18/06/2011
"Le profit ne doit pas être une fin en soi"
...déclare le cardinal Bertone à un congrès sur « l’éthique dans le monde du commerce », le 16 juin :
Or le profit est une fin en soi pour le système actuel : ce capitalisme tardif qui met le monde en crise. D'où la perpétuelle excuse invoquée par les dirigeants de grandes entreprises, chrétiens ou non, lorsqu'ils procèdent à des délocalisations illégitimes ou à des licenciements pour "rassurer les marchés" : "c'est la règle du jeu global, on est bien forcés de la suivre pour ne pas être éjectés", etc.
Si l'on veut que le profit cesse d'être une fin en soi, il faut un nouveau modèle économique. C'est ce que disent l'encyclique Caritas in Veritate et tous les grands textes sociaux du magistère, si on les lit sérieusement et sans parti-pris.
"Dans une économie complexe et globalisée, l’État ou le secteur public ne peuvent plus être les seuls à s’occuper des biens communs comme l’eau, les sources d’énergie, les communautés, le capital social et civil des populations et des villes, qui pour une saine gestion, ont besoin également du talent de l’entreprise", ajoute le cardinal Bertone : il ne s'agit pas seulement des talents, certes nécessaires à l'ensemble. Il s'agit aussi de savoir si la règle du jeu fixée par le système global permet aux entreprises de faire la part du bien commun, sans se marginaliser aux yeux dudit système...
"Le monde d’aujourd’hui a un besoin urgent d’entrepreneurs qui n’aient pas seulement à l’esprit le profit, mais qui s’inspirent également de la doctrine sociale de l’Église, et qui conçoivent leur activité à l’intérieur d’un pacte social avec le secteur public et avec la société civile", souligne le cardinal : le mot-clé est « pacte social ». Ce pacte a existé en Europe au XXe siècle, parce que les luttes sociales l'ont imposé aux dominants dans la mesure où l'Etat l'a validé et garanti. Si on laissait aux intérêts particuliers le soin de se limiter eux-mêmes sur l'autel du bien commun, on pourrait toujours attendre !
La doctrine sociale de l'Eglise ne saurait être réduite à un appel aux bonnes intentions privées (le buonismo, comme disent les Italiens). Ni déviée (à plus forte raison) vers le libéralisme, destructeur hypocrite de l'idée de bien commun sous couleur de « limiter les empiètements de l'Etat »... Hypocrisie indéfendable intellectuellement, moralement et historiquement, mais encore partagée en France par un milieu résiduel qui continue en 2011 à « combattre le socialisme » (?) alors qu'on est en pleine crise liée au libéralisme...
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12:37 Publié dans Idées, La crise, Société | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : crise, libéralisme
Commentaires
INERTIE
> incroyable inertie du bateau catho français qui continue sur son erre "antisocialiste" comme si on était en 1981 et pas en 2011, ou comme si les seuls invités possibles aux dîners-débats étaient les conseillers et les ministres de Sarkozy, ou comme si les cours d'ultralibéralisme de Dauphine ou d'HEC étaient l'équivalent du magistère de l'Eglise.
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Écrit par : jean-louis / | 18/06/2011
L'EXPRESS
> à Jean-Louis - Oui, c'est l'impression que donnait le dossier de 'L'Express" il y a deux mois sur les "réseaux cathos" : uniquement focalisé sur les sarkozystes. Comme si l'Eglise en France était l'aumônerie du gouvernement.
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Écrit par : Laurent / | 18/06/2011
'GRANDIR DANS LA CRISE'
> Un document des évêques comme 'Grandir dans la crise' donne un autre son de cloche. Mais qui en a entendu parler en dehors de ce blog ?
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Écrit par : marcia / | 18/06/2011
PAS IDEE
> Une partie des catholiques français n'ont pas idée qu'un monde existe en dehors du Medef et de l'UMP.
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Écrit par : rembar / | 18/06/2011
L'ETAT
"L'existence d'un intérêt général, incarné par un ETAT qui appelle à dépasser les oppositions du court terme, fait partie de notre culture politique... La crise a fait redécouvrir l'importance de la politique par rapport à l'économie et le rôle indispensable des Etats dans la défense du bien commun. Réhabiliter la politique est un souci que nous portons depuis longtemps. C'est de l'action politique et de l'engagement de tous que naîtront, dans la durée, les issues à la crise, sous la forme d'un nouveau modèle de développement, accordant une place plus importante aux relations interpersonnelles et au respect de la Création."
(les évêques français, "Grandir dans la crise", éd. du Cerf, février 2011)
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Écrit par : a. chartier / | 18/06/2011
MORT
> De toute façon, le socialisme est mort, étouffé par la gauche libérale-libertaire.
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Écrit par : Blaise / | 18/06/2011
Profit.
> Tout dépend du profit pour qui? Quand on suit un "cours de finance" comme cela m'est arrivé, l'enseignant commence par une petite phrase pour situer tout ça dans son contexte: "On se place ici dans l'optique de la création de valeur pour l'actionnaire". Quand vous avez compris ça, vous avez tout compris.
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Écrit par : Nicolas Dangoisse / | 19/06/2011
Un appel du Comité consultatif du mouvement de citoyens indépendants « L’Etincelle », créé à l’initiative de Mikis Theodorakis
Athènes, 26 mai 2011 :
> «La démocratie est née à Athènes quand Solon a annulé les dettes des pauvres envers les riches. Il ne faut pas autoriser aujourd’hui les banques à détruire la démocratie européenne, à extorquer les sommes gigantesques qu’elles ont elle-même générées sous forme de dettes. Comment peut-on proposer un ancien collaborateur de la Goldman Sachs pour diriger la Banque centrale européenne ? De quelle sorte de gouvernements, de quelle sorte de politiciens disposons-nous en Europe ? »
« Nous ne vous demandons pas de soutenir notre combat par solidarité, ni parce que notre territoire a été le berceau de Platon et Aristote, Périclès et Protagoras, des concepts de démocratie, de liberté et d’Europe. Nous ne vous demandons pas un traitement de faveur parce que nous avons subi, en tant que pays, l’une des pires catastrophes européennes aux années 1940 et nous avons lutté de façon exemplaire pour que le fascisme ne s’installe pas sur le continent. Nous vous demandons de le faire dans votre propre intérêt. Si vous autorisez aujourd’hui le sacrifice des sociétés grecque, irlandaise, portugaise et espagnole sur l’autel de la dette et des banques, ce sera bientôt votre tour.
Vous ne prospérerez pas au milieu des ruines des sociétés européennes. Nous avons tardé de notre côté, mais nous nous sommes réveillés. Bâtissons ensemble une Europe nouvelle ; une Europe démocratique, prospère, pacifique, digne de son histoire, de ses luttes et de son esprit. Résistez au totalitarisme des marchés qui menace de démanteler l’Europe en la transformant en tiers-monde, qui monte les peuples européens les uns contre les autres, qui détruit notre continent en suscitant le retour du fascisme. »
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Écrit par : serge lellouche / | 19/06/2011
LEUR PRISME DEFORMANT
> Tout sauf se faire traiter de bolchevique à la sortie de la messe. Des catholiques en sont encore là. Étouffante ou confortable étroitesse ? Ils disent "Benoît 16 ! Benoît 16 ! Benoît 16 !" et leurs prismes déformants les pousseraient à se persuader que notre pape voit encore dans le socialisme la grande menace planant sur l'humanité de 2011.
C'est tellement plus confortable de maintenir bien vissés des schémas idéologiques d'il y a trente ans, afin par dessus tout de préserver un horizon de vie douillet, tellement plus bourgeois que catholique. Le coup du péril rouge ça ne prend plus. Alors certains le fantasment en vert.
Il n'en manque jamais pour dire que parler ainsi, c'est être moralisant et jugeant. Quel beau rôle que de se donner des airs très humbles en ne s'indignant de rien ou en faisant semblant de le faire pour satisfaire sa bonne conscience.
Les catholiques vivants ne sont pas des « purs » qui ont réponse à toutes les questions, qui eux, héroïquement auraient extraits de leur conscience et de leurs mode de vie, tout réflexe capitaliste. En chacun d'entre nous, il y a un capitaliste. Nous sommes imprégnés jusque dans notre chair de ses mots d'ordre.
Mais ils vibrent de tout leur être, corps et âme, de la conviction grandissante que ce capitalisme économique et moral est un mal en soit et en soi, qu'il est un étouffoir, une impasse, un assaut permanent porté à notre humanité profonde, vulnérable et assoiffée de fraternité. Il n'est qu'instrumentalisation de tout au nom des deux principes qui le guident : l'avidité et la compétitivité entre les hommes. Il n'est que défiguration de la beauté et de la relation humaine par une accumulation boulimique et égoïste. Il est voile jeté sur le mystère de la pauvreté évangélique.
Le capitalisme est-il autre chose qu'un cache-misère ? Une mobilisation individuelle et collective forcenée orientée vers le déni de tout ce qu'il y a de blessé, de limité, d'humilié, d'angoissé en chacun d'entre nous ?
Pouvoir d'achat, toujours plus, forfait illimité, opulence, bien-être : la croissance capitaliste est elle autre chose que la croissance de ce déni du réel humain, meurtri et sauvé dans ses blessures ?
On ne commencera de sortir du délire capitaliste que dans la reconnaissance de notre pauvreté fondamentale, comme lieu de notre inimaginable espérance. L'horizon humain se dégagera à nouveau.
C'est précisément ici, je le crois, que prend son sens l'engagement catholique contre le capitalisme, beaucoup plus fondamentalement que dans le choix d'une classe contre une autre. L'enjeu de la lutte des classes est bien réel et doit être assumé, mais il est temporaire et risque constamment de masquer l'enjeu d'une souffrance humaine universelle, irréductible aux conflits d'intérêts et de classe. Oui, le catholique s'interroge aussi : quelle blessure si profondément refoulée, infectée et ignorée chez cet homme, l'a conduit au malheur de devenir un jour président de la banque centrale européenne, ou chez cet autre homme à écrire un livre intitulé « la mondialisation heureuse » ?
Le capitalisme est-il autre chose que la réponse erronée à notre obscure souffrance existentielle ?
Le capitalisme, qui est accumulation pulsionnelle d'argent, de bruit, d'idées, d'objets, d'imaginaires, est-il autre chose qu'un vain combleur de fêlures, une machine à remplir ce vide dans lequel pourtant se révèle le mystère de Vie, se laissant reconnaître dans son infinie discrétion, comme une salvatrice main tendue venant répondre à notre angoisse d'abandon et de mort ?
De tes profondeurs archaïques, un hurlement de douleurs et d'angoisse te taraude obscurément, depuis qu'en ta plus tendre enfance, tu as fais cette terrible découverte : ta maman n'est pas tout pour toi, tu n'es pas tout pour elle, elle est un autre que toi, elle mourra un jour. Tu es seul au monde. Alors viens chez Mc Donald, viens poser ta bouche sur ce tendre et moelleux big mac aux délicieuses formes arrondies, qui saura faire vibrer dans les tréfonds de ton inconscient l’irrépressible nostalgie du sein maternel, ce paradis perdu des temps modernes.
Mais regardez moi ces vilaines rides qui commencent de parcourir votre si joli visage. Filez-vite chez votre pharmacien et cachez-vous vite ces marques en votre corps vous signalant que se rapproche le grand précipice de votre mort et votre plongée dans le néant éternel.
De façon largement inconsciente, le capitalisme comme système global, comme faits et gestes individuels, est un bruyant et frénétique système visant à nous détourner de ce vide existentiel qui est le premier lieu de notre pauvreté. Vide terrifiant de notre solitude et de notre finitude apparentes. Il travaille avec acharnement à nous éloigner de ce silence implacable et de cette immensité angoissante, dans lesquels il nous est pourtant donné de reconnaître avec le cœur d'un enfant émerveillé, le visage et la voix de Celui qui ne cesse de nous annoncer la bonne nouvelle : ne craignez rien, je suis là.
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Écrit par : serge lellouche / | 19/06/2011
SERIEUSEMENT TRAVAILLER À CHANGER LES STRUCTURES
> Il est vrai que beaucoup de nos frères cathos, s'ils perçoivent confusément que la situation se dégrade, s'imaginent en même temps pouvoir tirer leur épingle du jeu et préserver leur niveau de vie et celui de leurs enfants (et notamment l'accès à un enseignement et à des soins de santé de qualité), voire même pouvoir profiter du système tel qu'il est. Beaucoup d'entre eux qui ne font objectivement pas partie des 'gagnants' du système (1% de la population) se sentent encore protégés par la rente immobilière ou une grille de lecture d'une autre époque.
A moyen terme (voire à court terme), cela risque fort de se révéler être une illusion, et ils risquent également de subir le déclassement qui touche la classe moyenne et même la classe moyenne supérieure. Quid quand dans un futur proche, il faudra payer au minimum entre 10.000 et 20.000 € par enfant et par an pour des études supérieures qui ouvrent quelques perspectives professionnelles ?
Quid, quand - comme maintenant en Italie -, il faudra attendre plusieurs mois une consultation urgente auprès d'un médecin spécialisé, ou payer au moins 200 € la consultation quand le toubib reçoit ses "clients payants" l'après-midi, en dehors du système de la sécu ?
Illusoire, mais aussi égoïste et une fuite devant leurs responsabilités de citoyens.
Dans "Caritas in veritate", Benoît XVI nous rappelle que tout acte économique (acheter qqch, placer de l'argent, investir, vendre, gérer une entreprise au quotidien, etc.) est d'abord "un acte moral". En être conscient, et agir en conséquence aura peut-être un impact sur notre patrimoine, mais c'est aussi incontournable que l'éthique sexuelle et familiale...
A ceux qui ont compris ou commencent à comprendre, de continuer - à temps et à contre-temps - à diversifier leurs lectures 'bien-pensantes' habituelles, à se former, et ensuite à expliquer, et éclairer les consciences et les coeurs de leurs proches, en ce compris ceux de nombreux saints prêtres et religieux, qui se contentent malheureusement d'à peu près en matière économique et sociale, et ne comprennent pas qu'il faut sérieusement travailler à changer les structures (de péché), et pas seulement les coeurs.
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Écrit par : J. Warren / | 21/06/2011
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