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03/03/2009

"L'enfant au couteau", Adam, Eve, Caïn, etc

adam_eve_xir155365_hi[1].jpgA propos de la note sur l’affaire d’Uckange,

(que nous commentions hier sur la foi

des déclarations du procureur,

avant la révélation de la culpabilité

de la mère), un lecteur envoie

le commentaire suivant,

qui déplace le débat vers

le récit de la Genèse :


 

«  Vous écrivez que "la nature humaine est faussée dès l'origine". Voilà bien le genre de déclarations qui ne repose sur aucune preuve. Certes, nous avons droit au récit d'Adam et Eve mais c'est tout de même un peu simpliste. Quand un Dieu fait exprès de planter un arbre de la Connaissance sous le nez de ses créatures et quand, en plus, il leur dit "surtout n'y touchez pas", je pense qu'il le fait exprès et qu'il sait que le couple premier cueillera les beaux fruits qui y sont suspendus. Je rappelle qu'il s'agit de l'arbre de la Connaissance du Bien et du Mal et que le désir de savoir me semble une constante humaine dont je me réjouis. Moi aussi j'aurais cueilli la pomme. Au fait, que faisait Satan dans le beau jardin d'Eden? Etrange, non? Décidément Dieu fait tout pour que l'homme tombe dans le piège. Ce récit trop souvent cité se retourne aisément contre Dieu, alors pourquoi le citer ? Au fait pourquoi Dieu a-t-il permis à Satan d'initier Adam et Eve au Mal ?  

Fraber  »

 

 

Vaste sujet ! Que « Fraber » me permette cette tentative de réponse :

 

1.  Sur la nature humaine qui s'est faussée à l'origine (non « dès » l'origine)*. Il n'y en aurait « aucune preuve » ? Alors la somme de monstruosités accomplies par l’homme depuis des millénaires serait à passer par profits et pertes ? Vous la classeriez parmi les dégâts collatéraux ? Vous ne vous demanderiez pas pourquoi seul l’homme est un être « moral », ou « immoral », seul capable du pire comme du meilleur ? Vous rejetteriez en bloc les philosophes et les écrivains qui ruminent ce problème depuis toujours, et qui voient dans l’homme une fêlure ou une distorsion mystérieuse ? Ce n’est pas possible. Il faudrait avoir le sommeil lourd.

 

2.  Sur l'arbre du Jardin d'Eden. Cette histoire n’est pas « simpliste » : juger simpliste un récit mythique, c’est ne pas connaître la fonction des mythes. Celui-là exprime une intuition propre à la Révélation judéo-chrétienne, et son message est un peu moins sot que vous ne le croyez. (Pardon de le dire, mais vous ne l’avez pas lu : sinon vous ne parleriez pas de pomme ni de Satan. Ces mots ne sont pas dans le texte).

Dans ce récit, l’« arbre » à respecter n’est pas un arbre « de la Connaissance » : Dieu ayant créé l’homme raisonnable [1] et lui ayant confié la terre, il ne lui interdit surtout pas le chemin de la découverte. Le texte ne dit pas : « arbre de la Connaissance », mais « arbre de la connaissance du Bien et du Mal », comme vous le dites vous-même : ce n’est pas la même chose ! Dans l’hébreu biblique, « connaître » (le bien et le mal) ne veut pas dire « savoir » (ce qui est bien ou mal) [2], mais « décider » de ce qui est bien ou mal. Seul Dieu décide de cela. Si l’homme prétend s’en donner le droit, il « mourra », dit le texte. Est-ce faux ? Outre le récit biblique sur la condition humaine, la suite des milllénaires montrera ce qui se passe chaque fois que des hommes accaparent la définition du bien et du mal (ce qui les amène à appliquer aussi leur arbitraire aux autres hommes).  Dans une société qui  ne  s'interdit  pas  de  toucher aux « fruits  de  l’arbre  de  la  Connaissance  du  Bien  et  du  Mal », les droits de l’homme ne sont que des mots. Nos débats sur la bioéthique donnent la mesure de ce problème.

 -

3.  Sur Dieu et le tentateur. Tout ce récit repose sur la liberté humaine… C’est à elle que Dieu s’adresse en lui indiquant le seuil à ne pas franchir : se vouloir l’égal de son Créateur en « décidant » ce qui est bien ou mal. C’est elle aussi que le tentateur séduit pour la contourner et la retourner contre le Créateur. Grâce à quoi la contourne-t-il ?  Des pulsions : la méfiance, l’égocentrisme et la possessivité. La liberté humaine est censée filtrer les pulsions, sauf quand celles-ci submergent la liberté. C’est ce que raconte le récit de la Genèse  – qu’il ne faut d’ailleurs pas isoler des pages suivantes : le meurtre d’Abel par Caïn, la révolte du « sol » (la nature) contre la violence humaine qui a versé le sang par un fratricide, etc.  En Genèse 4,9, le mot de Caïn (« suis-je le gardien de mon frère ? ») est l’annonce de tous les crimes de l’Histoire ; il fait écho à Genèse 3,5, où l'on entend le teasing du tentateur : «  vous serez comme des dieux qui ‘connaissent’ (décident) le bien et le mal ». Ceci explique cela.  

Vous dites : « Alors pourquoi Dieu a-t-il permis à Satan d'initier Adam et Eve au Mal ? ».  Je vous retourne la question : pourquoi ne l’aurait-Il pas permis ? Dieu n’est pas flic. Il crée des êtres libres. L’homme et la femme étaient informés par leur Créateur : ils pouvaient librement refuser la séduction. Ils y ont librement cédé. Ils ont laissé certaines de leurs pulsions prendre le dessus. Ils pouvaient choisir d’y céder ou pas : on ne peut donc dire qu’ils ont été « initiés au mal » comme s’ils avaient été « agis » de l’extérieur. Voilà ce que nous donne à comprendre le récit de la Genèse. En nous proposant ces scènes originelles, la Genèse parle des hommes et des femmes de tous les siècles…

Je vous admire, Fraber, de savoir « retourner aisément » ces textes. C’est une chose que je ne pourrais pas faire. Plus je les étudie, plus ils me semblent riches de significations toujours plus complexes : et, surtout, sans aucun rapport avec ce que notre pauvre époque croit savoir d’eux.

 



[1]  Idée fondamentale dans la Bible (et dans la théologie catholique dès l’origine).

[2]   L’homme doit évidemment apprendre (et savoir) ce qui est bien ou mal, puisque Dieu l’a créé raisonnable et apte au discernement.

 -

Dans la note sur Uckange, j'ai écrit : "faussée à l'origine". L'expression mérite clarification :  le  récit  de  la  Genèse  indique  que  l'homme est créé "à l'image de Dieu", doté notamment du libre arbitre, mais  qu'il  a  faussé  l'utilisation de cette liberté donnée. Le résultat est une déviation à l'origine de la condition humaine actuelle, ainsi "faussée".  La théologie parle donc de péché "originel".

 

11:50 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : christianisme

Commentaires

LA PERSPECTIVE

> « Bienheureuse faute qui nous valut un tel rédempteur (Jésus)» ose proclamer l'Eglise à Pâques !
Quelle audace d'affirmer que Dieu est capable de tirer d'un mal un bien plus grand. Malgré les horreurs qui nous entourent depuis l'apparition de l'homme, Dieu est vainqueur ?!?
Mais pour entrer dans cette perspective folle, il faut changer de lunettes : c'est la conversion personnelle, la recherche du vrai visage de Dieu. En d'autres termes, le programme que propose le carême !
Alors, bonne route !

Écrit par : Théophile | 03/03/2009

PAS AUSSI PARFAITS

> Dieu avait créé l'homme à son image. Par leur incapacité à résister à la tentation malgré les mises en garde reçues, Adam et Eve lui ont démontré qu'ils n'étaient pas aussi parfaits que lui.

Écrit par : Qwyzyx | 03/03/2009

PAS DES L'ORIGINE

> Bien sûr que non, la nature humaine n'est pas faussée dès l'origine. À l'origine, au principe, l'homme a été créé bon, à l'image de Dieu.
Ensuite, au début des temps - au commencement - l'homme a péché, nous avons tous péché en Adam.
Mais notre origine reste bonne, notre nature reste bonne en son fonds (qu'il faut certes bien chercher, mais elle n'est pas devenue intégralement mauvaise comme disait Calvin), même si l'homme est depuis la chute divisé contre lui-même, séparé de Dieu, soumis aux influences de Satan, à l'esclavage du péché, etc.
Mais si je suis en désaccord avec les mots utilisés dans votre formule, M. de Plunkett, j'approuve tout le reste et vous en remercie.
Olivier

[ De PP à O. - Le péché originel s'appelle tout de même "originel", n'est-ce pas ? Il fausse la nature humaine, non dès l'origine "absolue" de l'humanité, mais peu après cette origine, et il est lui-même l'origine de cette condition... En outre, "faussée" ne veut pas dire "radicalement pervertie" comme le pensait Calvin. Nous sommes donc d'accord.]

Cette réponse s'adresse au commentaire

Écrit par : Olivier | 03/03/2009

L'ENJEU

> Faussée ou pervertie, est-ce que l'enjeu est dans ce débat ou sur la conséquence du péché dans notre relation avec Dieu? A l'origine, l'homme vivait en harmonie avec Dieu et depuis la désobéissance d'Adam, cette relation a été interrompue. Les chrétiens retrouvent cette harmonie en croyant au sacrifice expiatoire de Jésus-Christ, qui purifie personnellement du péché. Et ça, c'est quelque chose de magnifique. Mais généralement, les hommes sont seuls, sans Dieu mais tellement habitués à vivre ainsi. Ils trouvent cela normal. Finalement, le dieu des hommes, c'est l'homme...quelques milliards de petits dieux sur toute la surface de la terre. Ne soyons pas étonnés que cela provoque de vraies catastrophes: combien de tristesse, de pleurs, "d'enfants au couteau" ... Pour revenir à Eden, l'interdit mis par Dieu sur l'arbre de la connaissance du bien et du mal, est à ma connaissance, la seule limite imposée par Dieu: n'est-ce pas pour lui indiquer justement que malgré ses grandes capacités, il ne doit pas être tenté de se prendre pour Dieu? Et qu'il doit rechercher la face de ce Dieu qui aujourd'hui se cache mais aussi se révèle à celui qui le cherche avec droiture.

Écrit par : F. Eldin | 03/03/2009

HOMMES LIBRES

> Il est tellement courant de faire de Dieu le bouc émissaire du mal que nous constatons dans le monde en oubliant toutes nos turpitudes...
Si l'on refuse de voir que la liberté de l'homme, et son mauvais usage, par orgueil, est à l'origine du péché, on ne comprend rien à l'histoire et au mal dans l'histoire de l'humanité.
Cette liberté est voulue par Dieu car Dieu veut des hommes libres, libres pour aimer, car il n'y a pas d'amour vrai sans liberté.
Et Dieu a en quelque sorte risqué sa gloire en créant par amour des hommes libres !

Écrit par : Michel de Guibert | 03/03/2009

GRACE ORIGINELLE

> Certains parlent d'une "grâce originelle", qui précède le "péché originel." Cette expression est assez belle, et permet de souligner que l'amour de Dieu pour les hommes est premier.
Qu'est-ce que le péché originel sinon une déviation du chemin de grâce que le Père nous invitait à emprunter? il a fallu rien moins que le Fils pour nous reconduire sur cette voie que nous n'aurions jamais dû quitter ("Je suis la Voie...").

Écrit par : Blaise | 03/03/2009

CONNAITRE ET DECIDER

> Merci de cette clarification entre le "connaître" et le "décider" : cette distinction est effectivement essentielle, coupant court à toute suspicion de connaissance "interdite"... ou réservée à quelque caste de privilégiés se complaisant dans un certain élitisme -un brin ésotérique- de la "connaissance". Du reste, connaître n'est-ce pas étymologiquement "naître-avec", soit s'éduquer à s'enrichir du réel tel qu'il est et non tel que l'on voudrait qu'il soit ? Ce qui amène précisément au fameux "décider" qui engage la volonté et non la connaissance. N'est-ce pas d'ailleurs quand celle-ci est faussée que les choses tournent mal ?
Pour relativiser encore les propos de Fraber, le texte de la Genèse parle bien de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Et c'est l'arbre qui cache la forêt... de multiples autres arbres qui, eux, n'ont toujours pas épuisé l'appétit de connaissances des hommes, et ne demandant qu'à aiguiser cet appétit puisqu'ils ne sont en rien interdits. "Quand un Dieu fait exprès de planter un arbre de la Connaissance sous le nez de ses créatures..." Précisément : UN arbre, et pas deux ! Cela n'enlève en rien la possibilité de la tentation, mais la ramène à sa juste mesure : une goutte d'eau par rapport au reste de la création. C'est dire combien on peut confirmer que "l'homme et la femme pouvaient librement refuser la séduction". Ce d'autant plus qu'ils avaient la connaissance, "étant informés par leur Créateur" !
À notre époque de surinformation, l'avons-nous cette connaissance ? Nous le savons bien : trop d'information tue l'information, ce qui génère la désinformation. Mais au fond, QUI sont les désinformateurs ? Ne sont-ce pas précisément les "décideurs" du bien et du mal ? Aujourd'hui aussi, nous sommes informés ! Quand on prend la peine de s'informer... Ceci par exemple :
« La réinterprétation et finalement l’éradication du concept du bien et du mal sont l’objectif de toute psychothérapie. Pour parvenir à un gouvernement mondial, il est nécessaire de débarrasser l'Homme de son individualisme, de son attachement envers les traditions familiales, de son patriotisme national et de ses dogmes religieux. » Cette phrase sinistre a été prononcée en 1945 par l'un des "pères spirituels" des "spécialistes " dont il est fait mention dans la note sur Uckange :
http://plunkett.hautetfort.com/archive/2009/03/01/un-enfant-de-5-ans-poignarde-sa-s%C5%93ur-de-10-ans.html#comments
Chaque fois qu'un MAL particulièrement évident et odieux survient quelque part, qui interroge-t-on en premier sinon les héritiers du "médecin" ayant prononcé la phrase ci-dessus ??? N'est-ce pas aussi CLAIR que l'arbre de la connaissance du bien et du mal au milieu du jardin de l'Eden ? Ces gens-là n'ont-ils pas capté le MONOPOLE de cette "connaissance" puisqu'il est devenu un réflexe de les appeler au secours à TOUT propos ? "Si l’homme prétend s’en donner le droit, il « mourra », dit le texte. Est-ce faux ?" Ce l'est tellement peu que partout où rôde la mort, ils ne sont jamais bien loin, n'apparaissant "officiellement" qu'en aval. Mais en amont, où sont-ils sinon dans des cercles de "décisions" du bien et du mal ?...
Entre autres, dans les Cours de Justice : ce qui permet l'émergence de désastres de type Outreau ; et... au Vatican, pour "décider" qui sera un "bon" prêtre ou qui ne le sera pas. Il suffit également de s'en informer à bonne source. Ici, par exemple :
http://plunkett.hautetfort.com/archive/2008/10/30/seminaires-sacerdoce-psychologie-le-plan-du-document-du-vati.html#comments

En somme, la tentation est loin d'être une fatalité. Munis de la "connaissance" ad hoc, nous sommes parfaitement LIBRES de décider de tourner les talons face à de funestes impostures de "connaissance" du bien et du mal... qui nous ramènent plus volontiers à Caïn et Abel qu'à leurs parents.
Comme il y a "une voie que nous n'aurions jamais dû quitter", il y a aussi des voies monstrueuses dont on se demande pourquoi on CONTINUE de les emprunter avec une telle inconscience. Parce qu'elles font du bien ? QUEL bien ? QUI a "décidé" de ce bien, et selon quels critères ? Ceux de la Genèse ? Avant... ou APRÈS la tentation ?...

Écrit par : Michel de Tiarelov | 04/03/2009

L'AUTRE ARBRE

> Que dire du second arbre du jardin d'Eden : l'arbre de vie à l'heure des débats passionnants en bioéthique ?

Écrit par : isabelle | 05/03/2009

A FRABER,

> vous soulignez dans votre commentaire l'attrait de l'Homme pour la connaissance, ce que tout le monde reconnaît, et vous doublez ce goût d'une couche au parfum plus subtil tiré du penchant qu'il porterait "naturellement" pour la transgression.
Ce penchant pour l'attrait vers l'interdit n'apparaît pas clairement dans vos propos mais il sourd de quelques tournures que vous utilisez : Dieu ferait "exprès" de mettre cet arbre "sous le nez" de sa créature en lui disant, avec un peu de perversité : "n'y touche pas".

Avec cette analyse, vous montrez que vous êtes un enfant de votre siècle qui a intégré un des mythes d'aujourd'hui, à défaut d'adhérer à celui de la Genèse : le goût supposé de l'Homme pour l'interdit et son corollaire : il est pervers d'interdire.
Admettons cependant que ce penchant viscéral pour la transgression soit avéré, on peut se demander si il est antérieur à la plantation de l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal, donc propre à une créature faite à l'image de Dieu, ou bien s'il s'agit là d'une des conséquences de la consommation d'un de ses fruits...hallucinogènes... et de la nouvelle condition humaine !!
Personnellement, je pencherais pour la deuxième solution prêtant à l'Homme un goût pour la transgression comme consécutif de son libre choix de décider lui-même du Bien et du Mal, et non pas venant d'une nature faite à l'origine à l'image de Dieu.
Cette hypothèse exonère Dieu du reproche qu'on lui fait trop souvent d'avoir voulu semer d'embûches le chemin pris par sa créature.
Drôle d'Amour !
Non, Dieu a proposé un choix ouvert à une créature qui n'était pas conditionnée par l'envie de se précipiter sur tout ce qu'on pouvait lui interdire.

Écrit par : sombre héros | 05/03/2009

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