22/02/2012
Le cas MegaUpload : libération de Kim 'Dotcom' Schmitz
Mais que sont ces soi-disant rebelles de la Toile ?
La justice néo-zélandaise libère sous caution l'Allemand Kim Schmitz, alias Kim Dotcom, 38 ans, arrêté le 20 janvier à Auckland sur un mandat fédéral américain. A propos de ce personnage, je me permets de citer mon bloc-notes du Spectacle du Monde (février) :
20 JANVIER, AUCKLAND (NOUVELLE-ZELANDE) – Là aussi c'est mieux qu'un film policier. Jaillissant de plusieurs hélicoptères, des dizaines de flics couverts de gilets pare-balles débarquent dans le jardin d'une villa cossue ; ils contournent le garage où sont parquées une Cadillac rose et une Rolls Phantom ; enfoncent la porte de la maison, envahissent les couloirs ; se heurtent à une porte blindée sous verrouillage électronique, l'enfoncent aussi, et pénètrent dans une chambre forte où les attend un obèse armé d'un fusil à canon scié. C'est Kim Schmitz, alias Kim dotcom : le fondateur du site internet MegaUpload, qui a été fermé vingt-quatre heures plus tôt par le FBI aux Etats-Unis. MegaUpload (150 millions d'utilisateurs inscrits, 4 % du trafic mondial sur la Toile) est accusé d'avoir fait perdre 500 millions de dollars aux firmes de musique et de cinéma, et d'avoir empoché 175 millions de dollars de profits illégaux ! L'obèse Kim est extrait manu militari de sa chambre forte et enfourné dans d'un hélicoptère. C'est la première arrestation aéroportée pour violation de droits d'auteur... Déjà condamné en Allemagne et en Thaïlande (pour piratage informatique, délit d'initié et abus de biens sociaux), l'inculpé risque vingt ans de prison. À la même heure, à Hongkong, une armée de policiers perquisitionnent un hôtel de grand luxe : c'est là qu'est le siège social de MegaUpload.
Que reproche-t-on à Kim dotcom Schmitz ? La même chose – en plus grand – qu'aux 350 autres sites fermés par le FBI au cours des derniers mois: offrir illégalement des films, de la musique, des vêtements, des médicaments, des logiciels, du Burberry ou du Vuitton contrefaits... Banditisme ? « Non : altermondialisme numérique ! cyber-anarchisme ! » C'est ce que répond la plateforme internet Anonymous, qui lance aussitôt des représailles. Pour venger le gros Kim, des milliers de hackers engorgent et mettent en panne les sites du FBI, du département américain de la Justice, d'Universal Music. Et ceux de l'Elysée, du ministère français de la Défense et de Vivendi... Car Nicolas Sarkozy s'est placé depuis deux ans à l'avant-garde de la défense des droits d'auteur, avec sa loi Hadopi conspuée par les internautes. À Washington, deux projets de lois (« Sopa » et « Pipa »), demandés par Hollywood et les majors de la musique, veulent eux aussi durcir la répression.
Les droits d'auteur peuvent-ils gagner ce combat ? Anonymous affirme que non et brandit sa force de frappe : tous les internautes, sur les cinq continents, peuvent devenir hackers en utilisant cette plateforme – et ainsi prendre part à la guérilla. Une armée sans précédent.
Que dire de ce « combat » international ? Deux lectures du phénomène sont possibles :
- la lecture non-conformiste (notamment catholique), qui reconnaît la légitimité des pouvoirs publics garants d'un bien commun différent des intérêts privés ;
- la lecture conformiste, qui consiste à hurler contre la « répression » et à invoquer la « liberté de la Toile », la « liberté d'entreprendre », etc. C'est la réaction formatée par le libéralisme : ne pas admettre l'existence d'un bien commun.
Si l'on y regarde de plus près, en effet, on constate que Kim Dotcom et les « partis pirates » du web (spécialité des pays riches) ne sont que des extrémistes du système ultralibéral. « Le piratage est un business model comme les autres », déclare un patron de Disney. Il ne s'agit de rien d'autre que de maximiser des profits en violant les dernières lois, et en baptisant cette violation « démocratie liquide »1. Richard Falkvinge (« parti pirate » suédois) déclare : « Je me définis comme ultra-capitaliste... La bataille maintenant se joue sur les droits des citoyens, qui est le sujet majeur, plus important que le système de santé, l'éducation, le nucléaire, la défense et toute cette merde dont on débat depuis quarante ans. »
Ainsi la notion de « citoyen » perdra toute signification, puisqu'il n'y aura plus de « cité » ni de débat « civique » : rien que la guerre économique de tous contre tous, idéal des libéraux... Le renard libre dans le poulailler libre.
Transposée dans le domaine de l'internet, la mentalité « pirate » ultralibérale installe comme seule norme la jouissance individuelle, et récuse toute intervention des pouvoirs publics. C'est le triomphe de l'idéologie prédatrice-consumériste. Elle s'oppose à la pensée sociale chrétienne, et explicitement à la doctrine sociale de l'Eglise catholique exprimée dans son Compendium.
Sachant que l'univers internet se généralise à l'ensemble de la planète (sauf les régions les plus misérables), l'idéologie prédatrice-consumériste prétend ainsi régner sur le monde et lui imposer un empire de marchés et de machines, dominé par des « pirates » : individus prédateurs déliés de tout lien social, et ne voyant dans autrui qu'une source de profits.
Cette idéologie est un danger bien pire que le « contrôle d'Etat » qu'elle prétend dénoncer. Elle est clairement mise en cause par les textes du magistère catholique, notamment Centesimus Annus (Jean-Paul II) et Caritas in Veritate (Benoît XVI), ainsi que les documents des évêques français : Grandir dans la crise (CEF, Cerf) et Quelle société voulons-nous (cardinal Vingt-Trois, Pocket).
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1. Alex Morlang, du « parti pirate » berlinois.
10:10 Publié dans Idées, Société | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : megaupload, kim dotcom, libéralisme, christianisme, catholiques
Commentaires
> "La Décroissance" exprime aussi son point de vue sur ces "pirates" (point de vue qui rejoint le vôtre) dans son numéro de février.
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Écrit par : PMalo / | 22/02/2012
LA QUINTESSENCE DE L'ULTRALIBERALISME
> Tout à fait, la logique des parti pirates, anonymous et autres businessmen façon Mégaupload n'est rien d'autre qu'une forme d'ultralibéralisme...c'est même la quintessence de l'ultralibéralisme. Regardez les militants libéraux d'aujourd'hui : ce sont des accros du Net, des chefs d'entreprises numériques, des technophiles exacerbés... Pour eux le Net est ce marché parfait sans limite. Une utopie ultralibérale réalisée dans le monde virtuel à défaut de l'avoir été sur les îles artificielles décrites dans un de vos précédents billets.
Je me permets de mettre en ligne un de mes précédents articles sur les anonymous. Je décris dedans leur mauvais goût qui les fait se comparer à "Légion". Cela révèle un mode fonctionnement soi-disant libertaire mais en vérité totalitaire.
http://charlesvaugirard.wordpress.com/2012/02/07/anonymous-et-pseudonymous/
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Écrit par : Charles Vaugirard / | 22/02/2012
UNE "LIBERTE" D'ESCLAVES
> Entièrement d'accord avec cette vision des "héroïques pirates" qui luttent contre "la censure d'Etat" ou celle instaurée par les lobbies privés. En réalité, tous ces "acteurs" procèdent d'un même mode de fonctionnement capitaliste : "est bon ce qui m'arrange et me rapporte, est mauvais ce qui m'impose une contrainte et un respect d'autrui". J'ai toujours été choqué de voir ces mouvements se mobiliser, principalement, pour défendre le droit au téléchargement, qui semble devenu LE droit de l'homme, le seul et unique qui mérite d'être défendu... Un droit qui n'est rien de plus que le droit de consommer sans limites, et tout de suite, et gratuitement encore. La revendication hargneuse du droit à assouvir sa cupidité sans fin - la "liberté" d'esclaves qui ne savent plus crier que si l'entonnoir des sacro-saints "derniers épisodes" n'est plus régulièrement rempli. Consternant.
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Écrit par : Phylloscopus / | 22/02/2012
Le serpent se mord la queue...
> En parallèle, je ferai également une digression sur l'aveu de faiblesse d'un empire économique (celui de "l'entertainment") dépassé par la rapidité à laquelle va internet et qui a été incapable de trouver un modèle pouvant séduire les consommateurs qu'ils avaient jusqu'ici. Normal, cela signifiait "diminuer nos profits".
Et vers qui se tournent ces héros de l'utralibéralisme? Vers l'Etat, cet empêcheur de tourner en rond est bien leur bouclier de dernier ressort... Un peu comme nos chères institutions financières qui, trop endettées, ont demandé aux Etats de récupérer cette dette.
Quand l'Etat devient l'esclave du système qu'il a mis en place, c'est que la fin est proche. Le pouvoir est dilué dans une main invisible qui n'a pas de bras et encore moins de tête.
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Écrit par : Vincent / | 22/02/2012
PAS TROP PHYSIQUE
> Des pirates de tous temps se sont prévalu d'idées libertaires (les Frères de la Côte).
Celui-ci, en tout cas, n'est pas du genre à se risquer dans un engagement trop physique: une bonne photo comme celle-ci en dit autant que des pages.
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Écrit par : Pierre Huet / | 22/02/2012
HOLLANDE CONTRE HADOPI
> Hollande ne propose pas seulement d'euthanasier les malades; il veut aussi supprimer Hadopi - une loi fort appréciée des artistes. Savez-vous exactement ce qu'il lui reproche?
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Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 22/02/2012
DOMMAGE
> Les chaussures bicolores : indémodable accessoire du marlou de bas étage ! Dommage que le costume soit uniformément anthracite et qu'il y manque le chapeau de feutre...
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Écrit par : Dr. Zurui / | 23/02/2012
PAS LES ARTISTES
> "Hadopi loi fort appréciée des artistes" ? Non, désolé. Je suis artiste moi-même, et vous signale que les principaux défenseurs de la Hadopi, ce sont les distributeurs et autres sangsues qui détournent à leur profit l'essentiel des droits d'auteurs.
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Écrit par : Ren' / | 23/02/2012
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