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04/05/2009

Vers une société du dérapage répressif permanent ?

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24 heures de garde à vue

pour avoir reçu

un mauvais gag par SMS :


 

C’est dans Le Courrier picard de ce week-end.  Stéphane, 29 ans, menuisier à Abbeville, reçoit ce SMS d’un collègue d’atelier: «Pour faire dérailler un train, t'as une solution ?».  Ca  se  veut  un  gag… Mais Stéphane est convoqué au commissariat d'Abbeville, le 16 avril en fin d'après-midi. Surprise: «J'entends parler d'affaire criminelle, de terrorisme, et d'une garde à vue qui pourrait durer dix jours, raconte-t-il. On me demande si je suis capable de choses farfelues comme, par exemple, faire dérailler un train.» Le jeune menuisier donne le nom de son collègue, auteur du SMS. La police perquisitionne chez celui-ci, et le ramène également au commissariat. Vers 16 heures, Stéphane est placé en garde à vue, sur instruction du parquet. «C'était un véritable choc. En deux secondes, j'ai eu l'impression de devenir un vulgaire criminel. Je me retrouve dans une belle cellule jaune qui sent la pisse, j'ai l'impression d'être traité comme un chien.» Le lendemain, les auditions reprennent. Stéphane ne retrouvera la liberté qu'à partir de 16 heures, au bout de 24 heures de garde à vue. L'auteur du SMS sera également libéré.

Pourquoi cette procédure dérisoire ?  On a voulu inculper Stéphane de « non dénonciation de crime » face à ce SMS « tendancieux » [1], explique le journal. De quelle « tendance »  ? Sûrement le Parti Invisible, canal Le Coup de Tarnac ! D'où le placement de Stéphane en garde à vue,  selon Éric Fouard, procureur d'Abbeville , qui admet que la récente affaire de Tarnac (Corrèze) a  « certainement »  joué « en la défaveur » du jeune homme. Et comment  le  SMS a-t-il fini sur le bureau du procureur ? « L'appareil sur lequel Stéphane a reçu ce SMS était un téléphone prêté par l'opérateur, le sien étant en réparation», explique le journal : « l'opérateur a le droit de consulter ces messages et le devoir d'alerter les autorités s'il estime qu'un crime ou un délit est susceptible d'être commis », ajoute le procureur d'Abbeville.

Commentaire :

1. L’affaire de Tarnac « a joué en défaveur » de Stéphane. C’est le détail qui tue : car dans l’affaire de Tarnac, le dossier est vide ; le délit (à supposer que Julien Coupat ait été impliqué) ne relève en rien du terrorisme ; garder indéfiniment Coupat en détention préventive ne se justifie d’aucune manière, sinon par l’intime conviction d’un magistrat – motif que je m’abstiendrai de commenter. Or non seulement Coupat reste sous les verrous, mais le menuisier Stéphane a failli l’y rejoindre parce qu’un autre magistrat a estimé que les deux affaires se ressemblaient ! C’est vertigineux.

2. Qui a balancé Stéphane ? L’opérateur de téléphonie mobile [2]. Il doit se croire aux premières loges de la GWOT, « global war on terrorism »… On a les 11 septembre qu’on peut.

Entre les paranos téléphonistes, les flics téléphages et les parquets télécommandés, notre société du virtuel tombe de plus en plus dans les abus ; projeter le virtuel dans le réel produit des dérapages mentaux, légaux, pénaux, qui se traduisent chaque fois par des souffrances humaines. Le menuisier d’Abbeville l’a échappé belle. Egalement son copain. D’autres ont eu moins de chance, ou auront plus de guigne.

______________

[1]  Autrefois, « tendancieux » signifiait (dans les dictionnaires) « qui manifeste une tendance, une orientation intellectuelle, idéologique inexprimée, des préjugés, peu d’objectivité » : défauts de l'esprit, mais qui ne sauraient tomber sous le coup de la loi ni motiver une garde à vue. Sauf qu'on on ne parle plus le français précis, mais  une transposition française du basic american : ainsi Mme Alliot-Marie nous disant, dans le cadre de la Grande Grippe Mortelle, que Roissy allait créer une  « zone dédiée » : formule qui ne veut rien dire en français, mais qui transpose le terme dedicated area. La même dérive coloniale a saisi le mot « tendancieux », par contagion de tendancious  qui a le sens de « dévoué à une cause ». En novlangue franco-atlantique, à notre époque où il ne faut surtout pas adhérer à une cause (sous peine d’être étiqueté « fondamentaliste »), le mot « tendancieux » finit par signifier quelque chose comme « terroriste ». Ce qui peut vous valoir une combinaison orange et des années d’internement administratif.

[2]  L'enquête étant cafouilleuse, le parquet a émis une autre version ce matin : le menuisier n'aurait pas été espionné par le téléphoniste directement, mais dénoncé par celui-ci sur requête de la police. Celle-ci avait été informée du message "terroriste" par un autre utilisateur du même portable (un appareil prêté par le téléphoniste à ses clients pendant les réparations) ; ce nouvel utilisateur avait trouvé le SMS parmi les "anciens messages" envoyés à l'utilisateur précédent (le menuisier). Tout cela est parfaitement grotesque.

  

18:01 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (12)

Commentaires

DERIVE

> Je vous avais fait un long commentaire sur ce sujet-là reprenant les dernières évènements caractérisant une dérive assez nette des institutions.
C'est tout l'intérêt d'être attentif au cas de Julien Coupat.
La situation de cet homme est une insulte à la démocratie.

Écrit par : Qwyzyx | 04/05/2009

> Seulement "vers"? N'y sommes-nous pas déjà depuis un certain temps?

Écrit par : Mahaut | 04/05/2009

TOUS DES MENUISIERS PÏCARDS

> En 68 le slogan était « nous sommes tous des juifs allemands ». En 2009 ce sera « nous sommes tous des menuisiers picards »; J’ai créé un groupe, pour rigoler, sur ce merveilleux outil qu’est Facebook…
http://www.facebook.com/group.php?gid=94978482385

Écrit par : Guillaume | 05/05/2009

"JUSTICE"

> L'association "Institut pour la justice" qui s'est "officiellement" constituée après le meurtre horrible d'Anne-Lorraine va dans le sens d'un durcissement de la justice.
Leur charte philosophique se réfère à Jeremy Bentham (utilitarisme). Ils ont engagé un jeune criminologue ,Xavier Bébin . Celui-ci a écrit un livre en faveur d'une approche utilitariste de la justice pénale et qui s'intitule "Pourquoi punir?"
Plusieurs membres de cette association ont des sympathies pour les mouvements libéraux voire libertariens.
Pour plus d'infos:
http://www.sos-justice.info/
anne

[ Réponse de PP à A. - Etes-vous en train de nous dire que le drame d'Anne-Lorraine a été récupéré par les libéraux ? Ce serait inqualifiable...]

Cette réponse s'adresse au commentaire

Écrit par : anne | 05/05/2009

GROSSE CAISSE

> Les tenants actuels du pouvoir exécutif ont juste mis en place une grosse caisse de résonance sécuritaire. Ces traques stupides menées par la police et la justice ont une vertu pour le pouvoir. Elles créent un climat d’inquiétude et sont censées démontrer l’efficacité des policiers et des juges – de fait, elles démontrent le contraire pourvu que l’on raisonne un peu, par exemple, de façon positiviste (langage compris en haut lieu), en mettant en lumière la croissance du nombre des gardes à vue injustifiées et inutiles par rapport au nombre des gardes à vue produisant un résultat en termes de réelle justice et de réelle protection des droits des citoyens. Bref, chacun comprend bien que ces manipulations de type autoritaire et sécuritaire continueront tant qu’elles seront jugées payantes électoralement.
De façon générale, le règne actuel est celui de la grosse caisse. Il a commencé en « bling-bling », il continue en « boum-boum ». Pas le gentil « boum-badaboum » de l’ami Bébel ! Mais le boum-boum de l’apprenti tambour que nous fûmes tous à l’âge de 18 mois… Et ça marche. Les grands médias tombent allégrement dans le panneau (quoique certains commencent à s’interroger). Il faut dire qu’Internet ne facilite pas le travail des responsables politiques et des journalistes de profession. La connerie (pardon mais je crois que c’est le bon mot) y galope tellement vite, le vote « InstantaNet » est tellement puissant que politiques et journalistes préfèrent la plupart du temps venir à sa remorque. Pensons-y ! Le fascisme le plus redoutable, c’est peut-être ce « bruit de fond » de la Toile. Cet autre boum-boum, redoutable, qui promet le « tout, tout de suite » et mobilise déjà des armées de « toutous de suite ».

Écrit par : Denis | 05/05/2009

"CONTRIBUABLES ASSOCIES"

> Merci Anne pour le lien, c'est très instructif. Le site indiqué épingle "Contribuables associés". Je peux témoigner que cette association ne répond pas quand elle est saisi de situations scandaleuses qu'elle prétend pourtant dénoncer ou combattre. Ce sont des agents d'influence néo libérale. Ils sont maintenant au pouvoir...

Écrit par : Qwyzyx | 05/05/2009

@ Guillaume

> L'initiative est très bonne. J'ignore cependant si les autorités sont capables d'un sens de l'humour suffisant pour apprécier cette dérision.
Facebook, Google, sont des excellents fichiers et outil pour la police qui entre maintenant en procédure n'importe quoi.
http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_l_interieur/la_police_nationale/organisation/dcpj/cyber-criminalite
Adresse Ip, numéro de machine, traces, etc. La culture numérique est totalitaire par nature. Outreau a rappelé les limites de la réflexion d'un "technicien", pour ceux qui avaient oublié l'Histoire qui s'orne d'exemples dramatiques de "spécialistes" et de "professionnels".

Écrit par : Qwyzyx | 05/05/2009

SUPERCHERIE

> C'est en effet inqualifiable.
La supercherie de ces associations soi-disant à but non-lucratif (derrière une intention louable se cachent des méthodes barbares de marketing) est dénoncée sur ce site :
http://www.sos-justice.info/
Cela vaut le coup d'oeil.

Écrit par : PMalo | 05/05/2009

REVELATEUR

> Demandez à Denis Sureau qui a eu à subir les foudres de l'IPJ pour avoir appelé les lecteurs de " Chrétiens dans la cité " à la prudence et au discernement.
Enfin je vous invite à faire un petit tour sur le blog du directeur des études de l'IPJ: http://nicomaque.blogspot.com/ avec des liens intéressants et des articles révélateurs.

Écrit par : anne | 05/05/2009

@ Anne,

> merci pour le lien, effectivement très révélateur. L'IPJ confond un peu trop justice et vengeance, et oublie surtout un facteur essentiel dans la lutte contre la récidive: l'état des prisons françaises. Mais bon, on fait plus facilement pleurer dans les chaumières sur l'assassinat (atroce, attention, je ne minimise pas du tout ce qui est arrivé à Anne-Lorraine) d'une jeune française blonde et blanche, qui était la belle-fille idéale dans un certain milieu social, que sur les conditions de détention dans les prisons françaises. Et je ne lis guère dans les médias qui se veulent "catholiques droits dans leurs bottes" d'indignation sur le fait qu'on se suicide sept fois plus en prison qu'hors de prison, sept fois plus au mitard que dans une cellule normale, ou qu'un détenu sur trois (selon les estimations) est violé en prison... Récemment, un homme a été jugé aux assises pour le viol de son co-détenu; le moins qu'on puisse dire, c'est que ça a fait moins de bruit que les faits divers sordides dont nous régalent les médias.
En tant que chrétiens, comment pouvons-nous accepter que 65000 de nos frères et soeurs soient privés de dignité humaine parce qu'ils ont fauté (et encore, si on part du principe qu'il n'y a que des coupables en prison, ce qui est loin d'être le cas)?
Comment peut-on prétendre lutter efficacement contre la récidive et ignorer volontairement que les prisons françaises sont criminogènes?
Mais de tout cela, l'Institut pour la Justice ne parle pas. Au contraire, il essaye de rallier à sa cause en jouant sur le registre de l'émotion, via notamment le témoignage de Cynthia Sardou. Or une politique qui se base sur l'émotion et non la raison va rarement très loin, et voit à très court terme en ignorant tout de ses conséquences à long terme.
On va me répondre que je ne pense pas aux victimes en écrivant cela. Je tiens donc à préciser que je suis moi-même victime, et que j'écris ces lignes en toute connaissance de cause.

Écrit par : Mahaut | 05/05/2009

UNE SEULE DIGNITE

> Bravo Mahaut !
On a oublié le temps des pénitents :
http://www.france-pittoresque.com/traditions/7.htm
Il n'y a pas effectivment de dignité à deux vitesses, l'une réservée aux beaux quartiers, et une autre dévaluée pour ceux que la bienséance conduirait à mépriser.
Le loi des grands nombres fait qu'il y a autant de gens respectables que d'autres qui sont infréquentables.

Écrit par : Annie | 05/05/2009

POSTPOSER

> "zone dédiée" est encore joli comparé au "dédicacée" retentissant que j'entends dans les sociétés belges où l'on parle (un peu) français.
Un autre grand classique : la réunion (le meeting) est postposé à demain matin...

Écrit par : Renaud Marly | 06/05/2009

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