14/09/2016
Business : Auchan aux antipodes du Saint-Siège
EuropaCity sera le contraire de l'économie prônée par le Vatican :
Combien de temps encore durera ce porte-à-faux ? D'un côté une bourgeoisie d'affaires catholique feignant de ne pas entendre (ou ne pas comprendre) ce que disent les papes. De l'autre côté le Saint-Siège, qui multiplie les initiatives face au système économique actuel...
► Du côté du Saint-Siège, par exemple : le 21 septembre, à Rome, le Conseil pontifical pour la culture patronne un congrès "pour une économie plus humaine et plus juste". Thème : "un nouveau paradigme inclusif dans un contexte d'inégalité croissante". Le cardinal organisateur, Mgr Rivasi, dénonce "la boulimie des moyens et l'anorexie des fins" qui caractérisent le système actuel : produire pour produire, enfermer l'humanité dans l'impasse de cette croissance artificieuse. L'homme asservi à l'économie ! Selon les données officielles citées dans l'annonce du congrès, "80 % de la population mondiale n'a accès qu'à 6% des soins de santé disponibles. Plus de 50% de la richesse globale est aux mains de 1% de la population". Pourtant, ajoute le cardinal, "il n'y a pas que les banquiers ou les dominants de Wall Street : il y a aussi ceux qui tentent de survivre ou qui ont faim..."
► Du côté des 1%, par exemple : le groupe de grande distribution Auchan a relancé lundi son Grand Projet Inutile, le futur mégacomplexe EuropaCity qui doit bétonner les derniers 750 hectares agricoles du Triangle de Gonesse, au large de Roissy. Au programme : un quartier d'affaires de 200 hectares. Et un centre commercial "de loisirs" de 80 hectares aux prétentions ubuesques : dont "un parc à neige avec piste de ski indoor", réalisation hyper-énergivore à l'ère du réchauffement climatique. Cette business-Babel à 2 milliards d'euros est impulsée par Immochan, la filiale immobilière d'Auchan. Elle révolte beaucoup d'habitants de Gonesse : un collectif de résistance s'est constitué autour de 18 associations ; il s'insurge, selon la formule de son animateur Bernard Loup, contre "la colonisation par les appétits financiers". Bien entendu, Auchan riposte (schéma usuel) en affirmant qu'EuropaCity "créera des milliers d'emplois" ; et en taisant qu'il en détruira des milliers d'autres [1]. Sans oublier que l'avenir du tertiaire est la "croissance sans emplois" grâce aux algorithmes.
S'ajoute à cela l'anachronisme de ces Grands Projets Inutiles. EuropaCity ne sera rentable qu'avec "31 millions de visiteurs par an", alors qu'EuroDisney - le site voisin - atteint à grand-peine les 15 millions. Aussi obsolète que l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, aussi surdimensionnée que le barrage de Sivens, aussi dépourvue d'utilité que le superTGV Lyon-Turin, la Babel d'Auchan est une idée des premières années 2000 (avant la crise systémique). Par ailleurs, elle drape sa vraie nature sous le verbiage d'un business "culturel" qui, lui aussi, commence à dater sérieusement... Auchan s'est en effet offert un plateau d'intellectuels de marché ; la direction d'EuropaCity est confiée à un ancien conseiller de Jean-Jacques Aillagon [2]. Et Aillagon en personne est venu déclarer, lors du débat public, que le projet de Gonesse avait "une dimension culturelle" : ce qui a fait rire l'assistance, constate le rapport de séance.
En réalité, EuropaCity exprime la perplexité de la grande distribution devant son propre avenir. Elle ne peut l'envisager que comme une "croissance". Or le modèle économique de cette grande distribution est en train d'atteindre ses limites. Elle cherche donc par où continuer dans l'illimité, ce qui la pousse dans une fuite en avant dont EuropaCity est un cas typique : une boulimie de moyens qui sont à eux-mêmes leur propre fin, dirait le cardinal Rivasi.
On retombe là sur le problème de la grande bourgeoisie d'affaires catho dont les patrons d'Auchan sont l'archétype : c'est l'Association familiale Mulliez, holding de 37 milliards d'euros ; le président du conseil de surveillance du groupe est depuis 2006 le financier Vianney Mulliez, père du projet EuropaCity. Il a succédé au fondateur Gérard Mulliez. Celui-ci déclarait en 2013 : "La foi est du domaine de la finalité, le capitalisme est du domaine des moyens à mettre en oeuvre..." Belle formule, dont se contenteraient les tenants d'une morale des intentions ! Mais l'observation des faits montre que le capitalisme concret exclut toute autre fin que le profit, autrement dit c'est une idolâtrie des moyens - dont la Babel de Gonesse est une illustration. MM. Mulliez devraient aller au congrès de Rome, écouter le cardinal Rivasi. [3]
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[1] Les centres commerciaux de la zone concernée (Paris Nord 2, Aéroville) ont déjà du mal à trouver leur équilibre.
[2] Aillagon fut ministre de la Culture sous Chirac. Il conseille François Pinault dans ses activités artistiques.
[3] A moins qu'ils ne partagent l'opinion de Bruno Lafont, co-PDG du groupe LafargeHolcim, qui déclarait devant trois cents paroissiens de St-Philippe-du-Roule (4/02/2016) que le pape François "a tort sur l'économie" ? Ancien élève de St-Louis-de-Gonzague (Franklin), M. Lafont est lui aussi un "grand patron catho". Sur le débat de St-Philippe-du-Roule, voici ici ma note du 5/02 : http://plunkett.hautetfort.com/archive/2016/02/05/le-pape...
12:43 Publié dans Ecologie, Economie- financegestion, Pape François | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : europa city, auchan, pape françois
Commentaires
DIMANCHE
> "La foi est du domaine de la finalité, le capitalisme est du domaine des moyens à mettre en œuvre..." : belle formule, en effet. Autant dire : "La foi est du domaine du dimanche (*), le capitalisme est du domaine de la semaine..."
(*) Sauf pour les employés, parce que, quand même, il n'y a pas de petits profits.
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Écrit par : Sven Laval / | 14/09/2016
> "Bien entendu, Auchan riposte (schéma usuel) en affirmant qu'EuropaCity "créera des milliers d'emplois"; et en taisant qu'il en détruira des milliers d'autres."
C'est une loi de Lavoisier (https://fr.wikipedia.org/wiki/Conservation_de_la_masse).
Si je peux me permettre de raconter ce qui m'est arrivé, bulletins de salaires à l'appui, entre février et mars de cette année et qui risque d'arriver aux milliers d'emplois créés, au dépend des milliers perdus, c'est ceci :
Je travaille pour une très grosse entreprise (A) bien française qui a décidé il y a 5 ans maintenant de sous-traiter le magasinage de ses pièces détachées après appel d'offre.
A l'époque c'est le sous-traitant B qui l'emporte avec un contrat de 4 ans, arrivé à terme au mois de février de cette année : et donc nouvel appel d'offre.
C'est un autre sous-traitant C qui l'emporte parce que meilleur marché, je veux dire moins cher.
Le changement de prestataire nous a obligé à démissionner de l'ancien pour nous faire réembaucher par le nouveau, ... si on voulait ... parce que notre salaire passe de 1500 à 1300 euros avec en prime la "satisfaction" d'avoir participé à raison de 200 euros par mois, à multiplier par 4 salariés, au succès de C sur B.
Je suis resté, j'ai 60 ans.
Deux autres de mes collègues sont restés aussi, dont un pour les mêmes raisons.
Nous continuons à faire le même travail, l'humiliation en plus.
C'est pas facile d'être humble.
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Écrit par : Yann / | 14/09/2016
> Atterré, je suis atterré de ce genre de projet.
Prions que la raison l'emporte sur l’appât du gain.
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Écrit par : Ludovic / | 15/09/2016
MOLOCH
> Le super-méga-giga centre commercial comprendra également une "aire de récréation festive citoyenne" où les clients pourront célébrer la gloire de la Consommation en dansant autour d'un veau d'or ou en sacrifiant leur premier né à Moloch pour obtenir le retour de la Croissance.
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Écrit par : Thibaud / | 15/09/2016
AILLAGON & MICKEY
> Aillagon est l'un des ministres de la Culture qui ont voulu transformer notre patrimoine culturel en disneyland, rappelons-le.
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Écrit par : Guadet / | 17/09/2016
UNE FORME
> Les Mulliez ou les Leclerc viennent d'une forme de catholicisme social ou on s'était fait un devoir de mettre les biens de consommation à disposition de tous, tout en prenant les commerçants traditionnels pour des voleurs incapables.
PH
[ PP à PH - Il y a marginalement une certaine tradition littéraire dans ce domaine : cf. Bloy, ou Bernanos dans le 'Curé de campagne' (les boutiquiers cafards qui en veulent au "petit curé" de ne pas acheter assez)... ]
réponse au commentaire
Écrit par : Pierre Huet / | 18/09/2016
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