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20/11/2025

L'enracinement et la foi chrétienne

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Yann-Bêr Calloc'h

J'emprunte à Efflamm Caouissin, animateur du site catholique breton Ar Gedour  – https://www.argedour.bzh ces extraits de son hommage à Yann-Bêr (Jean-Pierre) Calloc'h. Né à Groix en 1888, tombé sur le front de l'Aisne en 1917, Calloc'h a légué une oeuvre poétique profonde qui rend à la Bretagne sa vraie dimension spîrituelle. L'article ci-dessous résonne comme un appel à se libérer de la confusion actuelle des esprits et à retrouver le sens chrétien de l'enracinement :


<< (...) Souvent brandie comme un cri d’émancipation, la phrase de Yann-Bêr Calloc’h « Apprenez-moi les mots qui réveillent un peuple, et j’irai, messager d’espérance, les répéter sur ma pauvre Bretagne endormie » est bien souvent amputée de sa source spirituelle. Détachée du poème Enez er Broadeu / L’Île des Nations, écrit en 1914 et publié  dans Ar en deulin (À genoux, 1925), elle perd la voix qui la porte, celle d’un homme prosterné devant Dieu. Alors, en replaçant ces mots dans leur contexte, nous tentons de redonner à Calloc’h sa stature véritable : celle d’un breton pour qui la renaissance de la Bretagne ne peut s’envisager sans tenir compte de la pierre angulaire du Christ. (...)

Un poète à genoux

Né à Groix en 1888 dans une famille de marins, Calloc’h porte en lui la ferveur catholique et la rudesse du monde maritime. Avant d’être mobilisé et de mourir sur le front de la Somme en 1917, il avait déjà forgé une œuvre dans sa langue natale à la fois bretonne, mystique et enracinée. Ar en deulin en est le testament, et L’Île des Nations peut en être vu comme son sommet. Dans ce poème ample, Calloc’h parle à Dieu. Il se tient, tel un intercesseur, entre le ciel et sa terre : la Bretagne. A la fin de son texte, on retrouve le célèbre vers « Apprenez-moi les mots qui réveillent un peuple » qui se déploie comme une prière, non une injonction.

Le verbe apprenez suppose en effet la dépendance : il reconnaît que la parole ne vient pas de soi. De lui. Le poète ne revendique ici ni autorité, ni mission politique ; il se reconnaît simplement disciple de Dieu. Et cette posture renverse l’image moderne du poète inspiré : l’inspiration ne naît pas de la subjectivité créatrice, mais de la soumission à une source transcendante. Chez Calloc’h, écrire, c’est avant tout écouter. Et c’est ce qui fait la beauté contemplative de son oeuvre. Comme Xavier Grall dont l’Inconnu me dévore est de la même veine.

Le souffle du Christ comme pierre fondatrice

(…) Calloc’h ne sépare jamais la foi de sa patrie ; pour lui, la Bretagne n’est pas une idée abstraite, mais une portion du Royaume de Dieu, un “petit peuple choisi” à réveiller dans la lumière du Verbe. Cette vision s’enracine dans une théologie populaire mais solide : le Christ est la pierre angulaire dont parle l’Évangile selon saint Matthieu (Mt 21, 42). Ce n’est donc pas un hasard si le poète prie pour recevoir les “mots qui réveillent un peuple” : dans sa bouche, réveiller signifie ramener à la foi
La Bretagne n’est pas seulement “endormie” politiquement, mais spirituellement. Son sommeil est celui d’un peuple qui s’est éloigné de Dieu, et le poète se fait “messager d’espérance”, non pour agiter les foules, mais pour ré-éveiller la présence du Christ dans les cœurs. D’ailleurs, la phrase qui précède celle-ci est
« Vous avez ressuscité la fille de Jaïre et Lazare ; Vous qui ressuscitâtes le fils de la veuve de Naïm », vers sur lequel il enchaîne « apprenez-moi… » Il demande donc à Dieu d’aider à ressusciter sa Bretagne car, lance-t-il à Dieu dans le début de son poème « vous serez bien plus avancé quand il n’y aura plus de Bretagne () ; la Bretagne tombée, ce sera un cierge de moins dans votre Eglise catholique, sur les rivages de l’Occident un phare de moins pour les peuples qui viennent, une étoile de moins sur les chemins de Bethléem et de Rome… »

Dans son univers, la langue bretonne elle-même est sacrée : c’est la langue de la prière, celle dans laquelle on parle à Dieu. Calloc’h voyait dans le breton non pas un simple marqueur culturel, mais presque une langue eucharistique, un lieu de transmission du sacré. C’est ce qui donne à sa poésie cette densité presque liturgique : on y prie autant qu’on y parle.

(…) Dans sa vision, la patrie est avant tout une âme à sauver. Et pour cela, il ne prêche pas la révolte, mais la conversion. Ce rapport à la terre est d’ailleurs incarné dans son expérience du monde marin. Le poète breton est d’abord un homme de la mer : il sait ce qu’est le risque, le silence et la prière. Il sait ce qu’est d’affronter les Toenn Vor. Il sait aussi ce qu’est faire le quart en étant le veilleur pour les autres. Il se retrouve ainsi comme le grand guetteur, voyant sa Bretagne comme une île – à la fois maternelle et mariale –  où le peuple et Dieu se rencontrent dans la même houle. Ainsi, dans Enez er Broadeu / L’Île des Nations, Calloc’h ne réclame pas un réveil par la force, mais une résurrection intérieure, comme celle des Évangiles : « Lève-toi, toi qui dors. »

Une parole déformée par la modernité

Avec le temps, la belle prière de Calloc’h a été reprise, tronquée, simplifiée. On lit bien trop souvent : « Apprenez-moi les mots qui réveillent un peuple », sans la suite, sans l’adresse à Dieu, sans le contexte de supplication. Cette phrase est devenue un slogan culturel, voire militant, presque un cri de résistance bretonne. Mais une fois détachée de sa source spirituelle, elle perd son souffle.  Le “je” du poète, dans la bouche de ceux qui le citent, devient le “nous” d’un peuple : la phrase change de destinataire et de sens. Elle passe d’une imploration mystique à une affirmation politique sans sa transcendance originelle. Une phrase qui, sortie de la prière d’un moine-soldat breton, devient le cri d’un peuple laïque, gardant la beauté du verbe, mais perdant la ferveur de la foi. C’est typiquement le genre de “détournement par condensation” qu’on retrouve chez d’autres poètes spirituels dont on retient la braise, mais on en oublie le feu.

(…) Son œuvre, si on la lit dans sa totalité, ne laisse pas de doute : Yann-Bêr Calloc’h se voulait juste un intercesseur, un messager témoin d’espérance, comme il le dit lui-même. Il ne cherchait pas la gloire terrestre du poète engagé, mais la grâce du témoin inspiré. Sa mort au front, en 1917, fige son image dans celle du martyr breton, mais son legs reste celui d’un homme qui croyait que le Verbe est la seule parole qui sauve.

Rendre sa voix à Calloc’h

C’est pourquoi replacer cette phrase dans l’intégralité du poème Enez er Broadeu / L’Île des Nations, c’est lui rendre son souffle initial. C’est comprendre que pour Calloc’h, la Bretagne n’a pas à “s’éveiller contre” mais à “se réveiller en”. En Dieu, en sa langue, en son âme. Et c’est redonner au mot espérance sa résonance théologale : non une confiance en l’avenir, mais une attente active de la résurrection.

Dans un monde qui a souvent réduit la foi à une affaire privée et la poésie à un geste esthétique, la voix de Yann-Bêr Calloc’h rappelle que les mots peuvent encore être prière, dans laquelle sont convoqués Jésus et tous les saints qui nous ont précédés. Et qu’un peuple ne s’éveille vraiment que lorsqu’il retrouve la source spirituelle de sa parole. À genoux, le poète n’était pas soumis : il était en dialogue avec son Seigneur, créateur de toute chose et notamment d’une Bretagne chère à son coeur. Et c’est sans doute cela, aujourd’hui, la leçon la plus moderne de Calloc’h. Une vision transcendantale du monde, loin d’une horizontalité ayant perdu de vue l’Essentiel. >>

 

https://www.argedour.bzh

 

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