam, c’est que vous êtes toléré comme citoyen de deuxième zone en tant que chrétien ou juif. Mais en dehors de ça, si vous êtes bouddhiste ou hindouiste, vous n’êtes plus toléré. Vous êtes un kafir, c’est-à-dire carrément un apostat, un impie. [...]"
N’est-ce pas le rappel de l’exigence d’un dialogue en vérité, au moment où l’on s’interroge sur l’identité nationale ? Et cette exigence dépasse largement la discussion sur la hauteur des minarets, même si celle-ci est à prendre aussi en considération. >>
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17/12/2009 | Lien permanent | Commentaires (9)
Pape François : ”le visage de la miséricorde”
Texte de la "bulle d'indiction" du jubilé de la Miséricorde :
Misericordiae Vultus
BULLE D'INDICTION
DU JUBILÉ EXTRAORDINAIRE
DE LA MISÉRICORDE
FRANÇOIS
EVÊQUE DE ROME
SERVITEUR DES SERVITEURS DE DIEU
À CEUX QUI LIRONT CETTE LETTRE
GRÂCE, MISÉRICORDE ET PAIX
[
1. Jésus-Christ est le visage de la miséricorde du Père. Le mystère de la foi chrétienne est là tout entier. Devenue vivante et visible, elle atteint son sommet en Jésus de Nazareth. Le Père, «riche en miséricorde» (Ep 2, 4) après avoir révélé son nom à Moïse comme «Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité» (Ex 34, 6) n’a pas cessé de faire connaître sa nature divine de différentes manières et en de nombreux moments. Lorsqu’est venue la «plénitude des temps» (Ga 4, 4), quand tout fut disposé selon son dessein de salut, il envoya son Fils né de la Vierge Marie pour nous révéler de façon définitive son amour. Qui le voit a vu le Père (cf. Jn 14, 9). A travers sa parole, ses gestes, et toute sa personne,[1] Jésus de Nazareth révèle la miséricorde de Dieu.
2. Nous avons toujours besoin de contempler le mystère de la miséricorde. Elle est source de joie, de sérénité et de paix. Elle est la condition de notre salut. Miséricorde est le mot qui révèle le mystère de la Sainte Trinité. La miséricorde, c’est l’acte ultime et suprême par lequel Dieu vient à notre rencontre. La miséricorde, c’est la loi fondamentale qui habite le cœur de chacun lorsqu’il jette un regard sincère sur le frère qu’il rencontre sur le chemin de la vie. La miséricorde, c’est le chemin qui unit Dieu et l’homme, pour qu’il ouvre son cœur à l’espérance d’être aimé pour toujours malgré les limites de notre péché.
3. Il y a des moments où nous sommes appelés de façon encore plus pressante, à fixer notre regard sur la miséricorde, afin de devenir nous aussi signe efficace de l’agir du Père. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu ce Jubilé Extraordinaire de la Miséricorde, comme un temps favorable pour l’Eglise, afin que le témoignage rendu par les croyants soit plus fort et plus efficace. L’Année Sainte s’ouvrira le 8 décembre 2015, solennité de l’Immaculée Conception. Cette fête liturgique montre comment Dieu agit dès le commencement de notre histoire. Après qu’Adam et Eve eurent péché, Dieu n’a pas voulu que l’humanité demeure seule et en proie au mal. C’est pourquoi Marie a été pensée et voulue sainte et immaculée dans l’amour (cf. Ep 1, 4), pour qu’elle devienne la Mère du Rédempteur de l’homme. Face à la gravité du péché, Dieu répond par la plénitude du pardon. La miséricorde sera toujours plus grande que le péché, et nul ne peut imposer une limite à l’amour de Dieu qui pardonne. En cette fête de l’Immaculée Conception, j’aurai la joie d’ouvrir la Porte Sainte. En cette occasion, ce sera une Porte de la Miséricorde, où quiconque entrera pourra faire l’expérience de l’amour de Dieu qui console, pardonne, et donne l’espérance.
Le dimanche suivant, troisième de l’Avent, la Porte Sainte sera ouverte dans la cathédrale de Rome, la Basilique Saint Jean de Latran. Ensuite seront ouvertes les Portes Saintes dans les autres Basiliques papales. Ce même dimanche, je désire que dans chaque Eglise particulière, dans la cathédrale qui est l’Eglise-mère pour tous les fidèles, ou bien dans la co-cathédrale ou dans une église d’importance particulière, une Porte de la Miséricorde soit également ouverte pendant toute l’Année Sainte. Au choix de l’Ordinaire du lieu, elle pourra aussi être ouverte dans les Sanctuaires où affluent tant de pèlerins qui, dans ces lieux ont le cœur touché par la grâce et trouvent le chemin de la conversion. Chaque Eglise particulière est donc directement invitée à vivre cette Année Sainte comme un moment extraordinaire de grâce et de renouveau spirituel. Donc, le Jubilé sera célébré à Rome, de même que dans les Eglises particulières, comme signe visible de la communion de toute l’Eglise.
4. J’ai choisi la date du 8 décembre pour la signification qu’elle revêt dans l’histoire récente de l’Eglise. Ainsi, j’ouvrirai la Porte Sainte pour le cinquantième anniversaire de la conclusion du Concile œcuménique Vatican II. L’Eglise ressent le besoin de garder vivant cet événement. C’est pour elle que commençait alors une nouvelle étape de son histoire. Les Pères du Concile avait perçu vivement, tel un souffle de l’Esprit, qu’il fallait parler de Dieu aux hommes de leur temps de façon plus compréhensible. Les murailles qui avaient trop longtemps enfermé l’Eglise comme dans une citadelle ayant été abattues, le temps était venu d’annoncer l’Evangile de façon renouvelée. Etape nouvelle pour l’évangélisation de toujours. Engagement nouveau de tous les chrétiens à témoigner avec plus d’enthousiasme et de conviction de leur foi. L’Eglise se sentait responsable d’être dans le monde le signe vivant de l’amour du Père.
Les paroles riches de sens que saint Jean XXIII a prononcées à l’ouverture du Concile pour montrer le chemin à parcourir reviennent en mémoire: «Aujourd’hui, l’Épouse du Christ, l’Église, préfère recourir au remède de la miséricorde plutôt que de brandir les armes de la sévérité… L’Eglise catholique, en brandissant le flambeau de la vérité religieuse, veut se montrer la mère très aimante de tous, bienveillante, patiente, pleine d’indulgence et de bonté à l’égard de ses fils séparés».[2] Dans la même perspective, lors de la conclusion du Concile, le bienheureux Paul VI s’exprimait ainsi: «Nous voulons plutôt souligner que la règle de notre Concile a été avant tout la charité … La vieille histoire du bon Samaritain a été le modèle et la règle de la spiritualité du Concile…. Un courant d’affection et d’admiration a débordé du Concile sur le monde humain moderne. Des erreurs ont été dénoncées : oui, parce que c’est l’exigence de la charité comme de la vérité ; mais, à l’adresse des personnes, il n’y eut que rappel, respect et amour. Au lieu de diagnostics déprimants, des remèdes encourageants ; au lieu de présages funestes, des messages de confiance sont partis du Concile vers le monde contemporain: ses valeurs ont été non seulement respectées, mais honorées ; ses efforts soutenus, ses aspirations purifiées et bénies… toute cette richesse doctrinale ne vise qu’à une chose: servir l’homme. Il s’agit, bien entendu, de tout homme, quels que soient sa condition, sa misère et ses besoins».[3]
Animé par des sentiments de gratitude pour tout ce que l’Eglise a reçu, et conscient de la responsabilité qui est la nôtre, nous passerons la Porte Sainte sûrs d’être accompagnés par la force du Seigneur Ressuscité qui continue de soutenir notre pèlerinage. Que l’Esprit Saint qui guide les pas des croyants pour coopérer à l’œuvre du salut apporté par le Christ, conduise et soutienne le Peuple de Dieu pour l’aider à contempler le visage de la miséricorde.[4]
5. C’est le 20 novembre 2016, en la solennité liturgique du Christ Roi de l’Univers, que sera conclue l’Année jubilaire. En refermant la Porte Sainte ce jour-là, nous serons animés de sentiments de gratitude et d’action de grâce envers la Sainte Trinité qui nous aura donné de vivre ce temps extraordinaire de grâce. Nous confierons la vie de l’Eglise, l’humanité entière et tout le cosmos à la Seigneurie du Christ, pour qu’il répande sa miséricorde telle la rosée du matin, pour une histoire féconde à construire moyennant l’engagement de tous au service de notre proche avenir. Combien je désire que les années à venir soient comme imprégnées de miséricorde pour aller à la rencontre de chacun en lui offrant la bonté et la tendresse de Dieu! Qu’à tous, croyants ou loin de la foi, puisse parvenir le baume de la miséricorde comme signe du Règne de Dieu déjà présent au milieu de nous.
6. «La miséricorde est le propre de Dieu dont la toute-puissance consiste justement à faire miséricorde».[5] Ces paroles de saint Thomas d’Aquin montrent que la miséricorde n’est pas un signe de faiblesse, mais bien l’expression de la toute-puissance de Dieu. C’est pourquoi une des plus antiques collectes de la liturgie nous fait prier ainsi: «Dieu qui donne la preuve suprême de ta puissance lorsque tu patientes et prends pitié».[6] Dieu sera toujours dans l’histoire de l’humanité comme celui qui est présent, proche, prévenant, saint et miséricordieux.
“Patient et miséricordieux”, tel est le binôme qui parcourt l’Ancien Testament pour exprimer la nature de Dieu. Sa miséricorde se manifeste concrètement à l’intérieur de tant d’événements de l’histoire du salut où sa bonté prend le pas sur la punition ou la destruction. D’une façon particulière, les Psaumes font apparaître cette grandeur de l’agir divin: «Car il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie ; il réclame ta vie à la tombe et te couronne d’amour et de tendresse» (Ps 102, 3-4). D’une façon encore plus explicite, un autre Psaume énonce les signes concrets de la miséricorde: «Il fait justice aux opprimés ; aux affamés, il donne le pain ; le Seigneur délie les enchaînés. Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, le Seigneur redresse les accablés, le Seigneur aime les justes, le Seigneur protège l’étranger. Il soutient la veuve et l’orphelin, il égare les pas du méchant» (145, 7-9). Voici enfin une autre expression du psalmiste: «[Le Seigneur] guérit les cœurs brisés et soigne leurs blessures… Le Seigneur élève les humbles et rabaisse jusqu’à terre les impies» (146, 3.6). En bref, la miséricorde de Dieu n’est pas une idée abstraite, mais une réalité concrète à travers laquelle Il révèle son amour comme celui d’un père et d’une mère qui se laissent émouvoir au plus profond d’eux mêmes par leur fils. Il est juste de parler d’un amour «viscéral». Il vient du cœur comme un sentiment profond, naturel, fait de tendresse et de compassion, d’indulgence et de pardon.
7. «Eternel est son amour»: c’est le refrain qui revient à chaque verset du Psaume 135 dans le récit de l’histoire de la révélation de Dieu. En raison de la miséricorde, tous les événements de l’Ancien Testament sont riches d’une grande valeur salvifique. La miséricorde fait de l’histoire de Dieu avec Israël une histoire du salut. Répéter sans cesse: «Eternel est son amour» comme fait le Psaume, semble vouloir briser le cercle de l’espace et du temps pour tout inscrire dans le mystère éternel de l’amour. C’est comme si l’on voulait dire que non seulement dans l’histoire, mais aussi dans l’éternité, l’homme sera toujours sous le regard miséricordieux du Père. Ce n’est pas par hasard que le peuple d’Israël a voulu intégrer ce Psaume, le “Grand hallel” comme on l’appelle, dans les fêtes liturgiques les plus importantes.
Avant la Passion, Jésus a prié avec ce Psaume de la miséricorde. C’est ce qu’atteste l’évangéliste Matthieu quand il dit qu’«après avoir chanté les Psaumes» (26, 30), Jésus et ses disciples sortirent en direction du Mont des Oliviers. Lorsqu’il instituait l’Eucharistie, mémorial pour toujours de sa Pâque, il établissait symboliquement cet acte suprême de la Révélation dans la lumière de la miséricorde. Sur ce même horizon de la miséricorde, Jésus vivait sa passion et sa mort, conscient du grand mystère d’amour qui s’accomplissait sur la croix. Savoir que Jésus lui-même a prié avec ce Psaume le rend encore plus important pour nous chrétiens, et nous appelle à en faire le refrain de notre prière quotidienne de louange : «Eternel est son amour».
8. Le regard fixé sur Jésus et son visage miséricordieux, nous pouvons accueillir l’amour de la Sainte Trinité. La mission que Jésus a reçue du Père a été de révéler le mystère de l’amour divin dans sa plénitude. L’évangéliste Jean affirme pour la première et unique fois dans toute l’Ecriture: «Dieu est amour» (1 Jn 4, 8.16). Cet amour est désormais rendu visible et tangible dans toute la vie de Jésus. Sa personne n’est rien d’autre qu’amour, un amour qui se donne gratuitement. Les relations avec les personnes qui s’approchent de Lui ont quelque chose d’unique et de singulier. Les signes qu’il accomplit, surtout envers les pécheurs, les pauvres, les exclus, les malades et les souffrants, sont marqués par la miséricorde. Tout en Lui parle de miséricorde. Rien en Lui ne manque de compassion.
Face à la multitude qui le suivait, Jésus, voyant qu’ils étaient fatigués et épuisés, égarés et sans berger, éprouva au plus profond de son cœur, une grande compassion pour eux (cf. Mt 9, 36). En raison de cet amour de compassion, il guérit les malades qu’on lui présentait (cf. Mt 14, 14), et il rassasia une grande foule avec peu de pains et de poissons (cf. Mt 15, 37). Ce qui animait Jésus en toute circonstance n’était rien d’autre que la miséricorde avec laquelle il lisait dans le cœur de ses interlocuteurs et répondait à leurs besoins les plus profonds. Lorsqu’il rencontra la veuve de Naïm qui emmenait son fils unique au tombeau, il éprouva une profonde compassion pour la douleur immense de cette mère en pleurs, et il lui redonna son fils, le ressuscitant de la mort (cf. Lc 7, 15). Après avoir libéré le possédé de Gerasa, il lui donna cette mission: «Annonce tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde» (Mc 5, 19). L’appel de Matthieu est lui aussi inscrit sur l’horizon de la miséricorde. Passant devant le comptoir des impôts, Jésus regarda Matthieu dans les yeux. C’était un regard riche de miséricorde qui pardonnait les péchés de cet homme, et surmontant les résistances des autres disciples, il le choisit, lui, le pécheur et le publicain, pour devenir l’un des Douze. Commentant cette scène de l’Evangile, Saint Bède le Vénérable a écrit que Jésus regarda Matthieu avec un amour miséricordieux, et le choisit : miserando atque eligendo.[7] Cette expression m’a toujours fait impression au point d’en faire ma devise.
9. Dans les paraboles de la miséricorde, Jésus révèle la nature de Dieu comme celle d’un Père qui ne s’avoue jamais vaincu jusqu’à ce qu’il ait absous le péché et vaincu le refus, par la compassion et la miséricorde. Nous connaissons ces paraboles, trois en particulier : celle de la brebis égarée, celle de la pièce de monnaie perdue, et celle du père et des deux fils (cf. Lc 15, 1-32). Dans ces paraboles, Dieu est toujours présenté comme rempli de joie, surtout quand il pardonne. Nous y trouvons le noyau de l’Evangile et de notre foi, car la miséricorde y est présentée comme la force victorieuse de tout, qui remplit le cœur d’amour, et qui console en pardonnant.
Dans une autre parabole, nous recevons un enseignement pour notre manière de vivre en chrétiens. Interpellé par la question de Pierre lui demandant combien de fois il fallait pardonner, Jésus répondit: «Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante dix fois sept fois» (Mt 18, 22). Il raconte ensuite la parabole du «débiteur sans pitié». Appelé par son maître à rendre une somme importante, il le supplie à genoux et le maître lui remet sa dette. Tout de suite après, il rencontre un autre serviteur qui lui devait quelques centimes. Celui-ci le supplia à genoux d’avoir pitié, mais il refusa et le fit emprisonner. Ayant appris la chose, le maître se mit en colère et rappela le serviteur pour lui dire: «Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?» (Mt 18, 33). Et Jésus conclut: «C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur» (Mt 18, 35).
La parabole est d’un grand enseignement pour chacun d
12/04/2015 | Lien permanent
”La conversion est un bond en avant”
Le remède aux frilosités chez les catholiques !
Première prédication du carême 2015 au Vatican,
par le P. Raniero Cantalamessa :
<< Je voudrais profiter de l’absence du Saint-Père à cette première méditation de Carême, pour proposer une réflexion sur son exhortation apostolique Evangelii gaudium, que je n’aurais pas osé faire en sa présence. Bien entendu, il ne s’agit pas de faire un commentaire systématique mais de réfléchir ensemble et de faire nôtres quelques éléments les plus saillants de ce document.
1. La rencontre personnelle avec Jésus de Nazareth
L’exhortation, écrite à la fin du Synode des évêques sur la nouvelle évangélisation, présente trois pôles d’intérêt qui se recoupent entre eux : le sujet, l’objet et la méthode de l’évangélisation : qui doit évangéliser, que faut-il évangéliser, comment évangéliser. A propos du sujet évangélisant, le pape affirme qu’il est formé de tous les baptisés :
« En vertu du Baptême reçu, chaque membre du Peuple de Dieu est devenu disciple missionnaire (cf. Mt 28, 19). Chaque baptisé, quelle que soit sa fonction dans l’Église et le niveau d’instruction de sa foi, est un sujet actif de l’évangélisation, et il serait inadéquat de penser à un schéma d’évangélisation utilisé pour des acteurs qualifiés, où le reste du peuple fidèle serait seulement destiné à bénéficier de leurs actions. La nouvelle évangélisation doit impliquer que chaque baptisé soit protagoniste d’une façon nouvelle. » (n. 120).
Cette affirmation n’est pas nouvelle. Le bienheureux Paul VI l’avait souligné dans Evangelii nuntiandi, saint Jean Paul II dans Christifideles laici; Benoît XVI avait insisté sur le rôle spécial de la famille à cet égard1. Mais avant tout cela il y avait eu l’appel universel à l’évangélisation, proclamé par décret (Apostolicam actuasitatem), lancé au cours du Concile Vatican II. Un jour j’ai entendu un laïc américain commencer sa catéchèse par cette phrase : « Deux mille cinq cent évêques, réunis au Vatican, m’ont écrit de venir vous annoncer l’Évangile ». Tous, naturellement, étaient curieux de savoir qui était cet homme. Ce laïc, qui était aussi un homme plein d’humour, expliqua alors que les deux mille cinq cent évêques étaient ceux qui étaient réunis au Vatican pour le concile Vatican II et avaient écrit le document sur l’apostolat des laïcs. Il avait parfaitement raison : ce document s’adressait à tout baptisé et lui il le prenait justement comme s’adressant à lui personnellement.
Ce n’est donc pas sur ce point que nous devons chercher la nouveauté de l’exhortation EG du pape François. Le pape ne fait que réaffirmer ce que ses prédécesseurs avaient professé à maintes reprises. La nouveauté doit être recherchée ailleurs, dans l’appel qu’il lance aux lecteurs au début de sa lettre et qui constitue, je crois, le cœur du document :
« J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse. Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser que cette invitation n’est pas pour lui » (EG, nr.3)
Autrement dit le but ultime de l’évangélisation ne repose pas sur la transmission d’une doctrine, mais sur la rencontre avec une personne, Jésus Christ. La possibilité d’une telle rencontre, de ce face à face, dépend du fait que Jésus, ressuscité, est vivant et qu’il souhaite marcher aux côtés de chaque croyant, comme il l’a réellement fait avec les deux disciples sur la route d’Emmaüs; plus encore, comme il était dans leur cœur à leur retour à Jérusalem, après l’avoir reçu dans le pain rompu.
Dans le langage catholique le concept de « rencontre personnelle avec Jésus » n’a jamais été très familier. Au lieu de rencontre « personnelle » on préférait l’idée de rencontre ecclésiale, c’est-à-dire une rencontre qui passe par les sacrements de l’Église. L’expression avait, à nos oreilles de catholiques, une résonance vaguement protestante. De toute évidence, le pape ne pense pas à une rencontre personnelle qui remplacerait la rencontre ecclésiale ; il veut seulement dire que la rencontre ecclésiale doit elle aussi être une rencontre libre, voulue, spontanée, pas seulement nominale, juridique ou habitudinaire.
Pour comprendre ce que veut dire réaliser une rencontre personnelle avec Jésus, il nous faut jeter un coup d’œil, même rapide, sur l’histoire de l’Église. Comment devenait-on chrétien lors des trois premiers siècles de l’Église ? Les différences entre un individu et l’autre, entre un lieu et un autre, étaient telles que cela se produisait au bout d’une longue initiation, le catéchuménat. C’était également le fruit d’une décision personnelle, qui s’avérait par ailleurs dangereuse tant le risque du martyre était présent.
Les choses ont changé quand le christianisme est devenu, d’abord une religion tolérée (par l’édit de Constantin en 313) et puis, très vite, une religion favorite, sinon tout simplement imposée. Au début du Vème siècle, l’empereur Théodose II créa une loi selon laquelle seuls les baptisés pouvaient accéder à des charges publiques. Puis il y eut la question des invasions barbares qui changea rapidement et complètement l’ordre politique et religieux de l’empire. Et l’Europe occidentale se transforma en un ensemble de royaumes barbares, habités par des populations, dans certains cas ariennes, pour la plupart païennes.
Dans les régions du vieil empire (surtout en Orient et dans le centre-sud de l’Italie) la décision de devenir chrétien n’était plus du ressort de l’individu mais de la société, d’autant que le baptême était désormais presque toujours administré à des enfants. Quant aux royaumes barbares, la coutume voulait que la population suive toujours la décision du chef. Ainsi, lorsque Clovis, le roi des Francs, se fit baptiser à Reims par l’évêque saint Rémi, dans la nuit de Noël de l’année 498 ou 499, tout son peuple se mit à le suivre (valant ainsi à la France [*] son titre de « Fille aînée de l’Église »). On assiste alors au début de la pratique du baptême de masse. Bien avant la réforme protestante, était en vigueur la norme cuius regio, eius et religio » : la religion du roi est aussi celle du royaume.
Dans cette situation, l’accent n’est plus mis sur la décision par laquelle l’on devient chrétien, mais sur les exigences morales de la foi, sur le changement de coutumes; autrement dit, sur la morale. La situation était malgré tout moins grave que ce que nous pourrions croire aujourd’hui car, à cause de toutes les incohérences que nous savons, il y avait la famille, l’école, la culture et peu à peu la société, qui aidaient presque spontanément à absorber la foi. Sans compter aussi que dès le début de cette nouvelle situation, étaient nées de nouvelles formes de vie, comme le monachisme et plus tard les divers ordres religieux, où le baptême était vécu dans toute sa radicalité et la vie chrétienne le fruit d’une décision personnelle.
Cette situation dite « de chrétienté » a radicalement changé mais ce n’est pas le cas ici de s’attarder sur les temps et la modalité de ce changement. Il suffit de savoir que la situation n’est plus la même qu’aux siècles passés, quand se sont formées la plupart de nos traditions et notre pratique chrétienne. L’arrivée de la modernité, ouverte par l’humanisme, accélérée par la révolution française et par l’illuminisme, l’émancipation de l’État vis-à-vis de l’Église, l’exaltation de la liberté individuelle et de l’autodétermination, et pour finir la sécularisation radicale qui en a découlé, ont profondément changé la situation de la foi dans la société.
D’où l’urgence d’une nouvelle évangélisation, soit d’une évangélisation qui sorte des bases traditionnelles et tienne compte de la nouvelle situation. Il s’agit concrètement de créer pour les hommes d’aujourd’hui des occasions qui leur permettent de prendre, dans ce nouveau contexte, cette décision personnelle libre et mûre que les chrétiens prenaient au début en recevant le baptême, et qui faisaient d’eux de vrais chrétiens et non des chrétiens qui n’en avaient que le nom.
2. Comment répondre aux nouvelles exigences ?
Nous ne sommes évidemment pas les premiers à nous poser le problème : pour ne pas remonter encore plus loin, rappelons l’institution en 1972, du Rituel de l’initiation chrétienne des adultes (RICA) qui propose une sorte de catéchuménat pour le baptême des adultes. Dans certains pays de religion mixte, où beaucoup de personnes demandent le baptême lorsqu’ils sont adultes, cet outil s’est révélé assez utile.
Mais que faire pour la masse de chrétiens déjà baptisés qui n’ont de chrétien que le nom et ne le sont pas dans les faits : complètement étrangers à l’Église et à la vie sacramentelle ? La réponse à ce problème est davantage venue de Dieu Lui-même que de l’initiative humaine. Et ce sont tous les mouvements d’Église, les agrégations laïques et les communautés paroissiale renouvelées, apparues après le concile. Malgré la très grande variété de styles et de consistance numérique, toutes ces réalités constituent un cadre de vie et un outil qui permet à tant de personnes adultes de faire un choix personnel pour le Christ, de prendre leur baptême au sérieux, de devenir des sujets actifs dans l’Église.
Saint Jean-Paul II voyait en ces mouvements et communautés paroissiales vivantes « les signes d’un nouveau printemps de l’Église ». Voici ce qu’il dit dans sa lettre apostolique Novo millennio ineunte :
« Dans cette même ligne, le devoir de promouvoir les divers types d’association revêt une grande importance pour la communion, que ce soient les formes plus traditionnelles ou celles plus nouvelles des mouvements ecclésiaux; ces formes continuent à donner à l’Église une vivacité qui est un don de Dieu et qui constitue un authentique « printemps de l’Esprit » 2.
A différentes occasions, Benoît XVI est allé dans le même sens. Au cours de l’homélie prononcée à la messe chrismale du Jeudi saint 2012, il a dit :
« Celui qui regarde l’histoire de l’époque post-conciliaire, peut reconnaître la dynamique du vrai renouvellement, qui a souvent pris des formes inattendues dans des mouvements pleins de vie et qui rend presque tangibles la vivacité inépuisable de la sainte Église, la présence et l’action efficace du Saint Esprit. »
3. Pourquoi l’Évangile remplit de joie le cœur et la vie du croyant
Mais maintenant retournons à la lettre du pape François. Elle commence par les mots dont est tiré le titre du document : « La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus ». Il y a un lien entre la rencontre personnelle avec Jésus et l’expérience de joie de l’Évangile. La joie de l’Évangile ne s’expérimente qu’en établissant une relation intime, de personne à personne, avec Jésus de Nazareth.
A ce stade, si nous ne voulons pas que les paroles ne restent que des paroles, il faut nous poser la question: pourquoi l’Évangile serait-il source de joie ? L’expression n’est-elle qu’un slogan facile, ou correspond-t-elle à la vérité ? Mais avant cela, demandons-nous : pourquoi l’Évangile s’appelle-t-il comme ça: euangelion, qui veut dire bonne et heureuse nouvelle ?
Le meilleur moyen pour le découvrir c’est de partir du moment où ce mot fait sa première apparition dans le Nouveau Testament et précisément dans la bouche de Jésus. Marc, au début de son évangile, résume en quelques mots le message fondamental que Jésus prêchait dans les villes et villages, après son baptême dans le Jourdain : « Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : “Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile.” » (Mc 1, 14-15).
A première vue on ne dirait pas qu’il s’agit ici d’une nouvelle particulièrement bonne et joyeuse ; cela sonne plutôt comme une annonce austère, comme un appel drastique à changer. C’est dans cette optique qu’il est proposé au début du Carême, dans l’évangile du premier dimanche, et qu’il accompagne le rite des cendres sur le front : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. » Et c’est pourquoi il est vital de comprendre le vrai sens de ce début de l’évangile.
La véritable signification du message de Jésus a été obscurcie par une traduction fautive du mot grec metanoeite. La Vulgate latine traduisait le terme par paenitemini (Mc 1,15) ou avec paenitentiam agite (Ac 2, 38), c’est-à-dire repentez-vous, faites pénitence. Le mot est n'entré dans le vocabulaire et la prédication de l’Église qu'avec cette signification ascétique, tandis que sa signification complète est celle d’un complet changement de pensée, la prise de conscience d’une situation totalement nouvelle.
Avant Jésus, se convertir signifiait toujours « revenir en arrière » (comme l’indique le terme shub, utilisé en hébreu pour indiquer cette action) ; cela signifiait revenir à l’alliance violée, en renouvelant l’observance de la loi. Le Seigneur, par la bouche du prophète Zacharie, déclare : « Revenez à moi [...] Revenez donc de vos mauvais chemins » (Za 1, 3-4; cf. aussi Jr 8, 4-5). Ainsi, se convertir prend une signification principalement ascétique, morale, pénitentielle, et implique un changement dans la manière de vivre. La conversion est vue comme une condition pour gagner le salut ; le sens est : convertissez-vous et vous serez sauvés ; convertissez-vous et le salut viendra à vous. Cette signification du mot conversion est celle qui prédomine jusque sur la bouche de Jean Baptiste (cf. Lc 3, 4-6).
Mais dans la bouche de Jésus, celle-ci change ; non parce que Jésus s’amusait à changer le sens des mots, mais parce qu’avec lui la réalité a changé. La signification morale passe au second plan (du moins au début de sa prédication), par rapport à un nouveau sens, jusqu’alors inconnu. Se convertir ne signifie plus retourner en arrière, mais plutôt faire un bond en avant et entrer, par la foi, dans le Royaume de Dieu qui est venu parmi les hommes. Se convertir c’est prendre la « décision de l’heure », face à la réalisation des promesses de Dieu.
« Convertissez-vous et croyez » n’indique donc pas deux choses différentes et successives, mais une même action: convertissez-vous, c’est-à-dire croyez ;
03/03/2015 | Lien permanent | Commentaires (9)
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