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Un dialogue judéo-chrétien dans 'Paris Notre-Dame'

avec le rabbin Rivon Krygier :

 

<< Paris Notre-Dame - Vous êtes juif. Pourquoi le dialogue avec les chrétiens est-il important pour vous ?

Rivon Krygier - Nous sommes à l'ère de la mondialisation. Nous ne pouvons plus nous ignorer. Les religions, les croyants doivent apprendre à se connaître et à dialoguer. L'actualité nous montre tous les jours combien les risques de conflits religieux sont importants. Pour les éviter, pour nous libérer de nos a priori, nous avons absolument besoin de dialoguer. Je crois aussi que nous avons tous aujourd'hui conscience qu'il existe une certaine relativité de la vérité. Il ne s'agit pas d'indifférentisme ou de relativisme... Disons simplement qu'il existe de vrais trésors spirituels dans chaque religion et que nous pouvons nous enrichir de la spiritualité de l'autre grâce au dialogue. Les spiritualités s'éclairent et peuvent nous aider à mieux comprendre notre propre religion tout en construisant la fraternité universelle voulue dans le projet ultime de nos religions respectives.

Paris Notre-Dame - Dans votre foi juive, qu'est-ce que le dialogue avec les chrétiens vous apporte ?

Rivon Krygier - Beaucoup et toutes sortes de choses. Mais donnons un exemple : l'étude des évangiles et le dialogue avec des chrétiens m'ont beaucoup éclairé sur ma propre tradition. De fait, dans sa mémoire ou dans son culte, le christianisme a gardé beaucoup de coutumes juives qui ont été complètement abandonnées dans le judaïsme qui continuait d'évoluer. Je pense par exemple à la veillée pascale qui traditionnellement, dans l'Église, durait toute la nuit. En fait, c'était une tradition juive essentielle, mais celle-ci a été abandonnée et oubliée. Aujourd'hui, le repas pascal doit absolument s'achever avant minuit. Le christianisme permet souvent de retrouver nos racines ! Or on dit le plus souvent que c'est plutôt le christianisme qui retrouve ses racines dans ce dialogue.

Paris Notre-Dame - Vous ne reconnaissez pas Jésus comme étant le Messie et le Fils de Dieu. Quel regard portez-vous sur lui ?

Rivon Krygier - Pour moi, la question de savoir s'il s'agira d'un retour ou de la venue première du Messie attendu est une « querelle de chiffonnier ». Pour ma part, le jour où il viendra, qu'il s'appelle Shimon ou Jésus, je ne serai pas déçu ! Sur ce point, les chrétiens doivent bien comprendre que les juifs ont une spiritualité messianique qui leur est propre. Celle-ci ne passe pas par la rencontre de la personne nommée Jésus. Les conditions et la fonction de la venue messianique sont pensées et vécues autrement. Nous ne sommes pas «  messiano-centrés » mais d'abord préoccupés de réformer notre conduite et la conduite du monde par l'accomplissement de la volonté divine. Mais au final, il y a convergence.

Paris Notre-Dame - Comment les Evangiles et la vie de Jésus font-ils écho en vous ?

Rivon Krygier - Les Evangiles constituent une vision riche, une réflexion sur le judaïsme. J'avoue que lorsque j'en lis certains passages, je suis très ému par la profondeur et l'humanité du message spirituel. On ressent vraiment le judaïsme de Jésus, sa façon d'interpréter et de vivre la foi juive, à l'école des grands prophètes. Pour moi, en tant que juif, Jésus incarne un homme éperdu de rédemption et de salut. Il a voulu précipiter la venue du royaume de Dieu et s'y est employé tout au long de son existence. Le fait est qu'il n'y est pas parvenu quel que soit le jugement que l'on en porte. En même temps, il a effectivement permis à des millions de non-juifs de par le monde de se lier à la souche d'Israël et à la foi du monothéisme universel selon la promesse faite à Abraham. Il est acquis que Jésus a vraiment déclenché un mouvement spirituel d'une ampleur majeure, fondamentale-ment respectable (même si l'on regrette la trop longue mésentente entre juifs et chrétiens...) et cela en soi participe du messianisme.

Paris Notre-Dame - A Paris et plus largement en France, peu de juifs semblent s'intéresser au dialogue avec les chrétiens. Pourquoi ?

Rivon Krygier - Soyons réalistes. D'une façon générale, les croyants qui s'intéressent à la religion ou aux croyances des autres sont peu nombreux. Et les juifs n'échappent pas à la règle. Il existe d'autres facteurs importants qui ne facilitent pas le dialogue. D'abord, les juifs sont, numériquement, bien moins nombreux que les chrétiens. Il est donc normal qu'ils soient moins représentés dans les lieux de dialogue. Ensuite, beaucoup de juifs ne sont pas pratiquants ou ne s'intéressent pas de près à la religion. Quant à ceux qui ont une quête spirituelle, ils éprouvent le plus souvent le besoin d'approfondir d'abord leur propre tradition. Les communautés juives sont également dispersées et pas aussi bien organisées que l'Eglise et cela ne favorise pas les rencontres formelles avec d'autres communautés. Enfin, je crois que, lorsque nous commençons à dialoguer, nous devons tous surmonter nos a priori et stéréotypes. J'en ai moi-même fait l'expérience. Pour moi, le christianisme était une religion superficielle, basée seulement sur l'affect, une foi irrationnelle, impliquant le déni du corps, etc. Grâce au dialogue, non seulement je découvre de grandes richesses spirituelles, mais aussi des hommes et des femmes exemplaires dans leur foi et leurs œuvres, des «justes» selon notre vocabulaire. Leur foi et la mienne ne sont pas rivales mais tendues, main dans la main, vers le royaume de Dieu. >>

Paris Notre-Dame, 21 mai.

 

 

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La ”nouveauté du Royaume”, et le devoir de ”contribuer au salut de l'humanité”

Théologie de la Création, théologie de l'Histoire, et devoirs du chrétien d'aujourd'hui :

 

Le 6 septembre, Benoît XVI s'est rendu à Bagnoregio, ville natale de saint Bonaventure : moine-évêque-cardinal-docteur de l'Eglise (mort en 1274) dont Joseph Ratzinger étudia la théologie de l'Histoire [1],  le franciscain Bonaventure était aussi un mystique de la Création. Dans L'itinéraire de l'homme vers Dieu [2], il écrit :

« Celui que tant de splendeurs créées n'illumine pas est un aveugle. Celui que tant de cris ne réveille pas est un sourd. Celui que toutes ces oeuvres ne poussent pas à louer Dieu est un muet. Celui que tant de signes ne forcent pas à reconnaître le premier Principe est un sot. Ouvre donc les yeux, prête l'oreille de ton âme, délie tes lèvres, applique ton coeur : ainsi toutes les créatures te feront voir, entendre, louer, aimer, servir, glorifier et adorer ton Dieu. Sans quoi prends garde que l'univers tout entier ne se dresse contre toi. Car pour cela ''le monde entier accablera un jour les insensés !'' (Sagesse 5, 21)... »


Prenant la parole dans la cathédrale, Benoît XVI a dit : « Comme  il serait utile de redécouvrir aujourd'hui la beauté, la valeur de la création, à la lumière de la bonté et de la beauté divine ! Dans le Christ, l'univers lui-même, note saint Bonaventure, peut redevenir une voix qui parle de Dieu et qui nous pousse à en explorer la présence : elle nous exhorte à l'honorer et à le glorifier en toutes choses. On ressent ici l'esprit de saint François, dont notre saint a partagé l'amour de toutes les créatures. »  Le pape voit en saint Bonaventure un « messager d'espérance » qui affirme : « espérer c'est vouloir », et : « qui espère doit lever la tête et tourner ses pensées vers le haut, vers la hauteur de notre existence, c'est-à-dire vers Dieu ». D'où la nécessité, selon Benoît XVI, d'une « ferme espérance » pour « nous donner la certitude d'atteindre un grand objectif et justifier la fatigue du chemin » : « Seule cette grande espérance-certitude nous assure qu'en dépit des échecs de la vie personnelle et des contradictions de l'histoire dans son ensemble, nous sommes toujours gardés par le ''pouvoir indestructible de l'amour''. Alors, lorsque nous sommes soulevés par une telle espérance, nous ne risquons pas de jamais perdre le courage de contribuer - comme les saints l'ont fait - au salut de l'humanité, en ouvrant nous-mêmes et le monde à la venue de Dieu, de la vérité de l'amour et de la lumière. »

Le pape a salué la recherche théologienne d'aujourd'hui : «En évoquant [Bonaventure], ce grand chercheur et amoureux du savoir, je voudrais en outre exprimer mes encouragements et mon estime pour le service que les théologiens, dans la communauté ecclésiale, sont appelés à rendre à cette foi que cherche l'intellect, cette foi qui est amie de l'intelligence et qui devient une nouvelle vie selon le projet de Dieu.»

Je me permettrai de rapprocher cela de ce qu'écrivait Josef Ratzinger en conclusion de sa Théologie de l'histoire de saint Bonaventure :

«Ainsi souffle déjà ici le parfum d'un temps nouveau, dans lequel le désir de la gloire de l'autre monde est recouvert par un profond amour pour cette terre,  sur laquelle nous vivons. Malgré toute la différence des temps qui sépare aussi les oeuvres des grands théologiens chrétiens, subsiste une unité décisive : Augustin comme Bonaventure savent que l'Eglise, qui espère la paix pour un ''jour à venir'', a pour devoir l'amour pour le ''maintenant'', et que le royaume de la paix éternelle croît dans le coeur de ceux qui accomplissent, chaque fois en leur temps, la loi de l'amour du Christ.. » 


Le Royaume est perpétuellement nouveau : le devoir des chrétiens est d'accomplir par « amour pour le ''maintenant'' » (« chaque fois en leur temps ») la loi de l'amour du Christ. C'est autre chose que de ressasser des coutumes d'avant-hier, par aversion envers nos contemporains.

« Le drame de la faim dans le monde appelle les chrétiens qui prient en vérité à une responsabilité effective envers leurs frères, tant dans leurs comportements personnels que dans leur solidarité avec la famille humaine. Cette demande de la Prière du Seigneur ne peut être isolée des paraboles du pauvre Lazare [Luc 16, 19-31) et du jugement dernier [Matthieu 25, 31-46]. Comme le levain dans la pâte, la nouveauté du Royaume doit soulever la terre par l'Esprit du Christ. Elle doit se manifester par l'instauration de la justice dans les relations personnelles et sociales, économiques et internationales, sans jamais oublier qu'il n'y a pas de structure juste sans des humains qui veulent être justes... » [3]

 

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[1]  La théologie de l'histoire de saint Bonaventure, Puf 1988.

[2]  Itinerarium mentis ad Deum : composé en 1259 après une expérience mystique sur le mont Alverne, cet ouvrage se présente comme l'enseignement d'une « science du chemin ». Edition française : Vrin, 2001.

[3]  Catéchisme de l'Eglise catholique, §§ 2831-2832.

  

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Pascal Picq approuve Benoît XVI – Marie-Christine Blandin parle de saint Thomas d’Aquin

C’était hier au Sénat, au colloque du CHEE&DD sur le développement durable :

 

  

 

Ce colloque était la clôture de la 13ème session du CHEE&DD [1], parrainée par le catholique Jean-Marie Pelt. Celui-ci a ouvert les travaux de la journée sur le thème : Développement durable et spiritualité.

 

Parmi les intervenants du matin : le paléoanthropologue Pascal Picq (Collège de France), qui se définit comme « matérialiste athée » et exclut toute finalité dans l’univers. Défendant Darwin, Pïcq s’en est pris au « créationnisme » (l’anti-évolutionnisme des fondamentalistes protestants américains) : donc à l’attitude de ceux qui prennent la Bible au pied de la lettre.

Et alors, surprise : l’athée Picq s’est lancé dans une apologie de la conférence des Bernardins.

Picq approuve Benoît XVI de rejeter à la fois le littéralisme et le relativisme [2]. D’autre part, il l’approuve de souligner que le texte (la Bible) est inséparable de ses circonstances humaines de production, et de son interprétation vivante.

Dans les deux cas, Picq constate une convergence de la pensée catholique et de la pensée scientifique à propos des conditions de la connaissance. La pensée catholique est donc rationnelle…

Bien  entendu,  Picq  ne  suit  pas  le  pape jusqu’à  dire  que  la  raison  et la foi sont alliées : il rejette cette perspective en raison de ses convictions personnelles, aux côtés desquelles il enrôle un peu vite la science.

Mais le simple fait qu’il prenne en considération la conférence de Bernardins (fortement et publiquement) montre que « les lignes bougent » - comme on disait en 2007.

 

L’après-midi, intéressante table ronde : l’ancienne ministre Corinne  Lepage (Cap 21), la conseillère d’Etat Bettina Laville (PS), et la sénatrice Marie-Christine Blandin (Verts). On parle du principe de responsabilité, des avatars du progrès, de la finitude humaine, d’une morale laïque compatible avec la foi personnelle, de l’engagement et de l’agir-ensemble… 

Marie-Christine Blandin, qui se définit elle aussi comme athée, raconte alors :

«  À une journée d’études du Monde diplomatique où j’avais été invitée à parler en tant qu’élue des Verts, j’ai mentionné, à propos du développement durable, la notion de "bien commun" selon ma propre acception du terme. Deux participants m’ont dit : "C’est intéressant que vous parliez de bien commun. Chez nous on en parle aussi, dans un sens un peu différent." – "Chez vous ?" – "Dans l’Eglise catholique." (il s’agissait de deux prêtres ouvriers). Ils ont expliqué : "l’idée de bien commun vient de saint Thomas d’Aquin..." [3] »

Et la sénatrice Blandin de donner à la salle la définition thomiste du bien commun. 

C’est un fait : la notion de bien commun n’est pas conciliable avec l’idéologie libérale [4], puisqu’elle pose l’existence de biens et de finalités qui ne se ramènent pas aux intérêts privés ni aux « lois » économiques. Pardon de le dire, mais il le faut, parce que c’est vrai : en 2008 on peut parler du bien commun avec Marie-Christine Blandin malgré son peu d’affinités avec la religion catholique. Mais on ne peut toujours pas en parler avec les ultralibéraux – qui ne se sont pas encore réveillés, bien que leur palais des mirages soit en train de s’effondrer dans le monde.

 

  

 

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[1] Collège des hautes études de l’environnement & du développement durable. (Ecole Centrale Paris, ESCP-EAP, AgroParisTech). Cet organisme veut « préparer les dirigeants aux enjeux du développement durable ».

[2]  Pïcq se dit opposé au relativisme en général.

[3]  Le bien commun selon saint Thomas est un bien moral à quoi doit tendre chaque groupe humain, à chaque moment de son histoire, pour atteindre la fin rationnelle qui lui assigne sa nature. Il procède directement de la loi naturelle. Vatican II (Gaudium et spes, 26) en déduit que le bien commun est « l’ensemble des conditions sociales qui  permettent,  tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon  plus totale et plus aisée. »

[4]  Certains libéraux s’efforcent de dire que les deux sont conciliables. Mais c’est au prix d’acrobaties, en opérant un tri sélectif parmi les thèses de saint Thomas. 

NDLR : quand on parle ici de libéralisme, il s’agit bien entendu de l'idéologie libérale et non de la simple liberté d’entreprendre, qui est de droit naturel (et n’a aucun besoin de l'idéologie réductionniste en question).

 

 

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Schisme anglican : la presse déforme les perspectives

Elle parle d’ « accroc à l’œcuménisme », alors que c’est un nouveau pas en avant :

 

 

Comme prévu, la conférence anglicane de Lambeth s’est achevée le 3 août sur un constat de faillite : « Nous n’avons pas surmonté nos problèmes ni réinventé nos structures », a avoué l’archevêque de Canterbury, Rowan Williams. Entre les anglicans postchrétiens de l’hémisphère Nord et les anglicans croyants de l’hémisphère Sud, il n’y a plus de langage commun. Le détonateur du schisme a été la complaisance du Nord envers le lobby gay, mais ce n’était vraiment qu’un détonateur : le corps de la bombe était constitué par une différence radicale d’attitude envers la religion. Pour le Nord riche,  il faut plier celle-ci aux normes de la société libérale-libertaire. Le Sud pauvre répond : « en raisonnant ainsi, vous finirez par dissoudre la foi ». Et la rupture Nord-Sud devient inévitable.

Face à cette réalité, la presse du Nord se sent gênée. Donner tort à des Africains anticolonialistes est difficile ! Et pourtant il faut bien leur donner tort, puisque le plus important est de faire respecter les nouvelles « normes »… Comment procéder ? En déformant les perspectives. Ce qui donne, par exemple, cet éditorial français (Le Monde du 5 août) :

 << … Libéraux et conservateurs s'affrontent désormais sur l'interdit biblique de l'homosexualité…  [Ce schisme] illustre la montée du fondamentalisme biblique. Les traditionalistes anglicans viennent d'Afrique où, tout à la fois concurrencés par un islam rigoriste et des courants sectaires et évangéliques, ils dénoncent les dérives laxistes, la sécularisation triomphante en Occident, les accommodements avec la doctrine au nom de la tolérance religieuse…  Une page se tourne donc, alors que se profile un front néoconservateur dans lequel on reconnaît, outre cette dissidence, les positions intransigeantes de Benoît XVI ou celles d'Eglises protestantes évangéliques qui s'accommodent mal de compromis avec la société moderne. >>

 

L’éditorialiste ne décrit pas la réalité :   il  fabrique  une scène d’allégorie. Il ne donne pas à voir des êtres de chair et de sang (avec leur foi, leurs doutes, leurs indignations), mais des personnages allégoriques : des « conservateurs » se rendant coupables de « rigorisme », de « sectarisme », d’infraction à la « tolérance », de refus « intransigeant » de « la société moderne ». On ne voit pas un drame de conscience au sein d’une communauté chrétienne, mais une sorte de manœuvre politique ourdie dans l’ombre par le pape de Rome, membre d’un « front néoconservateur ». Notez ce qualificatif, car son incongruité est révélatrice : « néoconservateur » n’est pas un terme religieux mais politico-économique ; les « néoconservateurs » sont des partisans de la guerre d’Irak et de la dérégulation ultralibérale. Quel rapport avec les Eglises ? Aucun : elles sont contre ces guerres et n’approuvent pas l’ultralibéralisme. Alors pourquoi dire : « néoconservateur » à propos d’un mouvement d’Eglise ? Pour rabattre une chose inédite (l’insurrection religieuse des anglicans d’Afrique-Asie) sur une chose en déclin (le courant nord-américain neocon et son échec).  Ce n’est pas de l’analyse, mais de la polémique  – et peu reluisante.

 

En page 7 du même numéro du Monde, Henri Tincq tente de situer l’affaire anglicane dans le contexte œcuménique. Il dit cette chose étrange :

 

 << Le conflit qui divise l'Eglise anglicane risque d'avoir des conséquences dans ses relations avec les autres Eglises, catholique, orthodoxes et protestantes. Le processus de rapprochement entre Eglises séparées, né dans l'entre-deux-guerres et largement confirmé après le concile Vatican II (1962-1965), subit là un nouvel accroc… >>

 

 

Pourquoi cette formulation du journaliste est-elle étrange ? Parce que la suite de son article, bon gré mal gré, ne décrit pas un « accroc » à l’œcuménisme ! Au contraire, le schisme chez les anglicans favorise le rapprochement d’une grande partie de ceux-ci avec Rome et avec les Eglises orthodoxes. Au total : l’immense majorité de la planète chrétienne. Qui s’en exclut ? Une faible minorité : les anglicans postchrétiens de quelques régions riches du Nord. En quoi se retranchent-ils du reste de la planète chrétienne ? En ce qu’ils traitent la foi par-dessous la jambe, lui préférant leurs idées et leurs mœurs. Il n’y a donc pas « accroc à l’œcuménisme », mais nouveau pas en avant de celui-ci – et payé d’un prix modique : le départ de gens qui ne s’encombraient plus d’une foi religieuse. Le Dr Orombi, archevêque anglican ougandais, a plus de points communs avec Benoît XVI et Alexis II qu’avec tel ou tel  pink bishop des beaux quartiers du monde atlantique. Tout ce qui monte converge.

 

 

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”Le monde d'aujourd'hui a besoin de vous”

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Souvenons-nous du film Mission...

Ecologie intégrale, biodiversité culturelle, éloge des peuples amérindiens, appel à résister au ravage économique du monde... Homélie du pape François au Chiapas le 15/02  (texte complet) :

 

 

<<  “Li smantal Kajvaltike toj lek” : La loi du Seigneur est parfaite, qui redonne vie... Ainsi commence le psaume que nous venons d'entendre. La loi du Seigneur est parfaite et le psalmiste énumère attentivement tout ce qu'offre cette loi à ceux qui l'écoutent et la suivent : elle fait revivre l'âme, elle donne la sagesse aux simples, elle réjouit le coeur, et elle donne la lumière au regard.

C'est la loi que le peuple d'Israël a reçue de la main de Moïse : une loi qui devait aider le peuple de Dieu à vivre dans la liberté à laquelle il était appelé. Une loi faite pour être lumière sur le chemin du peuple et l'accompagner dans sa marche. Un peuple qui avait fait l'expérience de l'esclavage et de la tyrannie du Pharaon, et qui avait enduré la souffrance et l'oppression à tel point que Dieu avait dit : assez ! ça suffit ! J'ai vu leur misère, J'ai entendu leurs cris ! (cf. Exode 3-9). Et l'on voit ici la vraie face de Dieu, la face du Père qui souffre en voyant la douleur, les abus et les dénis de justice infligés à ses enfants. Sa parole, sa loi, deviennent ainsi symbole de liberté : symbole de bonheur, de sagesse et de lumière... C'est une expérience, une réalité, que transmet une phrase consacrée par le Popol Vuh* et née de la sagesse bercée sur ces terres depuis les temps immémoriaux : « L'aube monte sur l'ensemble des tribus. La face de la terre fut aussitôt guérie par le soleil... » Le soleil s'est levé pour les peuples qui ont marché parmi les ténèbres de l'histoire.

Dans cette idée on entend le désir douloureux d'une vie libre, le rêve d'une terre promise où l'oppression, les sévices et l'humiliation ne soient plus monnaie courante. Dans le coeur de l'homme et la mémoire de beaucoup de nos peuples est empreint ce désir d'une terre et d'un âge où la fraternité débordera la corruption humaine, où la solidarité vaincra l'injustice, et où la paix fera taire la violence.

Non seulement notre Père partage ce désir mais Il l'a suscité et continue à le susciter, en nous donnant son Fils Jésus-Christ : en Lui nous découvrons la solidarité du Père qui marche à nos côtés. En Lui, nous voyons comment la loi parfaite prend chair, prend face humaine, vient partager notre histoire, afin de marcher avec son peuple et le soutenir. Il devient la Voie, Il devient la Vérité, Il devient la Vie, afin que les ténèbres n'aient pas le dernier mot et que l'aube vienne se lever sur la vie de ses fils et filles.

De multiples façons et sous de multiples formes, on a tenté de réduire au silence et de taire ce désir ; de multiples manières on s'est efforcé d'anesthésier notre âme ; de multiples manières on a entrepris de soumettre et d'endormir nos enfants et nos jeunes dans une sorte de résignation, en insinuant que rien ne peut changer, que leurs rêves ne peuvent devenir vérité...

Face à ces tentatives, la création elle-même élève la voix : « Cette soeur crie en raison du mal que nous lui infligeons par l'utilisation irresponsable et par l'abus des biens que Dieu a déposés en elle. Nous avons grandi en pensant que nous étions ses propriétaires et ses dominateurs, autorisés à la surexploiter. La violence présente dans le coeur humain blessé par le péché, se manifeste aussi à travers les symptômes de maladie évidents dans le sol, dans l'eau, dans l'air et dans toutes les formes de vie. C'est pourquoi, parmi les pauvres les plus abandonnés et maltraités, se trouve notre terre elle-même, opprimée et dévastée, qui “gémit dans les douleurs d'un enfantement” (Romains 8, 22) » (Laudato Si', 2).

Le défi environnemental dont nous faisons l'expérience, et ses causes humaines, nous affectent tous (Laudato Si', 14) et nous interpellent. Nous ne pouvons plus faire la sourde oreille devant l'une des plus grandes crises environnementales de l'histoire du monde.

Sous ce rapport vous avez beaucoup à nous apprendre, beaucoup à apprendre au reste de l'humanité. Vos peuples, comme l'ont reconnu les évêques de l'Amérique latine, savent comment interagir harmonieusement avec la nature, qu'ils respectent comme « une source de subsistance, une maison commune et autel du partage humain » (Document d'Aparecida, § 472).

Cependant, souvent et de manière systématique, structurelle, vos peuples ont été incompris et exclus de la société. Certains ont jugé inférieures vos valeurs, votre culture et vos traditions. D’autres, étourdis par le pouvoir, l’argent et les lois du marché, vous ont dépossédés de vos terres ou les ont polluées. C’est si triste ! Que cela nous ferait du bien, à tous, de faire un examen de conscience et d’apprendre à dire : pardon, pardon, chers frères ! Le monde d’aujourd’hui, ravagé par la culture du déchet, a besoin de vous !

Les jeunes d’aujourd’hui, exposés à une culture qui vise à supprimer toutes les richesses et caractéristiques des cultures pour fabriquer un monde homogène, ont besoin – ces jeunes – que la sagesse de leurs anciens ne se perde pas !

Le monde d’aujourd’hui, pris par le pragmatisme, a besoin de réapprendre la valeur de la gratitude !

Nous célébrons la certitude que « le créateur ne nous abandonne pas ; [que] jamais il ne fait marche arrière dans son projet d’amour, [qu’] il ne se repend pas de nous avoir créés » ( Laudato si’, n. 13). Nous célébrons le fait que Jésus-Christ meurt et ressuscite en chaque geste que nous accomplissons envers le plus petit de nos frères. Ayons à cœur de continuer à être témoins de sa Passion et Résurrection en donnant chair à ces paroles : Li smantal Kajvaltike toj lekLa loi du Seigneur est parfaite, qui redonne vie. >>

 

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* « Livre de la natte » (c. à d. « du conseil » ou « de la communauté »:

pape françois,mexique

texte quichué de l'époque coloniale, qui véhicule d'anciens mythes mayas sur l'origine du monde. La plus vieille version connue du Popol Vuh fut transcrite en castillan vers 1700 « pour les ministres de l'Evangile »  par le dominicain espagnol Francisco Ximénez, missionnaire au Guatemala, linguiste et naturaliste. Dans son livre Cosmos, le théologien catholique Louis Bouyer explique que les mythes dans leur diversité traduisent l'expérience première et confuse des peuples au contact de la création ; « la Parole de Dieu convertit les schèmes de pensée et les représentations multiséculaires des cultures, dans lesquelles elle s'enracine sans les anéantir » (M.H. Grintchenko).

 

 

►  Le pape argentin est un jésuite, et cet ordre a joué un rôle social, économique et culturel particulier auprès des Amérindiens :

http://www.herodote.net/Missions-synthese-1881.php

 

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La crise à Jérusalem et le projet du ”Troisième Temple”

third_temple.jpg

Le projet, visualisé par l'Institut du Temple.

Violences, arrestations... La tension monte sur fond de crise économique et sociale, mais prend une coloration religieuse susceptible de s'internationaliser :

 

Même le prudent roi de Jordanie commence à protester contre les irruptions d'officiels de la droite israélienne (ministres ou députés) comme Moshé Feiglin, Uri Ariel ou Miri Regev, qui viennent prier sur l'esplanade des mosquées en proclamant que ''le Troisième Temple y sera bientôt construit'' : ce qui revient à déchirer le statu quo, selon lequel l'esplanade était accessible aux juifs s'ils n'y disaient rien de religieux. Les laïques subsistant dans les milieux dirigeants israéliens s'inquiètent de ces provocations délibérées : elles sont d'autant plus mal supportées, par les Palestiniens, que des nationaux-religieux juifs s'installent dans les quartiers arabes de Jérusalem-Est. Ce qui a pour effet d'attirer, en réplique, des militants du Hamas...

L'exaltation des ultras israéliens sur le ''Temple à reconstruire'' s'appuie sur des initiatives amorcées de très longue date. Certaines sont extrémistes, tel le mouvement des Fidèles qui veut commencer par la destruction de la mosquée Al-Aqsa :  d'où plusieurs essais d'incendie, dont le tout premier fut commis par un fondamentaliste protestant australien en 1969.

D'autres entreprises se veulent modérées. Leurs propos sont d'autant plus significatifs. Ainsi le Machon HaMikdash ("Institut du Temple",  dans la vieille ville de Jérusalem) qui se présente comme un lieu d'exposition du futur mobilier liturgique. En 2002, son président d'alors, Jean-Marc Rosenfeld, avait donné à la revue catholique Kephas une interview recueillie par le dominicain Olivier-Thomas Venard, de l'Institut biblique de Jérusalem. Extraits des explications de M. Rosenfeld sur la future reconstruction du Temple :

<< Nos soutiens viennent non seulement du monde juif, mais aussi du dehors, puisqu'aux Etats-Unis, par exemple, plusieurs courants nous aident déjà pour cette préparation à la connaissance et à la construction... >>

<< La paix mondiale ne se générera que par le Temple... >>

Et le casus belli que constitue un tel projet sur le site des mosquées, vénéré du monde musulman ? Réponses :

<< L'emplacement que Dieu a choisi est la pierre de fondement du monde... On ne peut concevoir que le Troisième Temple n'apparaisse pas au même endroit. Et ce n'est pas seulement une vue de l'esprit, c'est marqué dans les prophéties* qui disent que ''le premier Temple sera construit et sera démoli, le deuxième Temple sera construit et sera redémoli, et le Troisième Temple sera construit et ne sera plus jamais redémoli''... >>

<< Je ne sais s'il faut en parler ou non, car ce n'est pas l'objet de notre approche qui est une approche de paix, de shalom, mais... c'est quelque chose qui va se passer : les troubles actuels marquent le début de la guerre de Gog et Magog** qui va, malheureusement, faire de nombreuses victimes. […] À ce moment-là le Temple va se reconstruire, purifié, pour la paix et le bien du monde entier ; alors les Justes des nations se réveilleront en disant ''mais c'est la seule solution'', puisque nous n'avons pas trouvé jusqu'à présent de solution politique... >>

Question du P. Venard : ''Si la venue du Messie est nécessaire pour que le sacerdoce légitime soit rétabli, ne vaudrait-il pas mieux attendre qu'il soit venu, avant de penser à rebâtir le Temple ?''. Réponse de M. Rosenfeld :

<< Nous pensons différemment : aide-toi et le Ciel t'aidera ! >> 

Puis il déclare ceci, qui  semble contredire la réponse précédente quant à l'ordre causal et chronologique des événements (le Temple avant le Messie, ou l'inverse ?) :

<< Pour le monde juif Jésus ne peut pas être le Messie puisque les prophéties d'Isaïe disent que le jour où le Messie sera là, le Temple sera reconstruit et ne pourra plus jamais être redémoli... Si Jésus avait été à l'époque le Messie, le Temple serait encore debout. >>

 

Selon le quotidien Haaretz, le tapage croissant autour du ''Troisième Temple'' a pour seul effet de ''nourrir l'extrémisme religieux du côté palestinien''. Le 29 octobre, le rabbin Yehuda Glick, actuel animateur de l'Institut du Temple, a été grièvement blessé par un militant palestinien du Djihad islamique.

 

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* M. Rosenfeld ne précise pas lesquelles.

** Ezéchiel 38-39. Cependant : 1. le nom (mythique) ''Gog-Magog'' pourrait bien être un cryptage du toponyme (mythique) ''Babel'', symbole d'une superpuissance persécutrice ; 2. il s'agit (Ezéchiel 38,16 le dit mot pour mot) d'une prophétie de la fin des temps : non d'une victoire militaire de Tsahal sur des Arabes à la suite d'une judaïsation de l'esplanade des mosquées. Seule une lecture décontextualisante pouvait en 2002 (et peut en 2014) appliquer Ezéchiel 38-39 aux ''troubles actuels''... Mais cette lecture est commune aux extrémistes religieux israéliens et aux fondamentalistes protestants américains.

 

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Méditer sur l'Ascension du Christ

 jésus christ

« Après ces paroles, tandis que les Apôtres le regardaient, Il s'éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux... » (Actes 1,9). «Après leur avoir parlé, Il fut enlevé au ciel et s'assit à la droite de Dieu » (Marc 16,19). « Or, tandis qu'Il les bénissait, Il se sépara d'eux et fut emporté au ciel » (Luc 24,51) :  

 

 

<< Les membres du corps du Christ que nous sommes doivent suivre leur Chef, leur Tête, qui est monté aujourd'hui. Il nous a précédés pour nous préparer une place (Jean 14,2), à nous qui le suivons... Voulons-nous Le suivre ? Quand même tous les maîtres seraient morts et tous les livres brûlés, nous trouverions toujours, en Sa sainte vie, un enseignement suffisant, car c'est Lui-même qui est la voie et non un autre (Jean 14,6). Suivons-le donc. De même que l'aimant attire le fer, ainsi le Christ attire à lui tous les coeurs qu'Il a touchés. Le fer touché par la force de l'aimant est élevé au-dessus de sa manière naturelle, il monte en le suivant, quoique ce soit contraire à sa nature. Il n'a de cesse qu'il se soit élevé au-dessus de lui-même. C'est ainsi que tous ceux qui sont touchés au fond de leur coeur par le Christ, ne retiennent plus ni la joie ni la souffrance... >> 

Jean Tauler (XIVe siècle)

 

 

<< Les disciples ne se sentent pas abandonnés ; ils ne retiennent pas que Jésus se soit comme évanoui dans un ciel inaccessible et loin d'eux. Evidemment ils sont certains d'une présence nouvelle de Jésus. Justement, ils sont sûrs que le Ressuscité est maintenant présent au milieu d'eux d'une manière nouvelle et puissante. Ils savent que “la droite de Dieu” où il est maintenant “élevé”, implique un nouveau mode de sa présence, qu'on ne peut plus perdre – le mode par lequel seul Dieu peut nous être proche. La joie des disciples après “l'Ascension” corrige notre image de cet événement : “l'Ascension” n'est pas un départ dans une région lointaine du cosmos, mais elle est la proximité permanente dont les disciples font si fortement l'expérience qu'ils en tirent une joie durable... Le christianisme est présence : don et mission ; être gratifiés de la proximité intérieure de Dieu et – sur cette base – être actifs dans le témoignage en faveur de Jésus Christ.  >> 

Joseph Ratzinger – Benoît XVI

 

 

<< L'Ascension est l'épanouissement de la glorification de Jésus commencée par sa Résurrection. N'appartenant plus au monde présent, celui du péché et de la mort, mais déjà, par tout son être, au monde futur et éternel de la sainteté et de la vie, Jésus ne pouvait plus être retenu par la terre... Son Ascension est en elle--même l'accomplissement ultime de son oeuvre rédemptrice (Ephésiens 4, 8-10). Non seulement Il y apparaît comme notre précurseur, mais comme Celui qui nous entraîne à sa suite, à ce point que Paul ira jusqu'à dire que Dieu nous a vivifiés avec Lui, ressuscités et fait asseoir avec Lui dans les “lieux” célestes (Ephésiens 2,6 : cf. 1,20 ss.)... On voit donc dans quel sens saint Jean faisait dire au Christ : “il est bon pour vous que je m'en aille” (Jean 16,7) : la suite du texte le montre immédiatement, ce départ était la condition de la venue de l'Esprit... Le Christ est pour nous un nouvel Adam, non plus simplement terrestre mais Esprit vivifiant, en tant qu'Il se révèle finalement comme “l'Homme céleste” (1 Corinthiens 15, 45-49)... L'Ascension du Christ, avec les promesses qu'elle inclut pour nous, trouvant leur première réalisation dans l'effusion de l'Esprit qui va la suivre immédiatement, apparaît comme ce qui donne tout son sens à son humiliation volontaire dans l'Incarnation rédemptrice. C'est ce que le quatrième évangile exprime d'une façon caractéristique en voyant toujours dans une seule perspective la montée de Jésus sur la croix et son Ascension dans la gloire (cf. Jean 2,14 ; 8,28 ; 12, 32-34). >> 

Louis Bouyer

 

 

<< Deux mystères vont marquer l'avènement de l'âge de l'Esprit Saint : le mystère de la présence eucharistique, et le mystère de l'institution de la hiérarchie. Pour continuer de résider Lui-même corporellement au milieu de nous, avec dans ses mains toute la richesse de sa rédemption sanglante, le Christ glorifié se rend présent sous les apparences étrangères du pain et du vin. Saint Jean rattachera à l'eucharistie cette vie du chrétien dans le Christ et du Christ dans le chrétien, où saint Paul voit le propre même du Corps mystique : “Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. De même qu'envoyé par le Père, qui est vivant, moi, je vis par le Père, de même celui qui me mange vivra, lui aussi, par moi” (Jean 6, 56-57). Et pour continuer de nous atteindre avec la même intimité qu'aux jours de sa vie mortelle, Jésus va laisser au milieu de nous la médiation des pouvoirs hiérarchiques et des rites sacramentels qui prolongeront son contact sensible dans l'univers entier et sous les espèces desquels il enverra la plénitude de sa grâce et de sa vérité : “Enseignez toutes les nations, baptisez-les... Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles” (Matthieu, fin). >> 

Charles Journet

 

 

<< Si, chez saint Jean, le lien des fidèles entre eux comme avec leur Sauveur est suggéré comme un ensemble de rapports réciproques d'une intense intimité, chez saint Paul le Christ apparaît plutôt comme un milieu, une atmosphère, un monde où l'homme et Dieu, l'homme et l'homme, communiquent et s'unissent. Il est celui qui remplit tout en tous... Réalité mystique, dont les fruits visibles de charité fraternelle, nouveauté radieuse au milieu d'un monde vieilli dans les divisions, suscitaient l'admiration enthousiaste d'un Jean Chrysostome et d'un Augustin. Dans ses homélies sur saint Jean, venant à commenter cette parole : “pour rassembler ceux qui sont proches et ceux qui sont au loin”, Chrysostome s'écrie : “Que signifie cela ? Cela signifie que, des uns et des autres, le Christ fait un seul corps. Ainsi, celui qui réside à Rome regarde les Indiens comme ses propres membres. Y a-t-il union comparable à celle-là ? Le Christ est la tête de tous.” Et Augustin, en cette hymne célèbre à l'Eglise De moribus Ecclesiae catholicae : “Tu unis entre eux les citoyens, les peuples, que dis-je ? Le genre humain tout entier, par la croyance à la communauté de notre origine, en sorte que non contents de s'associer, les hommes deviennent pour ainsi dire des frères...” >>

Henri de Lubac

 

 

jésus christ

 

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14/05/2015 | Lien permanent

Qui peut confondre Bertolt Brecht et 'Charlie Hebdo' ?

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...la presse bobo, évidemment :

L'anachronisme et l'amalgame sont des outils de propagande. On peut s'en servir intelligemment. Ou niaisement. La chroniqueuse théâtrale Fabienne Darge est de la seconde école. C'est une obsessionnelle  de l'anti-religieux : déjà il y a trois mois [1] elle encensait Martyr, l'indéfendable pièce de Mayenburg qui confond islamisme et catholicisme [2]. Aujourd'hui Mme Darge récidive [3] à propos d'une pièce de Brecht, La Vie de Galilée (reprise au Monfort Théâtre à Paris).  Cette pièce est intéressante : en soi, parce qu'elle est bonne ; et en tant que propagande intelligente. Mais la récupération qu'en fait Mme Darge est niaise.brecht,charlie hebdo

Brecht prélève certains éléments historiques de l'affaire Galilée (colossal faux pas de la Curie romaine [4]) pour composer sa pièce. Mais ni son personnage de Galilée, ni sa présentation de l'affaire, ne coïncident avec l'histoire : ils servent de support à une opération classique de propagande culturelle marxiste à l'intention du bourgeois des années 1940-1950. L'opération vise à démontrer :

1. que l'Eglise ne vise qu'à défendre son pouvoir contre la science et la raison ;

2. que « les véritables entreprises de la science » consistent dans « l'étude des propriétés du mouvement, père des machines, qui seules rendront la terre assez habitable pour que le ciel puisse être liquidé » [5]. On reconnaît la logique matérialiste-productiviste (commune à la pensée libérale et à la pensée marxiste) qui a fabriqué le monde actuel. La « liquidation » du « ciel » s'entend à la fois du ciel astronomique de Ptolémée (géocentrique) et du ciel allégorique de la religion, comme si les deux se confondaient. L'excuse de Brecht est que la Curie romaine aussi les avait confondus, ou paru confondre : ce qui contribua à déclencher par contrecoup le voltairianisme bourgeois des temps modernes, dont  le stade final est aujourd'hui la désertification spirituelle européenne.

On voit en quoi la pièce de Brecht est intéressante.

 

Quant à Mme Darge... La pièce La Vie de Galilée (déclare-t-elle) « résonne magistralement quatre mois après les attentats dans la capitale ». Où est le rapport ? Uniquement en ceci : Mme Darge aime à la fois Brecht et... Charlie Hebdo, sujet  récurrent chez elle et proche du tropisme cathophobe. En janvier elle n'avait pas tort de voir du Charlie dans la pièce artificielle et venimeuse de Mayenburg ; en mai elle se ridiculise en voyant du Charlie chez Brecht.

Le pire est qu'elle n'est pas seule à faire cet amalgame. Le metteur en scène Sivadier le fait aussi : c'est sans doute un peu pour attirer les spectateurs, mais il a l'air de croire que Charlie et Galilée c'est la même chose  depuis le 7 janvier. « Nous n'avons jamais entendu un tel silence dans une salle, notamment quand Madame Sarti, sa gouvernante, dit à Galilée qu'il risque sa vie pour ses idées... »

Le metteur en scène met-il vraiment la pensée de Galilée  sur le même plan que  les éructations de Charlie Hebdo ?

On peut le craindre. C'est le signe de ce qu'est devenu notre monde mental, dans une société de sous-culture marchande. Récemment Caroline Fourest (qui vient de Charlie Hebdo) lançait en guise d'argument à un contradicteur : « ça me fait chier de discuter avec un con » ; Mme Darge (qui connaît Mme Fourest) doit penser que c'est beau comme du Brecht.

  

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[1] Le Monde, 30/01/2015.

[2] Notre blog, 30/01/2015 :

► « Le fanatisme religieux monte sur scène », titre toute la page 16 du Monde. Sous-titre : « A Strasbourg, la pièce 'Martyr' capte le glissement d'un adolescent dans le radicalisme catholique ». Il s'agit d'une pièce de Marius von Mayenburg, dramaturge de la Schaubühne berlinoise. [...] Et voici le résumé de la pièce par Fabienne Darge :

« Martyr montre comment le jeune Benjamin Südel s'enfonce dans une dérive religieuse – catholique en l'occurrence […] mais la mécanique démontée ici pourrait être à l'oeuvre dans n'importe quel monothéisme. Et le décalage ainsi opéré avec les dérives islamistes actuelles permet au théâtre de jouer son rôle, de dégager les structures, les archétypes. »

Il s'agit donc, sous prétexte de « décalage » et de « démontage des archétypes », de profiter de la peur occidentale du djihad pour s'en prendre au catholicisme. (Pourquoi ? C'est un autre problème).

Et voilà le scénario de Mayenburg vu par Mme Darge :

« Tout commence avec une histoire de piscine […] Benjamin veut être exempté des leçons de natation « pour raisons religieuses » […] : « il trouve inadmissible de devoir nager "derrière des filles en bikini". Petit à petit, le jeune homme se coupe de toutes les activités ''normales'' d'un garçon de son âge […] Il prêche, ne parle plus que par citations […] qui, majoritairement extraites de l'Ancien Testament et du Jugement dernier, sont d'une violence et d'une misogynie insoutenables. Benjamin refuse, bien entendu, la théorie de l'évolution darwinienne […]. Et comme [son] enseignante s'appelle Erika Roth […], il glisse dans un antisémitisme meurtrier. »

La pièce est une « farce grinçante », dit Mme Darge. Grinçante est le mot juste. Mais farce est inadéquat : les idées et les comportements stigmatisés par Mayenburg étant pris dans une actualité réelle et notoirement islamique, les attribuer aux catholiques est un procédé déloyal.

D'autant que ces idées et ces comportements sont contraires au catholicisme ! Mayenburg est un Bavarois. Il connaît l'Eglise catholique, au moins de l'extérieur. Il sait que l'antisémitisme est proscrit par l'Eglise. Il sait qu'aucun catholique n'a jamais refusé d'aller à la piscine pour raisons religieuses. Il sait qu'aucun jeune ne se « coupe des activités normales » s'il se convertit au catholicisme. Il sait qu'aucun jeune catholique n'adhère à la lecture fondamentaliste (protestante) du livre de la Genèse et n'en tirerait l'envie de tuer une enseignante !

En revanche, un jeune catholique converti sait qu'aucun livre de la Bible ne s'intitule Jugement dernier – comme le croit visiblement Mme Darge. On suppose que le livre dont elle parle est L'

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Transfiguration : le contraire d'une ”installation”

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Hans Urs von Balthasar et Louis Bouyer nous préviennent contre la tentation de vouloir enfermer Dieu (et la religion) dans nos limites : 

 

 Matthieu 17:1-9

 

<< Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : "Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie." Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le !" Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : "Relevez-vous et soyez sans crainte !" Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul.En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : "Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts."  >>

 

 

 

Hans Urs von Balthasar  sur cet évangile

 

<< Sur la montagne, les disciples  aperçoivent le ciel ouvert et une épiphanie du Dieu trinitaire : le Père leur montre son "Fils bien-aimé" qu'ils doivent écouter, et le Saint-Esprit sous la forme d'une nuée lumineuse les introduit dans la sphère du mystère. Entendre réellement ne leur sera accordé qu'après Pâques. De même, la peur de Pierre dans la Passion, un trouble semblable à celui-ci (Matthieu 17:4) où il veut "dresser les tentes" : seule la triple question du Ressuscité ("Pierre, m'aimes-tu ?" Jean 21:15-19) l'en délivrera... [*]  >>

[*]  Dans ses épîtres, il sera le témoin des deux événements et de leur intime rapport : 2P 1:16 s. ; 1P 2:21 s.

 

 

 

H.U.v.B. sur la première lecture (Genèse 12:1-4a)

 

<<  Dans l'obéissance parfaite du patriarche (tout quitter : pays, maison paternelle, parenté) est émise la promesse d'une bénédiction universelle qui procède de sa fidélité à Dieu. Une telle bénédiction divine ne peut rayonner que d'un homme qui  - pour l'amour de Dieu et en raison de son injonction - a quitté tout ce qu'il possède. Sinon, la bénédiction de Dieu serait restée pour ainsi dire "attachée" à lui-même et ses biens ; mais d'Abraham il est dit : "Tu deviendras une bénédiction".  Dans le renoncement total se trouve la fécondité illimitée... >>

 

 

H.U.v.B. sur la deuxième lecture (2Timothée 1:8b-10)

 

<<  "Souffre avec moi pour l'Evangile" : ainsi parle Paul à son "fils" Timothée. C'est maintenant une souffrance et un renoncement dans la marche consciente à la suite du Christ, celui qui a souffert et qui est ressuscité... >>

 

 

 

Louis Bouyer sur le dynamisme d'exode

 

<<  Le thème [évangélique] de l'Incarnation est la dernière révélation de la Schekinah [l'obscurité de la Nuée : YHWH descendant jusqu'à Israël dans son pèlerinage terrestre et se manifestant à lui autant qu'il se peut à l'homme]. Le thème évangélique non moins essentiel de l'ascension de Jésus vers le Père par sa croix, son départ pour nous préparer une place, est l'accomplissement et comme l'exaucement de la mystique de la Merkabah [la rayonnante Gloire de Dieu : le char des chérubins aux roues éclatantes] : sur la Merkabah des chérubins, YHWH est libre de tout lien terrestre, il vole au-delà du plus haut des cieux. Dans toutes ces visions divines de la Bible, un même mot revient à propos de la Présence qui s'y livre : Dieu "passe" auprès d'Abraham, il "passe" devant Moïse, il "passe" devant Elie. Pareillement les chevaux de feu entraînent Elie loin d'Elisée vers le Dieu qui ne demeure dans aucune maison faite de main d'homme... Sur la montagne de la Transfiguration, d'après saint Luc, Jésus s'entretient avec Moïse et Elie "de son exode qu'il devait accomplir à Jérusalem" (Luc 9:31). C'est peut-être le trait le plus profond et le plus distinctif de cette mystique d'Israël. Rien de moins statique. La Présence divine, elle-même, y est l'insaisissable par excellence. La Merkabah d'Ezéchiel est bien son symbole : Dieu n'est pas plus "au ciel" (comme en un lieu surnaturel) qu'en aucun lieu de la terre. Il est la liberté même. Les Esprits cosmiques dont Il fait son trône sont des coursiers et des roues de feu : ce trône est un char qui se meut sans cesse, quand bien même il semble immobile...   Loin que l'Incarnation, comprise selon l'Ecriture, doive installer Dieu sur la terre, elle ne l'y fait descendre que pour nous entraîner à sa suite, le voyant "de dos" comme Moïse, dans une ascension où, selon le mot magnifique de Grégoire de Nysse (dans son Commentaire du Cantique), "à celui qui se lèvre vraiment, il faudra toujours se lever ; à celui qui court vers le Seigneur, il ne manquera jamais un vaste espace. Ainsi celui qui monte ne s'arrête jamais, allant de commencement en commencement par des commencements qui n'ont jamais de fin."   >>

 

 

 

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11/03/2017 | Lien permanent

Algorithmes : la CNIL ouvre un ”débat”... désarmant

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...face au Big Brother  Google-Facebook-Microsoft-IBM :

 

 

Que sont les algorithmes ? Des outils de résolution de problèmes. Le calcul algorithmique est un marteau qui traite tout comme des clous ; si l'on réduit le monde et la vie à des "problèmes", ils deviennent l'objet de "solutions" univoques imposées par des robots calculateurs. Programmés par qui ? Par le techno-capitalisme dont la Silicon Valley est la tête chercheuse : c'est dans son intérêt que le domaine d'intrusion des algorithmes s'élargit tous les jours. D'où le malaise qui se répand... D'après l'Ifop, 80 % des Français pensent que les algorithmes "interviennent dans leur vie quotidienne", et 70 % que c'est "un enjeu de société".

La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) lance donc un débat sur le rôle croissant des algorithmes dans la vie sociale et quotidienne : management des salariés en entreprise... orientation des lycéens... orientation (bientôt) des malades... évaluations par les assureurs... Etc.  D'où le sujet du débat : "Les algorithmes sont-ils transparents, loyaux ? laissent-ils aux individus leur autonomie ? Une interrogation monte dans le grand public", explique la présidente de la CNIL, Isabelle Falque-Pierrotin, dans Le Monde du 24/01.

Elle ajoute (biaisant déjà l'approche) : "Les algorithmes sont la proie de tous les fantasmes. D'un côté, il y a la fascination technologique pour ces objets. D'un autre côté, il y a aussi une peur irraisonnée où l'on se dit : 'les algorithmes vont me prendre mon job, me condamner à mort si je suis un malade en fin de vie, ou me conduire en prison directement parce qu'il n'y aura plus de juges..."  Conclusion de Mme Falque-Pierrotin : le débat ouvert par la CNIL "aura pour objectif de cerner les questions éthiques réelles."

Reprenons ces trois points.

 

"La fascination technologique". Elle ne tombe pas de la lune. Elle n'est pas non plus un produit de la culture contemporaine, qu'il faudrait accepter par "réalisme" ! Comme le mot "technology" lui-même (néologisme pour sacraliser la technique), cette "fascination" est un état d'esprit, fabriqué par - et pour - le système économique et financier. C'est ce que soulignait  l'historien américain David Noble (1945-2010), auteur de neuf livres sur ces sujets :

<< Pourquoi une telle déférence pour le marché, une telle révérence pour la technologie, alors qu'on devrait savoir à quoi s'en tenir ?  [...]  Ce qui nous paralyse en premier lieu, ce sont les idées dont nous avons hérité... Parmi elles, figure le concept d'un progrès technologique nécessaire et nécessairement bénéfique ; et l'idée que la compétitivité basée sur ce progrès, serait la voie la plus sûre vers la prospérité. Ces notions, quoique en bout de course, continuent à désarmer l'opposition... >> [1]

Désarmer l'opposition, c'était en l'occurrence : 1. disqualifier toute critique du système économique et financier ; 2. comme seule issue à l'impasse de ce système, proclamer le dogme du "laissez-innover". En fait, le "laissez-innover" n'est qu'une application du premier dogme libéral : le "laissez-faire". Il s'agit de sacraliser le "libre jeu" de "lois de l'économie", de le doper par la "technologie", et de condamner toute idée de l'encadrer et de le contrôler. Voir et nommer les méfaits de la Main Invisible du Marché est donc jugé ridicule : c'est ce que la CNIL appelle "avoir une peur irraisonnée".

 

►  "Une peur irraisonnée".  Pourquoi serait-il "irraisonné" de redouter l'emprise des algorithmes sur notre vie ? Parce que le "raisonnable" est au contraire de nous en remettre à l'algorithme ! Nous sommes moins "rationnels" que lui. Il est même hyper-rationnel : d'une rationalité libérée des faiblesses humaines ! C'est comme les robots par lesquels le ministre du Travail de M. Trump veut remplacer les salariés : un algorithme "ne tombe pas malade, n'arrive pas en retard, ne réclame pas d'augmentations..." Il ne réclame même pas du tout de salaire - et réalise ainsi, dans les entreprises de la Silicon Valley, le libéralisme "pur et parfait" où rien ne vient freiner le calcul de productivité.

 

►  "Cerner les questions éthiques réelles"... Deux mots sont ici à examiner : "éthiques" et "réelles".

1. Le mot "éthique" sonne bien, mais n'a plus de contenu depuis trente ans. Tout s'est en effet passé comme si les comités d'éthique avaient été fondés, non pour orienter l'usage des "nouvelles technologies" vers un bien commun (social, politique, humaniste), mais pour "accompagner"  (autant dire "faciliter")  l'emprise croissante de ces "technologies" sur la société et l'individu - dans l'intérêt économique de "la Croissance". Le "laisser-innover" n'est qu'une application du "laisser-faire" : lequel est censé assurer une croissance illimitée, dans le temps et l'emprise, par l'extension permanente du domaine de la marchandise. Et à qui finit-on par confier le soin de "dégager" des règles "éthiques" (toujours à titre provisoire mais chaque fois irréversible) ?  Aux concepteurs mêmes de ces "technologies", dont l'intérêt est de repousser toujours plus loin les limites de leurs applications.

2. La CNIL veut donc réduire les questions "éthiques" à celles qui seront validées comme "réelles". Selon quelle procédure ? Une "série de débats"... Avec quels intervenants ? Le premier est M. Paul Duan, qualifié de "petit génie de la Silicon Valley" (par Le Figaro) et de "finaliste de la compétition de 'l'entrepreneur de moins de 30 ans qui va changer le monde' " (par Forbes Magazine). M. Duan promet de résoudre le chômage par des algorithmes (négligeant le fait que le chômage est un effet structurel du capitalisme tardif). Il est "le super-héros de la data-science", selon TechMeUp, parce qu'il a lancé "une ONG qui utilise le big data pour résoudre des problèmes de société". Le big data extrapole l'algorithme à tous les domaines, non seulement de l'économie, mais du social, voire de l'existence humaine... Si c'est de M. Duan (et de ses pareils) que la CNIL attend des solutions, on devine à quoi elles ressembleront. On devine également à quoi se réduiront les questions éthiques "réelles" : si le "réel" se confond avec l'économie-monde, les dimensions non-marchandes de la vie sont évacuées dans l'irréalité. 

C'est ce que le pape François nomme "le culte de l'idole Argent".

 

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[1]  David Noble, Progress without People (New York 2001). En français. : Le Progrès sans le peuple (Agone 2016).

 

 

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