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03/03/2015

"La conversion est un bond en avant"

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Le remède aux frilosités chez les catholiques !

Première prédication du carême 2015 au Vatican,

par le P. Raniero Cantalamessa :


 

 

<< Je voudrais profiter de l’absence du Saint-Père à cette première méditation de Carême, pour proposer une réflexion sur son exhortation apostolique Evangelii gaudium, que je n’aurais pas osé faire en sa présence. Bien entendu, il ne s’agit pas de faire un commentaire systématique mais de réfléchir ensemble et de faire nôtres quelques éléments les plus saillants de ce document.

 

1.  La rencontre personnelle avec Jésus de Nazareth

L’exhortation, écrite à la fin du Synode des évêques sur la nouvelle évangélisation, présente trois pôles d’intérêt qui se recoupent entre eux : le sujet, l’objet et la méthode de l’évangélisation : qui doit évangéliser, que faut-il évangéliser, comment évangéliser. A propos du sujet évangélisant, le pape affirme qu’il est formé de tous les baptisés :

« En vertu du Baptême reçu, chaque membre du Peuple de Dieu est devenu disciple missionnaire (cf. Mt 28, 19). Chaque baptisé, quelle que soit sa fonction dans l’Église et le niveau d’instruction de sa foi, est un sujet actif de l’évangélisation, et il serait inadéquat de penser à un schéma d’évangélisation utilisé pour des acteurs qualifiés, où le reste du peuple fidèle serait seulement destiné à bénéficier de leurs actions. La nouvelle évangélisation doit impliquer que chaque baptisé soit protagoniste d’une façon nouvelle. » (n. 120).

Cette affirmation n’est pas nouvelle. Le bienheureux Paul VI l’avait souligné dans Evangelii nuntiandi, saint Jean Paul II dans Christifideles laici; Benoît XVI avait insisté sur le rôle spécial de la famille à cet égard1. Mais avant tout cela il y avait eu l’appel universel à l’évangélisation, proclamé par décret (Apostolicam actuasitatem), lancé au cours du Concile Vatican II. Un jour j’ai entendu un laïc américain commencer sa catéchèse par cette phrase : « Deux mille cinq cent évêques, réunis au Vatican, m’ont écrit de venir vous annoncer l’Évangile ». Tous, naturellement, étaient curieux de savoir qui était cet homme. Ce laïc, qui était aussi un homme plein d’humour, expliqua alors que les deux mille cinq cent évêques étaient ceux qui étaient réunis au Vatican pour le concile Vatican II et avaient écrit le document sur l’apostolat des laïcs. Il avait parfaitement raison : ce document s’adressait à tout baptisé et lui il le prenait justement comme s’adressant à lui personnellement.

Ce n’est donc pas sur ce point que nous devons chercher la nouveauté de l’exhortation EG du pape François. Le pape ne fait que réaffirmer ce que ses prédécesseurs avaient professé à maintes reprises. La nouveauté doit être recherchée ailleurs, dans l’appel qu’il lance aux lecteurs au début de sa lettre et qui constitue, je crois, le cœur du document :

« J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse. Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser que cette invitation n’est pas pour lui » (EG, nr.3)

Autrement dit le but ultime de l’évangélisation ne repose pas sur la transmission d’une doctrine, mais sur la rencontre avec une personne, Jésus Christ. La possibilité d’une telle rencontre, de ce face à face, dépend du fait que Jésus, ressuscité, est vivant et qu’il souhaite marcher aux côtés de chaque croyant, comme il l’a réellement fait avec les deux disciples sur la route d’Emmaüs; plus encore, comme il était dans leur cœur à leur retour à Jérusalem, après l’avoir reçu dans le pain rompu.

Dans le langage catholique le concept de « rencontre personnelle avec Jésus » n’a jamais été très familier. Au lieu de rencontre « personnelle » on préférait l’idée de rencontre ecclésiale, c’est-à-dire une rencontre qui passe par les sacrements de l’Église. L’expression avait, à nos oreilles de catholiques, une résonance vaguement protestante. De toute évidence, le pape ne pense pas à une rencontre personnelle qui remplacerait la rencontre ecclésiale ; il veut seulement dire que la rencontre ecclésiale doit elle aussi être une rencontre libre, voulue, spontanée, pas seulement nominale, juridique ou habitudinaire.

Pour comprendre ce que veut dire réaliser une rencontre personnelle avec Jésus, il nous faut jeter un coup d’œil, même rapide, sur l’histoire de l’Église. Comment devenait-on chrétien lors des trois premiers siècles de l’Église ? Les différences entre un individu et l’autre, entre un lieu et un autre, étaient telles que cela se produisait au bout d’une longue initiation, le catéchuménat. C’était également le fruit d’une décision personnelle, qui s’avérait par ailleurs dangereuse tant le risque du martyre était présent.

Les choses ont changé quand le christianisme est devenu, d’abord une religion tolérée (par l’édit de Constantin en 313) et puis, très vite, une religion favorite, sinon tout simplement imposée. Au début du Vème siècle, l’empereur Théodose II créa une loi selon laquelle seuls les baptisés pouvaient accéder à des charges publiques. Puis il y eut la question des invasions barbares qui changea rapidement et complètement l’ordre politique et religieux de l’empire. Et l’Europe occidentale se transforma en un ensemble de royaumes barbares, habités par des populations, dans certains cas ariennes, pour la plupart païennes.

Dans les régions du vieil empire (surtout en Orient et dans le centre-sud de l’Italie) la décision de devenir chrétien n’était plus du ressort de l’individu mais de la société, d’autant que le baptême était désormais presque toujours administré à des enfants. Quant aux royaumes barbares, la coutume voulait que la population suive toujours la décision du chef. Ainsi, lorsque Clovis, le roi des Francs, se fit baptiser à Reims par l’évêque saint Rémi, dans la nuit de Noël de l’année 498 ou 499, tout son peuple se mit à le suivre (valant ainsi à la France [*] son titre de « Fille aînée de l’Église »). On assiste alors au début de la pratique du baptême de masse. Bien avant la réforme protestante, était en vigueur la norme cuius regio, eius et religio » : la religion du roi est aussi celle du royaume.

Dans cette situation, l’accent n’est plus mis sur la décision par laquelle l’on devient chrétien, mais sur les exigences morales de la foi, sur le changement de coutumes; autrement dit, sur la morale. La situation était malgré tout moins grave que ce que nous pourrions croire aujourd’hui car, à cause de toutes les incohérences que nous savons, il y avait la famille, l’école, la culture et peu à peu la société, qui aidaient presque spontanément à absorber la foi. Sans compter aussi que dès le début de cette nouvelle situation, étaient nées de nouvelles formes de vie, comme le monachisme et plus tard les divers ordres religieux, où le baptême était vécu dans toute sa radicalité et la vie chrétienne le fruit d’une décision personnelle.

Cette situation dite « de chrétienté » a radicalement changé mais ce n’est pas le cas ici de s’attarder sur les temps et la modalité de ce changement. Il suffit de savoir que la situation n’est plus la même qu’aux siècles passés, quand se sont formées la plupart de nos traditions et notre pratique chrétienne. L’arrivée de la modernité, ouverte par l’humanisme, accélérée par la révolution française et par l’illuminisme, l’émancipation de l’État vis-à-vis de l’Église, l’exaltation de la liberté individuelle et de l’autodétermination, et pour finir la sécularisation radicale qui en a découlé, ont profondément changé la situation de la foi dans la société.

D’où l’urgence d’une nouvelle évangélisation, soit d’une évangélisation qui sorte des bases traditionnelles et tienne compte de la nouvelle situation. Il s’agit concrètement de créer pour les hommes d’aujourd’hui des occasions qui leur permettent de prendre, dans ce nouveau contexte, cette décision personnelle libre et mûre que les chrétiens prenaient au début en recevant le baptême, et qui faisaient d’eux de vrais chrétiens et non des chrétiens qui n’en avaient que le nom.

 

2.  Comment répondre aux nouvelles exigences ?

Nous ne sommes évidemment pas les premiers à nous poser le problème : pour ne pas remonter encore plus loin, rappelons l’institution en 1972, du Rituel de l’initiation chrétienne des adultes (RICA) qui propose une sorte de catéchuménat pour le baptême des adultes. Dans certains pays de religion mixte, où beaucoup de personnes demandent le baptême lorsqu’ils sont adultes, cet outil s’est révélé assez utile.

Mais que faire pour la masse de chrétiens déjà baptisés qui n’ont de chrétien que le nom et ne le sont pas dans les faits : complètement étrangers à l’Église et à la vie sacramentelle ? La réponse à ce problème est davantage venue de Dieu Lui-même que de l’initiative humaine. Et ce sont tous les mouvements d’Église, les agrégations laïques et les communautés paroissiale renouvelées, apparues après le concile. Malgré la très grande variété de styles et de consistance numérique, toutes ces réalités constituent un cadre de vie et un outil qui permet à tant de personnes adultes de faire un choix personnel pour le Christ, de prendre leur baptême au sérieux, de devenir des sujets actifs dans l’Église.

Saint Jean-Paul II voyait en ces mouvements et communautés paroissiales vivantes « les signes d’un nouveau printemps de l’Église ». Voici ce qu’il dit dans sa lettre apostolique Novo millennio ineunte :

« Dans cette même ligne, le devoir de promouvoir les divers types d’association revêt une grande importance pour la communion, que ce soient les formes plus traditionnelles ou celles plus nouvelles des mouvements ecclésiaux; ces formes continuent à donner à l’Église une vivacité qui est un don de Dieu et qui constitue un authentique « printemps de l’Esprit » 2.

A différentes occasions, Benoît XVI est allé dans le même sens. Au cours de l’homélie prononcée à la messe chrismale du Jeudi saint 2012, il a dit :

« Celui qui regarde l’histoire de l’époque post-conciliaire, peut reconnaître la dynamique du vrai renouvellement, qui a souvent pris des formes inattendues dans des mouvements pleins de vie et qui rend presque tangibles la vivacité inépuisable de la sainte Église, la présence et l’action efficace du Saint Esprit. »

 

3.  Pourquoi l’Évangile remplit de joie le cœur et la vie du croyant

Mais maintenant retournons à la lettre du pape François. Elle commence par les mots dont est tiré le titre du document : « La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus ». Il y a un lien entre la rencontre personnelle avec Jésus et l’expérience de joie de l’Évangile. La joie de l’Évangile ne s’expérimente qu’en établissant une relation intime, de personne à personne, avec Jésus de Nazareth.

A ce stade, si nous ne voulons pas que les paroles ne restent que des paroles, il faut nous poser la question: pourquoi l’Évangile serait-il source de joie ? L’expression n’est-elle qu’un slogan facile, ou correspond-t-elle à la vérité ? Mais avant cela, demandons-nous : pourquoi l’Évangile s’appelle-t-il comme ça: euangelion, qui veut dire bonne et heureuse nouvelle ?

Le meilleur moyen pour le découvrir c’est de partir du moment où ce mot fait sa première apparition dans le Nouveau Testament et précisément dans la bouche de Jésus. Marc, au début de son évangile, résume en quelques mots le message fondamental que Jésus prêchait dans les villes et villages, après son baptême dans le Jourdain : « Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : “Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile.” » (Mc 1, 14-15).

A première vue on ne dirait pas qu’il s’agit ici d’une nouvelle particulièrement bonne et joyeuse ; cela sonne plutôt comme une annonce austère, comme un appel drastique à changer. C’est dans cette optique qu’il est proposé au début du Carême, dans l’évangile du premier dimanche, et qu’il accompagne le rite des cendres sur le front : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. » Et c’est pourquoi il est vital de comprendre le vrai sens de ce début de l’évangile.

La véritable signification du message de Jésus a été obscurcie par une traduction fautive du mot grec metanoeite. La Vulgate latine traduisait le terme par paenitemini (Mc 1,15) ou avec paenitentiam agite (Ac 2, 38), c’est-à-dire repentez-vous, faites pénitence. Le mot est n'entré dans le vocabulaire et la prédication de l’Église qu'avec cette signification ascétique, tandis que sa signification complète est celle d’un complet changement de pensée, la prise de conscience d’une situation totalement nouvelle.

Avant Jésus, se convertir  signifiait toujours « revenir en arrière » (comme l’indique le terme shub, utilisé en hébreu pour indiquer cette action) ; cela signifiait revenir à l’alliance violée, en renouvelant l’observance de la loi. Le Seigneur, par la bouche du prophète Zacharie, déclare : « Revenez à moi [...] Revenez donc de vos mauvais chemins » (Za 1, 3-4; cf. aussi Jr 8, 4-5). Ainsi, se convertir  prend une signification principalement ascétique, morale, pénitentielle, et implique un changement dans la manière de vivre. La conversion est vue comme une condition pour gagner le salut ; le sens est : convertissez-vous et vous serez sauvés ; convertissez-vous et le salut viendra à vous. Cette signification du mot conversion est celle qui prédomine jusque sur la bouche de Jean Baptiste (cf. Lc 3, 4-6).

Mais dans la bouche de Jésus, celle-ci change ; non parce que Jésus s’amusait à changer le sens des mots, mais parce qu’avec lui la réalité a changé. La signification morale passe au second plan (du moins au début de sa prédication), par rapport à un nouveau sens, jusqu’alors inconnu. Se convertir ne signifie plus retourner en arrière, mais plutôt faire un bond en avant et entrer, par la foi, dans le Royaume de Dieu qui est venu parmi les hommes. Se convertir c’est prendre la « décision de l’heure », face à la réalisation des promesses de Dieu.

« Convertissez-vous et croyez » n’indique donc pas deux choses différentes et successives, mais une même action: convertissez-vous, c’est-à-dire croyez ; convertissez-vous en croyant ! Saint Thomas d’Aquin l’avait déjà dit : « Prima conversio fit per fidem », la première conversion consiste à croire (3).... Conversion et salut se sont échangés les places. Ce n’est plus: « convertissez-vous et vous serez sauvés; convertissez-vous et le salut viendra à vous », mais plutôt : « convertissez-vous parce que vous êtes sauvés ; parce que le salut est venu à vous ». Les hommes n’ont pas changé, ils ne sont ni meilleurs ni pires qu’avant : c’est Dieu qui a "changé" et, dans la plénitude des temps, il a envoyé son Fils pour que nous soyons adoptés comme ses enfants (cf. Ga 4, 4).

Beaucoup de paraboles évangéliques ne font que réaffirmer cette heureuse annonce initiale. Une de ces paraboles est celle du banquet. Un roi fit un banquet pour les noces de son fils; à l’heure dite il envoya ses serviteurs appeler les invités (cf. Mt 22, 1 ss.). Ceux-ci n’avaient pas payé à l’avance le prix, comme on le fait normalement dans les repas sociaux ; non, le banquet est gratuit. Il s’agit uniquement d’accepter ou de refuser l’invitation. Une autre parabole est celle de la brebis égarée. Jésus termine en disant: « Ainsi je vous le dis : il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit » (Lc 15,10). Mais en quoi a consisté la conversion de la brebis? Serait-elle retournée à la bergerie de ses propres pattes? Non, c’est le berger qui est allé la reprendre et l’a ramenée à la bergerie sur ses épaules. La brebis, elle, n’a fait que se laisser prendre sur les épaules.

Saint Paul, dans la lettre aux Romains (3, 21 ss.), sera l’annonciateur indomptable de cette nouveauté évangélique, après en avoir fait l’expérience dramatique dans sa propre vie. Il décrit ainsi le fait qui changea le cours de sa vie :

« Tous ces avantages que j’avais [être circoncis, juif, irrépréhensible quant à l’observance de la loi] je les ai considérés, à cause du Christ, comme une perte. Oui, je considère tout cela comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des ordures, afin de gagner un seul avantage, le Christ, et, en lui, d’être reconnu juste, non pas de la justice venant de la loi de Moïse mais de celle qui vient de la foi au Christ, la justice venant de Dieu, qui est fondée sur la foi. » (Phil 3, 7-9).

Voilà pourquoi l’Évangile s’appelle « évangile » et pourquoi il est source de joie. Il nous parle d’un Dieu qui, par pure grâce, est venu à notre rencontre en son Fils Jésus. Un Dieu qui « a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle » (Jn 3, 16).

Beaucoup, à propos de l’Évangile, ne se souviennent que de la phrase de Jésus : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Mt 16, 24), et ils se convainquent que l’Évangile est synonyme de souffrance et de reniement de soi, et non de joie. Mais allons jusqu’au bout : « qu’il me suive », où ? Au Calvaire, à la mort sur la croix ? Non, dans l’Évangile ceci constitue l’avant-dernière étape, jamais la dernière. Qu’il me suive, à travers la croix, vers la résurrection, vers la vie, vers une joie sans fin !

 

4.  La foi, les œuvres, et l’Esprit Saint

Mais ne réduisons-nous pas ainsi l’Évangile à une seule dimension, celle de la foi, en négligeant les œuvres ? Et comment concilier l’explication que nous venons de donner et les autres passages du Nouveau Testament où le mot conversion s’adresse à ceux qui ont déjà cru ? Un jour, aux apôtres qui le suivaient depuis longtemps Jésus à dit: « Si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux » (Mt 18,3) ; Jean, dans l’Apocalypse, répète à chacune des sept Églises l’impératif « convertis-toi » (metanoeson), où le sens du mot est sans équivoque: reviens à ta ferveur des débuts, sois vigilant, accomplit les œuvres, arrête de te bercer dans l’illusion d’être en règle avec Dieu, sors de ta tiédeur ! (cf. Ap 2-3).

L’apparente contradiction s’explique par une simple analogie avec ce qui arrive dans la vie physique. L’enfant ne peut rien faire pour être conçu dans le sein de la mère ; il a besoin de l’amour de deux parents qui lui donnent la vie ; mais une fois venu au monde il doit faire fonctionner ses poumons, respirer, téter du lait, sinon la vie qu’il a reçue s’arrêtera. C’est dans ce sens que l’on doit comprendre la phrase de saint Jacques : « La foi sans les œuvres est morte » (Jc 2, 26), c’est-à-dire que sans les œuvres la foi « meurt ».

C’est aussi le sens que la théologie catholique a toujours donné à la définition de Paul : « la foi, qui agit par la charité » (Ga 5, 6). Nous ne serons pas justifiés par nos bonnes œuvres, mais nous ne serons pas sauvés sans nos bonnes œuvres : on peut résumer de la sorte ce que le concile de Trente dit sur ce point et que les chrétiens partagent de plus en plus dans le dialogue œcuménique.

L’exhortation apostolique du pape François reflète cette synthèse entre foi et œuvres. Après avoir commencé par parler de la joie de l’Évangile qui remplit le cœur, il rappelle dans le corps de la lettre tous les grands « non » que l’Évangile prononce contre l’égoïsme, l’injustice, l’idolâtrie de l’argent, et tous les grands « oui » qu’il nous encourage à dire au service d’autrui, à l’engagement social, aux pauvres...  C’est la démonstration que la rencontre personnelle avec Jésus dont il nous parlait au début de la lettre, est loin d’être une expérience intimiste et individualiste ; elle devient, au contraire, le ressort principal pour l’évangélisation et la sanctification personnelle.

Mais l’engagement que l’Évangile exige n’affaiblit pas la promesse de joie par laquelle Jésus inaugure son ministère et par laquelle le pape commence son exhortation, bien au contraire, elle la renforce. Cette grâce que Dieu a offerte aux hommes en envoyant son Fils dans le monde, maintenant que Jésus est mort et ressuscité et qu’il a envoyé l’Esprit Saint, ne laisse pas le croyant seul aux prises avec les exigences de la loi et du devoir ; mais elle fait en lui et avec lui ce qu’il lui ordonne. L’aide divine le fait « déborder de joie au milieu de toutes ses détresses » (cf. 2 Co 7,4).

C’est sur cette certitude que le pape François achève son exhortation. L’Esprit Saint, rappelle-t-il, « vient au secours de notre faiblesse » (Rm 8, 26).  Il est notre grande ressource. La joie promise par l’Évangile est le fruit de l’Esprit (Ga 5, 21), et il ne s’entretient que grâce à un contact continu avec lui.

Lors d’une rencontre récente avec les responsables des Fraternités charismatiques, le pape François a cité l’exemple de la respiration humaine 4. Elle se produit en deux temps: d’abord l’inspiration qui permet de recevoir l’air, puis l’expiration qui permet de l’expulser. C’est, disait-il, un beau symbole de ce qui doit se passer dans l’organisme spirituel. Nous inspirons l’oxygène qui est l’Esprit Saint en priant, en méditant la parole de Dieu, par les sacrements, la mortification, le silence ; nous répandons l’Esprit quand nous allons vers les autres, quand nous annonçons la foi et faisons œuvre de charité.

Ce temps de carême qui vient de s’ouvrir est, par excellence, un temps d’inspiration. Faisons, en cette période, de profondes respirations ; remplissons d’Esprit Saint les poumons de notre âme, et comme ça, sans nous en rendre compte, notre haleine sentira bon le parfum du Christ. Bon Carême à tous !

 

Traduction de Zenit

 

 

[*]  NDB - Erreur courante jusqu'au plus haut niveau. Seuls les médiévistes savent que ce n'est pas "la France", mais la couronne de France, ou plus exactement la couronne des rois francs (incarnée en des personnes succcessives), qui fut déclarée par un pape "fille aînée de l'Eglise".  L'Eglise baptise des individus, non des collectivités ni des institutions. C'est Lacordaire en 1841 qui a inventé la formule "France, fille aînée de l'Eglise" ; encore faut-il remettre cette phrase dans son contexte, celui de la naissance de la démocratie chrétienne... Pour accompagner le transfert républicain de la souveraineté du roi au peuple, Lacordaire transfère au peuple le prédicat royal "fils aîné de l'Eglise" ; de là la formule sur la France.

 

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1 Benoît XVI, Discours à la plénière du Conseil pontifical pour la famille, 2011.

2 Novo millennio ineunte, 46.

3 S. Thomas d’Aquin, Summa theologiae, I-IIae, q.113,a,4.

4 Discours aux membres de la Catholic Fraternity of Charismatic Covenant Communities and Fellowships, 31 octobre 2014.

 

Commentaires

AUJOURD'HUI

> admirable de clarté, force et simplicité.
Franciscain à 100%.
Exactement ce qu'on a besoin d'entendre aujourd'hui, à l'heure où certains sèment la méfiance chez les catholiques français envers le pape François !
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Écrit par : jean-eudes / | 03/03/2015

PRINTEMPS

> Je suis choquée par la mauvaise volonté de cathos français contre François.
On l'a sentie dès le début de son pontificat : pour sa tenue vestimentaire, son langage, puis ses positions, et pour le synode Famille (certains l'ont accusé de façon odieuse).
On sent que ça continue de manière pas franche, sans dire clairement les choses. Un milieu ne lui pardonne pas de ne pas lui ressembler.
Mais enfin quoi : il est le successeur de Pierre ! C'est qui ces gens pour le juger ?
En plus c'est le pape missionnaire envoyé pile après le pape prophète et le pape théologien.
On a une chance du Ciel et on lui ferait la gueule ? ce serait minable.
Au contraire participons avec François à la rénovation totale. Grand nettoyage de printemps.
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Écrit par : marie-pierre / | 03/03/2015

LE MYTHE DE LA "FILLE AÎNÉE"

> Pour en finir avec le mythe de la "Fille aînée" :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fils_a%C3%AEn%C3%A9_de_l%27%C3%89glise
Et surtout relire la conférence du cardinal Barbarin à l'Académie des Sciences morales et politiques en 2013 :
http://www.asmp.fr/travaux/communications/2013_04_15_barbarin.htm
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Écrit par : Alex / | 03/03/2015

à Alex :

> Comment faut-il entendre l'admonestation de saint Jean-Paul II au Bourget ?:
" Il n'existe qu'un seul problème, celui de notre fidélité à l'Alliance avec la Sagesse éternelle, qui est source d'une vraie culture, c'est-à-dire de la croissance de l'homme, et celui de la fidélité aux promesses de notre baptême au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Alors permettez-moi de vous interroger : France, fille aînée de l'Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? Permettez-moi de vous demander : France, fille aînée de l'Eglise et éducatrice des peuples, es-tu fidèle, pour le bien de l'homme, à l'Alliance avec la Sagesse éternelle ? Pardonnez-moi cette question. Je l'ai posée comme le fait le ministre au moment du Baptême. Je l'ai posée par sollicitude pour l'Eglise dont je suis le premier prêtre et le premier serviteur, et par amour pour l'homme dont la grandeur définitive est en Dieu, Père, Fils et Esprit."

gdecock


[ PP à GDC :
- Sans me substituer à Alex qui vous répondra de son côté, permettez-moi de dire que saint Jean-Paul II commet ici la même erreur historique qu'à peu près tout le monde avant lui (au moins dans l'Eglise en France et à Rome). Même un pape et un saint peut employer une tournure de phrase insuffisamment précise !
En réalité le baptême en question fut un événement daté et situé, au cours duquel ce n'est pas évidemment pas "la France" qui a été baptisée, mais Clovis et son entourage.
- Reste le problème théologique. Le pape semble dire que "la France" a été baptisée et qu'elle a fait "des promesses" à cette occasion. Nombre de théologiens ont toussé après ce discours, parce que l'idée n'est pas conforme à la théologie des sacrements. Mais on peut voir dans cette phrase une allégorie : comparer à une sorte de promesse "nationale" l'engagement successif d'innombrables générations de sujets des rois francs, puis des rois de "France" (les fiefs capétiens), puis des rois de ce que nous appelons France, et enfin (de façon de plus en plus allégorique, voire analogique), de membres du peuple français... Mais là, l'analogie a de plus en plus de mal à s'appliquer, puisqu'aujourd'hui les individus et les familles composant ce peuple ont abandonné le christianisme en grande majorité.
Le pape pouvait en effet demander aux baptisés français ce qu'ils ont fait des promesses de leur baptême. A quoi nombre d'entre eux répondent qu'ils n'ont fait aucune promesse, ayant été baptisés bébés !
C'est là qu'on voit la difficulté de plus en plus grande à parler de ces questions spirituelles avec des générations ancrées dans le refus de toute spiritualité.
Et pourtant c'est elles qu'il faut évangéliser !
Cette évangélisation ne peut prendre la forme d'on ne sait quel "rappel au passé" : un passé qui n'a aucune consistance dans l'esprit des gens d'aujourd'hui.
Il faut tout reprendre à zéro. En partant de la personne. C'est ça, la nouvelle évangélisation ; et c'est pour ça que les passéistes ne s'y intéressent pas. Manque d'intérêt qui est la cause du malaise actuel dans l'Eglise de France, né de l'animosité de ce milieu envers François, pape de la nouvelle évangélisation.. ]

réponse au commentaire

Écrit par : gdecock / | 04/03/2015

LE MALAISE

> "...Manque d'intérêt qui est la cause du malaise actuel dans l'Eglise de France, né de l'animosité de ce milieu envers François, pape de la nouvelle évangélisation"
Ce milieu accuse François de dire des trucs approximatifs en théologie.
Mais saint JP II a dit un truc vraiment approximatif avec sa "France fille aînée de l'Eglise" qui aurait fait "des promesses de baptême". Et ça, le milieu anti-François ne le reprochera jamais à JP II.
Eh eh eh...
______

Écrit par : Michel Biguet / | 04/03/2015

LE CARDINAL BARBARIN

> et comme cela n'empêche pas le cardinal Barbarin d'être le principal soutien de l'actuelle "neuvaine pour la France", on voit bien que remettre à sa juste place l'expression "Fille Ainée de l'Eglise" , n'est pas un "indice maçonnique" ou la marque d'un désintérêt pour le retour de la foi dans le cœur des Français !

- "Il faut tout reprendre à zéro. En partant de la personne. C'est ça, la nouvelle évangélisation ;"
c'est ça !
la personne>le couple>la famille>le peuple>le monde
la personne "temple de l'Esprit Saint"> la famille "église domestique">la paroissel'Eglise

@ PP, vous voulez dire ceci ?
https://133f7ca4-a-62cb3a1a-s-sites.googlegroups.com/site/pelepourlafrance/home/quelques-ides-autour-de-la-notion-de-patrie/arbre%20de%20l%C3%A9vang%C3%A9lisation.jpg?attachauth=ANoY7crCgpYR-dU1Nz1kyTDmpXTm4DpXW0H1YGG3SMZ1r51wACCEn6y4PYtitNKCyNa1qWXrHhI6B9AuU8UWhkL6AXXV53XZ7u90oh9X82PpMGq-KY_qgx0y0Ycby1hrJi8_oK41QD1lUUDtzWXPQVQ24kJS0DmD35OTRkzXm_z-x_Zr58MP3f8s0Q7Rxr6qeWW_qGswdw-K-IAZc_Mu9zvNzj7_z8L_vIZvNC19JL02NnSUnQzhGAIgmEC9P3DhZCnWtUcc_9KVSp08Fkp7dLM-Ne0Mg7fu5M7Yy044czpBVzngmeF0nWIYOBjOVqPTNjKtKPBPSwy9&attredirects=0

Nous sommes "des contemplatifs en action" pour reprendre l'expression de Paul VI
______

Écrit par : E Levavasseur / | 04/03/2015

VOUS ME LE COPIEREZ DIX FOIS

> NB : en grec, ce n'est pas euangelion, mais euaggelion.

JG


[ Exact. Il faudra le dire à Zenit. ]

réponse au commentaire

Écrit par : JG / | 04/03/2015

@ JG :

en grec, c'est εὐαγγέλιον. Le père Cantalamessa (ou Zenit) opte pour une transcription, vous préférez la translittération ; grand bien fasse à tout le monde.
______

Écrit par : Albert Christophe / | 05/03/2015

BAPTÊMES

> « La joie de l’Évangile ne s’expérimente qu’en établissant une relation intime, de personne à personne, avec Jésus de Nazareth », nous rappelle le père Cantalamessa.
Et plus loin : « Mais en quoi a consisté la conversion de la brebis ? Serait-elle retournée à la bergerie de ses propres pattes ? Non, c’est le berger qui est allé la reprendre et l’a ramenée à la bergerie sur ses épaules. La brebis, elle, n’a fait que se laisser prendre sur les épaules. »
Je m’arrête sur ces deux extraits, en lien avec notre devoir d’aller aux périphéries…
Charger la brebis sur ses épaules, c’est une chose admirable, mais le faisons-nous, et savons-nous toujours la porter comme il le faudrait ?
Prenons par exemple ce couple de catéchistes qui est appelé par son curé, en début de Carême, à préparer en urgence une fillette de 9-10 ans au baptême et à la première communion, en plus des six autres enfants du même âge qui cheminent en équipe dans ce foyer, depuis cinq mois. Tous seront baptisés à Pâques.
Ce couple, en vérité, fait-il correctement son devoir ? Même s’il agit dans l’obéissance, a-t-il, au fond, raison de charger sur ses épaules l’ouvrière de la dernière heure sachant qu’elle répond essentiellement à une volonté parentale – des parents éloignés de la vie de l’Eglise mais désireux que la petite soit opérationnelle, équipée, pour la classe de 6e et le collège catholique du coin, d’excellente réputation ?
Et ce curé qui ferme les yeux sur cette préparation trop rapide d’une enfant peu catéchisée et très ignorante du contenu de la foi, ce curé qui, dans le même temps, relaie volontiers auprès de ses paroissiens la demande du pape François d’aller aux périphéries… Ne serait-il pas, en fait de missionnaire aux périphéries, un mondain qui cède trop facilement à la volonté du bourgeois-consommateur-de-rite-de-passage ?
Ce type d’évangélisation expresse et donc insuffisamment exigeante, ne ressemble-t-il pas à ce dont l’Eglise qui est en France a souffert depuis cinquante ans ? Au point de s’être vautrée quelquefois dans la mondanité à force d’« ouverture au monde », multipliant les baptêmes de convenance, sans lendemain… ?
Dans une telle situation, il est vrai, il reste à ce couple la ressource de faire sien l’acte de foi du P. Cantalamessa : «… que faire pour la masse de chrétiens déjà baptisés qui n’ont de chrétien que le nom et ne le sont pas dans les faits : complètement étrangers à l’Église et à la vie sacramentelle ? La réponse à ce problème est davantage venue de Dieu Lui-même que de l’initiative humaine ».
Chantons donc, avec Cantalamessa (le si bien nommé) : « Dieu, viens à notre aide… »
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Écrit par : Denis / | 05/03/2015

SE CONVERTIR

> Merci de nous partager cette belle médiation de Carême.
France, Fille aînée de l'Eglise... même si l'expression est historiquement incorrecte, elle me parle beaucoup : elle semble dire que la France a été faite et façonnée par la foi chrétienne, que sa richesse culturelle qui attire tant, la beauté de ses monuments et de ses paysages, lui vient de la foi chrétienne de nombreuses générations.
Si la France veut être aujourd'hui encore une lumière pour éclairer les autres nations, il faut qu'elle reflète l'unique Lumière des nations, le Christ.
Cela ne veut pas dire regarder un passé supposément glorieux, cela veut dire : pour moi personnellement, me convertir (avec toute la richesse d'acception dont parle le Père Cantalamessa), pour ma famille, vivre le Christ au centre ; pour les responsables politiques de bonne volonté, cesser d'assécher la source qui donne à la culture française sa vitalité et sa saveur : stop à un laïcisme mortifère, sans tomber dans l'instrumentalisation du religieux ou les mélanges politico-religieux de grand-papa.
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Écrit par : Pema / | 06/03/2015

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