1910-2010 / Centième anniversaire de la naissance de l'intégrisme : un siècle de manoeuvres venimeuses dans l'Eglise catholique (et ce n'est pas fini)

Centenaire de la "Sapinière", ancêtre des intrigues pour "protéger le pape contre lui-même" :

 

Au début de 1910, un prélat romain nommé Umberto Benigni organise un réseau d'espionnage et de diffamation dans les milieux catholiques d'Europe occidentale. Il se définit comme « intégralement contre-révolutionnaire », en foi de quoi il va propager au sein de l'Eglise une agitation diviseuse et stérile. Mgr Benigni donne au réseau le nom – volontairement évasif – de Sodalitium pianum, « association pieuse ». En code : « La Sapinière »... Le codage vient de l'activité du réseau : l'envoi de délations sur les uns et les autres, confluant à Rome dans le bureau de Mgr Benigni, puis diffusées en plusieurs langues sous formes de circulaires, toujours signées de pseudonymes à la manière de certains sites internet d'aujourd'hui.

Pendant des années, le réseau de la Sapinière s'acharnera à diffamer des idées neuves qu'il ne comprend pas, et à détruire des réputations d'ecclésiastiques et de laïques parfaitement respectables. En théorie, la Sapinière se voue à lutter contre ce qu'on nomme alors le modernisme : un courant qui cherche à dévier l'exégèse scripturaire moderne (alors naissante) vers une mise en cause de la foi en elle-même. En réalité, les durs petits esprits groupés par Mgr Benigni tirent sur tout ce qui bouge et leur paraît nouveau. Ils veulent former un lobby politico-religieux ultraconservateur et peser sur des décisions du Vatican. Certes le pape régnant est Pie X, qui combat le modernisme ; mais les « intégristes » (le terme apparaît alors) redoutent la bonté du pape envers les personnes. « L'heure n'est pas à la compassion », dit une de leurs notes occultes... Eux, ils  en veulent aux êtres humains, pas seulement aux erreurs ! Et leur but est de détourner le combat théologique antimoderniste pour en faire l'antichambre d'un complot politico-religieux, sous prétexte de « défendre le pape contre lui-même ».

Les notes secrètes de la Sapinière ont été publiées par les historiens. C'est une lecture étouffante (qui ressemble étrangement à certains posts circulant sur la Toile en 2010, cent ans plus tard). Les notes de désinformation de la Sapinière sont toujours signées de pseudonymes. Exemple, cette circulaire intérieure du printemps 1910 :

« Vous recevrez des lettres de M. Jérôme, bourgeois de Genève [1]. Hélas, ce seront des nouvelles presque toujours mauvaises, souvent scandaleuses. Elles photographient la triste réalité, en ne l'aggravant jamais, l'atténuant quelque fois. Nous nous trouvons vis-à-vis d'une vraie coalition où l'inintelligence des uns se rencontre avec la malice des autres pour avilir l'Eglise, la compromettre en des combinaisons dont elle doit être l'éternelle dupe, pour éteindre le zèle, l'activité, voire le caractère des vrais catholiques. Cette coalition internationale travaille à l'ombre et à l'appui d'une autre coalition : celle de la presse soi-disant catholique, modérée, neutre, etc, etc. Vis-à-vis de tout cela, il faut que les vrais catholiques s'entendent entre eux, en commençant par s'avertir les uns les autres de ce qui se passe dans l'ombre contre eux, soit chez les ennemis ouverts soit chez leurs faux amis. C'est dans ce but que M. Jérôme, bourgeois de Genève, se donne la peine de récolter, coordonner et transmettre ces nouvelles... Il vous demande en récompense de lui fournir toutes les nouvelles, documents, etc, qui pourraient lui être utile pour sa tâche. » [2]

Il allait en sortir une masse d'actions répréhensibles perpétrées pour la bonne (?) cause. Transformant un point de discipline catholique (le rejet du modernisme) en obsession primant le reste et justifiant les diffamations envers les « tièdes », la Sapinière, vite critiquée par les collaborateurs de Pie X en tant que «corps inquisitoire secret par-dessus les évêques » (cardinal De Lai, 1913), ne parvint pas à se faire approuver canoniquement. Ses méthodes d'inquisition et de division, et l'absurdité de son idéologie, amenèrent sa dissolution en 1921 par le cardinal Sbarretti à la demande de Benoît XV.

Pourquoi commémorer aujourd'hui ce lamentable réseau ? Parce que la campagne révoltante rallumée cette semaine contre Mgr Fisichella nous y contraint, tant elle rappelle les façons des sbires de Mgr Benigni.

 

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[1]  pseudonyme.

[2]  in Intégrisme et catholicisme intégral, Emile Poulat, Casterman 1969.