12/05/2008
Dialogue de sourds dans un parc avec un quadra parisien, chic et péremptoire
Sur l’Eglise catholique, le social, l’immigration :
Dialogue de sourds ce matin dans un parc avec un quadra parisien, chic et péremptoire. La discussion roule sur le social et l’Eglise. « Elle n’y connaît rien », tranche le quadra. Je lui objecte plusieurs exemples : notamment les axes de travail de la pastorale des migrants (conseil à Rome, 13-15 mai). « Il n’y a qu’à laisser le marché de l’emploi arbitrer », rétorque-t-il. L’immigration ne serait-elle qu’utilitaire ? Le quadra se disant catholique, je lui objecte le Catéchisme, paragraphe 1905 citant le concile Vatican II :
CEC § 1905 : « Les dépendances humaines s’intensifient. Elles s’étendent peu à peu à la terre entière. L’unité de la famille humaine, rassemblant des êtres jouissant d’une dignité naturelle égale, implique un bien commun universel. Celui-ci appelle une organisation de la communauté des nations capable de "pourvoir aux divers besoins des hommes, aussi bien dans le domaine de la vie sociale (alimentation, santé, éducation) que pour faire face à maintes circonstances particulières qui peuvent surgir ici ou là (par exemple : subvenir aux misères des réfugiés, l’assistance aux migrants et à leurs familles…" »)
Il me répond :
- Mais l’Eglise reconnaît aux Etats le droit de régler les flux migratoires.
Je lui demande :
- En quoi cela contredit-il le paragraphe 1905 ? Et est-ce que vous reconnaîtriez à l’Eglise dans le domaine politique une compétence que vous lui refusez dans le domaine social ?
- Le Vatican est un Etat. Il comprend les nécessités des Etats.*
- Mais pas seulement : le paragraphe du Catéchisme que vous évoquez est plus complet qu’on ne vous l’a dit. [J’avais ces textes dans ma poche, imprimés du jour même à cause des discussions en cours dans ce blog]. Le voici dans sa typographie exacte (mais les majuscules sont de moi) :
CEC § 2241 : « Les nations les mieux pourvues sont TENUES d'accueillir autant que faire se peut l'étranger en quête de la sécurité et des RESSOURCES VITALES qu'il ne peut trouver dans son pays d'origine. Les pouvoirs publics veilleront au respect du DROIT NATUREL qui place l'hôte SOUS LA PROTECTION de ceux qui le reçoivent.
Les autorités politiques peuvent en vue du bien commun dont ils ont la charge subordonner l’exercice du droit d’immigration à diverses conditions juridiques, notamment au respect des devoirs des migrants à l’égard du pays d’adoption. L’immigré est tenu de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d’accueil, d’obéir à ses lois et de contribuer à ses charges. »
m
Nulle part l’Eglise catholique n’admet que le marché soit l’instance de régulation...
Je fais observer au quadra que le marché ne régule rien, y compris dans la perspective personnelle de mon interlocuteur (peu favorable par ailleurs à l'immigration): le néolibéralisme pousse à l’importation de main d’œuvre clandestine pour casser les salaires. Ce qui n’est juste ni pour les immigrés, ni pour les salariés légaux.
Je lui fais observer aussi que le paragraphe 2241 du Catéchisme souligne la légitimité de l’émigration de survie (« en quête de ressources vitales »).
- Ils n’ont qu’à ne pas désertifier leurs pays d’origine », me répond charitablement le quadra.
- La désertification n’est pas le cas dominant. Et ses causes sont complexes. En revanche, ce qui affame les pays d’origine, c’est : a) la réduction des culture vivrières au profit des monocultures pour l’agro-alimentaire occidental et les agrocarburants, b) la flambée mondiale des prix des matières premières, dans lesquelles la spéculation a largement sa part. Dans les deux cas votre système économique est en cause !
- C’est toujours la même chose avec vous autres, vous ne comprenez rien à l’économie. Nous devons manquer de pédagogie. Il faut que nous tâchions de mieux com-mu-ni-quer.
- Nous ne sommes pas vos élèves, les faits suffisent à nous enseigner.
- Vous êtes intolérant ! Au revoir.
- Mes hommages à votre épouse.
m
m
__________
(*) Curieux surgissement de "l'Etat" dans l'argumentation d'un ultralibéral, pour qui l'Etat est un diable.
m
*
12:20 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : christianisme social, ultralibéralisme, immigration
Commentaires
OPTIMA
> Bravo. Mais il est difficile pour votre quadra d'admettre que l'optimum du développement humain est différent de l'optimum économiqe lequel résulte pour tout bon économiste libéral du jeu de la libre concurrence et donc du marché.Il y a un grand effort de pédagogie à faire.
caillaud
[ De PP à C. - Les faits aident la pédagogie. Le système global actuel n'atteint pas un optimum économique, même au regard de ses propres critères ! ]
CXette réponse s'adresse au commentaire
Écrit par : caillaud | 12/05/2008
REVELATEUR
> Très intéressant et très révélateur. Pour un catholique, il lui faut, en permamence, se laisser réconcilier avec le Christ et donc avec son Eglise, à qui, par l'intermédiaire de Pierre il a donné les clés du Royaume des Cieux. Je ne connaissais pas, pour n'avoir jamais eu la curiosité d'aller m'y renseigner, cet enseignement sur les migrants : j'ai d'autant moins de mal à évoluer que je trouve sans cohérence autre que celle du marché la position "traditionnelle" de l'homme d'affaires occidental moyen. Et toujours cette attitude que je trouve (qu'on me pardonne) très anglo-saxonne : on détermine un objectif réaliste selon sa vision propre de la réalité (en l'occurence, la Bourse) et on soumet tout à cet objectif que l'on ne révise que si la Bourse vous dit de changer. Et si les autres ne plient pas à cet objectif, c'est toujours qu'on a mal communiqué. C'est l'excuse classique quand on veut dire en fait (version militaire): "c'est comme ça et pas autrement". En affaires, il faut prendre des gants...
Merci encore pour votre blog et surtout pour nous permettre de discuter.
Écrit par : olivier le Pivain | 12/05/2008
QUESTION
> Je me pose toujours la même question: pourquoi tous ces progressistes, ces libéraux, néo-conservateurs ou autres "patriotes" de la droite dite nationale se disent-ils catholiques alors qu'ils en rejettent l'enseignement, tout ou en partie? Lisent-ils l'Evangile au moins? L'hypocrisie humaine est un mystère aussi profond pour moi que celui de la sainte Trinité.
Écrit par : vf | 12/05/2008
LE CONTENU DE LA FOI
> Pour répondre à vf, est-ce vraiment de l'hypocrisie? A partir du moment où le peuple de Dieu, l'assemblée des chrétiens se retrouvent régulièrement pour prier, une certaine routine peut s'instaurer. Et la religion devient identitaire à des fins politiciennes, sociales, ou comme simple habitude de vie, tout en n'interdisant pas un rejet, ou une conversion profonde à un moment ou à un autre.
Vous avez de bons chrétiens qui vivent honnêtement sans lire la Bible: ils ne font que l'entendre à la messe. Ce n'est pas parfait, mais l'homme n'est jamais parfait. Après si vous ajoutez les lacunes de la transmission d'une génération à l'autre, des chrétiens ont pu, et peuvent, se revendiquer tels sans accepter l'enseignement de l'Eglise. C'est une certaine forme d'ignorance qui peut se mêler d'orgueil, mais pas toujours.
C'est justement, il me semble, le grand défi de l'Eglise d'aujourd'hui et de SS Benoît XVI: préciser le contenu de la Foi, dont la valeur a largement été dénaturée dans le passé. L'exemple de ce "quadra" me paraît surtout révélateur d'un grand gâchis. Combien de catholiques vont aujourd'hui à l'encontre du message évangélique car on le leur a mal/pas expliqué dans leur jeunesse? Je ne néglige pas la responsabilité individuelle, mais l'enseignement catholique reste aujourd'hui une plaie qu'il faudrait purifier. Or, à l'exception le petit groupe de Mgr Cattenoz, les "quadras" de demain font l'objet d'une attention discrète de la part des évêques français.
Écrit par : Pablo | 12/05/2008
ATTITUDE
> C'est une attitude assez courante, malheureusement, d'entendre dire que "l'Église n'y connait rien" alors que ceux qui s'expriment n'y connaissent, eux, vraiment rien à ce que dit l'Église. Quoi de mieux, en effet, que de disqualifier l'autre pour lui interdire toute parole, pour ne pas avoir à l'écouter ? Voilà la véritable intolérance : ne pas écouter l'autre, ne pas entrer dans un dialogue véritable, en rester à un monologue. Dire que son interlocuteur est intolérant est devenu une autre astuce pour sauver la face quand on est à court d'arguments. C'est si facile. Car vous aviez raison : jamais l'économie n'est laissé à elle-même. L'économie est une science, un savoir. Elle ne dit pas ce qui est bien ou non, mais dans quelles conditions telle ou telle chose est efficace pour aboutir à tel résultat. La science aide à faire des choix, elle ne décide pas, c'est le domaine du politique. l'Église peut et doit s'exprimer pour indiquer quelle est la finalité du système, pour rappeler le sens de l'efficacité car l'efficacité n'est pas en elle-même un sens suffisant. l'Église indique à quoi doit servir le progrès scientifique, parce que la science n'est qu'un outil.
Écrit par : fdo | 12/05/2008
LAPAQUE
> Bien d'accord avec vous M de Plunkett. Cela me rappelle un livre très intéressant, mais assez polémique, de Sébastien Lapaque : "Il faut qu'il parte". Outre son côté politique-polémique, c'est un texte excellent sur le néolibéralisme et ses ravages.
Écrit par : Damien | 12/05/2008
DEREGULATION
> Je n'y connais rien en économie, mais il me semble clair que la dérégulation... dérégule !
Écrit par : Michel de Guibert | 13/05/2008
Les commentaires sont fermés.