Des écraseurs suffisants, des écrasés dépressifs

Obscénité de notre société libérale :

Deux articles du Monde à rapprocher :

Des écraseurs suffisants – Dans Le Monde (3/04), Marc Roche fait le portrait de G.K., trentenaire émigré à Londres. « Sourire sympathique, allure dégingandée d'éternel étudiant, mais ton tranchant du banquier performant : le Français, expatrié modèle jusqu'au bout de ses church's aussi bien cirées qu'un parquet de Buckingham Palace, est le poisson pilote d'un nouveau think tank libéral au nom certes abscons mais peu ambigu, Generationlibre - Alternative France Europe. » Ce personnage a lancé son baby-lobby le 27 mars à l'Imperial College, devant « une majorité de jeunes financiers français de la City aisément reconnaissables à cette extraordinaire capacité d'écouter la présentation tout en pianotant continuellement sur leur iPhone sans avoir l'air d'être mal élevés. Tout un art. » G.K. est non seulement financier mais agrégé de philo – diplôme qui ne signifie apparemment plus grand-chose, l'intéressé étant capable de déclarer aujourd'hui cette ânerie : « être libéral c'est croire dans l'économie de marché et la responsabilité individuelle » – ce qui est un oxymore en soi, et une imposture dans la bouche d'un financier. G.K s'avoue disciple de Keith Joseph (« le mentor des pires excès du thatchérisme », rappelle Roche). Il avoue aussi qu'il y a des libéraux « à gauche comme à droite » [1]. Et il annonce que Generationlibre va publier des rapports « provocateurs » pour que la société française achève de « mettre sa montre à l'heure libérale ».

Des écrasés dépressifs – En fait, la société française n'est déjà que trop à l'heure du libéralisme, heure de l'individu solitaire, du déracinement baptisé « mobilité » et de la guerre de tous contre tous. Dans Le Monde du 28 mars, enquête sur « la grande solitude de l'étudiant » (de 20 % à 25 % des étudiants souffrent d'isolement et de vide intérieur). D'après l'enquête médicale 2012 de la mutuelle LMDE, 19 % des étudiants vivent au cours de l'année « une période continue de tristesse et de perte d'intérêt ». Selon la psychologue Emilie Eurin, du Centre polyvalent de santé universitaire de Lille : « Aujourd'hui les étudiants se sentent seuls même s'ils sont en groupe. Ils ne sont pas forcément isolés, ils ont des copains, souvent plein sur Facebook ou pour faire la fête, mais ce ne sont pas des amis. Tout cela reste très superficiel et, du coup, ils vivent une solitude intérieure. Or, la solitude devrait être un sentiment positif. Elle fait partie de notre développement, elle doit nous servir à prendre du recul, à méditer. Mais les étudiants ne savent plus comment y faire face... C'est tout simplement lié à la société dans laquelle nous vivons...» La sociologue précise :  « Les relations amoureuses ont beaucoup changé. Ils font tout très vite. Ils ne prennent plus le temps de se séduire, de se connaître. Et comme nous vivons dans une société où l'on peut changer de tout immédiatement, ils changent de partenaire de plus en plus vite... » Sur le site du Monde, un étudiant de vingt ans explique : « Les gens ne se parlent plus. Ils sont sur leur smartphone ou sur les réseaux sociaux mais sont encore plus isolés. »

Les émigrés londonien aux church's brillantes « pianotent continuellement sur leur iPhone ». Les dépressifs des universités françaises  « ne se parlent plus, ils sont sur leur smartphone ». Le gadget est le même, mais les premiers et les seconds ne sont pas du même côté de la barrière économique.

« Oui mais...

ça branle dans le manche !

Les mauvais jours

finiront...»

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[1]  L'affaire Cahuzac vient de confirmer cela.