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04/02/2015

Pour déniaiser les libéraux-conservateurs

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"Libéralisme conservateur" est un oxymore, voici pourquoi :


 

La presse parisienne adore étiqueter, c'est moins fatigant que de réfléchir et ça va plus vite : ainsi le néo-bourgeois est catalogué « libéral-libertaire » (voir la note précédente). Par opposition, le bourgeois à l'ancienne se dit volontiers  « libéral-conservateur ».

Mais « libéralisme conservateur » est un oxymore : comme « obscure clarté », « nain géant » ou « impitoyable tendresse ».

Au sens estimable du terme*, le « conservateur » est celui qui veut maintenir un patrimoine de civilisation. (Une « civilisation » est l'état dans lequel l'individu, en naissant, trouve incomparablement plus qu'il n'apporte).

Le terme « libéralisme » véhicule une idée tout autre. Son seul vrai critère de valeur est le marché. Mme Thatcher disait : « Je ne connais rien qui s'appellerait “société” ; il n'existe que l'individu et le marché. » La logique du libéralisme est de réduire la vie sociale au marché et de tout transformer en marchandise. Donc de dissoudre tout ce qui «freinerait » la société, c'est-à-dire l'empêcherait de se soumettre entièrement au marché... Résultat : la perte de ce que les vrais « conservateurs » (au bon sens du terme) savent être des fondamentaux de la condition humaine sous toutes les latitudes.

Si la société de marché va jusqu'à s'en prendre à ces fondamentaux de l'humain, c'est que le marché est devenu la seule force terrestre depuis la démission du politique. Il s'empare donc de tout : ressources naturelles, ressources humaines, domaines les plus intimes de l'existence. Son stade suprême est maintenant de rendre artificiel et payant ce qui était (depuis toujours) naturel et gratuit : « Dans un monde où la croissance risque d'être ralentie par l'épuisement des énergies fossiles, le vivant est une nouvelle source de profit. La possibilité de le transformer et de le manipuler permettra de poursuivre la croissance. Dans ce cadre, les processus biologiques dans leur ensemble doivent être exploités. Les organismes vivants sont considérés comme une ressource renouvelable et non polluante grâce à laquelle la croissance infinie peut continuer... »**

L'extension illimitée du domaine marchand touche la bioéthique (Londres : notre note du 3/02), la culture (songez à Fleur Pellerin), la politique (voyez ce que sont devenus nos dirigeants de droite et de gauche).

C'est un engrenage :

ouvrir sans cesse de nouveaux marchés, parce que sans cela le productivisme tomberait en panne ;

 donc pouvoir commercialiser  tout  et n'importe quoi ;

ce qui implique la suppression du bien et du mal, suppression prônée dès 1708 par le précurseur londonien de la pensée libérale :  l'idéologue Bernard Mandeville... Ce qui implique aussi – par dérivation – l'hostilité (qui se répand en Occident depuis trente ans) envers un catholicisme vu comme frein à la marchandisation des « biens humains trop précieux et fragiles pour être livrés à l'arbitraire du marché », comme disait Jean-Paul II.

On constate ainsi le lien étroit entre le libéralisme économique et le libéralisme sociétal ; lien évidemment nié par les libéraux-conservateurs, qui déplorent les effets de causes qu'ils chérissent.

Ce lien étroit se vérifie en tous domaines. Par exemple à propos de l'emploi ! Alors que la rhétorique libérale prétend que tous les problèmes – dont celui du chômage – seront résolus par la « nouvelle économie » (« créativité » + « technologie » = abracadabra), la réalité de cette « nouvelle économie » est toute différente : son mot d'ordre interne – peu divulgué sur la scène publique – est « la croissance sans emplois », dont l'outil d'hier fut la délocalisation, et dont l'outil de demain est la robotisation (voir ici ). La robotisation menace désormais 47 % des emplois aux Etats-Unis et 140 millions de « travailleurs du savoir » dans le monde, selon les chercheurs Frey et Osborne de l'université d'Oxford...

Par ailleurs, « l'économie numérique »,  cette fameuse « économie de la Silicon Valley » qui fait l'extase de nos radios, ne représente que 4 % des emplois aux Etats-Unis et 3 % en Europe ; et ses perspectives ne dépassent guère ce pourcentage.  Le rêve hors-sol de la « nouvelle économie » se déploie donc dans un espace extérieur à l'humanité. D'où la suggestion d'une chroniqueuse économique de France Culture, il y a quelques jours : « Les gens sont trop nombreux sur cette Terre pour profiter de la nouvelle économie ! » C'est le retour à Malthus, c'est-à-dire aux origines mêmes de l'idéologie libérale. En 1995 on nous expliquait que les gens sont au service de l'économie ; en 2015 on nous explique que l'économie aura de moins en moins besoin des gens.

Deux observations à ce propos :

1. Le capitalisme tardif est donc miné par une contradiction croissante entre son productivisme et sa destruction des emplois. Comment vendre toujours plus d'objets à des gens toujours plus chômeurs ? Pris dans le vertige du casino financier global, les stars de la « nouvelle économie » ne semblent pas avoir aperçu cet aspect de la réalité.

2. Par rapport à ces réalités nouvelles, la rhétorique des libéraux-conservateurs est totalement ringarde. Comment peuvent-ils rabâcher qu'en 2015 la problématique est toujours l'opposition madelinesque (1985) entre « l'entrepreneur qui prend des risques » et « l'étatisme-assistanat » ? Ce discours paléo-bourgeois n'a plus rien à voir avec le nouveau trend.

 

Peut-on déniaiser les libéraux-conservateurs ? La chose paraît aussi difficile que de déniaiser les libéraux-libertaires : les uns et les autres sont enfermés dans une posture. Les lib-lib ne peuvent pas imaginer que leur posture (un hyper-individu libéré du réel par les technologies) est dictée par la Machine du big business. Les lib-con, si j'ose cet américanisme, ne peuvent pas imaginer que leur posture (maintenir en 2015 un discours déjà faux en 1985) fait d'eux les idiots utiles d'un big business qui n'a plus besoin d'eux.

En fait, il ne s'agit pas de déniaiser les lib-lib et les lib-con : il s'agirait plutôt de les réveiller. Ce sont des somnambules.

 

_______________ 

* Il a aussi un sens péjoratif, celui que désignait le duc d'Orléans de 1890 dans sa célèbre boutade : « conservateur est un mot qui commence mal. »

**  Céline Lafontaine, voir note précédente. 

 

 

Commentaires

MAGOT

> Les libéraux-conservateurs sont d’abord des gens pour qui « la propriété est sacrée » ; ils veulent que les plus riches puissent conserver leur patrimoine et le transmettre à leurs enfants et petits-enfants, sans avoir à craindre que l’Etat, ce « voleur », ne fasse main basse de leur magot.
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Écrit par : Blaise / | 04/02/2015

VICTIMES

> Les libéraux-conservateurs aiment à se dépeindre comme les tristes victimes d'un Etat-rapace.
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Écrit par : Blaise / | 04/02/2015

CONSERVATEURS

> Je constate avec plaisir que vous n'employez plus le mot "conservateurs" uniquement dans son sens péjoratif !
Il a aussi le sens que vous admettez enfin, celui de la MAINTENANCE de choses essentielles.
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Écrit par : Stéphane / | 04/02/2015

à Stéphane et PP

> mmmouais, le "bon sens du terme"... en théorie... Parce que en pratique ont voit le gouvernement conservateur anglais. Il cavale loin en tête dans la mauvaise direction, celle qui ne "conserve" rien du tout sauf les privilèges de la City.
______

Écrit par : molly maguire / | 04/02/2015

à Molly Maguire :

> Le problème du parti conservateur anglais est celui de bien des partis politiques : "conservateur" n'est plus en l'occurrence qu'une étiquette, comme le fut "travailliste" avec Tony Blair ; comme le parti "socialiste" en France, ou encore l'UMP (quelqu'un sait-il encore ce que signifie cet acronyme ? Je crois me rappeler que, dans sa dernière version le "P" signifie "populaire" : sans commentaires...), où certains se disent "gaullistes" de temps en temps.
Ce ne sont plus que des noms de marques, comme celles de produits étiquetés "du terroir", "traditionnels", etc., alors qu'ils sont fabriqués dans des usines par des servants de machines (je n'ose plus dire des ouvriers) qui s'y ennuient.
______

Écrit par : sven laval / | 04/02/2015

L'ETAT

> Quel est le secret de votre lucidité, cher Patrice ? J'en ai une petite idée...
Mais que cette lucidité ne s'arrête pas aux ravages passés et à venir du libéralisme mais aussi à ceux du "tout-Etat", qui est son pendant dans notre société (nous atteindrons bientôt les taux soviétoïdes d'intervention de l'Etat dans l'économie - aujourd'hui autour de 58% quand l'URSS au faite de son idéologie affichait un 78-80%).
Ainsi, nous avons d'un côté un libéralisme qui réduit la liberté à celle de la consommation obligatoire, et de l'autre un Etat qui réduit cette liberté par une forme d'embrigadement destructeur des anciennes vertus : qu'est ce que la charité face à la Sécu ? Qu'est ce que la responsabilité face à Pôle Emploi ? Qu'est ce que la liberté d'entreprendre et le goût du travail quand le moindre salarié ne rêve que de 35h et de RTT pour consommer ?
Nous avons plus que jamais besoin de lucidité...

Olaf


[ PP à Olaf - D'accord mais à une condition : bien voir que ce que nous subissons aujourd'hui,
et qui se prétend un "Etat", a abdiqué les fonctions essentielles de tout Etat digne de ce nom : assurer le bien commun face aux forces planétaires de l'argent.
Notre "Etat" actuel est de plus en plus despotique : mais dans ses excroissances "sociétales", illégitimes et non politiques.
Et il copule avec des intérêts privés : ceux des grands groupes transnationaux !
C'est ça, la réalité présente. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Olaf / | 04/02/2015

Vive le C.I.P. !

> le parti des Conservateurs Indépendants Progressistes !
www.youtube.com/watch?v=aljFzlSFGJ0
Michel Serrault président !
Vive le P.R.I. !
le Parti Révolutionnaire Institutionnel !
(ce n'est pas une blague, ça existe au Mexique)
______

Écrit par : E levavasseur / | 05/02/2015

PAUL VI : "UN CHRÉTIEN NE PEUT ADHÉRER À L'IDÉOLOGIE LIBÉRALE"

> « la théologie de Thomas d’Aquin porte en elle les germes du libéralisme politique et philosophique en ce qu’elle ouvre à la philosophie, à l’action individuelle et à la raison ''pure'' un champ parallèle à la théologie » :
écrit par un obscuraillon philosophaillon libéralo-catholique...

« Dans sa racine même le libéralisme philosophique est une affirmation erronée de l’autonomie de l’individu dans son activité, ses motivations, l’exercice de sa liberté. C’est dire que l’idéologie libérale requiert également un discernement attentif.
« Un chrétien ne peut adhérer ni à l’idéologie marxiste (…) ni à l’idéologie libérale qui croit exalter la liberté individuelle en la soustrayant à toute limitation, en la stimulant par la recherche exclusive de l’intérêt et de la puissance, et en considérant les solidarités sociales comme des conséquences plus ou moins automatiques des initiatives individuelles, et non comme un but et un critère majeur de la valeur de l’organisation sociale »
Paul VI, Octogesima Adveniens
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Écrit par : E levavasseur / | 05/02/2015

À FORCE

> J'aime bien les dictons paysans, pleins de sagesse, comme celui-ci : "on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif". Il va tellement bien à certaines situations.
Mais en même temps, à force d'expliquer, tranquillement, paisiblement aux "ânes" (et même aux lib-con), que leurs belles théories fumeuses, ... sont de la fumée, ils finissent par s'en rendre compte.
Et le fin du fin, c'est quand ils affirment tout de go qu'ils n'y ont jamais cru, et qu'ils en étaient très critique (même si cela ne se voyait pas (-;).
Alors nous pouvons sourire intérieurement et nous dire, enfin ... et de 1. ...
"Une goutte d'eau vient à bout du rocher le plus dur" (proverbe chinois je crois)
Ni par puissance ni par force ...mais par l'amour ...

bergil


[ PP à B. - Bien vu ! ]

réponse au commentaire

Écrit par : bergil / | 05/02/2015

à Olaf

> Je ne suis pas sûr de vous comprendre, Olaf. Pourtant je suis co-entrepreneur et co-dirigeant d'une TPE - je le rappelle à chaque fois parce qu'apparemment, à peu près partout (sauf ici il est vrai, dans notre petite communauté que j'aime alors même que j'ai toujours l'air de râler), il faut montrer patte blanche pour ne pas s'entendre répondre sommairement que puisqu'on est instituteur ou fonctionnaire des Postes, on est nécessairement un parasite défendant les privilèges des parasites.
Donc, si je saisis bien vos raisonnements
(à ce propos, vous pouvez nous donner une source pour vos 58% d'intervention de l'Etat dans l'économie ? Parce que moi aussi je suis diplômé en économie et cette assertion, formulée ainsi, n'a aucun sens),
vous essayez de nous dire que si on lutte contre l'embrigadement libéral privé qui veut s'imposer sur la totalité de l'existence et exige que la vie entière soit soumise aux impératifs de la souplesse économique, de la constante réinvention de soi-même professionnellement, de la mobilité et de la formation permanente, on n'a pas "le goût du travail" ?
Qu'il est impossible de soutenir le système de la Sécu tout en donnant, parce que l'Evangile nous appelle à vêtir ceux qui sont nus, 150% du montant de ses impôts à des orphelinats sans se préoccuper de mettre de côté pour ses vieux jours, ce que pourtant je parviens à faire, quitte à n'avoir jamais un euro en banque ?
Qu'il y a d'un côté les jeunes entrepreneurs travailleurs, imaginatifs et vigoureux (merci pour nous) qui sont l'épine dorsale de la nation et de l'autre côté les "moindres salariés" (expression que je trouve incroyablement insultante) qui sont des flemmards ne rêvant que de glander toute la journée ?
Eh bien, avec des ennemis comme ça, le libéralisme n'a plus besoin de Pascal Lamy.

Il y a beaucoup à dire sur les erreurs de l'étatisme, à commencer par ce qu'en dit Patrice dans sa réponse.
Mais je constate une fois de plus que, dans l'écrasante majorité des cas, la critique de l'Etat (soviétique, forcément soviétique, comme dirait Marguerite Duras) est la réitération obéissante des slogans du Medef, c'est à dire la défense des nantis contre tous les autres, contre l'intérêt supérieur de la nation, contre le bien commun, l'injonction faite à l'Etat (et prioritairement à l'Etat social) de disparaître pour cesser de protéger la veuve et l'orphelin contre l'esclavagiste de masse et l'enrichissement hystérique des riches.

Sauf bien sûr si je vous saisis mal, vous imputant injustement ce que j'ai trop l'occasion de lire ailleurs et que du coup je vois partout, auquel d'avance pardon !
______

Écrit par : Christian / | 05/02/2015

DÉNI DU PÈRE

> "le libéralisme qui réduit la liberté à celle de la consommation obligatoire"
excellente formule !
le libéralisme crée des gens qui en restent au stade mammaire.
Je pense aussi à une formule de Serge Lellouche : le libéralisme crée des gens "structurés psychiquement dans le déni du Père"
D'où, notamment, l'abomination dans laquelle ils tiennent l'idée d'autorité, d'Etat, de pays
Parlez-leur de "patrie" et pour eux, c'est l'horreur : vous menacez leur vision nombriliste de fi-fils couvé, de fifils à sa maman.
______

Écrit par : E levavasseur / | 05/02/2015

PUB

> Tiens, le "coup de pub" assez original d'un célèbre libéral-conservateur, grand patron chrétien devant l'Eternel...
http://www.liberation.fr/societe/2015/02/22/a-votre-age-j-avais-deja-ouvert-mon-premier-magasin_1207935
______

Écrit par : Feld / | 23/02/2015

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