28/12/2007
« It’s a free world » de Ken Loach : un film à voir, pour en débattre
Thème du nouveau film de Ken Loach : l'exploitation illimitée des migrants dans une économie "mondialisée" :
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It’s a free world ("C'est un monde libre !") est un titre sardonique. Cible : la « flexibilité du travail dans une économie libéralisée », rengaine imposée sur la scène politique par le monde économique depuis vingt ans. L’angle du film est l’engrenage qui transforme les pauvres de la planète en main d'oeuvre à bas prix, au service d’entreprises qui ne s'en font pas scrupule. («L ‘éthique d’entreprise n’est pas une affaire de conscience, c’est une affaire de com’ », riait naguère un vice-président du Medef).
Dans It’s a free world, une jeune femme prénommée Angie monte, à Londres, une agence d'intérim qui fournira illégalement à des sans-papiers (ukrainiens, polonais, afghans) des sous-emplois éphémères. Ce business étant rentable, Angie va exploiter la détresse humaine d’une façon de plus en plus éhontée. « La logique d'Angie est celle de toute entreprise: trouver la main d'oeuvre la moins chère, élargir ses marchés et rogner sur les coûts afin de faire le plus de profit possible », affirme Ken Loach : « Si les spectateurs sont horrifiés par elle, par ses actes, ils vont aussi se dire que pour changer cela, c'est tout le processus néolibéral qu'il faut revoir… » Loach ajoute : « Personne ne dit : "Nous voulons que les travailleurs d'Europe de l'Est viennent parce qu'ils sont bon marché et nos électeurs sont des consommateurs. Ainsi nous verserons de maigres salaires et les aliments ne coûteront pas chers"… Pourtant, telle est la réalité ».
C’est un film à voir pour en débattre. Son intérêt premier est de montrer l’aspect mécanique de l’engrenage : Angie n’est pas une « executive woman » bobo, mais une fille de la classe ouvrière, elle-même abusée au départ par une agence de recrutement transnationale ; ce qu’elle devient pour s’en sortir sera le résultat de notre société reconditionnée par l’ultralibéralisme. D’autre part, c’est avec une autre femme qu’Angie fonde son agence négrière, et ce détail montre que la « parité » (brandie comme une « valeur » aujourd’hui) n’a aucun contenu éthique particulier : les femmes autant que les hommes – et les ouvrières autant que les bourgeoises – sont imprégnées par l’idéologie déshumanisante. Enfin, le film souligne la responsabilité du système économique global dans le malheur des migrants : dimension qui n’était pas assez étudiée, jusqu’ici, par les protagonistes du débat.
11:10 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : Ken Loach, "It's a free world", sans-papiers, ultralibéralisme
Commentaires
TERRAIN
> Vous faites bien d'appeler notre attention sur ce genre de films. Loach a un côté systématique mais il pose de vraies questions, sur lesquelles on ferait bien de s'informer et de discuter. C'est sur ce terrain que le monde attend les catholiques. Ils y ont toujours été présents, sauf depuis quelques dizaines d'années où ceux d'Europe sont entrés dans une espèce de nombrilisme qui n'intéresse qu'eux-mêmes, et encore...
Écrit par : Arnaud Janvier | 28/12/2007
@ Arnaud Janvier
> Oui, à condition de ne pas confondre "nombrilisme" et annonce de l'évangile, comme certains font semblant de le faire. Annoncer l'évangile n'est pas du nombrilisme. Et n'empêche pas de faire du social, au contraire les deux s'appellent mutuellement.
Écrit par : Annick Le P. | 28/12/2007
@ Annick :
C'est le sous-entendu de Arnaud Janvier, qui dénonce sans le dire ceux qui vont la messe dans leur vie privée mais qui ne laissent pas l'Evangile interférer avec leur vie publique.
UdP,
Boris
Écrit par : Boris | 30/12/2007
LE P. FRECHET
> Je vous recommande aussi "Just a kiss" à propos de Ken Loach. Il y a aussi "Fast food nation" de Richard Linklater qui traite de l'exploitation de la main d'oeuvre dans la logique du mass markett.
Le père Jacques Fréchet offre un témoignage de la difficulté que rencontre l'Eglise dans sa lutte contre la misère sur notre propre sol. Il a créé un centre d'accueil pour les pauvres, la mairie lui réclame 6000 euros de taxe d'habitation. Son interview réalisée par RCF est très impressionnante sur la difficulté qu'il rencontre à faire entendre son discours par les "catholiques comme il faut" et les chantres de la solidarité. Ce n'est pas une misère exotique de l'autre bout du monde, c'est une misère chez nous, au coeur d'une grande ville française. On parle tous les jours de solidarité à ceux qui vivent au chaud pour les soulager du spectacle de la misère qui pourrait leur gâcher les fêtes.
Bismarck avait toujours un reichsmark dans la poche chaque jour pour le donner à un pauvre. Nous avons des pièces de deux euros.
Ce n'est pas facile de penser aux autres dans un monde où l'ego est sollicité en permanence. Etre charitable est devenu comme la misère une sorte de marginalité.
Écrit par : Qwyzyx | 31/12/2007
KEN LOACH
> Je vous remercie de m'avoir fait découvrir Ken Loach que je ne connaissais pas. "It's a free world" est un film très intéressant. J'ai trouvé, en particulier, très intéressant l'idée que les Etats ferment les yeux sur cette main-d'oeuvre illégale.
Par mon travail, un exemple très instructif m'a été donné par un chargé d'affaires d'un bureau de contrôle chargé de sécurité du bâtiment. Il contrôlait un entrepôt à Bagnolet. Au 1er étage, il passe devant de l'ordre de 3000 machines à coudre à l'arrêt. A peine sorti il entend toutes ces machines en train de fonctionner. Renseignements pris, cet entrepôt appartient au frères "Tang" ou "Wang" (je ne me souviens plus). Lesquels dirigent la mafia chinoise locale et sont très amis du pouvoir en place (au plus haut niveau avant les élections). Il vaut mieux ne pas faire d'observation trop désagréable si l'on ne veut pas avoir des ennuis. En ayant discuté avec d'autres, j'ai pu constater que tout cela est bien connu. On pourrait citer plein d'autres exemples. Et on sait que les grands patrons souhaitent que l'on rouvre les vannes de l'immigration pour avoir de la main d'oeuvre maléable. Avec cela, il n'y a qu'un pas à franchir pour dire que la politique vis-à-vis de l'immigration de Sarkozy est de la poudre aux yeux pour endormir le bourgeois. Dormez braves gens!!!
Écrit par : olivier le Pivain | 20/01/2008
@ Olivier le Pivain
> Ce que vous écrivez me fait penser à un article rédigé par ce grand Monsieur qu'est Yves Meaudre, sur le site christicity.com (l'article, qui date d'il y a plusieurs mois, n'est plus accessible en archives) :
L’argent
Yves Meaudre*
L’argent… sur lequel Péguy et Bernanos ont écrit les plus belles pages. L’argent, dont Jésus condamne de façon implacable le service : « Si vous le servez, vous ne pouvez pas servir Dieu ! » Le mot est aussi tranchant que le fil de l’épée. Il n’y a aucune concession. Le choix est clair, le service de l’argent damne plus sûrement que la concupiscence, le pouvoir, les vanités du monde. Le Christ met en garde contre ces fautes mais il ne les met pas au même niveau d’exposition à l’enfer qu’il le fait avec l’argent.
Un chapiteau de la magnifique église d’Anzy-le-Duc, en Bourgogne, représente avec dérision l’avare. Tombant du ciel, nu, ses fesses en l’air, ridicule, le cupide est précipité tête en avant, les bras tirés vers le bas, entraîné par le poids d’une bourse d’or qu’il ne veut pas lâcher à tout prix. Pourtant il voit bien clairement que celle-ci l’entraîne vers les deux mains ouvertes d’un diable ricanant, qui l’attend aussi sûr que le renard de la fable sait que le fromage de Maître Corbeau lui tombera dans le bec.
L’avarice est toujours teintée d’indignité, de ridicule ; elle est toujours l’objet d’un profond mépris. Les métiers d’argent dans les familles aristocratiques, dévouées jusqu’à leur dégénérescence au service des armes ou de la prêtrise, étaient infâmants. Maintenant, la nécessité a obligé de prendre en compte sa réalité, et la présence de l’élite dans sa gestion, devrait dompter celui qui peut être un esclave supportable ou un redoutable maître.
Lors d’une retraite dans les années soixante-dix, à Châteauneuf-de-Galaure, je me souviens du père Finet nous racontant cette anecdote. Le Père interroge Marthe Robin :
— Marthe, quel est le plus grand danger pour le monde : le communisme (on était à l’époque de Brejnev) ? la franc-maçonnerie (la loi sur l’avortement se préparait) ?
— Non, non, Père Finet.
— Alors c’est quoi ?
— Non c’est l’argent.
Bon ! m’étais-je dit, cela n’a rien de nouveau ni d’extraordinaire. Pour moi qui appartiens à une génération qui a consacré sa vie à se battre contre l’idéologie marxiste, cela ne m’avait pas marqué. Aujourd’hui, à l’âge mûr, je comprends extraordinairement cette prophétie.
L’effacement des nations
L’argent interdit toute souveraineté aux États liés par trop d’intérêts réciproques ; un coup de Bourse peut mettre à genoux le pays le plus fort et le plus prospère. Les massacres au Soudan, des Hmongs du Laos, aujourd’hui, ces génocides se passent sous nos yeux sans que nous émettions le moindre toussotement. Et que dire de la Libye criminelle, de la Birmanie où Aung San Su Ky est enfermée à vie… Les intérêts des pétroliers sont trop importants.
On le voit avec les méthodes d’enrichissement des mafias communistes chinoises ou russes, qui font travailler des centaines de milliers de gens dans des conditions où les descriptions de Zola sont reléguées à la Bibliothèque rose.
Et tout le monde y participe, l’achat des chemises fabriquées pour des grandes marques dans des conditions de servilité terrifiante fait le bonheur du consommateur européen. Les usines de fabrication se ferment les unes après les autres pour utiliser une main d’œuvre esclave ! Les semelles de chaussures arrivent quarante fois moins chères en France que ce que peuvent fournir les dernières entreprises du Bourbonnais, acculées au dépôt de bilan.
Il suffit de lire le remarquable livre de Philippe Cohen et Luc Richard, 'La Chine sera-t-elle notre cauchemar ?' (1001 Nuits), pour découvrir que le Parti communiste actionnaire dans toutes les entreprises des compradores marxistes, maîtrise toute l’économie ultra capitaliste. C’est lui qui décide de faire emballer les produits de la nourriture d’une province limitrophe d’une région qu’on veut développer industriellement pour avoir immédiatement à sa disposition une main d’œuvre affamée qui se précipite désespérée et prête à tous les compromis. À Shangai, il existe une « aristocratie ouvrière » payée normalement, visible qui rassure l’investisseur européen. Mais dans l’arrière-cour, trois millions de soutiers illégaux prêts à tous les compromis pourvu qu’ils soient nourris, fabriquent une part du bénéfice gigantesque. L’enrichissement phénoménal des compradores et du parti, c’est eux. L’Angleterre d’Oliver Twist est une référence dorée pour ces populations qu’on rejette, les tâches faites. Souvent on ne les paie pas, les menaçant de prison, en cas de réclamation, pour présence illégale sur un territoire non autorisé.
C’est ainsi que se construisent aujourd’hui les infrastructures des Jeux Olympiques !
L’effondrement des nations pour le profit d’une mondialisation financière est une véritable catastrophe. Hier le politique commandait à l’économie qui commandait à la finance. Aujourd’hui, c’est la finance qui commande au politique. Quoiqu’en dise Zbigniew Brzezinski (ancien conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter), l’économie mondialisée n’enrichit pas les peuples mais quelques minorités. Celles-ci sont de plus en plus réduites et de plus en plus riches. Il faut lire la thèse de l’abbé de Varax sur les transnationales [1]. Le monde va-t-il appartenir à 300 familles ? La paix par l’économie mondiale ou, aujourd’hui, les financements promis par l’Américain béat, ne sont pas promesses de paix, mais de déstabilisation et de conflits sans fin. On livre des Rafales à des pays voyous. Aujourd’hui la Libye, demain la Chine ; on équipe nos ennemis de notre technologie la plus avancée. Est-ce bien raisonnable ?
L’enrichissement effréné de quelques-uns (quelques poussières de millions en Chine, des centaines d’oligarques en ex-Union soviétique) se fait sur l’appauvrissement et l’asservissement dramatique de milliards d’hommes. Alors que l’Afrique est en liquidation et que ses habitants la fuient par toutes ses frontières, le nombre de gisements pétroliers y est en progression constante. Les concessions sont achetées aux mafias gouvernementales au prix d’une corruption tenace dans laquelle la Chine — toujours elle — mène la danse. Alors que la manne pétrolière devrait enrichir des populations aujourd’hui désespérées, elle amène la guerre et la désintégration des États.
Jean Vanier insiste pour qu’on fasse couler des « trickles » [2] d’eau de paix dans ces déserts en feu. Rencontré récemment, j’ai trouvé le fondateur de l’Arche dans l’espérance, bien sûr, mais inquiet. Le nombre des conflits se multiplie, les menaces de déflagrations politiques et militaires ne cessent de croître. Il m’a renvoyé à la lecture du livre d’Andrea Riccardi, un constat sévère sur l’état du monde : Vivre ensemble (DDB, 2007).
En France, patrimoines menacés, familles déchirées
Plus insidieusement, en France, on voit l’immobilier des campagnes partir en flèche en raison de la mondialisation des acheteurs. Autrefois on croyait ce genre de spéculation réservée aux grandes villes ou à la Provence encanaillée par les bobos. Dans certaines régions on assiste à des augmentations de 400 % en six ans ! Des familles aux revenus très modestes se retrouvent assujetties à l’ISF. Des mafias russes achètent en Périgord ou en Bourgogne de grandes maisons familiales jusque là péniblement entretenues, pour des sommes gigantesques. Ils s’installent, paient (cash) aux maires les infrastructures de la commune et exigent que ceux-ci ne soient pas trop regardant sur ce qui se passe dans leurs nouveaux châteaux, hier sanctuaire de familles nombreuses vivant en osmose avec les villageois.
Ces dynasties partageaient les joies et les drames de leur commune et de la nation tout entière. Leurs noms figuraient sur les stèles des « morts pour la France », la Résistance en avait fait ses chefs naturels. On donnait aux aînés — hors part, en raison des charges lourdes que représentaient de telles bâtisses — pour servir l’unité familiale et abriter les vieux célibataires. Aujourd’hui, leurs vielles maisons sont devenues l’objet de spéculation folle, les prix s’emballant, le goût du lucre chavirant les consciences, les familles les plus unies se divisent, exaspérées par l’or.
L’avenir est aux pauvres
L’Évangile de Matthieu 12 (46,50), « qui est mon frère, qui est ma sœur ? », prend lourdement tout son sens : « C’est celui qui fera la volonté de mon Père. » Des familles s’entretuent pour des héritages, des enfants attaquent leur mère, spolient leurs frères, des héritiers d’histoire familiale héroïque jusqu’aux dernières guerres se dégénèrent. Je trouve aujourd’hui une âpreté et une violence consécutives de la déchristianisation des mœurs et de la perte du sens de l’honneur et de la dignité de beaucoup de familles. Ce que j’écris se vit à grande échelle aujourd’hui sous mes yeux, partout en France. Ce que j’écris est malheureusement bien réel.
Avoir tellement prêché la miséricorde fait que la peur de l’enfer s’est évanouie. Pourtant depuis neuf cent ans, le bonhomme ridicule d’Anzy-le-Duc est toujours là. Il écrit en lettres de pierre l’actualité du drame de la domination de l’argent. L’avarice mène inéluctablement à l’enfer. C’est une certitude. Le mépris et la honte de la richesse exaltés par le pharisianisme socialiste, avaient malgré tout des racines légitimes, catholiques. Il obligeait à considérer qu’une vie consacrée à s’enrichir corrompait et détruisait l’image de l’homme et de la société. Les Français qui avaient heureusement entretenu une mauvaise conscience vis-à-vis de la possession des biens sont en train d’évacuer cette culpabilisation comme les femmes leur pudeur en mai 68. Ils veulent pouvoir impunément consacrer leur énergie à la course aux richesses. Le monde qu’ils construiront sera alors glacial.
Jean Vanier, constatait, il y a quelques semaines que les jeunes sont beaucoup plus généreux mais que souvent, leurs parents les étouffent vite pour les obliger à la sécurité matérielle. Alors que le monde n’a jamais été aussi insécurisé et instable. Qu’il est absurde de faire un business plan de carrière. Le monde a vraiment besoin de l’esprit “chevalier”. Il faut abandonner ses fiefs, ses sécurités matérielles et psychologiques pour sauver notre Jérusalem céleste. Il nous faut découvrir un vrai saint Bernard montant sur un Vézelay médiatique pour nous en persuader. L’argent est la pire des dictatures, seuls les pauvres sauveront le monde et apporteront la paix, c’est le message de l’Évangile. Mais comme je suis dans l’Espérance, je sais qu’après avoir vaincu le nazisme, puis le marxisme, l’argent sera vaincu… par les pauvres. C’est pourquoi il faut les servir.
*Yves Meaudre est directeur général des Enfants du Mékong.
[1] Patrick de Varax, L’Église face aux grande sociétés transnationales, thèse de licence canonique sous la direction du R.P. Giovanni Manzone, université pontificale du Latran, Institut de théologie pastorale Redemptor Hominis, spécialisation en doctrine sociale de l’Église.
[2]“Trickle” : goutte-à-goutte, perfusion.
Écrit par : Feld | 20/01/2008
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