Mme Badinter, maître à penser

...dans le dernier numéro du Monde des religions :

 

Mme Elisabeth Badinter est président du conseil de surveillance de Publicis, troisième groupe mondial de publicité [1], dont elle est l'actionnaire n° 2. À ce titre elle est aux commandes d'un des centres nerveux du consumérisme, machine de production de la culture d'époque ; culture peu propice (c'est le moins qu'on puisse dire) à la recherche spirituelle... Cependant, Mme Badinter fait fonction de « garante morale » [2] de Publicis, et se charge d'évaluer l'époque sur le plan spirituel. C'est dans le numéro de rentrée du Monde des religions.

Sous le titre Une crise profonde mais fructueuse, Mme Badinter se pose des questions et énonce des réponses.

Exemple de question de Mme Badinter : « Je ne comprends pas ce besoin actuel d'exhiber une identité religieuse et de se définir par opposition aux autres. » C'est pourtant simple : l'idolâtrie identitaire (sous toutes ses formes) est l'un des divers symptômes du nombrilisme de masse, déclenché et entretenu par le marketing de masse, dont Publicis est un centre majeur.

Mme Badinter déclare aussi ne pas comprendre que l'on évoque quelque chose comme les « différences homme-femme » : conception du monde « qui nous réduit au biologique » [3], dit-elle. La présidente de Publicis est dans le système d'idées dominant, selon lequel l'artifice est le Bien, alors que la nature (par exemple le masculin et le féminin) est le Mal  ; Mme Badinter le dit elle-même ou à peu près, page 34, troisième colonne, lignes 1 à 6. Ce système fruste (vive le monde des artifices, à bas « Dieu et/ou la nature ») ne tolère aucune nuance, aucune complémentarité, aucun mutualisme entre la chair et l'esprit. Notre époque technolâtre n'admet pas l'aspect charnel de la condition humaine. Elle a donc la « philosophie » qu'elle mérite.

C'est ici qu'on trouve la phobie de Mme Badinter envers l'écologie. (Ne lui dites pas qu'elle partage cette phobie avec les intégristes religieux, vous lui donneriez des insomnies). Pour la présidente de Publicis, les mères ne doivent pas allaiter leur bébé : ce serait se comporter « comme n'importe quel autre mammifère », et il ne faut pas. Ce serait de l'écologisme. Donc ce serait « donner la priorité à la biodiversité naturelle plutôt qu'à l'homme ». Ce serait nier « le propre de l'homme ». Quoi ? Le propre de l'homme serait de ne pas être un animal ? Oui, pense Mme Badinter. Idée absurde, parce que l'homme – « Adâm », « le Terreux » – est aussi un animal, même s'il est plus que ça  et destiné à gérer toute la Création ; c'est ce que nous dit le livre de la Genèse. Il est le seul animal doté de liberté (créé « à l'image de Dieu »), mais sa nature physiologique est animale. Nier ça est aberrant.

Comme le dossier du Monde des religions concerne l'athéisme de masse, Mme Badinter répond sur ce sujet-là aussi. (Publicis a réponse à tout). Considérant que les religions sont compromises avec la dégoûtante nature biologique, donc avec la très suspecte écologie [4], elle propose « de revenir aux fondements de la morale universelle : un peu de kantisme serait le bienvenu ». « Un peu » de kantisme ! Connaissant l'énorme substance du corpus kantien, comment voulez-vous en faire de quoi saupoudrer (« un peu ») le fast food contemporain ? On pourrait ajouter que la « morale universelle » est le parfum d'un vase vide : née de l'Evangile, elle a survécu un temps au christianisme occidental officiel, puis s'est évaporée. Aujourd'hui elle est introuvable : je suggère à Mme Badinter d'aller en faire l'expérience à Pékin, accompagnée d'une batterie de traducteurs !

Et en tout état de cause, le « fondement de la morale universelle » est le christianisme, sans lequel elle n'est pas pensable : pas d'universalité sans fraternité universelle, donc sans condition humaine commune à toutes les créatures issue du Père commun. Question de logique.

Mais on ne parle pas de logique aux publicitaires.

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[1]  Résultat net en 2010 : 526 millions d’euros. (403 millions d’euros en 2009). Réseaux internationaux : Leo Burnett Worldwide - Publicis Worldwide -Saatchi & Saatchi Worldwide. Médias (investissement et conseil) : Starcom MediaVestGroup - ZenithOptimedia - Médias & Régies Europe. Agences spécialisées et marketing: Digitas - Razorfish -  MSLGROUP - Publicis Net - Publicis Modem -  Yssup Research.

[2]  selon l'expression des bourdieusiens d'Acrimed.

[3]  On a envie de lui dire que le seul véritable "réductionnisme" en 2011, dans ce domaine, est le marketing féminin de masse.

 [4]  Cathos écolophobes, voilà une belle alliée pour vous ! Pour combattre complètement l'écologie à ses côtés, vous allez devoir vous rallier à «la gestation pour autrui » et à « l'adoption par les couples homosexuels ». (E.Badinter, Le Monde des religions, page 35, dernier paragraphe).