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13/01/2008

La "feuille de route" du Vatican aux jésuites

Un diagnostic sévère et des directives nettes :


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Devant la 35e congrégation générale de la Compagnie de Jésus, à Rome, le 7 janvier, le cardinal Franc Rodé a prononcé une homélie dont chaque terme peut être médité. Venant du préfet de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée, il s'agit  d'une « feuille de route » pour l’avenir :


 

<<  C’est la seconde fois dans l’histoire de la Compagnie qu’une congrégation générale se réunit pour élire un nouveau préposé général du vivant de son prédécesseur. La première fois fut en 1983, quand la 23e congrégation générale accepta la renonciation du regretté P. Arrupe, empêché par une infirmité imprévue et grave d’exercer les fonctions de gouvernement. Elle se réunit aujourd’hui pour la seconde fois pour faire, devant le Seigneur, le discernement sur l’acceptation de la renonciation présentée par le P. Kolvenbach, qui a dirigé la Compagnie pendant presque vingt-cinq ans, avec sagesse, prudence et loyauté. Suivra l’élection de son successeur.

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[…]  Les thèmes sur lesquels réfléchira la congrégation générale portent sur des éléments fondamentaux pour la vie de la Compagnie. Vous vous interrogerez certainement sur l’identité du jésuite aujourd’hui, sur le sens et la valeur du vœu d’obéissance au Saint-Père qui a depuis toujours caractérisé votre famille religieuse, la mission de la Compagnie dans un contexte de mondialisation et de marginalisation, la vie communautaire, l’obéissance apostolique, la pastorale des vocations, et d’autres thèmes importants.

[…]  Votre agir doit être éminemment apostolique, avec une ampleur universelle tant au plan humain, ecclésial, évangélique. Il doit être toujours accompli à la lumière de votre charisme, de sorte que la participation croissante des laïques à vos activités n’obscurcisse pas votre identité, mais au contraire l’enrichisse avec la collaboration de ceux qui, provenant d’autres cultures, partagent votre style et vos objectifs.

[…]  En frère qui suit avec intérêt et espoir vos travaux et vos décisions, je veux partager avec vous "les joies et les espérances" et aussi "les tristesses et les angoisses"
(Gaudium et spes 1) que j’ai comme homme d’Eglise appelé à exercer un service difficile dans le champ de la vie consacrée, en ma qualité de préfet de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique.

[…]   L’authenticité de la vie religieuse est caractérisée par la suite du Christ et par la consécration exclusive à Lui et à son Royaume moyennant la profession des conseils évangéliques. Le concile oecuménique Vatican II enseigne que "cette consécration sera d’autant plus parfaite que des liens plus fermes et plus stables reproduisent davantage l’image du Christ uni à l’Eglise son Epouse par un lien indissoluble" (Lumen gentium  
44). On ne peut séparer la consécration au service du Christ de la consécration au service de son Eglise. Ignace et ses premiers compagnons le considérèrent ainsi quand ils rédigèrent la Formula de votre Institut, dans laquelle est précisée l’essence de votre charisme : "servir le Seigneur et son Epouse, l’Eglise, sous le Souverain Pontife". Je vois avec tristesse et inquiétude que même chez plusieurs membres de familles religieuses le sentire cum Ecclesia, dont parle fréquemment votre fondateur, est en baisse. L’Eglise attend de vous une lumière pour restaurer le sensus Ecclesiae. Les Exercices spirituels de saint Ignace sont votre spécialité. Les règles du sentire cum Ecclesia forment une partie intégrante et essentielle de ce chef-d’œuvre de la spiritualité catholique. Elles sont comme un fermoir d’or avec lequel se ferme le livre des Exercices Spirituels. Bien des éléments sont entre vos mains pour approfondir et actualiser ce désir, ce sentiment ignatien et ecclésial.

[…]  Avec tristesse et inquiétude je vois aussi un éloignement croissant de la Hiérarchie. La spiritualité ignatienne de service apostolique "sous le Souverain Pontife" n’accepte pas cette séparation. Dans les constitutions qu’il vous a laissées comme norme de vie, Ignace veut véritablement modeler votre esprit et dans le livres des Exercices
(n° 353) il écrit : "Renoncer à tout jugement propre et se tenir prêt à obéir promptement à la véritable Epouse de Jésus Christ, notre Seigneur, c’est à dire à la sainte Eglise hiérarchique, notre Mère".

Sur cette ligne, toujours suivie par la Compagnie au long de son histoire pluri-centenaire, la 35e congrégation générale doit se placer aussi au moment où elle s’ouvre par cette liturgie célébrée près des restes de votre fondateur, montrant votre volonté et votre engagement d’être fidèles au charisme qu’il vous a laissé en héritage et de l’actualiser pour répondre au mieux aux nécessités de l’Eglise de notre temps.

[…]  Tout service fait avec amour implique nécessairement de se vider de soi-même, une kénose. Mais cesser d’accomplir ce qu’on désire accomplir pour faire ce que désire la personne aimée transforme cette kénose à l’image du Christ qui apprit, de ce qu’il souffrit, l’obéissance
(He 5,8). C’est pour cela que saint Ignace avec réalisme ajoute que le jésuite sert l’Eglise "sous l’étendard de la Croix".

Ignace se met aux ordres du Souverain Pontife “pour ne pas se tromper in via Domini” dans la répartition de ses religieux dans le monde, et les rendre présents là où les besoins de l’Eglise seront les plus grands. Les temps ont changé et l’Eglise doit affronter aujourd’hui des besoins nouveaux et urgents. J’en mentionne un que je soumets à votre considération parce qu’il est, à mon avis, aujourd’hui, urgent et complexe : c’est celui de présenter aux fidèles et au monde l’authentique vérité révélée dans l’Ecriture et la Tradition.

La diversité doctrinale de ceux qui à tous les niveaux, par vocation et mission, sont appelés à annoncer le Royaume de vérité et d’amour, désoriente les fidèles et les conduit vers un relativisme sans horizon. La vérité est une, même si elle peut être connue plus profondément. Le garant de la vérité révélée est  "le Magistère vivant de l’Eglise dont l’autorité s’exerce au nom de Jésus Christ"
(Dei Verbum 10). Les exégètes et les experts en théologie doivent s’appliquer à collaborer pour approfondir et expliquer, "sous la vigilance du Magistère", les richesses que cette vérité révélée contient (DV 23). Vous, par votre longue et solide formation, vos centres de recherche, par l’enseignement dans les domaines philosophique, théologique et bibliques, vous vous trouvez dans une situation privilégiée pour la réalisation de cette difficile mission. Réalisez-la par l’étude et l’approfon-dissement, réalisez-la avec humilité, réalisez-la avec foi dans l’Eglise, réalisez-la avec l’amour pour l’Eglise.

Ceux qui, selon votre législation, doivent veiller sur la doctrine de vos revues, de vos publications, qu’ils le fassent à la lumière et selon les règles pour sentire cum Ecclesia avec amour et respect.

En outre, je suis inquiet de percevoir la séparation toujours croissante entre foi et culture, séparation qui est un empêchement grave pour l’évangélisation (Sapientia Christiana, préambule). Une culture pétrie d’un véritable esprit chrétien est un instrument qui favorise la diffusion de l’Evangile, la foi en Dieu créateur du ciel et de la terre. La tradition de la Compagnie, dès les premiers temps du Collège romain, s’est toujours placée au carrefour de l’Eglise et de la société, entre la foi et la culture, entre la religion et le sécularisme. Maintenez ces positions d’avant-garde si nécessaires pour transmettre la vérité éternelle au monde d’aujourd’hui, avec un langage d’aujourd’hui. Relevez ce défi. Nous sommes conscients que cette tâche est difficile, inconfortable et risquée et, parfois, peu appréciée, voire mal entendue, mais c’est une tâche nécessaire pour l’Église et une partie de votre manière de faire. Les engagements apostoliques qui vous sont demandés par l’Eglise sont nombreux et très divers, mais ils ont tous un dénominateur commun : l’instrument qui les réalise doit, selon une phrase ignatienne, être un instrument uni à Dieu. C’est l’écho ignatien à l’Evangile proclamé aujourd’hui : Je suis la vigne, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit
(Jn 15,5).

L’union avec la vigne qui est amour se réalise seulement à travers l’échange d’amour silencieux et personnel qui naît dans l’oraison, "de la connaissance intérieure du Seigneur, qui pour moi s’est fait homme, et qui s’étend intacte et vivante à ceux qui sont près de nous et à ce qui est près de nous". Il n’est pas possible de transformer le monde, ni de répondre aux défis d’un monde qui a oublié l’amour, sans demeurer bien enracinés dans l’amour.

A Ignace fut concédée la grâce mystique d’être "contemplatif dans l’action"
(MN ad 5, 172). Ce fut une grâce spéciale donnée gratuitement par Dieu à Ignace qui avait parcouru un chemin pénible de fidélité et de longues heures d’oraison dans la retraite de Manrèse. C’est une grâce qui, selon le P. Nadal, est contenue dans l’appel de tout jésuite. […] Tenez ouvert votre cœur pour recevoir le même don, suivant le même parcours que saint Ignace de Loyola à Rome, qui fut un chemin de générosité, de pénitence, de discernement, d’oraison, de zèle apostolique, d’obéissance, de charité, de fidélité et d’amour de l’Eglise hiérarchique.

Maintenez et développez, malgré les nécessités apostoliques urgentes, le vrai charisme, jusqu’à être et vous présenter au monde comme "des contemplatifs dans l’action", qui communiquent aux hommes et à la création l’amour reçu de Dieu et les orientent de nouveau vers l’amour de Dieu. Tout le monde comprend le langage de l’amour... >>



 

Commentaires

D'AUTRES AUSSI

> La portée de ce texte dépasse effectivement la Compagnie à qui il a été délivré :
"Ceux qui, selon votre législation, doivent veiller sur la doctrine de vos revues, de vos publications, qu’ils le fassent à la lumière et selon les règles pour 'sentire cum Ecclesia' avec amour et respect..."
Cette phrase m'a fait penser [à d'autres] dont le caractère catholique devient anecdotique.

Écrit par : Inri | 13/01/2008

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