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07/06/2013

En archéologie aussi, le "tout privé" est nuisible

archéologie,libéralisme 

Professeur de protohistoire européenne à Paris-I, Jean-Paul Demoule fut le premier président de l'Inrap (archéologie préventive)... Interviewé par Stéphane Foucart, il dresse le constat d'une situation révoltante :

 

 


« La loi de 2001 [sur les fouilles archéologiques] est entrée en vigueur en 2002, au moment de l'alternance ; les élus de la nouvelle majorité de droite ont réagi avec leur grille de lecture, estimant que le nouveau dispositif allait nécessairement coûter trop cher parce qu'il s'appuyait sur l'Inrap – un institut public ! La loi de 2001 a donc été amendée en 2003 par une nouvelle loi, prévoyant l'ouverture des fouilles de sauvetage [par exemple sur un chantier d'autoroute] à la concurrence... L'ouverture de l'archéologie au privé a été un désastre...

Aujourd'hui, environ 20 % à 30 % des fouilles de sauvetage sont réalisées par le secteur privé, avec un très faible contrôle scientifique... »

D'où le Livre blanc de la communauté scientifique demandant une réforme radicale : notamment « rendre à l'Etat la propriété du sous-sol archéologique – de même, d'ailleurs, qu'il a la propriété du sous-sol géologique ». Et mettre fin à la mise en concurrence, dogme libéral qui aboutit au saccage du patrimoine par les margoulins : l'opérateur de fouilles est choisi par l'aménageur [par exemple une société d'autoroutes], « et celui-ci a tout intérêt à choisir le moins cher et le plus rapide des opérateurs, sans aucune considération pour la qualité scientifique du travail qui sera accompli. »

Cela doit changer, proteste le Pr Demoule. À condition que l'on arrive à se libérer de la règle européenne de « concurrence libre et non faussée », notion qui fait jouir les libéraux mais dévaste les sites...

Et à condition que l'on se libère aussi de l'étau des députés-maires : « dès qu'un rapport est publié sur la simplification administrative ou la relance de l'économie, on y trouve un couplet hostile à l'archéologie préventive. Celle-ci se heurte de longue date à l'hostilité de nombreux élus locaux et/ou nationaux, alors qu'elle représente 0,1 % du budget du BTP en France. Avec toujours les mêmes arguments : ''cela retarde les travaux'', ''les morts empêchent les vivants de vivre''.. » Le Pr Demoule finit donc sur cette nasarde à la Bossuet : « Messieurs les Députés et Maires, vous n'êtes pas vivants pour encore très longtemps, alors de quel droit voulez-vous priver toutes les générations qui vous succèderont de ce qui est, aussi, leur passé ? »

(Le Monde, 6/06)