04/10/2014
Contre la marchandisation de l'humain
Malaise à Libération, perplexité au Monde :
1. Libération zappe l'essentiel et aplatit le débat
LMPT est le chiffon rouge qui irrite le taureau libéral-libertaire. Bernadette Sauvaget (Libération de ce matin) intitule bizarrement son article : Manif pour tous, la famille catholique divisée. Elle commence cependant par constater l'indignation toute neuve de beaucoup de citoyens, catholiques ou non, devant la GPA et la PMA non médicale. Une « catholique des Hauts-de-Seine » lui déclare : « Je n'y suis pas allée (à la Manif pour tous) en 2013, ni en février 2014. Mais la PMA et la GPA, c'est quelque chose, de mon point de vue, de très grave... » Pourquoi très grave ? Parce que « l'humain n'est pas une marchandise », proclame LMPT, sur son affiche qui rappelle volontairement celles de mai 1968. Mais ce slogan peu libéral ne concorde pas avec l'idée que les médias – de gauche à droite – se font des catholiques ; ou plus exactement, des « catholiques de droite », identité supposée de LMPT. Libération ne le signale donc pas à ses lecteurs.
Ce qu'il faut penser de LMPT, la journaliste préfère le demander au caricatural Alain Escada ! Comme il fallait s'y attendre, le chef de ligue « catholique » [1] lui répond, dit-elle, qu'il autorise ses militants à manifester demain. Bingo ! Il ne reste plus qu'à faire croire que Ludovine de la Rochère est « en déphasage avec le pape François ». Aucun élément ne permet de supposer ça de la part de la présidente de LMPT. Mais la journaliste a son idée... Déphasage il y a forcément, puisque LMPT est : a) un mouvement « catholique », b) un mouvement « conservateur », et que, c), « l'heure n'est plus au conservatisme d'un Jean-Paul II ou d'un Benoît XVI » ! La journaliste demande donc à Mme de la Rochère si elle est « sur la même ligne » que François. La présidente de LMPT ne peut répondre à cette question privée de sens, puisque LMPT n'est pas un mouvement confessionnel ; la journaliste en conclut aussi sec que Mme de la Rochère est « embarrassée » (sic), suggérant ainsi – CQFD – que LMPT est plus proche de M. Escada que du pape François.
On est dans l'absurde. Et pour voir à quel point, il faut lire les dernières lignes de l'article :
« Récemment, il (le pape) a baptisé l'enfant d'une mère célibataire, et marié, tout aussi publiquement, des couples qui avaient des enfants. Un modèle de famille très éloigné de celui défendu par la Manif pour tous. »
Que veut dire Bernadette Sauvaget ? Que l'enfant de cette mère célibataire n'avait pas été engendré par un homme ? Ou que le pape a marié des couples homos ?
2. Le Monde approche de l'essentiel, mais le contourne
Dans Le Monde Culture-Idées du 4/10, deux pages intitulées La Manif pour tous, acte II. Jean-Baptiste de Montvalon semble vouloir traiter le sujet sous son véritable angle :
<< Dans son pavillon de Montreuil (Seine-Saint-Denis), François de Singly prend connaissance du tract de la Manif pour tous appelant à de nouveaux rassemblements à Paris et Bordeaux, dimanche 5 octobre. Grand spécialiste de la famille contemporaine, le sociologue semble désemparé. Surmontant un dessin à « l’esthétique d’extrême gauche », il y a ce slogan, «l’humain n’est pas une marchandise », qui, dit-il, ne déparerait pas sur les panneaux de sa ville, un bastion communiste que le PCF a repris lors des dernières élections municipales. Le tract appelle en outre à la défense de « l’intérêt supérieur de l’enfant », que nul ne songe à contester… De la belle ouvrage, digne des belles heures des mouvements sociaux de la gauche. « Il n’est pas si facile de leur répondre », soupire François de Singly. >>
L'article constate que LMPT est un courant qui monte, alors que la pratique religieuse des catholiques français continue à descendre... Cet indice devrait inciter les journalistes (ainsi que la gauche cathophobe et l'ultra-droite cathomane) à ne plus réduire la Manif pour tous à une expression du catholicisme, et à cesser de prétendre que les manifs sont « la nouvelle mission des catholiques français ». [2]
Reste le désarroi de la gauche établie, face à la contestation de ses mesures sociétales... qui ne sont que le sous-produit de la société de marché. Les notables interviewés par Le Monde (Singly, Brustier, Théry, Camus) voudraient réduire cette contestation à une menée « identitaire » catholique : si c'était le cas, il suffirait de mettre en place un cordon sanitaire autour des méchants cléricaux qui menacent la République. Ce fut essayé en 2013, et ce fut un échec. Pourquoi ? Parce que, visiblement, la loi Taubira n'était que le premier pas vers l'artificialisation de la reproduction humaine et la marchandisation de la femme et de l'enfant, revendiquées par le LGBT et appuyés par les multinationales biotech... mais dénoncées de leur côté par des contestataires radicaux aussi peu calotins que Pièces et Main d'oeuvre, L'Ecologiste ou La Décroissance !
Découvrant cette convergence virtuelle, découvrant la dimension économique (ultralibérale) de la crise anthropologique contemporaine, les organisateurs de LMPT savent que leur mouvement est l'une des expressions de la résistance : défense de ce que les uns appellent nature humaine et les autres condition humaine. Les organisateurs de LMPT rappellent, depuis l'origine, que leur mouvement n'est pas confessionnel – même si beaucoup de catholiques en font partie...
On comprend ainsi que Le Monde biaise le sujet quand il fait dire par Jean-Yves Camus que LMPT exprime « un vrai renouveau de la pensée catholique conservatrice ». C'est trois fois inexact, car :
a) le christianisme catholique n'est « conservateur » ou « progressiste » que s'il dégénère. Par nature – ou surnature – il est tout autre chose ;
b) le mouvement de résistance à l'artificialisation de l'humain est tendanciellement une contestation du néolibéralisme, voire du capitalisme : le qualifier de « conservateur » est ainsi une ânerie ;
c) ce mouvement de résistance surgit de divers secteurs de la société, et ne saurait être réduit au secteur catholique français. Secteur dont la grande majorité des membres sont d'ailleurs loin d'avoir pris conscience de la véritable nature du combat... Cette conscience ne fait pas encore consensus dans les paroisses, même si elle progresse comme le montre le débat (Se libérer du libéralisme) ouvert ce mois-ci par La Nef et le diocèse de Toulon.
Sur la Manif pour tous, laissons conclure l'historien Grégoire Kauffmann dans Le Monde : « Une partie de la gauche fait totalement l'impasse sur la complexité de ce mouvement », explique-t-il. C'est exact. Il pourrait ajouter que cette partie de la gauche ne voit pas (ne veut pas voir ?) que ses « réformes sociétales » sont des sous-produits de la société de marché ; et que la droite ne veut pas le voir non plus.
Une fois que l'on comprend ça, on devine que la « complexité du mouvement » peut mener certaines de ses branches très loin du « conservatisme ».
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[1] En fait de catholicisme, la ligue de M. Escada (Civitas) dépend de la FSSPX schismatique qui a dit non à Benoît XVI, insulté la canonisation de Jean-Paul II, et qui accuse François de saborder l'Eglise.
[2] « Mission » est ici un terme inexact. Toute mission doit se recevoir d'une instance supérieure ; ce n'est pas le cas en l'occurrence, comme l'a indiqué avant-hier le président de la Conférence épiscopale. Et le pape ne le contredira pas, puisqu'il a indiqué à plusieurs reprises la hiérarchie des priorités : manifester contre des projets déshumanisants (avec des gens de tous horizons), oui, mais en n'oubliant pas que la seule « mission » reçue du Christ par le croyant est l'évangélisation ! « Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice », dit le Christ (Matthieu 6,33), le reste en découle par surcroît... Ce qui n'évangélise pas ne saurait être appelé « mission des catholiques » : nuance ignorée des journalistes, mais aussi des cathophiles équivoques que Mgr Daucourt a appelés « athées pieux ».
16:24 Publié dans Idées, Social, Société | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : manif pour tous
Commentaires
CONSERVATEURS
> En fait, les plus "conservateurs" ne seraient-ils pas les journalistes du "Monde" ou de "Libération", qui cherchent absolument à tout peser selon leurs bonnes vieilles catégories de "gauche", de "droite", etc. ?
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Écrit par : Sven Laval / | 04/10/2014
LES BIAISEUX
> Dans le combat, qu’il soit social, syndical ou spirituel, il y a ceux qui biaisent et tergiversent et ceux qui montent au front droitement.
Devant la réalité du capitalisme tardif, le libéral, le libertaire, l’identitaire biaisent et tergiversent.
Pour prendre l’exemple de l’entreprise qui m’emploie, nouvellement ultralibérale et impitoyable sous ses dehors sociaux-humanistes, je dois dire, en tant que catho, que je me régale avec les « cocos » (étiquette qui peut encore servir) de la CGT, des collègues sur lesquels on peut s’appuyer quand il faut foncer dans le tas (façon de parler).
En comparaison, je me désole en voyant les basses manœuvres de syndicalistes d’obédiences qu’on qualifie généralement de « réformistes ». Biaiseux jusqu’à la malignité.
Le réformisme, voilà l’ennemi ?
Demain, je défile en tête de cortège !
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Écrit par : Denis / | 04/10/2014
MÉDIAS FIGÉS
> Les médias dominants recommencent leur matraquage de la "Manif pour tous" à coup de sondages, de reportages outranciers et militants, de commentaires insidieux (on n'a pas encore vu une fausse météo comme cela avait été le cas lors du voyage de Jean-Paul II à Tours en 1996).
Ils n'ont rien oublié ni rien appris sur ces questions sociétales comme sur beaucoup d'autres ; leur pensée est figée et la haine irrationnelle en est le seul moteur, leur dernier dynamisme.
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Écrit par : B.H. / | 04/10/2014
LIBÉRAL LIBERTAIRE
> Je ne suis pas un expert mais j'ai le sentiment que depuis une ou deux décennies l'esprit libéral en économie et l'esprit libertaire 68ard en morale se sont rapprochés pour former un esprit " libéral libertaire" qui veut abolir toute barrière éthique que ce soit la morale conjugale, l'interdiction de la drogue ou le patriotisme. rien ne doit entraver l'individu.
L'amour de la classe ouvrière agité il y a 50 ans s'est évanoui devant le culte des marchés.
Le fric et le plaisir sont leurs dieux. Le fric comme seule voie vers le plaisir ? Et tant pis pour les pauvres et les laids.
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Écrit par : Roger / | 05/10/2014
PROBLÈME DE FOND
> À lire des blogs anti-libéraux comme celui-ci, je finissais par m'imaginer qu'il y avait une réelle prise de conscience. Mais l'impopularité de Hollande et de Vals ne doit pas, j'en ai peur, être prise trop vite pour une bonne nouvelle.
Je me rends compte de plus en plus autour de moi, dans les classes moyennes, une grande proximité avec les idées libérales-libertaires de Valls.
J'ai même quelquefois l'impression que décrit Ionesco dans Rhinocéros. Les gens se ferment à toute discussion, attachés qu'ils sont à ce qui leur semble la seule solution d'avenir possible et qui a l'avantage de réconcilier la droite libérale et la gauche libertaire.
Aujourd'hui, enfin, il n'y a plus de conflit entre le porte-monnaie et le cœur dans le monde libéral-libertaire.
Guadet
[ PP à Guadet :
- Vous avez raison, mais pas entièrement.
- Raison, compte tenu de l'emprise de masse du libéral-libertaire : euphémisme pour désigner simplement le formatage hyper-individualiste et technoïde, produit de notre système économique. Ce formatage explique la mentalité dont vous parlez dans votre commentaire ;
il explique aussi la "fermeture" des interlocuteurs. Un poisson trouve anormal qu'on veuille le sortir de l'eau ; le formatage réussit à se faire prendre pour milieu vital donc indiscutable.
- Mais vous n'avez pas raison complètement, parce que :
a) le formatage n'est pas universel. Il y a plus de résistants qu'on ne croit. (Toute la difficulté
est de faire converger des résistances issues de milieux qui se croient réciproquement incompatibles).
b) Malgré son omnipotence apparente, le système économique qui produit le formatage n'est pas viable. Etant de plus en plus artificiel et artificieux, son combat contre toutes les réalités ne peut que tourner mal pour lui.
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Écrit par : Guadet / | 05/10/2014
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