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28/09/2006

Deux « affaires » très différentes : Redeker à Toulouse, et Mozart à Berlin

 

Résumé de la note : un prof de philo menacé de mort et réduit au silence ; un opéra de Mozart annulé. Dans les deux cas, l'islam est en cause. Mais la ressemblance s'arrête là. Pourquoi ? Explication...  


 

 

1.  Robert Redeker est professeur de philosophie à Toulouse. Il tient des propos lucides sur la société de marché : on se souvient notamment de son livre  Le sport contre les peuples (Berg International 2002), et de ses tribunes au Monde, à Marianne et à Libération.  Le 19 septembre, Redeker publie dans la presse un article intitulé Face aux intimidations islamistes.  A propos des fureurs contre Benoît XVI, cet article commet un délit : il dit que le Coran contient des passages de violence. Résultat : le 22 septembre, le proviseur de Redeker réunit les enseignants et leur annonce que le prof de philo, « menacé de mort », est « provisoirement remplacé » au lycée. Voilà le philosophe sous protection policière. La presse en prend acte, sans émotion apparente. C’est la routine.

 

2.  Le 25 septembre, Kirsten Harms, directrice du Deutsche Oper de Berlin, annonce qu’elle déprogramme l’opéra de Mozart Idoménée (et le remplace par La Traviata). Explication : Mme Harms a craint des représailles musulmanes contre sa salle. Pourquoi ? A cause d’Idoménée ? Non : à cause de Hans Neuenfels. Qui est-ce ? Le metteur en scène. Il a transformé le finale de cet opéra en proclamation de haine envers toutes les spiritualités. Dans la mise en scène de Neuenfels, au lieu de tirer d’un sac la tête de Poséidon, dieu grec de la mer (comme le prévoyait Mozart d'après le livret de Varesco), le roi Idoménée en tire aussi trois têtes ensanglantées : celles de Jésus, de Bouddha et de Mahomet, qu'il pose sur des chaises. Cette mise en scène aberrante avait déjà été présentée au public en 2003, avec un succès mitigé. En 2006, après la guerre du Liban et le pseudo-scandale de Ratisbonne, la police berlinoise fait observer à Mme Harms que « des musulmans risquent de se sentir offensés ». La directrice de l’Opéra déprogramme Idoménée.

Que se passe-t-il alors ?  Un tollé de la part des journaux et des politiciens dans toute l’Europe...

Les mêmes journaux, les mêmes politiciens qui viennent d’accuser d’ « islamophobie » Benoît XVI (comme si celui-ci avait « injurié Mahomet »), retrouvent subitement leurs petites ardeurs antireligieuses, et montrent leurs petits muscles, comme à la glorieuse époque des caricatures danoises !

Pourquoi ce revirement ?

a) parce qu’un metteur en scène d’opéras, c’est comme un médiatique : ça fait partie de la classe privilégiée.  Ca « a la carte », comme disait autrefois Fabrice Lucchini. Donc ça peut se permettre des insanités, même sur l’islam, alors qu’un pape (sur le même sujet) n'a pas le droit d'exprimer une idée intelligente :  Maul zu, Ratzinger ; sprich, Neuenfels.

b) M. Neuenfels ne décapite pas seulement Mahomet, mais Bouddha… et Jésus. Cette idée de mise en scène exprime une aversion imbécile envers la spiritualité d’une grande partie de l’espèce humaine.  Mais cette aversion vient du matérialisme mercantile contemporain.  Autrement dit : de l’idéologie dominante. Donc haro sur la malheureuse Mme Harms, qui a annulé le spectacle de Hans Neuenfels pour des raisons de sécurité !  Elle a droit aux mépris altiers de nos "leaders d'opinion".  (Oublient-ils qu’ils ont approuvé récemment l’annulation d’une pièce  par la Comédie-Française pour des raisons idéologiques ?). M. Neuenfels lui-même accuse la directrice de « céder à l'hystérie » : ce qui ne manque pas de sel, venant de l'auteur d'une mise en scène hystérique.

Une personne au moins soutient Mme Harms : c’est  M. Ali Kizilkaya, président du « Conseil de l’islam en Allemagne » (trois millions de coreligionnaires dans ce pays). Il estime que M. Neuenfels aurait mieux fait d’exercer un autre métier que celui de metteur en scène, à en juger par son Idoménée.  Les mozartiens remercient M. Kizilkaya d’avoir dit tout haut ce qu’ils pensent  – tout bas, voulant éviter la correctionnelle pour outrage à l’art contemporain.

Quant à l'ancien « ministre des Affaires étrangères » du Vatican, Mgr Giovanni Lajolo, il a déclaré le 27 septembre que le dialogue rationnel et la compréhension entre les cultures étaient la seule voie possible. Vue sous cet angle, la mise en scène de M. Neuenfels est un déraillement. On a donc eu raison de l’annuler…  Et Mme Harms aurait eu raison plus encore de ne pas la programmer, y compris sur le plan mozartien.

 

3. L’affaire Redeker et l’affaire Idoménée n’ont donc, finalement, aucun point commun. Autant la mésaventure du prof de philo est inquiétante, autant la décision de la directrice du Deutsche Oper est justifiée – quoique tardive...

 

 

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PS -  Autre débat : combien de temps encore laissera-t-on des nains défigurer  les œuvres de géants ? Ces "mises en scène"  sont un rite depuis quarante ans. Elles  commencent  à lasser le public. Mais elles ne lassent pas les commentateurs salariés ; nos journaux ont salué rituellement M. Neuenfels du titre d' "iconoclaste"... On n'est iconoclaste que si l'on peut détruire des icônes, officielles et vénérées ; or ce que l'on est forcé de vénérer depuis les années 1970, c'est justement l'iconoclasme, fondement de l'art officiel !  Iconoclasme d'autant plus absurde qu'il n'y a plus d'icônes, dans notre société du relativisme absolu.  L'iconoclasme est une idole. Il faut la renverser.

  

 

 

Commentaires

A LA MANIERE DE

> Faut-il ou peut-on ou doit-on en rire ? Alignons- nous sur le discours branché :

" Ne méprisons pas l'expression de la modernité dans l'art lyrique. Sachons apprécier l'apport bénéfique de l'influence brechtienne (1) dans toute exécution contemporaine. L'ambivalence du terme 'exécution' peut expliquer d'ailleurs le finale d'Idoménée et la confusion du metteur en scène emporté dans son enthousiasme créateur (surtout si les aveux de Günther Grass l'ont beaucoup ému).
Quant à Mozart ? Ce créateur de tubes avant l'invention de la radio ? Il n'y a que le pape pour le préférer aux vraies vedettes actuelles ! Quelle ringardise, même s'il n'y a aucun lien possible entre la déformation des propos de l'un et de l'oeuvre de l'autre.
Quant au philosophe, c'est qui ce type que personne ne connaît (comme Mozart) ? On peut pas parler de BHL plutôt ? Les musulmans apprécient BHL. Ils en parlent beaucoup, comme d'un grand comique.
http://oumma.com/spip.php?article1252
http://oumma.com/spip.php?article1962
Et de quoi se plaint-on ? Les intégristes font virer un prof de nos lycées. On sait maintenant qui agit réellement pour réduire les effectifs de la fonction publique. L'intégrisme est plus efficace que l'inspection académique (concurrence sauvage ?) !
A quand une fatwa contre la méthode globale ?
http://www.lefigaro.fr/france/20060928.FIG000000063_methode_globale_les_parents_font_pression_sur_les_enseignants.html



(1) La biographie de Fuegi ("Brecht et Cie"), qui expliquait que Brecht a profité du travail de ses femmes et maîtresses, fit l'objet d'une campagne de dénonciation unanime.
"Brecht voulait rompre avec l'illusion théâtrale et pousser le spectateur à la réflexion. Ses pièces sont donc ouvertement didactiques : par l'usage de panneaux avec des maximes, des apartés en direction du public pour commenter la pièce, des intermèdes chantés, etc. il force le spectateur à avoir un regard critique. Ce processus, qu'il baptise «distanciation » (Verfremdung-Effekt) a beaucoup influencé les metteurs en scène français, avec plus ou moins de bonheur."
http://fr.wikipedia.org/wiki/Bertolt_Brecht

Écrit par : Qwyzyx | 28/09/2006

"JE NE CROIS PAS QU'IL FALLAIT ANNULER"

> Je suis habituellement d'accord avec vous, et vous avez certainement raison lorsque vous dites que ces "iconoclastes" modernes sont en fait, ironiquement, des modèles de conformisme (ils auraient été iconoclastes en 1950, pas en 2006!). Mais je ne crois pas qu'il fallait annuler cet opéra. Ne vous méprenez pas : la scène des têtes ensanglantées semble traduire une bête haine des religions ("je suis égalitaire : je déteste toutes les religions également") et un absurde relativisme ("Poséidon ou Jésus? Du pareil au même!"). Mais ces sentiments sont très fréquents aujourd'hui, bien plus encore que la foi. Il est normal que des artistes les traduisent en art, dans la mesure où il est normal que l'art traduise la réalité. Laissons cet artiste couper les têtes des dieux : la sienne n'en sera couverte que de plus de charbons ardents au jour du Jugement.

Écrit par : Bernard Couture | 28/09/2006

> Pour info : j'ai trouvé la déclaration suivante de l'évèque d'Avignon :

Mgr Cattenoz, évêque d’Avignon : "A force de faire un catholicisme mou, on n’aura bientôt plus de catholicisme du tout"
27 septembre 2006

L’évêque d’Avignon s’apprête à publier une Charte de l’enseignement catholique qui replace enfin le Christ au centre de l’enseignement dit catholique.

Dans une interview publiée par le magazine "Famille Chrétienne" (à paraître le 30 septembre), Mgr Cattenoz qualifie de "merveilleux" le succès actuel de l’enseignement catholique mais estime qu’"aujourd’hui, beaucoup d’établissements catholiques n’ont plus de catholique que le nom". Il remarque que dans son diocèse, "pour un certain nombre d’établissements, être chrétien se limite à faire de l’humanitaire", et juge que trop peu de projets éducatifs sont centrés sur "la découverte de la personne de Jésus-Christ".

Il estime que "la priorité, c’est de remettre des heures de transmission de la foi dans toutes les classes chaque semaine, et pas entre midi et deux heures". La découverte du Christ "doit faire partie du cursus normal de l’école", ajoute-t-il.

Il veut que l’enseignement catholique "garde vraiment un caractère propre" et prévient qu’"à force de faire un catholicisme mou, on n’aura bientôt plus de catholicisme du tout".

La question de "l’enseignement catholique dans l’Eglise et dans la société" est à l’ordre du jour de la prochaine conférence des évêques, à Lourdes en novembre prochain.

Actuellement, 20% des élèves sont scolarisés dans le privé, dont 95% dans des établissements dits catholiques. Malheureusement, beaucoup des professeurs n’ont absolument pas la foi et rient doucement de l’étiquette "catholique". Un nettoyage sera donc probablement nécessaire aussi à ce niveau là. Mais... recruter en fonction des convictions religieuses est-il encore légal en France ?

Lue sur le site : http://www.chretiente.info/spip.php?breve1514

Écrit par : Qwyzyx | 28/09/2006

" UNE PETITE CONTRADICTION "

> Bonjour,

Deux « affaires » très différentes : Redeker à Toulouse, et Mozart à Berlin. Si vous le dîtes. Mais il y a une petite contradiction dans vos propos car au milieu de ceux-ci vous écrivez:" après la guerre du Liban et le pseudo-scandale de Ratisbonne, la police berlinoise fait observer à Mme Harms que « des musulmans risquent de se sentir offensés »".
Une fois de plus l'islam et lui seul menace. Je retiens que la police aurait dit "des musulmans", elle n'a pas dit "des islamistes" n'est-ce pas?
Donc ni des boudhistes, et encore moins des chrétiens, on peut tout faire avec eux.
La différence réside dans le fait que pour le philosophe Redeker il y a menace de mort et que tout ce que la France compte de laïcistes, libres penseurs, hommes et femmes de gauche etc... promptent à hurler à l'atteinte supposée des valeurs dites laïques et républicaines dès que trois arpents de parvis sont baptisés du nom d'un pape polonais, tous ces gens restent silencieux. Je n'ai trouvé aucun de leur site internet pour lancer une pétition, crier au scandale ou inviter à une manifestation monstre pour défendre la liberté de parole, pensez-vous un mois pareil, ça se respecte. Mais peut-être ne les ai-je pas tous explorés?
Quant à la réaction du ministre de tutelle du philosophe, elle serait à oublier très vite si l'enjeu n'était pas vital. Comment va vivre cet enseignant maintenant, financièrement d'abord car rien n'indique, après les propos de son ministre, que l'état continuera de le payer, familialement ensuite? Et la France d'en-haut se tait, ou presque !

A.E.



[ De P.P. à A.E. - Etes-vous sûr que c'est une contradiction ? L'insulte à Mahomet (une décapitation) est de nature à outrer n'importe quel musulman, donc a fortiori un islamiste ; c'est ce qu'a sans doute voulu dire la police berlinoise.
Mais je vous accorde volontiers que seul l'islam en tant que religion admet la violence...
Cela dit, rappelons-nous que la violence religieuse est purement et simplement INTERDITE par le Christ dans le récit de la Passion, quand il force Pierre à rengainer son épée. Il y a une différence intrinsèque entre l'Evangile, qui interdit de "frapper par l'épée", et le Coran, qui contient une "sourate de l'épée".
- Les violences musulmanes sont commises en application de cette sourate.
- Les violences chrétiennes, au cours de l'histoire, ont été commises en violation de l'Evangile.
Et c'est de cela que Jean-Paul II (en l'an 2000) a fait repentance, selon une démarche parfaitement théologique - quoi qu'en disent certains.
Donc n'ayons pas l'air de déplorer que les catholiques ne fassent pas peur aux gens !

Mais une fois opérées ces distinctions, déclarons tous ensemble - et de plus en plus fort - que l'attitude des milieux dirigeants d'Europe occidentale (la trouille devant les islamistes, la malveillance envers les catholiques croyants) est absurde, stupide, malhonnête et inadmissible. Je pèse mes mots. ]


Cette réponse s'adresse au commentaire

Écrit par : Albert E. | 29/09/2006

UN PROF DE PHILO CRITIQUE REDEKER

> Les articles et dépêches sur les « menaces de mort » qu’aurait reçues le « prof de philo Robert Redeker » suite à une « tribune sur l’Islam » publiée dans Le Figaro, [1] inspirent, au « prof de philo » que je suis moi aussi, les réflexions suivantes :

1. Il va de soi que de telles menaces sont injustifiables. Rien ne justifie ni la mise à mort, ni même le recours à des simples menaces, contre qui que ce soit, quels que soient les griefs qu’on peut concevoir. Y compris si ces griefs sont fondés.

2. Les propos racistes, pas plus que n’importe quel crime ou délit, ne justifient ni la mise à mort ni les menaces de mort. Ils se combattent judiciairement (en portant plainte), idéologiquement (en produisant et en diffusant un contre-discours argumenté) et politiquement (en organisant des actions collectives de protestation, de sensiblisation ou de boycott). Je parle à dessein de propos racistes : comme certaines des caricatures danoises, comme le pamphlet d’Oriana Fallacci intitulé "La rage et l’orgueil", l’article de Robert Redeker qui semble avoir provoqué les menaces de mort va bien au-delà du droit à mes yeux inaliénable à la « critique des religions » ou au « blasphème ». Cet article relève du pur et simple racisme. Il ne cesse d’essentialiser deux « blocs » homogènes qui ne correspondent à aucune réalité, « l’Occident » et « l’Islam », au mépris de la diversité des courants, des évolutions, des tensions, des conflits et contradictions internes qui traversent depuis toujours ces deux « entités ». Il hiérarchise ces deux « essences », l’Occident incarnant ce que l’humanité a produit de meilleur, et l’Islam incarnant le pire. « Jésus est un maître d’amour, Mahomet un maître de haine » [sic !] D’un côté, une « ouverture à autrui, propre à l’Occident » [sic !] qui « se résume ainsi : l’autre doit toujours passer avant moi » [sic !] De l’autre, « l’islam tient la générosité, l’ouverture d’esprit, la tolérance, la douceur, la liberté de la femme et des mœurs, les valeurs démocratiques, pour des marques de décadence. » ! [2] Robert Redeker conclut enfin en soulignant bien, pour les lecteurs qui n’auraient pas compris ses sous-entendus, le lien qui s’impose entre phobie de « l’Islam » et phobie des musulmans : « Haine et violence habitent le livre dans lequel tout musulman est éduqué, le Coran ». On ne saurait être plus clair : c’est bien tout musulman qui est sous-éduqué et donc sous-humanisé, ou pire : éduqué et humanisé sur un mode pervers, dans un système de normes régi par la haine et la violence.

3. Robert Redeker n’est pas, en matière de racisme anti-musulmans, à son coup d’essai. En novembre 2001, déjà dans Le Figaro, il essentialisait déjà « l’Islam », présentait cette « essence » comme fondamentalement mauvaise (« l’idéologie la plus rétrograde », « une régression barbarisante ») et soulignait déjà aussi le lien entre phobie de l’Islam et phobie des musulmans, en affirmant que « l’Islam installe au plus intime de chaque musulman la paralysie de l’intelligence ».

4. Au regard de la violence raciste de ses écrits, on peut à bon droit s’étonner que M. Redeker n’ait pas été jusqu’à présent convoqué devant les tribunaux. On peut à tout le moins s’étonner que les autorités académiques n’aient pas suspendu, pour d’évidentes raisons d’ordre public autant que d’éthique pédagogique, ce provocateur irresponsable. Les écrits de ce monsieur sont en effet en tous points contraires avec les principes de liberté, d’égalité et de fraternité censés animer l’école de la république. Des propos équivalents à ceux de Robert Redeker sur les Juifs (« Le judaïsme installe la paralysie de l’intelligence au plus intime de chaque juif » ; « Jésus est un maître d’amour, Moïse est un maître de haine », « Haine et violence habitent le livre dans lequel tout juif est éduqué, la Torah ») vaudraient sans doute, et à juste titre, à leur auteur une suspension immédiate. On est en droit d’exiger de l’institution la même intransigeance avec le racisme anti-musulman.

5. Si Robert Redeker n’a pas sa place à l’école publique, il déshonore aussi, plus spécifiquement, la corporation des professeurs de philosophie. Notre discipline est en effet censée former nos élèves à la réflexion, à la rigueur conceptuelle, au refus des généralités, des amalgames et des préjugés. Loin, très loin du « doute hyperbolique » de Descartes, de la passion nietzschéenne pour les « nuances », du questionnement et du « Je sais que je ne sais pas » de Socrate, Robert Redeker se dispense de toute interrogation, de tout doute et de toute nuance, et véhicule sans le moindre complexe les pires stéréotypes. Doublement ignorant, ignorant sur «l’Islam » et ses innombrables déclinaisons, et ignorant de sa propre ignorance, il nous gratifie du «Je les connais, moi » qui est le cri de ralliement de tous les racistes. Il les connaît, lui, les musulmans. Incapable de cet élémentaire bon sens qui comprend que « l’Islam » n’est pas un bloc homogène, pas plus que « l’Occident », Robert Redeker n’est pas non plus capable de faire la différence entre un leader religieux et un simple fidèle, entre un pratiquant ordinaire et un fanatique, entre une autorité politique et une population civile. Il ne connaît qu’un seul personnage : un personnage spectral, aux contours étonnement fluctuants, qui se nomme « l’Islam », et dans lequel viennent se fondre tous les musulmans, quelle que soit leur obédience, leur école, leur statut social, leurs options idéologiques, leurs actes. Le « philosophe » ne recule pas même devant des sophismes aussi grossiers que celui-ci : l’interdiction du string sur les rives de Paris-Plage cet été découlerait d’une « islamisation des esprits » !

6. Faut-il en rire ? Faut-il en pleurer ? On serait tenté de rire de la bêtise de tels propos, s’ils ne venaient mettre de l’huile sur le feu en se surajoutant à un avalanche quasi-quotidienne de sarcasmes ou d’injures à l’égard de « l’Islam » et des musulmans, sur fond de précarité sociale et de discriminations en Europe, de misère, de dictatures et d’« Ordre Mondial » oppressif au Maghreb et au Moyen-Orient. Ne pas rire, ne pas déplorer, ne pas haïr, mais comprendre, disait un authentique philosophe, nommé Baruch Spinoza. Posons nous donc quelques questions : quel intérêt un Robert Redeker trouve-t-il à publier de telles invectives ?

7. Une première piste, psychologique et sociologique, figure dans l’astucieux et souvent désopilant roman publié par « Y.B. » en 2002 et intitulé Allah Superstar. Dans ce roman, qui s’avère chaque jour un peu plus visionnaire, le narrateur est un jeune banlieusard qui se dit lui-même « d’origine difficile » et « musulman pratiquement ». Nourri de culture télévisuelle, il découvre que le chemin le plus court vers les « 15 minutes de célébrité » dont parlait Andy Warhol n’est pas la Star Academy mais une espèce d’Islamophobic Academy : une provocation antimusulmane, qui provoquera immanquablement un tollé médiatique, suivi d’une fatwa ou de menaces de mort, à leur tour surmédiatisées, et voilà comment, du jour au lendemain, n’importe quel galérien se retrouve sous le feu des projecteurs, élevé au rang de héros de la liberté d’expression. Tel n’est-il pas le plan de carrière qui a assuré le succès d’Oriana Fallacci aussi bien que celui de Jack-Alain Léger, Michel Houellebecq, Chahdorrt Djavann et maintenant Robert Redeker : des tâcherons sans talent, écrivains médiocres et (à l’exception de Michel Houellebecq) médiocrement connus et appréciés du public comme de la critique, qui finissent par s’offrir une petite heure de gloire à peu de frais en publiant un brulôt islamophobe ?

8. Une autre piste est politique, et je laisse la question ouverte : quel intérêt a-t-on à souffler sur les braises et à provoquer ainsi à la haine antimusulmane ?

9. À l’heure qu’il est, la police se charge d’assurer la sécurité de Robert Redeker. Des enquêteurs tentent de retrouver la trace, pour le sanctionner, de l’auteur du mail de menaces. Cette mobilisation policière est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. L’éducation nationale doit prendre ses responsabilités [3] Les associations antiracistes doivent prendre les leurs [4]. Chaque acteur du système médiatique doit s’interroger sur la complaisance dont ce système a fait preuve jusqu’à présent à l’égard de l’islamophobie, qu’elle soit militante ou histrionique [5] Enfin, chacun d’entre nous, musulman, chrétien, juif, athée, agnostique, doit s’astreindre à la vigilance, à l’effort de comprendre et au courage de parler, afin de débusquer le racisme partout où il s’insinue, et de le combattre par les seuls moyens éthiquement défendables et politiquement efficaces : le droit, la pensée et l’action politique.

10. Tous, enfin, méditons cette question que posait le jeune Marx : « Qui éduquera les éducateurs ? »

Albert.
[ndb : il s'agit d'un autre Albert que celui du commentaire précédent].



[De P.P. à A. - 1. Parfaitement d'accord avec vous sur "l'Occident" et le "nouvel ordre mondial". D'accord aussi sur la folie de vouloir opposer deux blocs, "Occident" et "Islam". Sur ces deux points nous sommes, vous et moi, en désaccord avec GW Bush, et en accord avec Benoît XVI. J'en ajouterai un troisième : compte tenu de l'état mental et intellectuel de la société d'Europe occidentale, celle-ci n'a de leçons à donner à personne...
2. Je suis en désaccord avec vous sur divers points, dont celui-ci, qui concerne un outil conceptuel : vous parlez de "racisme anti-musulmans". Le terme est inadéquat. "Racisme" s'applique à une "race" (à supposer que cela existe), mais une religion n'est pas une race. On ENTRE dans une religion, et l'on peut en SORTIR ; on ne fait que NAITRE membre d'une "race", et c'est pour la vie. D'où l'inhumanité du racisme, qui consiste à reprocher aux gens ce dont ils ne sont responsables à aucun degré. (Outre le caractère fantasmatique de la notion de "race")... L'attitude de Redeker envers l'islam peut être critiquée pour sa virulence généralisatrice et pour sa superficialité : mais je ne vois pas qu'on puisse l'assimiler à du racisme. Vous qui êtes un homme du concept, n'êtes-vous pas de mon avis ? ]


Cette réponse s'adresse au commentaire

Écrit par : Albert | 02/10/2006

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