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27/08/2016

'Le Cercle' : [2] un réalisme terrifiant

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Première force de ce roman,

il extrapole à partir de réalités nouvelles :


 

Le Cercle, c'est la synthèse fictive des prédateurs actuels de la communication. Cette méga-firme californienne ("l'unique société qui compte vraiment") entreprend la conquête de l'humanité sur tous les plans. A partir : 1. de la "transparence" universelle (tout le monde doit tout voir, tout le temps), 2. des algorithmes censés tout résoudre, 3.  et de la "bonne volonté" formatée [*] des "membres de la communauté numérique mondiale", c'est un totalitarisme des intérêts privés, souriant, émotionnel et "participatif", où tout le monde doit pouvoir évaluer et juger tout le monde en permanence.

Comment ce monstre est-il apparu ? Par l'alliance de la technolâtrie et du turbo-capitalisme...

Eggers ne fait qu'extrapoler, à partir de processus réels, actuels, qui se déroulent sous nos yeux et que Morozov (par exemple) a très bien décrits en dénonçant les prédateurs de la Silicon Valley et leur emprise sur l'Amérique officielle.

Selon le roman comme dans la réalité, l'infrastructure technique et financière produit une superstructure stratégique. Commençant par associer  "des milliers d'éléments disparates en un système unique et homogène", le Cercle entreprend de se rendre obligatoire dans tous les domaines de l'existence. A court terme, "tous les gouvernements et la vie en général seront concentrés sur un seul réseau". Ce sera le Meilleur des Mondes, l'horizon indépassable ; même la démocratie formelle d'aujourd'hui deviendra Demopower, dissolution du politique dans une sorte de télé-réalité : un écran d'agitation fébrile et de pseudo- "participation" manipulée par l'industrie de la communication, autrement dit l'Argent.

Cet engrenage finit par révolter le propre concepteur du système. Il l'avait inventé "juste pour le plaisir d'inventer" - mais la créature est devenue monstre dès qu'elle en a eu les moyens financiers... "Quatre-vingt-dix pour cent des recherches sur internet à travers le monde se font déjà via le Cercle... On sera bientôt à cent pour cent... Quand on contrôle le flot d'informations, on contrôle tout... Si on a besoin d'enterrer un élément définitivement, ça prend deux secondes. Si on veut détruire quelqu'un, ça prend cinq minutes."  Les managers "veulent que tout le monde ait un compte au Cercle, et ils sont bien partis pour que ceux qui refusent de s'inscrire se retrouvent dans l'illégalité..." - "Qu'est-ce qui se passera quand ils contrôleront toutes les recherches, quand ils auront accès à toutes les données de n'importe qui ?  [...] Quand toutes les transactions financières, toutes les informations médicales et génétiques, quand la moindre parcelle d'existence, qu'elle soit bonne ou mauvaise, passeront par eux ?"

Et qui pourrait s'y opposer ? Les gouvernements ? Non. "Qui a envie d'être détruit dès l'instant où il ouvre la bouche ? [La sénatrice] Williamson a menacé le monopole du Cercle, et, surprise, les autorités fédérales ont trouvé des trucs compromettants sur son ordinateur... C'était au moins la centième personne à laquelle Stenton [**] faisait ça."

Le Cercle devenu universel, c'est "le communisme de l'information couplé à l'ambition impitoyable du capitalisme" : "Stenton a monétisé notre utopie... Du public-privé on va passer au  privé-privé, et très vite le Cercle deviendra responsable de tous les services gouvernementaux, avec l'efficacité impitoyable du privé et un appétit sans borne. Tout le monde sera citoyen du Cercle..."

 Pour son inventeur (devenu luddite [***] par un tardif sursaut d'humanité), "le Cercle doit cesser d'exister" si l'on veut sauver les fondamentaux de la condition humaine : la barrière entre public et privé, le droit à l'anonymat, le droit à des activités qui ne soient pas mesurées ni évaluées.

Mais ce roman n'est pas optimiste. La révolte de l'inventeur sera étouffée grâce à Mae, jeune star du Cercle... Pourquoi fait-elle ce choix ? Parce qu'elle ne comprend pas que c'était une révolte pour l'homme contre la Machine. Pire : elle croit - comme des centaines de milliers de garçons et filles de sa génération - que la Machine libère l'homme. C'est le triomphe de l'enfumage par de pseudo-valeurs...

D'où notre deuxième regard sur ce roman : comment fonctionne l'enfumage, et comment des millions de gens l'intériorisent.

 

(à suivre)

 

_______________

[*]  en France on dirait : "les valeurs".

[**]  l'un des trois dirigeants du Cercle.

[***]  adversaire violent de la technique. Le "luddisme" était un mouvement d'ouvriers anglais contre la machinisation au XIXe siècle.

 

Commentaires

CLEFS, QWANT, LINUX, JOLLA

> Je n'ai pas encore lu ce roman. Mais il est très certainement à mettre en parallèle avec le livre de Marc Dugain et Jean Christophe Labbe : 'l'Homme Nu'.
Pour ma part je tâche de faire au mieux:
- je mets mes mails dans des enveloppes : j'ai une paire de clefs gpg. Malheureusement peu de monde possède également une paire de clefs pour mettre son courrier sous pli :-( Certes, c'est moins facile que d'ouvrir un compte gmail...
- j'utilise le moteur de recherche Qwant par défaut,
- je n'utilise plus Windows depuis l'an 2000 et mon PC est sous gnu/Linux (en l’occurrence Debian pour mon PC fixe et Mageia pour mon laptop (Mageia est d'ailleurs à la base un projet français et qui actuellement souffre un peu car un des développeurs vient de tomber malade et a du décrocher.),
- mon smartphone est un jolla sous sailfish OS (donc sans compte Google Play). Jolla/Sailfish OS : c'est finlandais. Projet qui souffre aussi beaucoup :-( Que fait Wiko ? Que fait Orange ? Bouygues ? Free ? pour proposer du Sailfish OS ?
- pas de compte Facebook ni Whatsapp, ni Twitter.
- et pour lire la presse sans être tracé ni dans le titre du journal lui même ni dans les articles que vous lisez ou que vous ne lisez pas, rien ne vaut le journal papier acheté *chez* votre marchand de journaux.
Voilà...suis je en train de devenir suspect ? Mais en attendant pour mon informatique je pense que je consomme juste un peu plus "bio" :-)
______

Écrit par : Pierre / | 27/08/2016

?!?

> Extrapole ou décrit la réalité ?!?

L.


[ Pp à L. - Extrapole. Il décrit un point du processus où la réalité n'est pas encore parvenue : il "accélère l'inévitable", comme dit l'un de ses personnages.

réponse au commentaire

Écrit par : Ludovic / | 28/08/2016

Les commentaires sont fermés.