25/06/2016
Brexit : la seule panique est dans les médias
...et c'est révélateur :
Comment peuvent-ils dire que la campagne du "out" s'est faite sous le signe de la peur ? C'est celle du "in" qui a voulu terroriser le votant ! (sans succès, le peuple anglais n'étant pas facile à terroriser). Et la campagne de peur continue : cette fois à la télévision française.
Il fallait voir le spectacle toute la journée d'hier. Nos commentateurs étaient courroucés. Certains en perdaient le souffle. Les présentatrices prenaient de petits airs sarcastiques. Des experts jetaient en l'air rageusement la liste de "tous les problèmes à résoudre maintenant", comme si la vie politique ne consistait pas à résoudre des problèmes. Sur iTélé et BFM, le défilé des breaking news (comme disent nos newsrooms) annonçait en boucle la "panique" et le "tremblement de terre" boursiers... alors que les chiffres ne montraient rien de tel, surtout pas à Londres où la Bourse ne perdait que 3 points. La crise de nerfs annoncée ne se produisait que dans les équipes rédactionnelles.
Pourquoi cette attitude ? Parce que jusqu'ici l'irréversibilité de "l'Europe" formait l'univers mental des médias. Ils étaient habitués depuis plusieurs dizaines d'années à distribuer l'éloge et le blâme : comme dit Hubert Védrine, l'UE était le bien, critiquer l'UE était le mal. Etre "européen" faisait partie d'un ensemble normatif : "je suis féministe [*] et européenne", tranchait Marie Darrieussecq il y a vingt ans. (Pour n'être pas "européen", il fallait être un déviant suspect.de vouloir nous ramener au temps des guerres : toujours déclenchées par "le nationalisme", évidemment jamais par les intérêts économiques transnationaux). L'européisme était plus qu'une opinion : c'était un bain amniotique. Soudain le bain amniotique disparaît. "L'Europe" n'est plus irréversible. Nos journalistes se retrouvent dans l'air froid des réalités. Ils prennent mal. Leur organisme se révolte.
D'où les choses stupéfiantes que l'on entendait hier, non de la part des invités politiques (circonspects) mais de celle des journalistes. Certains n'hésitaient pas à prôner une "attitude ferme" à l'encontre de l'Angleterre : ils parlaient de "sanctions dures", de "procédure accélérée". On sentait chez eux une forte envie de casser la vaisselle et de déchirer les rideaux en poussant des cris, symptôme de l'état mental des leaders d'opinion. Centre nerveux de la postdémocratie, nos médias ne supportent pas la réalité ; ils n'existent que pour la conjurer, l'exorciser, la rejeter au loin. L'individu postmoderne s'accomplit dans le déni de réalité : être "européen" [**], pour lui, fait partie du même ensemble qu'être transhumaniste ou agro-industriel OGM ; c'est refouler la réalité que l'on refoule aussi sur le plan anthropologique et environnemental.
Voilà pourquoi l'acte des Anglais paraît indécent et inadmissible à nos commentateurs. Ils se sentent mis en cause au tréfonds de leur être : les écoles de journalisme ne les avaient pas éduqués dans ces idées-là.
ps- Bien entendu, le Brexit en soi reste un fait ambigu (ma note d'hier).
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[*] "féministe" au sens bobo, bien sûr : tournant le dos à toute anthropologie.
[**] au sens bobo.
07:31 | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : brexit, médias
Commentaires
MENACES ET ARROGANCE
> Il en était allé de même en 2005, lors du référendum. Quelles menaces n'avions-nous pas entendues ! La France allait être isolée, livrée à elle-même, déconsidérée, rabaissée, la moquerie du monde et la honte des peuples. Ce qui n'a pas empêché les Français (et les Hollandais) de hausser les épaules et de faire ce qu'ils voulaient.
Je me souviens ce soir-là de la première phrase au journal de France Culture (ou France Musique ? L'une des deux chaînes) : "Échec du référendum". Oui, "échec". Je croyais qu'on venait de demander à un peuple libre et souverain de se prononcer sur une question politique, de sorte qu'il ne restait plus qu'à prendre acte et à s'incliner. Je découvrais que le référendum était en fait un examen, avec une bonne et une mauvaise réponse, et que nous venions d'échouer (sans doute par immaturité et faute d'avoir révisé nos leçons... Ramassis de cancres !) Heureusement, dans sa grande bonté, le conseil de classe nous a quand même fait passer dans l'année supérieure sans plus nous faire intervenir (ni les Hollandais).
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Écrit par : Lucas / | 25/06/2016
à Gégé
> Oui, Bernanos est un prophète.
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Écrit par : PP à Gégé | 25/06/2016
SOLEIL PARADOXAL
> J'ai lu quelque part qu'un journaliste BFM a apparemment déclaré hier : "Paradoxe : il fait beau à Londres aujourd'hui".
Le soleil sur Londres le jour du Brexit étant bien sûr un paradoxe, mieux une impossibilité théologique, puisque le Brexit aurait dû logiquement entrainer un ouragan de feu, une pluie de sauterelles, des tremblements de terre et la Tamise aurait dû devenir rouge de sang.
Je pense que cette phrase pourrait être le parfait symbole du fait que, pour les journalistes du "24-hour-news-cycle", lorsque les faits osent ne pas correspondre à la pensée unique, c'est un crime, un blasphème, une monstruosité, auxquels ils ne savent réagir que par un mode de pensée magique : tout comme les dieux ont puni le crime d'Œdipe en envoyant la peste sur Thèbes, les dieux du marché auraient dû punir Londres au lieu de permettre le beau temps le 24 juin 2016.
Allons, prophètes du marché, criez plus fort, puisque Mammon est un dieu : il a des soucis ou des affaires, ou bien il est en voyage ; il dort peut-être, mais il va se réveiller !
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Écrit par : Thibaud / | 25/06/2016
TYRANNIE HORS SOL
> Voilà bien longtemps que cette classe médiatique ne reflète plus l'esprit de la société, mais au contraire prétend l'imprimer. Dans les années 1980, elle putassait déjà à l'envi sur le pauvre petit noyé de la Vologne, et déclarait par la suite que "la France entière" s'était "passionnée" pour l'affaire Grégory. Si si, la France entière, pas seulement le lectorat voyeur de 'Détective'.
Aujourd'hui, quand les Daech ou autres la touchent dans sa chair, "toute la France" se réveille naturellement "groggy", et évidemment "Charlie" (ou "Bataclan", ou "Orlando"...).
On a pu constater les ennuis auxquels s'exposaient les récalcitrants, et à quelle sauce la responsable (Kommissarin ?) du service politique de France 2 voulait les manger — je vous remets la vidéo, elle est proprement hallucinante:
https://www.youtube.com/watch?v=8rhzCyqVkDo
Pour ce qui est de l'Europe, ai-je besoin de rappeler les éructations d'un Serge July en 2005 ? Les geignardises de tel ou tel "expert" sur "ce référendum injuste" ? J'ai lu avec amusement la philippique indignée du sieur Koenig mentionnée en commentaire de votre article précédent : "Oui à la démocratie, non au «peuple», fiction de romancier." Et le type de suggérer, à demi-sérieux, l'indépendance de Londres : "Chiche. Que les esprits cosmopolites du monde entier fassent de Londres leur pays, un pays libre, jeune, ouvert et prospère." Pour le coup, je trouve que ce projet manque d'ambition. De telles personnalités hors-sol ne seront à l'aise que sur une cité offshore façon Google Island, ou mieux une ville flottante comme la Laputa dont ce visionnaire de Jonathan Swift décrivait ainsi les singuliers habitants : "These people are under continual disquietudes, never enjoying a minutes peace of mind; and their disturbances proceed from causes which very little affect the rest of mortals."
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Écrit par : Albert Christophe / | 25/06/2016
HORREURS
> On parle de 2005, mais pour Maastricht en 1992 déjà, quelles horreurs on nous promettait si on votait non ! (Et ce texte... un joli document technocratique bien indéchiffrable livré avec nos bulletins, cette blague quand j'y repense).
Mais sortis de l'argument de la menace de nouvelles guerres européennes, pas immédiates bien sûr - en 1992, 'fallait pas exagérer - mais toujours possibles en cas de vote négatif (ben oui, réfléchissez enfin : si on ne veut pas du traité, c'est qu'on est potentiellement ennemis, voyons !), les débats sur le fond étaient, comme toujours, soigneusement évités.
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Écrit par : Fernand Naudin / | 25/06/2016
'L'ÉQUIPE'
> Face à la débilité des médias : "fais comme moi, lis l'Equipe." (Eddy Mitchell à Michel Serrault dans "le bonheur est dans le pré").
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Écrit par : E Levavasseur / | 25/06/2016
AUTO-RÉFÉFENTIEL
> Vous avez parfaitement raison. Dans "La France en général", André Frossard a écrit : "La mesure de l'intelligence est la capacité de déduire, d'un seul fait, plusieurs consequences ; et non pas de nier un grand nombre de faits au benefice d'une doctrine".
Il aurait pu écrire aussi d'une idéologie, d'une politique ou... d'une pastorale ! En septembre 2012, le pape Benoît XVI a mis en garde un groupe d'évêques français venus en visite ad limina, contre ce qu'il appelait "le processus "auto-référentiel" de ces structures et organigrammes, qui masquent les réalités du reste du troupeau.
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Écrit par : P. Jean-Claude Alleaume / | 25/06/2016
VENDREDI MATIN
> Je suis dans ce sens assez déçue de l'intervention de Jean-Pierre Denis à Radio Notre-Dame vendredi matin, qu'on a connu mieux inspiré. Il était tout bonnement incapable de comprendre les arguments de Victor Loupan et Rebecca Pinheiro-Croisel, et ne cessait de répéter en boucle : "on ne peut pas débattre dans ces conditions". Comme si l'on avait franchi un point de non-retour, qui bloquait absolument toute réflexion.
Et surtout, ce que je trouve grave, et malheureusement pas nouveau, c'est cette idée selon laquelle finalement, les référendum ne devraient pas exister : oui à la démocratie, mais n'allez surtout pas demander l'avis du peuple. La démocratie doit être médiatisée par les parlementaires, qui représentent le peuple.
Ce à quoi répondait fort justement Victor Loupan : oui mais quand les élites précisément ne représentent plus le peuple ?
Il y a un aveuglement étonnant sur la véritable nature de l'UE.
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Écrit par : Pema / | 28/06/2016
DELORS EN 2012
> Tout le monde est surpris, décontenancé, c'est la panique, etc... Alors, juste un petit souvenir: http://www.lemonde.fr/europe/article/2012/12/28/jacques-delors-suggere-au-royaume-uni-de-quitter-l-ue_1811217_3214.html
Ca date de 2012.
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Écrit par : ND / | 29/06/2016
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