Comment M. Erdogan (national-islamiste) manipule "l'Occident" (libéral-supranational)

 

Paradoxe ? Non, symptôme :

 

 

Dans un univers mental normal, on dirait que M. Erdogan se fout du monde : prétendre bombarder Daech alors qu'il bombarde les Kurdes, c'est énorme. Mais « l'Occident » n'est pas un univers mental normal. Nos commentateurs font semblant de ne pas savoir que les récents attentats du PKK kurde en Turquie (prétexte allégué pour les bombardements) n'étaient que des ripostes au carnage du 20 juillet : 32 jeunes militants kurdes tués dans un attentat "jihadiste"... Cet attentat avait été attribué à Daech grâce à la découverte miraculeuse d'une carte d'identité, intacte alors que rien ne restait du corps du terroriste.

« L'Occident » fait également semblant de ne pas savoir que les hostilités contre les Kurdes ont été rallumées délibérément par M. Erdogan après les législatives de juin, où le parti pro-kurde HDP (autorisé pour la première fois à se présenter) avait réalisé une percée nationale (80 sièges et un électorat allant très au-delà des milieux kurdes)... et fait perdre la majorité absolue au parti AKP de M. Erdogan. On assiste maintenant à la contre-attaque de celui-ci, et elle consiste à redéclencher la guerre civile contre les Kurdes. Au nom de quoi ? Au nom de l'idéologie nationale-islamiste du parti AKP.

C'est également au nom de cette idéologie que M. Erdogan a soutenu Daech depuis le début, par exemple lors du siège sanglant de la ville kurde syrienne de Kobané – où les services turcs se cachaient à peine d'aider les jihadistes.

M. Erdogan et les siens savent que « l'Occident » n'est pas un univers normal et que le verbalisme et l'artifice sont devenus sa structure mentale. Il n'est pas choqué de voir Ankara bombarder les Kurdes tout en prétendant : « nous bombardons Daech » ; puisqu'Ankara emploie le bon élément de langage (« nous bombardons Daech »), ça suffit. Peu importe ce qui est perpétré sur le terrain.

C'est d'ailleurs ce qui s'est passé pendant des années entre Ankara et Bruxelles : M. Erdogan disait ce qu'il fallait, dans l'idiome qu'il fallait, pour avoir l'air de cadrer avec l'univers mental eurotechnicien ; peu importait sa politique réelle, qui est de bâtir un Etat nationaliste aux antipodes de l'idéologie européenne.

Même chose encore entre M. Erdogan et Washington : la Turquie était un « pilier de l'OTAN depuis la guerre de Corée » (l'a-t-on assez répété !) ; elle avait servi de base à la CIA et au Pentagone face au bad guy soviétique, et M. Poutine aujourd'hui était pire que Staline... Peu importait le cap tenu maintenant par le régime AKP – et sa mauvaise volonté croissante vis-à-vis de la « coalition internationale » contre le jihadisme.

L'Occident politique est enfermé dans le virtualisme et l'artifice. Sa part de réalisme est laissée aux multinationales, qui pilotent en coulisses la pseudo-diplomatie. Les multinationales sont totalement indifférentes aux réalités géopolitiques et aux phénomènes comme l'islamisme ; raisonnant en chiffres et en parts de marché, elles « voient » un autre paysage que les géopolitologues, lesquels sont réduits, consternés, à regarder s'élargir les dégâts.

Voilà pourquoi « l'Occident » libéral se laisse manipuler par un sultan nationaliste, qui déguise sa garde en janissaires du XVIIe siècle.