07/03/2012
Evangélisation et colonisation : historiquement simultanées... mais radicalement différentes
< Mgr Kuriakose Bharanikulangara.
Le nouvel archevêque des Syro-malabars (nommé cette semaine) avait mis les choses au point à l'ONU en 2010 :
Mgr Kuriakose Bharanikulangara, 53 ans, diplômé en journalisme et communication, spécialiste en droit canon latin et oriental, vient d'être nommé par Benoît XVI archevêque et premier « éparque »1 de la nouvelle éparchie de Faridabad des Syro-malabars, que le pape érige en Inde du nord. Diplomate du Vatican, Mgr Bharanikulangara a notamment été en fonctions auprès de la mission du Saint-Siège à l’ONU à New York :
<< Nations-Unies - Conseil économique et social - DH/5019 - avril 2010 - Mgr Kuriakose Bharanikulangara (Saint-Siège) a répondu à certains commentaires sur le rôle du pape dans la "doctrine de la découverte". Il a estimé déplacée la référence à un document papal qui n’a plus aucune valeur doctrinale car abrogé par des textes. Rappelant que dès le XVIe siècle, certains documents papaux consacraient les droits des autochtones et le fait qu’ils ne devaient pas être asservis, il a affirmé que cette opinion a été renforcée par Benoît XIV en 1741... Il a déploré le fait que des systèmes aient pu utiliser la doctrine de la découverte comme base juridique. Quant au rôle attribué à l’Église dans les pensionnats, le représentant a souligné que la conversion forcée des non-chrétiens a été condamnée par le Vatican; l’objectif ultime de l’Église ayant été d’ouvrir aux populations autochtones l’accès à une éducation de qualité. Il a également rappelé que le pape avait reçu l’an dernier, les représentants des premiers peuples du Canada, et qu’à cette occasion, il leur avait demandé pardon pour les erreurs commises par des missionnaires. Le Saint-Siège a, en outre, manifesté son appui à la Déclaration sur les droits des peuples autochtones. >>
Cette mise au point était nécessaire à plusieurs titres :
1. Il fallait riposter à une offensive idéologique tendant à assimiler l'évangélisation (par l'Eglise) à la négation des droits des peuples autochtones (par les colonisateurs). Née vers 1950 dans les milieux d'extrême gauche et dans certains milieux d'extrême droite2 à la fois, cette confusion évangélisation-colonisation n'est pas sans fondements historiques mais nie l'essentiel : a) si l'évangélisation a trop souvent eu du mal à se montrer sa différence de nature d'avec les situations coloniales3, cette différence était profonde, comme le montra dès l'origine l'action des dominicains Montesinos et Las Casas, et comme l'établit (rétrospectivement et prospectivement) le concile Vatican II.
2. C'est pour tenter de dévaloriser les déclarations de Vatican II qu'est né, en milieu intellectuel antichrétien, l'argument selon lequel « évangéliser » serait « nier les droits des peuples autochtones ». Cet argument de gauche repose sur une idéologie née paradoxalement à l'extrême droite : l'ethno-différentialisme, selon lequel toute religion se réduit à une « culture », chaque culture devant rester close sur ses valeurs endogènes (de peur de s'altérer4). L'argument ethno-différentialiste est brandi contre le pape Benoît XVI, taxé d'indifférence envers les « peuples premiers »... précisément parce qu'il a mentionné la différence entre évangéliser et coloniser, lors de son voyage au Brésil en 2007. Il s'agit d'un faux procès, comme on le comprend en lisant la note de l'ONU citée plus haut.
_________
1. Évêque. (Le terme « éparque » vient de l'empire byzantin).
2. Ainsi l'écrivain Saint-Loup (1908-1990), voir sa notice wikipedia : membre de la SS pendant la Seconde Guerre mondiale, antichrétien affiché, il accusait le christianisme d'avoir perpétré l'extinction des « patries charnelles » et des peuples premiers (notamment les Amérindiens patagons : cf. La nuit commence au Cap Horn, 1953).
3. Situations qui avaient la force pour elle.
4. Comment ce culte de l'endogène (fermeture) se concilie-t-il avec le thème de l'ouverture au métissage ? Contradictions permanentes de la pensée bobo.
12:20 Publié dans Histoire, Idées, Planète chrétienne, Témoignage évangélique | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : christianisme, histoire, colonisation
Commentaires
DIFFERENCE DE NATURE
> L'Evangile est différent de nature. D'où le malaise d'une grande partie du clergé français lors des dernières décennies de "l'Empire". Ceux qui se souviennent des vieux bouquins de Lartéguy sur la guerre d'Algérie ('Les centurions', 'Les prétoriens') connaissent le passage où le colonel de paras affronte un moine et l'accuse de pactiser avec le FLN parce qu'il condamne les méthodes du contre-terrorisme. Le colonel sort de sa poche-revolver le vieux chapelet de son enfance, le casse et le jette à travers la pièce.
______
Écrit par : Glatigny / | 07/03/2012
"ICI EN AFRIQUE"
> c'est un sujet brûlant en Afrique depuis les événements survenu en Côte d'Ivoire : les catholiques sont attaqués par le "panafricanisme antichrétien cathophobe". C'est un sujet très difficile à aborder, ici ils rejettent tour ce qui vient du catholicisme, l'assimilant au bras "spirituel" de l'occident pour "aliéner" les noirs... Par manque de documentation on n'arrive pas à débattre sereinement, surtout sur la période de l'esclavage et des propos de Nicolas 5 (je crois) qui est considéré comme le pape de l'esclavage ... tout document ns permettant de rétablir la vérité serait le bienvenu... urgent
______
Écrit par : tito / | 07/03/2012
PLUTÔT LEUR RESTITUER LEURS TERRES
> Evidemment, il est plus facile et surtout moins coûteux de prétendre que l'évangélisation dénature les peuples indigènes que de leur restituer, même très partiellement, des territoires. Surtout quand il y a des ressources naturelles importantes.
J'avoue savourer votre note 4) qui rejoint une de mes vieilles interrogations. Ce deux poids, deux mesures est peut-être à relier à leur détestation du peu qui reste de nos propre cultures terriennes, et qui vient de l'antichristianisme bobo. Le lien était évident chez un certain Chirac, opposé à toute référence aux racines chrétiennes de l'Europe et passionné des arts premiers.
Surtout, elle renvoie à un sujet moins anecdotique: défendre les droits des indigènes, améliorer leur conditions de vie car on ne peut les mettre sous cloche, mais jusqu'à quel point les ouvrir à l'extérieur? Vu cette semaine sur France Ô un documentaire sur les Indiens Wayanas de Guyane française: ils ont depuis dix ans le plein statut français et les enfants sont pensionnaires pour la scolarité. Résultat, à l'adolescence, ils sont entre deux modes de vie, mal adapté à la vie en forêt. Il y a des suicides! Il se peut que des pensionnaires d'établissements catholiques aient rencontré le même genre de souffrance. On ne peut pas accuser l'évangélisation des difficultés dues à la confrontation de civilisations. Après tout, chez nous, l'exode rural n'a pas été bien vécu par tout le monde! Et nous avons vécus bien d'autres chocs depuis "nos ancêtres les Gaulois" qui eux mêmes n'étaient pas les premiers indigènes de notre beau pays .
PH
[ De PP à PH - C'est pour "inculturer" l'évangile dans la culture indienne - et protéger celle-ci du laminage occidental - que les jésuites avaient tenté l'expérience des Réductions guarani. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Pierre Huet / | 07/03/2012
PAS D'ANACHRONISME
> Bien avant Nicolas V, l'esclavage existait en Europe, et hors d'Europe. Mis à part l'exceptionnelle dureté du commerce triangulaire, prenons garde à ne pas tomber dans l'anachronisme : une telle pratique était dans son principe largement acceptée.
Par ailleurs, le pape n'était pas seul : il avait en face de lui les Etats, qui n'hésitaient pas (souvent) à lui forcer la main; ainsi que les colons, relativement autonomes à l'égard des prescriptions de l'Eglise ou des ordres de leur souverain. Derrière telle décision du pape à l'époque peut très bien se dissimuler un difficile jeu d'équilibre entre des intérêts contradictoires...
______
Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 07/03/2012
LES MISSIONNAIRES ONT FAIT LE CONTRAIRE DU CAPITALISME
> Quand on visite certains pays d'Afrique on est frappé par la taille des églises, dispensaires, écoles bâties au coeur de la brousse ou de la forêt. Cela nous rappelle que les missionnaires n'ont pas organisé le déplacement des populations, mais au contraire ont voulu construire missions et paroisses là où habitaient les gens.
C'est le capitalisme qui a déplacé les populations vers les ports notamment, créant ces immenses villes, qui sont souvent des bidonvilles, sources de biens des maux tant elles sont difficiles à équiper et à organiser.
Du coup, le regret que l'on a, quand on visite les missions et paroisses de brousse et de forêt, c'est qu'elles ne se soient pas transformées aussi en lieu de production économique, comme les kibboutz ou les "réductions" des jésuites au Paraguay (détruites par les hommes des Lumières).
______
Écrit par : B.H. / | 07/03/2012
CONTRE L'ESCLAVAGE : LE PAPE PAUL III, EN 1537
> Sans compter qu'affirmer tous les peuples dignes d'être évangélisés, c'est affirmer qu'ils sont pleinement humains. Il faut relire Sublimis Deus de Paul III, en 1537, qui s'oppose à l'esclavage et aux traitements inhumains infligés aux Indiens au prétexte qu'ils ne seraient que des bêtes de somme incapables de recevoir la foi.
Extrait :
"L'Ennemi du genre humain, qui s'oppose à toutes les bonnes actions en vue de mener les hommes à leur perte, voyant et enviant cela, inventa un moyen nouveau par lequel il pourrait entraver la prédication de la parole de Dieu pour le salut des peuples: Il inspira ses auxiliaires qui, pour lui plaire, n'ont pas hésité à publier à l'étranger que les Indiens de l'Occident et du Sud, et d'autres peuples dont Nous avons eu récemment connaissance, devraient être traités comme des bêtes de somme créées pour nous servir, prétendant qu'ils sont incapables de recevoir la Foi Catholique.
Nous qui, bien qu'indigne de cet honneur, exerçons sur terre le pouvoir de Notre-Seigneur et cherchons de toutes nos forces à ramener les brebis placées au-dehors de son troupeau dans le bercail dont nous avons la charge, considérons quoi qu'il en soit, que les Indiens sont véritablement des hommes et qu'ils sont non seulement capables de comprendre la Foi Catholique, mais que, selon nos informations, ils sont très désireux de la recevoir. Souhaitant fournir à ces maux les remèdes appropriés, Nous définissons et déclarons par cette lettre apostolique, ou par toute traduction qui puisse en être signée par un notaire public et scellée du sceau de tout dignitaire ecclésiastique, à laquelle le même crédit sera donné qu'à l'original, que quoi qu'il puisse avoir été dit ou être dit de contraire, les dits Indiens et tous les autres peuples qui peuvent être plus tard découverts par les Chrétiens, ne peuvent en aucun cas être privés de leur liberté ou de la possession de leurs biens, même s'ils demeurent en dehors de la foi de Jésus-Christ; et qu'ils peuvent et devraient, librement et légitimement, jouir de la liberté et de la possession de leurs biens, et qu'ils ne devraient en aucun cas être réduits en esclavage; si cela arrivait malgré tout, cet esclavage serait considéré nul et non avenu."
______
Écrit par : Christian / | 08/03/2012
Les commentaires sont fermés.