01/09/2011
Comment la présidente du FN pourrait-elle métamorphoser la composition sociologique de son parti ?
Il lui faudrait une baguette magique :
Marine Le Pen cherche à déplacer l'image du FN vers un « ailleurs » problématique. Dans sa dernière interview (Reuters, 31/08) elle multiplie les signaux pour se démarquer de l'extrême droite habituelle.
Premier signal : déclarer « Obama est plus à droite que moi... Son grand acte en matière sociale, c'est la sécurité sociale, moi je vais beaucoup plus loin que ça... » Se dire plus à gauche qu'Obama est une provocation calculée envers l'extrême droite française, obamaphobe par imitation de l'extrême droite américaine (Tea Party). Afficher une préoccupation « sociale » est une autre manière de tourner le dos à l'extrême droite – spécialement celle qui se dit catholique mais reste aveuglément libérale.
Deuxième signal : invoquer de Gaulle.« J'ai une vision gaullienne du rôle et de la place de l'Etat », affirme Mme Le Pen, ajoutant : «je pense qu'il doit exister un Etat stratège, un Etat régulateur ». Double provocation envers l'extrême droite française, qui ne voit pas de différence entre de Gaulle et Lucifer, et qui nie à l'Etat le rôle de régulateur économique – toujours au nom d'un libéralisme d'école de commerce érigé au rang de complément au catéchisme.
Troisième signal : déclarer qu'on peut approuver un dirigeant socialiste.« Si j'étais socialiste », proclame Mme Le Pen,« j'aurais voté Montebourg... Montebourg est le plus proche, dans les socialistes, de la vision que nous avons » (la démondialisation). Or l'extrême droite est incapable d'admettre une chose pareille : même sa phobie du « mondialisme » ne saurait la mener à dire qu'un socialiste pourrait avoir raison sur quoi que ce soit.
Car l'extrême droite est... de droite. Elle croit qu'il y a en politique un camp du Bien, la droite ; et un camp du Mal, la gauche. Même si elles ne recouvrent plus aucune réalité en 2011, ces deux catégories restent la structure inébranlable de la mentalité d'extrême droite. C'est d'ailleurs en cela que cette mentalité est extrême : elle va jusqu'à nier le réel. L'extrême droite, c'est la droite poussée jusqu'à l'extrême, c'est-à-dire la rupture avec la réalité : si l'on additionne tout ce dont elle nie l'existence (du capitalisme financier au réchauffement climatique), on aboutit à une liste à peu près complète des réalités contemporaines.
Donc Mme Le Pen, qui se pose en réaliste, veut s'éloigner de ce milieu. Est-ce sincère de sa part ? En tout cas elle y a intérêt. Est-ce faisable par la présidente du FN ? Les politologues en doutent. La mentalité extrême - le déni du monde réel - est sur-représentée à la base du FN. Mme Le Pen peut évincer des cadres, elle ne peut pas métamorphoser la base : il faudrait une baguette magique. Ou une transfusion sociologique, opération qu'aucun parti n'a jamais pu réaliser.
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18:43 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : fn, extrême droite, marine le pen
Commentaires
POURQUOI PAS
> Déplacer l'image d'un parti: cas assez général, car il y a bien longtemps que l'UMP, ex RPR ex....ex...UNR de 1958 s'est convertie à l'atlantisme et n'est donc plus gaulliste, que le socialisme est parfaitement capitaliste (type jouisseur plus qu'entrepreneur) et que même le PC n'est plus marxiste. Alors pourquoi pas un FN tout ce qu'on veut ?
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Écrit par : Pierre Huet / | 01/09/2011
LE VENT
> Ce que je trouve intéressant, c'est de voir dans quel sens souffle le vent des désirs dans les têtes et les coeurs des Français: démondialisation, Etat fort et protecteur, en particulier des petits...Marine sent bien le vent, en bonne politicienne, mais a-t-elle le bon équipage, et l'autorité morale du politique ?
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Écrit par : Anne Josnin / | 02/09/2011
SON PIRE ENNEMI
> Dans ce contexte que vous décrivez parfaitement, reste le pire ennemi de Marine Le Pen : Jean-Marie Le Pen. Il faut s’attendre à une réplique du vieux crotale à une interview transgressant aussi franchement les codes idéologiques du FN.
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Écrit par : Denis / | 02/09/2011
DUETTISTES ?
> Permettez que je me corrige un peu moi-même (mon commentaire précédent). Marine Le Pen et son père nous livrent peut-être un parfait numéro de duettistes, la « grande gueule » du papa, Jean-Marie, visant en définitive à protéger sa fille des prédateurs politiques et médiatiques. A cet égard, un extrait du dictionnaire classique des sciences naturelles, (M. Drapiez, Bruxelles Librairie Meline, Cans et Cie, 1838) fait figure d’indice probant :
« Comme les autres grands serpents, les crotales sont ovipares ; cependant on assure qu’ils n’abandonnent pas leur progéniture éclose. C’est une opinion commune, dans quelques-unes des Antilles, qu’ils la dévorent ; mais cette erreur tient à la manière dont au contraire ils la protègent. Beauvois [note du rédacteur : le naturaliste pas le cinéaste] a vu, et d’autres personnes ont vu également, de vieux crotales surpris, s’arrêter tout à coup, ouvrir leur bouche le plus possible et y recevoir leurs petits hâtés de s’y réfugier. Ce fait est irrécusable, attesté par un homme tel que Beauvois, mais n’en est pas moins fort extraordinaire ; il a donné lieu au préjugé des colons à l’égard de la voracité des crotales. »
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Écrit par : Denis / | 02/09/2011
LE RÔLE DU POLITIQUE
> Je suis parfaitement d'accord avec votre description des fondamentaux de l'extrême-droite. Seulement, ne réifiez-vous pas un peu trop les personnes qui la composent, en les murant dans une classe dont ils ne pourraient sortir ? Après tout, le rôle du politique n'est-il pas la capacité de faire muer des catégories sociologiques vers d'autres buts que ceux que leur naissance ou leurs intérêts immédiats leur assignaient ?
JG
[ De PP à JG :
- Si, bien sûr, c'est le rôle du politique. Mais l'objet d'un parti électoraliste est de cumuler les électorats, en ajoutant (si possible) d'autres agrégats au noyau initial. En ce qui concerne le FN, ceux qui y ont enquêté savent que son noyau est allergique à bien des choses, et surtout au changement. Je ne fais que constater cette mentalité ; tout le bien qu'on peut souhaiter à ses porteurs est de s'en libérer un jour.
- Cette libération est rare mais non impossible. J'ai vu naguère la "résurrection psychologique"
d'un vieil ami après qu'il se soit désabonné d'un journal. ]
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Écrit par : JG / | 02/09/2011
SORTIR DE L'AMALGAME
> Merci pour cette analyse.
Je comprends d'autant mieux votre critique d'une certaine droite "libérale-catholique", qui semble parfois plus libérale que catholique (comme certains "démocrates-chrétiens" semblent parfois plus démocrates que chrétiens...), que j'ai éprouvé moi-même récemment avec quelque amertume l'amalgame fait a priori entre engagement catholique en politique et engagement à droite.
C'était à la très intéressante université politique de la Sainte Baume organisée fin août par l'OSP de Fréjus-Toulon (http://www.placedeleglise.fr/), sur laquelle j'ai commis un petit compte-rendu (http://lesoupirailetlesvitraux.hautetfort.com/).
Il y a là une sorte de préjugé sans doute dommageable. Un participant m'a soutenu mordicus qu'un catholique ne pouvait être que libéral (il s'agissait cependant du "vrai libéralisme" : celui de Tocqueville et de Bastiat). J'avais beau lui objecter que je n'avais jamais lu d'éloge de la main invisible dans la DSE, que la marchandisation de tout me paraissait intrinsèque à la logique libérale, mon interlocuteur ne démordait pas.
J'ai d'ailleurs regretté que ne montent à la tribune que des politiques engagés à droite, dont des personnes de haute valeur (Lemoine, Vanneste, Elisabeth Montfort), mais aussi quelques caricatures sur pattes comme le député Vittel (DP) ou Gaudin, le maire de Marseille !
Bref, la sensibilité sociale de ce blog a manqué.
Les catholiques auront fait un grand pas (le petit parti Solidarité l'a déjà fait) quand ils auront compris qu'ils n'ont rien à faire ni avec la droite ni avec la gauche (http://alternativecatholique.hautetfort.com/archive/2011/03/07/ni-droite-ni-gauche-universels.html).
G.
[ De PP à G. :
- L'amalgame s'aggrave ces temps-ci, sous la double action convergente : a) de sites de droite,
b) de sites cathophobes genre Edwy Plénel, ravis qu'il y ait des "cathos d'extrême droite" (mais irrités de voir apparaître le contraire : des catholiques sociaux et objecteurs de croissance).
- Quant à ce que vous dites de la Sainte-Baume, c'est caractéristique du rétrécissement du milieu catho français à la bourgeoisie en général, elle-même imprégnée par l'idéologie de son aile "bourgeoisie d'affaires". Dans les réunions organisées ces temps-ci sur le thème "catholiques et politique", inutile d'espérer entendre des militants associatifs, des syndicalistes ou des écologistes. Le micro est réservé à l'UMP et au Medef.
- Une exception notable : le carrefour grand public organisé par 'La Vie' à Lille (7-9 octobre à la catho) sous le titre "Etats généraux du christianisme". Là il y aura des invités de tous horizons et des échanges de vues. J'y interviendrai le 7 sur le thème "Faut-il désespérer de la politique ?". ]
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Écrit par : Gualtiero / | 02/09/2011
A G.
> Je crains que, lorsque le système matérialiste-mercantile s'écroulera, on dise : "ce sont ces chiens de catholiques les responsables de nos malheurs !" Avec, à la clé, le rejet de la Source du véritable bonheur...et d'un possible redressement.
A PP :
> dans les "exceptions notables", peut-être faudrait-il citer "Chrétiens et pic de pétrole", du 18 au 20 novembre à Lyon ?
http://www.chretiens-et-pic-de-petrole.org/
F.
[ De PP à F. - Bien entendu. Nous en avons déjà parlé et nous en reparlerons. Nous n'avions pas encore parlé de Lille. ]
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Écrit par : Feld / | 03/09/2011
FRILEUX
"Là il y aura des invités de tous horizons et des échanges de vues" : j'attends avec impatience la liste des invités en question pour vérifier la "diversité" que vous nous annoncez...
T.
[ De PP à TM - Vous trouvez que les jésuites, les économistes, les élus locaux et les psychanalystes se ressemblent trop ? En ce cas allez plutôt au 79ème congrès de Tayaut-tayaut-montjoye-sainct-denys, vous n'y verrez nul représentant de ces catégories sociales suspectes.]
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Écrit par : Thomas / | 12/09/2011
PAS DE MEFIANCES
> Vous vous méprenez, je pense que je me ferais virer. En plus ma garde-robe ne correspond pas au dressing code Montjoye :-)
Je me souviens que vous-même aviez fait preuve d'une certaine réserve lors de la première édition de ces "Etats généraux" (un peu prétentieux comme intitulé tout de même).
T.
[ De PP à T.:
- pardon d'avoir répondu vivement, mais c'était envers votre apparente méfiance ! Les milieux catholiques se font trop de procès d'intentions. On a le droit de critiquer des positions exprimées ; encore faut-il qu'elles aient été exprimées, ou au moins suggérées !
- La réponse que je vous ai faite plus haut concernait le colloque de Lyon, non celui de Lille.
- Pour celui de Lille, vous pouvez consulter la liste complète des participants sur le site de 'La Vie'. Et vous constaterez son réel éclectisme.
- La réserve que je faisais en 2010 concernait l'expression "états-généraux", qui pouvait prêter à confusion lors de cette première édition. Elle ne concernait pas la formule (très nécessaire aujourd'hui) consistant à rassembler des gens venus de bords divers ou contradictoires. L'édition 2010 a d'ailleurs prouvé son ouverture, donc son utilité.
- Comme il est facile (via le Net) d'aller vérifier les programmes de tous ces colloques, la méfiance n'est pas de saison. ]
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Écrit par : Thomas / | 12/09/2011
RADICALE
> Je retire mon commentaire initial après avoir lu dans une revue bien documentée que je ne citerai pas, un article sur l'entourage de MLP. Il met en avant la place importante d’un certain Emmanuel Leroy et d’un Laurent Ozon, issu du GRECE.
Le discours démago sur les problèmes de voisinage dans les banlieues cache quelque chose de moins anodin : une christianophobie radicale !
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Écrit par : Pierre Huet / | 12/09/2011
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