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08/07/2014

Une ministre explore l'étrange pays des réalités

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Inquiète des fonctionnaires dont elle est ministre et qui se mettent à voter FN, Mme Lebranchu veut comprendre, et fait appel à... deux chercheurs en sciences sociales. Voici le résultat :

 


Consternée de découvrir que des fonctionnaires basculent de plus en plus, dit-elle, « dans l'adhésion au FN », Marylise Lebranchu hésite à cesser de croire que tout ça n'est qu'une question d'éléments de langage : « Il faut faire attention à ne jamais utiliser des mots qui font le lit du Front national », commence-t-elle par dire à Libération (8/10) comme si l'on était en 1994.

Pourtant le doute naît dans son esprit : et si la réduction traditionnelle du problème à une question de mots était une fumisterie ? Et si les scores de Marine Le Pen n'avaient rien à voir avec le fait que tel ou tel vocable n'a pas encore été interdit par autorité de justice ? Pour être tirée de cette angoisse, la ministre a fait appel à deux personnages au dessus de tout soupçon : des chercheurs en sciences sociales, témoins qui sont à l'agonie de la Cinquième ce que le chœur antique est aux tragédies de Sophocle.

Et là, stupeur et tremblement ! Les deux chercheurs, « spécialistes de la fonction publique », expliquent que le phénomène Le Pen n'est pas une question de mots : les gens ne votent pas FN parce que la classe politique (censée être leur gardien) aurait employé par inadvertance deux ou trois mots interdits ; ils votent Le Pen parce qu'ils n'ont plus aucune confiance dans la classe politique, et c'est la faute de celle-ci. Mme Lebranchu panique parce que les petits fonctionnaires – hier bastion du PS – votent désormais FN autant que le reste de la population ? Réponse des chercheurs : c'est « une explosion chez les fonctionnaires de catégorie C »,  car c'est « derrière les guichets des caisses de la Sécurité sociale, à l'hôpital ou dans les services sociaux, que les fonctionnaires sont les plus sensibles aux thèses frontistes » ! « Plus on est en contact avec les gens, plus la probabilité de voter FN est élevée... » Parce que ces gens sont souvent des immigrés ? Non : parce que les fonctionnaires de contact « ont à gérer en face à face, et souvent sans grands moyens, la souffrance et la colère des citoyens, pour qui la demande de service public est immense ». Or le démantèlement des services publics est l'oeuvre du quinquennat Hollande, après avoir été lancé par le quinquennat Sarkozy : et « le FN est un parti qui a un langage de défense absolu des fonctionnaires, y compris les enseignants », confirme Mme Lebranchu.

Pourquoi Hollande après Sarkozy démantèle-t-il les services publics ? A cause de la crise financière qui ruine les Etats ? Sans doute. Mais pas seulement. Saborder le secteur public fait partie de la feuille de route donnée aux gouvernants postdémocratiques (via Bruxelles) par la sphère financière globale. Les gouvernants ne vous le diront pas aussi nettement ; mais il suffit pour le vérifier d'aller voir les sites libéraux de gauche ou de droite : « l'adversaire c'est l'Etat », disent-ils, comme si l'Etat aujourd'hui avait la puissance de l'Etat des années 1960... Non seulement il ne l'a plus, mais les soi-disant grands serviteurs de l'Etat sont eux-mêmes attelés au démantèlement, pressés de rejoindre les multinationales qui leur offrent des postes.  Tout le monde le sait, sauf les libéraux les plus bredins... Les fonctionnaires aussi le savent : d'où leur « mal-être au travail, où la hiérarchie des grands corps est déligitimée et cultive un entre-soi » – expliquent les deux chercheurs. Mme Lebranchu confirme encore : « Il y a, c'est vrai, une désacralisation de l'image des grands serviteurs accusés d'être au service de leurs propres intérêts... » Aussitôt proférée cette phrase, la ministre a un sursaut (son surmoi lui a donné une secousse électrique) : « Est-ce populiste de dire ça ? » Les deux chercheurs sourient : « On a le droit d'être critique de ses élites. Il faut arrêter d'avoir peur d'être populiste ».

Voilà. J'ai toujours eu envers Mme Lebranchu une certaine sympathie ; elle s'accroît devant cette honnête séance de réalisme avec MM. Joël Gombin et Luc Rouban. La ministre a maintenant compris la clé du succès du néo-FN repeint en gaullo-colbertisme à croix de Lorraine : la droite et la gauche ayant jeté par la fenêtre ce qui caractérisait la République française, Mme Le Pen l'a ramassé et le brandit devant des foules dont le désarroi est trop grand pour qu'elles remarquent le peu de crédibilité du FN en la matière. Il n'y a dans tout ça qu'une seule coupable, et c'est la classe politique.

Mme Lebranchu conclut en disant : « Ma question, c'est comment donner une forme d'espoir ? » La réponse lui viendra peut-être.

 

 

19:16 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : politique

Commentaires

POLTERGEIST

> L'actuel gouvernement veut relancer la croissance, DONC il démantèle les services publics. Cela me parait plutôt raisonnable de leur part. A moins bien sûr que la prémisse ne soit fausse; que la « croissance » n'existe qu'à l'état fantomatique et ne vienne hanter les vivants que pour leur perte.
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Écrit par : Blaise / | 08/07/2014

Cher PP,

> Tout ce que disent ces sociologues (et ce que vous ajoutez) est absolument vrai. Pour le vivre au quotidien depuis de nombreuses années (avec une aggravation TRES nette depuis 2-3 ans), c'est totalement exact. La "casse" du service public, ce n'est pas un fantasme de cégétiste fanatique.
Ainsi : sur 4 départs - mutations, retraites- dans mon équipe cette année, j'aurai au maximum (je dis bien au maximum…) un remplacement. Et en 2015, je devrai très vraisemblablement encore "rendre" des gens (oh oui, ça me donne envie de rendre ! ). Avec une charge de travail qui a explosé depuis …2, 3 ans justement. Avec la "joie" de voir qu'on demande à l'Etat d'être le serviteur, avant d'en crever, du "big business" (je ne peux pas donner d'exemples concrets "vécus", devoirs de réserve et de discrétion professionnelle obligent, mais ça devient du délire.
Oui, du délire…surtout venant de gens membres d'un parti issu théoriquement du mouvement ouvrier).

Je ne vois pas le bout du tunnel pour notre pays. Je ne vois que des élites politico-administratives qui, pour une grande partie d'entre elles, n'ont pas le souci des intérêts de leur pays (je ne parle même pas d'amour de la France ! )
Je ne sais plus quoi faire. Je le (re)dis franchement : je n'exclus pas de voter FN à l'avenir. Pour la première fois de ma vie. Et avec grande tristesse. Mais, dans un naufrage, il vaut mieux être sauvé par un bateau de forbans, plutôt que de mourir noyé ou dévoré par les requins...
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Écrit par : Feld / | 08/07/2014

ENTREPRISE

> Vous avez raison sur un point : l’État n'est plus (Regrets éternels), mais ce qu'il en reste est encore diablement dangereux. Ma vision de la fonction publique est double : j'ai été fonctionnaire et je suis désormais dans le privé (j'ai monté ma propre société). Sans vouloir faire trinquer le lampiste, c'est-à-dire l'employé de catégorie C, je peux vous assurer d'une chose, c'est qu'il faut être complètement fou ou au moins inconscient pour se lancer dans une telle entreprise. Tout est fait en France pour décourager l'initiative. Je ne vais vous raconter par le menu mes déboires ou avanies, un livre n'y suffirait pas, mais les tracasseries administratives sont loin d'être un mythe. Simplification qu'ils disaient ! Mon œil !
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Écrit par : François / | 09/07/2014

à François

> A mon humble avis PP a raison sur plus "d'un point" dans le texte ci-dessus.
Et l'examen de conscience de Marylise Lebranchu est un autre sujet que celui qui vous préoccupe légitimement. Ministre des fonctionnaires, elle veut comprendre pourquoi des fonctionnaires votent FN. Les deux experts lui donnent une explication.
C'est une autre question que les difficultés des entrepreneurs auxquelles on ne peut quand même pas toujours tout ramener, de quoi qu'on parle !
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Écrit par : D. Marteloux / | 09/07/2014

JOYEUSETÉS

> L'heure des nationalistes va-t-elle bientôt sonner? Dieu nous en préserve! En attendant, pour l'expansion de leur mouvement douteux, ces derniers peuvent remercier nos jeunes cadres si dynamiques qui se lèvent tôt le matin et qui passent même leurs nuits à parcourir le monde en quête de nouveaux esclaves, au service des actionnaires et des faiseurs de bulles financières et qui ont même réussi à imprimer leur super profil aux hommes politiques nerveux et réactifs, promoteurs de la France qui travaille!
Ils peuvent également remercier nos bobos qui n'ont de socialiste plus que le nom et qui ont pris le train en marche en nous gratifiant par-dessus le marché de leurs grandes gesticulations éclairées sur le plan éthique! Quelle classe!
Ils peuvent aussi remercier nos frères musulmans qui cherchent le salut dans l'obscurantisme de la charia et du djihad!
Quelle époque pleine de joyeusetés! Cependant, ne perdons pas la boule et demeurons dans l'amitié du Christ. La lumière de petite Espérance nous précède.
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Écrit par : Pierronne la Bretonne / | 09/07/2014

LE PARADOXE

> L'échange ci dessus montre le paradoxe particulièrement français qui est l'abandon par l'Etat de ses fonctions régaliennes cohabitant avec la croissance continue des tracasseries administratives, du à une complexité croissante des lois et règlements et de leurs contradictions.

Un autre paradoxe est que la France est un pays particulièrement "désyndicalisé » et que le reliquat d’adhérents aux syndicats se trouve pour l’essentiel dans le secteur public, malgré les difficultés de toutes sortes vécues dans un secteur marchand sous haute pression où ils se sont largement discrédités par leur irréalisme et leurs rivalités.
Le résultat en est l’impression maintenant bien répandue que des services comme la SNCF ou la fameuse SNCM sont des citadelles syndicales plus soucieuse de leur statut que du service public.
Malsain, tout cela !

NB: et n'oublions pas qu'au bout de la chaîne, c'est la fiscalité sur le secteur marchand, employeurs et employés, qui fait vivre l'Etat et tout les déficits du secteur public, la fiscalité et les charges sociales sur la fonction publique n'étant que du recyclage.
Aussi, le déclin de l’économie réelle et l’exil fiscal (dit optimisation) permis par l’européanisation de grandes entreprises, y compris celles où l’Etat est actionnaire, jouent un rôle décisif dans la constitution des déficits et donc les difficultés évoquées ci-dessus.
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Écrit par : Pierre Huet / | 09/07/2014

ENTRE DEUX FEUX

> Les fonctionnaires des guichets, au contact des réalités sont la partie visible de l'iceberg. Ils ont la sécurité de l'emploi certes, mais ils sont les indispensables assistantes sociales de la détresse sociale du pays. Ils sont pris entre 2 feux. La souffrance des gens, d'un côté, et la partie immergée de l'iceberg de l'Etat qui est paralysée et paralysante, trop complexe, trop règlementaire.
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Écrit par : Chris / | 09/07/2014

CRÉDIBILITÉ

> "la droite et la gauche ayant jeté par la fenêtre ce qui caractérisait la République française, Mme Le Pen l'a ramassé et le brandit devant des foules dont le désarroi est trop grand pour qu'elles remarquent le peu de crédibilité du FN en la matière" : en quelle matière, précisément ? En matière de République ? De services publics ?

JG


[ PP à JG - En matière de gouvernement ! L'inconsistance du FN (comme gouvernant potentiel) est une évidence quand on connaît ce parti... "Ça changera peut-être dans les années qui viennent" ? On ne peut évidemment pas affirmer le contraire. Mais il y faudrait plusieurs changements radicaux, dont une "transfusion de ressources humaines" dont on ne voit guère de signes pour l'instant. ]

réponse au commentaire

Écrit par : JG / | 09/07/2014

DÉMISSION

> Illustration particulièrement grave, économique et startégique, de la démission de l'Etat:

http://www.jean-luc-melenchon.fr/2014/07/02/linsupportable-braderie-de-notre-souverainete-continue/?fb_action_ids=10203284345860978&fb_action_types=og.likes
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Écrit par : Pierre Huet / | 09/07/2014

@ PP

> "On ne peut évidemment pas affirmer le contraire. Mais il y faudrait plusieurs changements radicaux, dont une "transfusion de ressources humaines" dont on ne voit guère de signes pour l'instant"

Oh ! A mon avis, il n'y a pas de souci à se faire à ce niveau-là. Dès que le vent tournera de façon suffisamment sensible, les jeunes gens bien nés sauront vers où se diriger. Comme certains à l'approche des législatives de 1978. Et si le FN arrive au pouvoir, les cabinets ministériels se rempliront sans aucune difficulté. C'est clair.

D'ailleurs, il faut bien le dire : le projet libéral porte en lui-même une grande part de vérité. C'est terrible à dire, mais on ne peut rien bâtir de durable sur ce que l'homme a de meilleur en lui. Cette ressource est rare, mal répartie, instable…Alors que l'opportunisme, la lâcheté, la concupiscence (du fric, du c..et du pouvoir), ça se trouve à foison, en tout temps, en tout lieu… D'une certaine façon, les abeilles de Mandeville, c'est : du bon gros bon sens. Hé oui, hélas.
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Écrit par : Feld / | 10/07/2014

CHESTERTON

> Bravo pour votre missive !
Je ne peux résister à partager ce bon mot (cette citation) "Le monde sera bientôt divisé entre ceux qui expliquent sans cesse les raisons de notre succès, et ceux, un peu plus intelligents, qui tentent d'expliquer nos échecs." (Gilbert Keith Chesterton)

Et du même : "Le libéralisme contemporain profite aux riches; et à personne d'autre."
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Écrit par : iader / | 10/07/2014

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