"Le compromis obligé entre la Russie et l'Europe"

Peu suspect de poutinisme, Bernard Guetta voit trois dangers dans la crise ukrainienne... et souligne la seule solution possible :

 

Les trois dangers :

1.  Alors que les foyers de tension se multiplient (et qu'il n'y a plus « ni blocs ni équilibre de la terreur »), mettre de côté l'ONU, comme le souhaitent les Américains, reviendrait à la « laisser sombrer » : ce qui créerait l'anarchie mondiale.

2. Jouer à la guerre froide contre la Russie pousserait cette dernière à « une véritable alliance avec la Chine » : ce qui donnerait à Pékin une emprise croissante sur la Sibérie et une surpuissance internationale, avec répercussions sur la zone Pacifique et affrontement avec les Etats-Unis.

3. Notre simili-guerre froide envers Moscou risque de pérenniser « une zone de violences et de non-droit » en Est-Ukraine...

4. ...et d'annihiler « toute possibilité d'organiser le continent autour de ses deux piliers que sont l'Union européenne et la Fédération de Russie ».

Or l'UE et la Russie « auraient beaucoup à gagner » dans une coopération : la Russie manque d'infrastructures, elle constitue un débouché naturel pour les industries de l'Europe de l'Ouest, et elle « courrait moins de risques  (démographiques et économiques) à se lier à l'UE qu'à la Chine ».

Mais au lieu d'avancer vers cette situation de bon sens et de stabilité, s'alarme Guetta, « on s'achemine à grands pas vers une durable coupure du continent le long d'une ligne de démarcation qu'une guerre non déclarée va tracer. Il n'y a là qu'une pure folie, une absurdité d'autant plus grande que l'Union est tout sauf pressée d'intégrer l'Ukraine, et qu'aucune des puissances européennes ne veut étendre l'Otan jusqu'aux frontières de la Russie. »

Comment convaincre Moscou que cette dernière perspective, folie américaine (que seul M. Rasmussen incarne parmi les Européens), n'est pas inéluctable ?

Réponse de Guetta : la seule solution serait d'ouvrir avec la Russie des « négociations secrètes » européennes, ayant pour but :

a) de transformer l'Ukraine en une fédération garantissant les droits des russophones,*

b) de proclamer la neutralité de toutes les ex-républiques soviétiques qui ne sont pas encore entrées dans l'Otan.

Ce n'est qu'à ce prix que pourraient se rouvrir les voies d'un avenir raisonnable.

Pour cela, ajouterons-nous de notre côté, il faudrait que les dirigeants européens se réveillent de leur hypnose envers l'Amérique ; une Amérique désormais dangereuse, parce qu'elle se sent devenir trop faible pour diriger le monde par ses moyens des années fastes.

 

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* Droits qui furent niés à grand fracas par les gens de Kiev dès les lendemains du putsch de Maïdan ! Avec pour conséquence l'apparition du séparatisme, sur lequel Moscou allait évidemment jouer. On en est toujours là...

 

Source : Libération 19/11