Aux commandes de l'enfer spéculatif : les femmes aussi

 

"Sous l'égide de la Britannique Blythe Masters [photo], la banque américaine JPMorgan a triplé son chiffre d'affaires dans le négoce des matières premières"  (Le Monde, 7 mars) :

Elle est épinglée dans Le Monde du 7 mars. Mais qui est-elle ?  Réponse dans la presse financière : «  Blythe Sally Jess Masters, née à Oxford en Angleterre le 22 mars 1969, est une économiste et actuelle chef de Global Commodities chez JP Morgan Chase. Elle a dirigé la petite équipe d'économistes [de cette banque] qui a développé le concept de la CDS (Credit Default Swaps, largement utilisé par les institutions financières). Suite à la loi sur la dérégulation des instruments financiers, ayant entraîné la loi sur la modernisation de la Commodity Futures, un énorme marché pour les CDS s’est développé et est devenu un élément clé de l'économie mondiale : credit crunch commencé en 2007. Ce qui a conduit Blythe à être décrite par The Guardian comme ''la femme qui a inventé l'arme financière de destruction massive''. »¹

Reine de la spéculation sur les matières premières chez JPMorgan, Blythe Masters est une personne étrange (raconte Marc Roche, correspondant londonien du Monde) : « elle se marie à 23 ans à un banquier, dont elle a un enfant. Lors de l'accouchement, elle dissimule dans son sac à main, à l'insu des infirmières, un gadget qui lui permet de suivre les marchés des métaux depuis son lit d'hôpital. » En 2006, JPMorgan charge cette extraterrestre de créer le premier département « global » de trading sur les matières premières. La voilà « star mondiale de la spéculation sur les prix agricoles, l'énergie et les métaux ». Blonde glaciale venue « de la haute bourgeoisie britannique », Blythe Masters est-elle humaine ? Quand un « audacieux » évoque devant elle « l'effet amplificateur de la spéculation sur les prix et les flux commerciaux », elle répond en fredonnant le refrain de Frank Sinatra : That's life.

On connaît l'impact de cette spéculation. Banques et hedge funds poussent à la hausse ou à la baisse pour de gros profits à la vente ou à l’achat...

En 2010, les échanges de denrées alimentaires ont atteint 1000 milliards de dollars : quasiment le niveau de 2008 (1030 milliards), l'année des émeutes de la faim. En 2011, les prix des denrées alimentaires de base étaient presque tous en forte hausse : «  C'est une source d'émeutes contre la vie chère dans les pays pauvres où l'alimentation représente entre 60 et 80 % du budget des ménages », constatait même Le Figaro. Finie l'époque où les marchés de matières premières agricoles n'étaient utilisés que par les négociants pour se protéger en cas de variations des prix : « aujourd’hui les futures (contrats à terme) sont devenus des actifs financiers, que l’on achète et vend dans le but de produire des plus-values », soulignent les analystes.

Explication, l'an dernier, dans L'Hebdo de Lausanne :

 

<<  Que se passe-t-il ?

  A travers la financiarisation du commerce des matières premières agricoles, les consommateurs se trouvent en concurrence avec les spéculateurs. Ces derniers achètent aussi du maïs ou du soja, mais pas pour se nourrir. Leur objectif est de dégager des plus-values en revendant ces aliments, et ils ne sauraient que faire des tonnes de céréales qu’ils possèdent techniquement si elles leur étaient livrées. Leur présence sur le marché suffit toutefois à faire grimper les tarifs. «Leur activité entraîne une déconnexion entre les prix et l’offre et la demande», résume Thierry Kesteloot, chercheur en souveraineté alimentaire au sein de l’organisation humanitaire Oxfam. […] En 2008, les volumes de blé tendre rouge échangés virtuellement à la Bourse de Chicago à travers le produit CME Soft Red Wheat ont atteint 90 milliards de boisseaux. Pourtant, seuls 400 millions de boisseaux réels étaient concernés par ce produit financier. Autrement dit, chaque boisseau a fait l’objet de plus de 2000 transactions.

                Pourquoi la spéculation se développe-t-elle ?

  ...La libéralisation des marchés agricoles (suppression de barrières douanières et de subventions étatiques) a contribué à fluidifier ce marché, le rendant plus accessible aux investisseurs. De plus, la dérégulation des marchés financiers américains a permis aux banques de se livrer à ce genre d’opérations pour leur propre compte. Ensuite, et plus récemment, parce que les matières premières agricoles se sont imposées comme des actifs sûrs et profitables. D’après la FAO, le rendement annuel des produits liés aux matières premières est de l’ordre de 5,2% à 5,6%. Un résultat similaire à ce que peuvent offrir les actions, la sécurité en plus. Les fondamentaux qui sous-tendent le marché des matières premières agricoles laissent en effet présager une tendance haussière des prix à long terme...

                Qui spécule sur l'alimentaire ?

> Les fonds de pension.  [...] Ils possèdent aujourd’hui entre 25 % et 35 % des contrats à terme agricoles (à la base de la financiarisation de ce secteur).Dans le cas du blé, leur part de marché atteint même 40%. «L’attention doit se porter en priorité sur ces investisseurs, et pas sur les spéculateurs traditionnels», préconise Christopher Gilbert : « en investissant dans toute la gamme des contrats à terme liés aux matières premières, ces investisseurs ont pu généraliser la hausse des prix.»

> Les particuliers.  [Selon Pedram Payami, spécialiste des matières premières au sein du fournisseur de produits financiers EFG : « L’idée est d’attirer les petits investisseurs... Nous devons familiariser la clientèle avec ce marché.»]

                Quelles sont les conséquences de la spéculation?

...En juillet dernier, [le hedge fund] Armajaro faisait main basse sur 241 000 tonnes de fèves [de cacao], propulsant leur cours sur le marché européen au niveau record de 1977. [Armajaro]possédait alors près de 15 % des réserves mondiales de cet or brun. […] La volatilité des prix malmène tout le monde, des producteurs aux consommateurs. «Les paysans ne peuvent plus anticiper le revenu de leur travail. Du coup, ils n’osent plus investir et peinent à rester performants», déplore la chercheuse Françoise Gérard. A l’autre bout de la chaîne, la gestion des stocks devient elle aussi périlleuse ...

...Françoise Gérard estime qu’il faut protéger consommateurs et producteurs en introduisant un prix plancher et un prix plafond pour chaque denrée, selon la zone géographique. «L’idée est très soutenue parmi les producteurs, mais les gouvernements ne sont pas près de s’y plier» : à travers l’OMC, ceux-ci sont en effet engagés dans le cycle de Doha, qui vise au contraire à davantage libéraliser les transactions agricoles. >>

 

« Impeccable, pas un faux pli à son tailleur, pas un cheveu de travers », Blythe Masters chantonne That's life devant l'incendie du monde.

 

 

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1. "Blythe Masters, le nouveau visage de la crise" (Edwige A. Begoa, Dog Finance, 10/12/2010).

The woman who built financial 'weapon of mass destruction' (The Guardian) :   http://www.guardian.co.uk/business/2008/sep/20/wallstreet.banking

 

 

Pour en savoir plus :