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La popularité du pape à gauche irrite les 'tories'

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...qui prenaient l'Eglise pour un club conservateur :


 

 

Relisons les premières audiences générales du pape François. Par exemple celle du 27 mars :

 

« Suivre, accompagner le Christ, demeurer avec Lui, exige de ''sortir'' ! Sortir de soi-même, d'une manière lasse et routinière de vivre la foi, de la tentation de s'enfermer dans nos propres schémas, qui finissent par refermer l'horizon de l'action créative de Dieu. Dieu est sorti de Lui-même pour venir au milieu de nous, Il a planté sa tente parmi nous pour nous apporter sa miséricorde qui sauve et donne espérance...  Nous aussi, si nous voulons Le suivre et rester avec Lui, nous ne devons pas nous contenter de rester dans l'enclos des 99 brebis ; nous devons ''sortir'', chercher avec Lui la brebis égarée, la plus éloignée. Souvenez-vous bien : sortir de nous-mêmes, comme Jésus, comme Dieu est sorti de lui-même en Jésus et Jésus est sorti de Lui-même pour nous tous ! »

 

 

Lancé dès les premières heures du nouveau pontificat, ce message a été instantanément perçu par l'opinion internationale.

D'où l'immense popularité du pape François !

Une popularité qui ouvre un boulevard aux catholiques, à condition qu'ils répondent à l'appel du pape et se fassent missionnaires : c'est-à-dire qu'ils sortent de leurs enclos (la ''France bien élevée'') et aillent vers ''le plus éloigné''... Mouvement de ''sortie de soi'', qui exige d'écouter et de comprendre les points de vue les plus hostiles. Car les gens hostiles ont souvent de bonnes raisons de l'être : des raisons auxquelles on ne saurait répondre par des argumentaires, mais en laissant le Christ répondre à travers nous. Ce qui suppose que nous soyons désencombrés des slogans et des nostalgies.

J'y pensais en lisant une chronique publiée hier par l'hebdomadaire londonien The Spectator. C'est le très chic et très érudit magazine de la droite hyper-tory : une droite fière-de-ses-valeurs, surtout les valeurs boursières. En 1995, par exemple, The Spectator vitupérait le milliardaire Jimmy Goldsmith pour avoir ''renié'' le libéralisme, la City et Wall Street. C'est dire à quel point cette publication de classe (sociale) tire – avec une élégante cruauté – sur tout ce qui bouge à l'extérieur.

Cet article du Spectator se présente comme une défense du pape François contre les médias. Que reproche-t-il aux médias ? Non d'attaquer le pape, mais de l'applaudir. Voyant l'Eglise catholique à l'image des clubs conservateurs où jamais ne pénétrerait un personnage de gauche, le chroniqueur juge impensable que le Guardian (en novembre) ait qualifié François de ''new hero of the Left''. Le Spectator semble en déduire que toute la popularité du pape est frelatée, François n'étant applaudi que par des gens qui croient qu'il va supprimer le Credo. En veut-on une preuve ? La voici : c'est le vieux Scalfari radotant dans La Repubblica que «François a aboli le péché »... Or pas du tout, nous explique sérieusement le Spectator : François n'a pas aboli le péché ! il y croit ! C'est un catholique puisqu'il est contre l'avortement et le mariage gay (bien qu'il n'en parle pas tout à fait assez) !

Et pourtant, conclut le chroniqueur avec tristesse, cette popularité du pape à gauche ne va pas cesser – même quand la gauche aura compris qu'il reste catholique. N'est-ce pas à désespérer de la papauté ? Elle représentait pour les vieux tories une série de clichés réconfortants a contrario parce qu'immuablement étrangers : exotisme latin, arbitraire et dorures, conspiration des Poudres, débarquements d'espions de Philippe II sur les côtes d'Irlande, toute cette sorte de choses... Si le papisme se mettait à changer, s'il réformait l'Eglise pour mieux montrer que le message catholique est universel, le nationalisme religieux des conservateurs (mangé aux mites depuis longtemps) achèverait de tomber en poussière ! Donc il faut dire que la papauté ne change pas. Que les médias « progressistes » sont seuls à prétendre qu'elle change. Et que l'immense intérêt soulevé dans le monde par le pape Bergoglio se réduit à une divagation du nonno Scalfari. D'ailleurs pourquoi s'intéresser au pape Bergoglio ? Le Spectator nous explique que tout ce qu'il dit était déjà dans le catéchisme... (Comme si le catéchisme n'était pas là pour inspirer des réalisations toujours nouvelles).

Ces arguties ne doivent pas nous surprendre, venant d'un magazine de poseurs chic : on a le droit de soutenir les positions les plus invraisemblables, d'être à la fois pour la carbonisation du monde par la finance et pour la congélation de l'Eglise catholique ; si l'on n'adhère pas à la raison d'être de cette Eglise, c'est un point de vue extérieur et donc légitime (jusque dans son absurdité).

Ce qui surprendrait, ce serait de voir des catholiques – à Londres ou à Paris – approuver l'article du Spectator. Ce serait le symptôme d'un malaise. S'acharner à démontrer que les nouveautés évangéliques du pape ne sont pas des nouveautés, ne démontrerait que notre propre peur des nouveautés. Et puisque ces nouveautés concernent l'évangélisation, cela démontrerait que nous ne tenons pas du tout à évangéliser (préférant rester entre nous à scander les mots de la tribu)...

Pourtant, nous ne devrions pas renâcler devant l'idée que le pape n'est pas le Grand Aumônier de la tribu (et que le catholicisme est le contraire d'une tribu). Nous ne devrions pas nous asseoir sur le talus pour ironiser avec les athées pieux. Nous devrions emboîter le pas au pape, qui marche gaillardement sur la route avec ses croquenots de Buenos-Aires.

Mais ça nous obligerait à changer ? Oui. Dans l'évangile d'hier samedi (Jean 3:30), le Baptiseur parle de Jésus : « Lui, il faut qu'Il grandisse, et moi, que je diminue. »

 

 

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Hollande-Gayet, la rue du Cirque si bien nommée (etc) : quand le politique sombre dans la vie ”privée”

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Mais qui peut s'en prétendre innocent ?


 

L'affaire est dérisoire. Dérisoires aussi sont les sondages, qui parlent gravement de ''respect de la vie privée'' dans une époque où la vie privée n'existe plus. Qui la détruit ? Tout le monde via l'hystérie des réseaux ''sociaux'' (sic)... Comme dit l'historien Achille Mbembé (ici), '' l’empire de la marchandise recouvre presque tous les domaines de la vie. On en arrive même à s’exhiber pour être consommé, à faire de sa vie un spectacle, comme sur Facebook où je donne à consommer ce que je suis à un moment donné.'' S'exhiber ou exhiber les autres, par la diffamation paranoïaque... Les obscénités twittées – p.ex. sur Aurélie Filipetti hier soir [1] – montrent un effondrement du niveau ambiant : c'est la ''barbarie d'après'' comme disait Péguy, la barbarie sans espoir, contrairement à celle ''d'avant'' qui a toutes les possibilités en germe. Tout ça donne l'impression d'une société sénile, mûre pour laisser la place à autre chose. ''Allez vous-en, vieux peuples ! » (Kipling, L'homme qui fut).

 

Dans ce contexte, l'affaire Hollande-Gayet n'est qu'un épisode supplémentaire, une saynète à la Feydeau, qui montre – quant à elle – la version politique de cette entropie [2]. Et là aussi on constate que la distinction petite-bourgeoise entre vie ''publique'' et vie ''privée'' ne veut plus rien dire, surtout s'il s'agit du chef de l'Etat. A-t-elle jamais voulu dire quoi que ce soit ? Quand Mme de Maintenon (vie privée) poussait Louis XIV à révoquer l'édit de Nantes ou risquer une guerre contre toute l'Europe (vie publique), quand Hélène de Portes (vie privée) poussait Paul Reynaud à rompre avec de Gaulle et céder à Pétain (vie publique), où était cette séparation ? Aujourd'hui c'est Hollande, les enjeux sont devenus nains [3], mais souvenons-nous qu'il faisait interviewer Gayet sur la politique pendant la campagne présidentielle : ici. La confusion public-privé continue.

 

Sous l'empire de Twitter, les foules sont complices de cette confusion. Comme elles le sont d'un système économique démentiel, dont le pape François – comme ses prédécesseurs avant lui – demande l'abolition et le remplacement... La réalité étant cette connivence de masse, la démagogie actuelle (bonnets rouges etc) repose sur un mensonge : en réalité il n'y a pas d'innocents puisque nous sommes tous complices d'une structure collective de péché, et le réveil n'aura lieu que si nous acceptons de le reconnaître.

 

______

[1]  Le désaccord politique est une chose, les injures graveleuses en sont une autre.

[2]  en thermodynamique, mesure du degré de désordre d'un système.

[3]  enjeu nain : Hollande va-t-il faire une politique libérale complètement et ouvertement, ou continuer à la faire à moitié et honteusement ?

  

 

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Un livre d'André Gorz : 'Misères du présent, richesse du possible' (Galilée 1997)

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Critique radical du capitalisme, philosophe du travail, de l'autonomie du sujet et des communautés, André Gorz (1923-2007) est l'un des précurseurs de l'écologie politique et du mouvement pour la décroissance. Synthèse de ce livre par Serge Lellouche :


(Les phrases à la première personne du singulier sont d'André Gorz) 


Introduction : Il faut oser l'Exode. Il faut oser rompre avec cette société qui meurt et qui ne renaîtra plus. Il faut ne rien attendre des traitements symptomatiques de la «crise», car il n'y a plus de crise : un nouveau système s'est mis en place qui abolit massivement le «travail». Il restaure les pires formes de domination et d'asservissement en contraignant tous à se battre contre tous pour obtenir ce «travail» qu'il abolit. Ce n'est pas cette abolition qu'il faut lui reprocher : c'est de prétendre perpétuer comme obligation, comme norme, comme fondement irremplaçable des droits et de la dignité de tous, ce même «travail» dont il abolit les normes, la dignité et l'accessibilité. Il faut que le «travail» perde sa centralité dans la conscience et l'imagination de tous.

 

Il est rare que ces «travailleurs» puissent dire : «Voici ce que j'ai fait. Voici mon ouvrage. Ceci est mon oeuvre». Je hais les mystificateurs qui, au nom de la définition philosophique ou anthropologique du travail, justifient la valeur d'un «travail» qui en est la misérable négation. C'est précisément au sens de réalisation de soi, au sens de poièsis, que le travail disparaît.

 

Le «travail» remplit une fonction socialement identifiée et normalisée dans la production et la reproduction du tout social. Il doit être la mise en œuvre de compétences institutionnellement certifiées selon des procédures homologuées. Aucune de ces conditions n'est rempli par la mère au foyer. Pas plus que le travail de création, artistique ou théorique. La création n'est par essence pas codifiable. Le «travail» est un puissant moyen de normalisation et de standardisation.

 

L'abolition massive du «travail», sa déstandardisation postfordiste, auraient pu ouvrir l'espace social à un foisonnement d'activités auto-organisées. Cela aurait supposé la naissance d'une autre civilisation, mettant fin au pouvoir du capital sur le travail et à la prééminence des critères de rentabilité financière. Or la déstandardisation, la démassification et la débureaucratisation postfordistes poursuivaient le but inverse : substituer aux lois que les sociétés-Etats se donnent, les «lois» sans auteur du marché ; soustraire le capital au pouvoir politique.

 

Ce qui eut pu servir une libération des hommes a engendré une dépossession et un asservissement, voyant réapparaître les mêmes formes de sous-prolétariat et de misère physiologique qui avaient accompagné la naissance du capitalisme manufacturier, et voyant dans le même temps la réalisation de taux de profit sans précédent dans l'histoire.

 

L'argent est devenu un parasite qui dévore l'économie, le capital un prédateur qui pille la société. S'émancipant des Etats, le capital a réalisé enfin son essence idéale de pouvoir suprême, n'admettant ni partage, ni entraves : il a réussi son Exode.

 

Ce faisant, le capitalisme a réussi à surmonter la crise du modèle fordiste. Le capitalisme post-fordiste fait sienne la formule de Staline : «L'homme est le capital le plus précieux». L'homme est substitué dans le processus de production comme «ressource humaine», comme «capital humain». Il devient moyen de production dans sa totalité, jusque dans son être-sujet. Et dans la mesure où il n'y a pas d'usage pour ses capacités dans le système de valorisation du capital argent, il est rejeté, tenu pour inexistant.

 

Pourrons-nous répondre à son Exode par le nôtre vers des terres qu'il ne domine pas?

 

De l'Etat social à l'Etat du capital : La mondialisation a d'abord été une réponse politique à ce qu'au milieu des années soixante-dix, on appelait la «crise de gouvernabilité», qui se manifestait à tous les niveaux de la société, et qui constituait la principale préoccupation des décideurs publics et privés, regroupés au sein de la Trilatérale.

 

Dès 1964 aux Etat-Unis, la crise avait pris des formes quasi-insurrectionnelles. Les émeutes du prolétariat noir s'étaient prolongées par des actions d'insubordination de masse et de sabotage dans les grandes usines et les universités. La «dissidence» gagnait l'Allemagne occidentale dès 1967, puis les centres industriels du reste de l'Europe. Les actions ouvrières se multipliaient : refus des temps imposés, refus d'obéir aux «petits chefs», autoréductions des cadences, séquestrations de patrons ou dirigeants, etc... La base même du «compromis fordiste» était ébranlée.

 

Les mouvements sociaux des années 1967-1974 cherchaient à changer eux-mêmes «la vie», en la soustrayant à la logique de la productivité, du travail abstrait et de la consommation de masse. Contrairement aux prévisions des fondateurs de l'Etat-providence, les prestations sociales n'avaient pas réconcilié les populations avec la société capitaliste. En arbitrant dans tous les domaines, l'Etat s'était substitué à des pans entiers de la société civile, l'avait subsumée.

 

Le projet urgent et non dit de la Trilatérale était donc de substituer à cet ordonnateur trop visible un ordonnateur invisible et anonyme dont les lois sans auteur s'imposeraient à tous par la force des choses comme des «lois de la nature», irrésistiblement. Cet ordonnateur était le marché.

 

La «crise de gouvernabilité» marquait l'épuisement du modèle de l'Etat keynésien et dirigiste. Dès le début des années soixante-dix, les politiques de relance de la croissance ne permettaient plus d'assurer l'expansion des économies. L'Etat keynésien présentait désormais pour le capitalisme plus d'inconvénients que d'avantages. Menacé de socialisation ou d'étatisation, le capital avait tout intérêt à mettre fin à sa symbiose avec un Etat planificateur devenu incapable d'assurer l'expansion du marché intérieur.

 

L'Exode du capital s'est accéléré au début des années soixante-dix, avec le développement des multinationales, qui implantaient des filiales de production dans des pays étrangers afin de pouvoir accéder au marché intérieur de ceux-ci. La poursuite de la croissance dépendait pour chaque groupe de l'accroissement de ses exportations, et l'élargissement de sa part du marché mondial exigeait la libéralisation non seulement des échanges de marchandises mais aussi de la circulation des capitaux. L'«impératif de compétitivité» conduisait au divorce entre les intérêts du capital et ceux de l'Etat-nation.

 

Le capital avait besoin d'une révolution technique pour surmonter la crise du fordisme. La révolution informationnelle a permis la mondialisation, mais inversement, celle-ci a permis, puis exigé le développement accéléré des technologies de l'information. Pour que cette révolution technique soit mise en œuvre, il fallait nécessairement une inversion du rapport de force entre le capital et l'Etat, en faveur du premier. L'Exode de l'espace politique national devenait pour les firmes un «impératif de survie» pour chacune.

 

La firme implante alors ses unités de production là où elle obtient les subventions et les dégrèvements fiscaux les plus importants, une main d'oeuvre disciplinée et bon marché. L'Etat national se voit ainsi dépossédé de cet attribut de souveraineté qu'est le pouvoir de lever l'impôt et d'en fixer le taux.

 

Jamais le capitalisme n'aura réussi à s'émanciper aussi complètement du pouvoir politique, par la mise en place d'un Etat supranational (et ses institutions : OMC, FMI, Banque mondiale, OCDE) chargé de propager le credo néo-libéral. Cet Etat supranational est séparé de toute société, situé en un non-lieu d'où il limite et réglemente le pouvoir des sociétés de disposer de leur lieu. Il est un pur appareil qui dit le droit du capital mondialisé, qui soumet le politique aux exigences de mobilité, de privatisation, de réduction des dépenses publiques et des coûts sociaux.

 

En somme, la mondialisation va servir à légitimer la diminution des salaires réels, le démantèlement des protections sociales, l'explosion du chômage et la précarisation des conditions de travail. Mais tout cela, nous dit-on, est un passage inévitable et nécessaire.

 

Partout, on explique gravement que l'«impératif de compétitivité» exigeait un abaissement de l'impôt sur les hauts revenus, car c'est l'épargne des plus riches qui finance l'investissement. Or c'est l'inverse qui se produit. En France, par exemple, le taux d'investissement des entreprises est tombé en 1995 à son niveau le plus bas depuis 35 ans, et le montant des bénéfices n'a cessé, depuis 1992, d'être supérieur au montant des investissements.

 

Est-ce la pression de la concurrence internationale qui exigeait ces «réformes»? Ne servent-elles pas plutôt d'alibi à des redistributions de bas en haut, des plus pauvres aux plus riches, et à des offensives contre l'Etat social? Durant les années quatre-vingt, les deux tiers de la croissance économique américaine ont été accaparées par 1% de la population active! «L'impératif de compétitivité» a bon dos!

 

Dans ce prolongement, la logique financière va l'emporter sur les logiques économiques. Le pouvoir financier s'autonomise vis-à-vis des sociétés et de l'économie réelle et impose ses normes de rentabilité aux entreprises et aux Etats.

  

Derniers avatars du travail : La fin de la croissance fordiste laissait aux entreprises deux voies pour échapper à la stagnation : 1. la conquête de parts de marché supplémentaires et 2. le renouvellement accéléré de la gamme de leurs productions, l'obsolescence accélérée de leurs produits.

 

Il fallait donc rompre avec le modèle de production fordiste, pour produire une variété croissante de produits dans des délais de plus en plus courts, en quantité réduite et à des prix plus bas. Les produits devaient s'imposer par leur «image», leur nouveauté, leur valeur symbolique. Les entreprises devaient créer la volatilité, l'inconsistance, susciter des modes, des désirs et des engouements éphémères.

 

La normalité était devenue facteur de rigidité. Or la rigidité était inhérente au mode de production fordiste : travail parcellisé sur de longues chaînes de montage, délais importants exigés, hiérarchie rigide, quasi militaire. L'ouvrier était enfermé dans un système de contraintes qui lui enlevait toute marge d'initiative.

 

Au début des années quatre-vingt, les japonais allaient introduire aux Etats-Unis, dans des usines qu'ils avaient rachetées, les méthodes de lean production (production allégée), qui allaient «changer le monde». Le directeur japonais de la production de l'usine Toyota en Californie résume ainsi la philosophie toyotiste : «La première tâche des ingénieurs est donc de soutenir les idées des ouvriers et non de leur dire ce qu'ils doivent faire. Toute autre attitude conduit au gaspillage d'une énorme ressource». Ce système Toyota offrait la solution idéale au problème auquel se heurtaient les industries occidentales. Une large autogestion ouvrière du processus de production était indispensable pour obtenir à la fois un maximum de souplesse, de productivité et de rapidité dans l'évolution des techniques et dans l'ajustement de la

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13/01/2014 | Lien permanent

Synthèse du livre d'André Gorz [2]

Epilogue :


 

Epilogue : Vingt-cinq ans auront été perdus avant que ne soit prise au sérieux, en France, la perspective d'une contraction de plus en plus rapide du volume de «travail» nécessaire, et donc la réduction possible et désirable du temps de travail fourni par chacun. Pendant vingt-cinq ans, les sociétés occidentales seront entrées dans l'avenir à reculons. Les sociétés issues du fordisme se sont défaites au profit de non-sociétés dont la mince couche dominante accapare la quasi-totalité des surcroîts de richesse devenus disponibles, cependant que l'absence de projet et de repères politiques aboutit à la dissolution de tous les liens, à la haine de tout, y compris de la vie, y compris de soi.

 

Ce qui se met en place est une utopie au sens étymologique du terme : une sorte de déréalité réelle qui se surajoute aux décombres d'un monde défunt, tisse un monde second, dit «virtuel», sans temps, ni lieu, ni épaisseur, ni résistance. L'informatisation généralisée n'abolit pas seulement le travail, elle abolit le monde sensible et avec, la capacité de juger du vrai et du faux ; des technogreffes envahissent le corps lui-même. La sensibilité du vivant est recouverte par le délire auto-programmable du cyborg rejetant comme obsolète la corporéité naturelle qui l'empêche de «sentir de façon cosmique». En cela, la technoscience abolit et disqualifie «l'humanité de l'humanité».

 

Que signifie dans ces conditions «s'approprier» la techno-science ? Qui peut se l'approprier? Quel sujet? La question devient fondamentale. La technoscience acquiert en effet la puissance d'abolir la frontière entre la technique et le vivant, entre le langage machine et le langage propre des sujets vivants. L'ingénierie du vivant, l'ingénierie psychique donnent naissance au règne d'un sujet trans- et supra-humain.

 

L'accession à la puissance cosmique d'un surhomme affranchi de ses faiblesses et de sa finitude, s'interprète plus véridiquement comme une victoire totale du capital qui, en devenant immatériel, parvient à exproprier les hommes de leur corps, de leur monde pour prendre totalement possession de leur vie. De même que la frontière entre la technique et le vivant, la différence s'efface entre l'homme et le capital : l'homme est réduit à une force productive. En poursuivant l'abolition du travail, le capital poursuit celle de l'homme lui-même pour le subsumer, l'absorber en soi, en faire son sujet. François George montrait que le capital fonctionne ontologiquement comme ens causa sui, c'est à dire comme Dieu.

 

L'évidence du front du conflit apparaît : il est partout où est en jeu le droit des personnes sur elles-mêmes, sur leur vie, sur leur capacité à se comprendre comme des sujets, à résister à tout ce qui et à tous ceux qui les dépossèdent de leur sens, de leur corps, de leur culture commune, d'un lieu où ils puissent se sentir «chez soi» et où l'agir et le penser, l'imagination et l'action puissent s'épanouir de concert.

  

 

Serge Lellouche – Fraternité des chrétiens indignés

 

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Le discours du pape aux ambassadeurs

A lire ici in extenso. Ce texte est loin de se résumer au sujet sur lequel les dépêches ont titré : « l'avortement », en réalité une seule phrase de 126 signes (sur un texte de plus de 16 000 signes abordant tous les grands sujets du monde actuel)...

 

 

<< L’année qui vient de se conclure a été particulièrement dense en événements non seulement dans la vie de l’Église, mais aussi dans le domaine des relations que le Saint-Siège entretient avec les États et les Organisations internationales. Je rappelle, en particulier, l’établissement des relations diplomatiques avec le Sud Soudan, la signature d’accords, de base ou spécifiques, avec le Cap-Vert, la Hongrie et le Tchad, et la ratification de celui avec la Guinée Équatoriale souscrit en 2012. La présence du Saint-Siège s’est aussi développée dans le domaine régional, que ce soit en Amérique centrale, où il est devenu Observateur Extrarégional auprès du Sistema de la Integración Centroamericana, ou en Afrique, avec l’accréditation du premier Observateur Permanent auprès de la Communauté économique des États de l’Afrique occidentale.

 

Dans le message pour la Journée mondiale de la Paix, consacré à la fraternité comme fondement et chemin pour la paix, j’ai souligné que « la fraternité commence habituellement à s’apprendre au sein de la famille » qui, « par vocation devrait gagner le monde par son amour » et contribuer à faire mûrir cet esprit de service et de partage qui construit la paix. C’est ce que nous raconte la crèche, où nous voyons la Sainte Famille non pas seule et isolée du monde, mais entourée des bergers et des mages, c’est-à-dire une communauté ouverte, dans laquelle il y a de la place pour tous, pauvres et riches, proches et lointains. Et on comprend ainsi les paroles de mon bien-aimé prédécesseur Benoît XVI, qui soulignait combien « le lexique familial est un lexique de paix ».

 

Malheureusement, souvent ce n’est pas ce qui arrive, parce que le nombre des familles divisées et déchirées augmente, non seulement à cause de la conscience fragile du sens de l’appartenance qui caractérise le monde actuel, mais aussi à cause des conditions difficiles dans lesquelles beaucoup d’entre elles sont contraintes de vivre, au point de manquer des moyens-mêmes de subsistance. Par conséquent, des politiques appropriées qui soutiennent, favorisent et consolident la famille sont rendues nécessaires !

 

Il arrive en outre que les personnes âgées soient considérées comme un poids, tandis que les jeunes ne voient pas devant eux des perspectives sûres pour leur vie. Les aînés et les jeunes sont au contraire l’espérance de l’humanité. Les premiers apportent la sagesse de l’expérience ; les seconds nous ouvrent à l’avenir, empêchant de nous refermer en nous-mêmes. Il est sage de ne pas exclure les personnes âgées de la vie sociale pour maintenir vivante la mémoire d’un peuple. De même, il est bon d’investir sur les jeunes, avec des initiatives adéquates qui les aident à trouver du travail et à fonder un foyer domestique. Il ne faut pas éteindre leur enthousiasme ! Je garde vivante dans mon esprit l’expérience de la XXVIIIème Journée mondiale de la Jeunesse de Rio de Janeiro. Que de jeunes heureux j’ai pu rencontrer ! Que d’espérance et d’attente dans leurs yeux et dans leurs prières ! Que de soif de vie et de désir de s’ouvrir aux autres ! La fermeture et l’isolement créent toujours une atmosphère asphyxiante et lourde, qui tôt ou tard finit par attrister et étouffer. Par contre, un engagement commun de tous est utile pour favoriser une culture de la rencontre, parce que seul celui qui est en mesure d’aller vers les autres est capable de porter du fruit, de créer des liens de communion, d’irradier la joie, de construire la paix.

 

Les images de destruction et de mort que nous avons eues devant les yeux au cours de l’année qui vient de s’achever le confirment, s’il en était besoin. Que de souffrances, que de désespoir à cause de la fermeture sur soi-même, qui prend peu à peu le visage de l’envie, de l’égoïsme, de la rivalité, de la soif de pouvoir et d’argent ! Il semble, quelquefois, que ces réalités soient destinées à dominer. Noël, au contraire, fonde en nous, chrétiens, la certitude que la parole ultime et définitive appartient au Prince de la Paix, qui change « les épées en soc et les lances en serpes » (cf. Is 2, 4), et transforme l’égoïsme en don de soi et la vengeance en pardon.

 

C’est avec cette confiance que je désire regarder l’année qui est devant nous. Je ne cesse donc pas d’espérer que le conflit en Syrie ait finalement une fin. La sollicitude pour cette chère population et le désir de conjurer l’aggravation de la violence m’ont amené, en septembre dernier, à promulguer une journée de jeûne et de prière. À travers vous, je remercie profondément tous ceux qui, nombreux dans vos pays, Autorités publiques et personnes de bonne volonté, se sont associés à cette initiative. Il faut maintenant une volonté politique commune renouvelée pour mettre fin au conflit. Dans cette perspective, je souhaite que la Conférence "Genève 2", convoquée pour le 22 janvier prochain, marque le début du chemin désiré de pacification. En même temps, le plein respect du droit humanitaire est incontournable. On ne peut accepter que la population civile sans défense, surtout les enfants, soit frappée. En outre, j’encourage chacun à favoriser et à garantir, de toutes les façons possibles, la nécessaire et urgente assistance d’une grande partie de la population, sans oublier le louable effort des pays, surtout le Liban et la Jordanie, qui avec générosité ont accueilli sur leur territoire les nombreux réfugiés syriens.

 

Restant au Moyen-Orient, je note avec préoccupation les tensions qui de différentes manières frappent la région. Je regarde avec une particulière inquiétude le prolongement des difficultés politiques au Liban, où un climat de collaboration renouvelée entre les différentes instances de la société civile et les forces politiques est plus que jamais indispensable pour éviter l’aggravation de divergences qui peuvent miner la stabilité du pays. Je pense aussi à l’Égypte, qui a besoin de retrouver une concorde sociale, comme aussi à l’Irak, qui peine à arriver à la paix espérée et à la stabilité. En même temps, je relève avec satisfaction les progrès significatifs accomplis dans le dialogue entre l’Iran et le "Groupe 5+1" sur la question nucléaire.

 

Partout, la voie pour résoudre les problématiques ouvertes doit être la voie diplomatique du dialogue. C’est le chemin éminent déjà indiqué avec lucidité par le Pape Benoît XV alors qu’il invitait les responsables des Nations européennes à faire prévaloir « la force morale du droit » sur la force « matérielle des armes » pour mettre fin à ce « désastre inutile » qu’a été la Première Guerre mondiale, dont cette année a lieu le centenaire. Il faut « le courage d’aller au-delà de la surface du conflit » pour considérer les autres dans leur dignité la plus profonde, afin que l’unité prévale sur le conflit et qu’il soit « possible de développer une communion dans les différences ». En ce sens, il est positif que les négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens aient été reprises, et je forme le vœu que les Parties soient déterminées à assumer, avec le soutien de la communauté internationale, des décisions courageuses pour trouver une solution juste et durable à un conflit dont la fin se révèle toujours plus nécessaire et urgente. L’exode des chrétiens du Moyen-Orient et du Nord de l’Afrique ne cesse de préoccuper. Ils désirent continuer à faire partie de l’ensemble social, politique et culturel des pays qu’ils ont contribué à édifier, et ils aspirent à concourir au bien commun des sociétés dans lesquelles ils veulent être pleinement insérés, comme des artisans de paix et de réconciliation.

 

De même en d’autres parties de l’Afrique, les chrétiens sont appelés à témoigner de l’amour et de la miséricorde de Dieu. Il ne faut jamais renoncer à faire le bien, même quand c’est difficile et quand on subit des actes d’intolérance, ou même de vraie persécution. Dans de grandes zones du Nigéria les violences ne cessent pas et beaucoup de sang innocent continue à être versé. Ma pensée va surtout vers la République Centrafricaine, où la population souffre à cause des tensions que le pays traverse, et qui ont semé à plusieurs reprises destructions et mort. Alors que j’assure de ma prière pour les victimes et pour les nombreuses personnes déplacées, contraintes à vivre dans des conditions d’indigence, je souhaite que l’attention de la Communauté internationale contribue à faire cesser les violences, à rétablir l’état de droit et à garantir l’accès des aides humanitaires, même dans les zones les plus reculées du pays. Pour sa part, l’Église catholique continuera d’assurer sa présence et sa collaboration, en se dévouant avec générosité pour fournir toute l’aide possible à la population, et surtout pour reconstruire un climat de réconciliation et de paix entre toutes les composantes de la société. Réconciliation et paix sont aussi des priorités fondamentales en d’autres parties du continent africain. Je me réfère en particulier au Mali, où on remarque la reprise positive des structures démocratiques du pays, comme aussi au Sud Soudan où, au contraire, l’instabilité politique de ces derniers temps a déjà provoqué de nombreux morts et une nouvelle urgence humanitaire.

 

Le Saint-Siège suit également avec une vive attention les évènements en Asie, où l’Église désire partager les joies et les attentes de tous les peuples qui composent ce vaste et noble continent. À l’occasion du 50ème anniversaire des relations diplomatiques avec la République de Corée, je voudrais implorer de Dieu le don de la réconciliation dans la péninsule, souhaitant que, pour le bien de tout le peuple coréen, les parties concernées ne se lassent pas de chercher des points de rencontre et de possibles solutions. L’Asie, en effet, a une longue histoire de cohabitation pacifique entre ses diverses composantes civiles, ethniques et religieuses. Il faut encourager ce respect réciproque, surtout face à certains signes préoccupants de son affaiblissement, en particulier face à des attitudes croissantes de fermeture qui, s’appuyant sur des motifs religieux, tendent à priver les chrétiens de leurs libertés et à mettre en danger la cohabitation civile. Le Saint-Siège regarde, en revanche, avec grande espérance les signes d’ouverture qui viennent de pays de grande tradition religieuse et culturelle, avec lesquels il désire collaborer à l’édification du bien commun.

 

La paix, de plus, est blessée par certaines négations de la dignité humaine, en premier lieu par l’impossibilité de se nourrir de manière suffisante. Les visages de tant de personnes qui souffrent de la faim, surtout des enfants, ne peuvent nous laisser indifférents, si l’on pense à tant de nourriture gaspillée chaque jour en de nombreux endroits dans le monde, immergés dans ce que j’ai plusieurs fois défini comme « la culture du déchet ». Malheureusement, ce ne sont pas seulement la nourriture ou les biens superflus qui sont objet de déchet, mais souvent les êtres humains eux-mêmes, qui sont « jetés » comme s’ils étaient des « choses non nécessaires ». Par exemple, la seule pensée que des enfants ne pourront jamais voir la lumière, victimes de l’avortement, nous fait horreur ; ou encore ceux qui sont utilisés comme soldats, violentés ou tués dans les conflits armés, ou ceux qui sont objets de marché dans cette terrible forme d’esclavage moderne qu’est la traite des êtres humains, qui est un crime contre l’humanité.

 

Le drame des multitudes contraintes à fuir la famine ou les violences et les abus ne peut nous laisser insensibles, en particulier dans la Corne de l’Afrique et dans la région des Grands Lacs. Beaucoup vivent en déplacés ou en réfugiés dans des camps où ils ne sont plus considérés comme des personnes mais comme des numéros anonymes. D’autres, avec l’espérance d’une vie meilleure, entreprennent des voyages de fortune, qui, bien souvent, se terminent tragiquement. Je pense en particulier aux nombreux migrants qui d’Amérique Latine vont aux États-Unis, mais surtout à tous ceux qui d’Afrique ou du Moyen Orient cherchent refuge en Europe.

 

La brève visite que j’ai faite à Lampedusa en juillet dernier pour prier pour les nombreux naufragés en Méditerranée, est encore vive dans ma mémoire. Malheureusement il y a une indifférence générale devant de semblables tragédies, signe dramatique de la perte du « sens de la responsabilité fraternelle », sur lequel est basé toute société civile. Mais à cette occasion j’ai pu constater aussi l’accueil et le dévouement de beaucoup de personnes. Je souhaite au peuple italien, que je regarde avec affection, également en raison des racines communes qui nous lient, de renouveler son louable engagement de solidarité envers les plus faibles et les sans défense, et, avec l’effort sincère et général des citoyens et des institutions, de dépasser les difficultés actuelles, en retrouvant le climat de créativité sociale constructive qui l’a longtemps caractérisé.

 

Enfin, je désire mentionner une autre blessure à la paix, qui vient de l’exploitation avide des ressources environnementales. Même si « la nature est à notre disposition », trop souvent « nous ne la respectons pas et nous ne la considérons pas comme un don gratuit dont nous devons prendre soin, et à mettre au service des frères, y compris des générations futures ». Également dans ce cas, il est fait appel à la responsabilité de chacun pour que, dans un esprit fraternel, des politiques respectueuses de notre terre qui est la maison de chacun d’entre nous soient poursuivies. Je me souviens d’un dicton populaire qui dit : « Dieu pardonne toujours, nous, nous pardonnons parfois, la nature – la création – ne pardonne jamais quand elle est maltraitée ! ». D’autre part, nous avons eu devant les yeux les effets dévastateurs de certaines catastrophes naturelles récentes. En particulier, je désire rappeler encore les nombreuses victimes et les graves dévastations aux Philippines et en d’autres pays du Sud-Est asiatique provoquées par le typhon Haiyan.

 

Excellence, Mesdames et Messieurs,

 

Le Pape Paul VI remarquait que la paix « ne se réduit pas à une absence de guerre, fruit de l’équilibre toujours précaire des forces. Elle se construit jour après jour, dans la poursuite d’un ordre voulu par Dieu, qui comporte une justice plus parfaite entre les hommes ». Voilà l’esprit qui anime l’action de l’Église partout dans le monde, à travers les prêtres, les missionnaires, les fidèles laïcs, qui avec grand esprit de dévouement, se dépensent, entre autre, en de mult

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Témoignages sur des questions terribles

Ce matin chez Yves Calvi (RTL) et Louis Daufresne (RND) :

 

 

Les lignes bougent à RTL. Ce matin, Yves Calvi recevait Angèle Liéby, auteur du livre Une larme m'a sauvée (Artège). Les auditeurs ont appris qu'un patient avec ''électro-encéphalogramme plat'' peut être conscient, souffrir physiquement et mentalement, et... sortir du coma, grâce au contact auditif-émotionnel avec son entourage :

« Hospitalisée pour une simple migraine, cette Strasbourgeoise a été victime d'un syndrome extrêmement rare et s'est retrouvée prisonnière de son corps pendant deux semaines. Les médecins et ses proches la croient dans le coma, et définitivement perdue, alors qu'elle entend tout, ressent tout. Elle raconte notamment dans cet ouvrage le manque d'humanité des équipes soignantes qui s'occupent d'elle comme un "paquet de viande" puisqu'elle n'est censée rien ressentir, les paroles de certains médecins devant elle ("elle va clamser")... Au final, c'est une larme qui a fini par instiller le doute chez ses proches, qui refuseront de la débrancher, comme le proposaient les médecins. Aujourd'hui parfaitement rétablie, elle espère que son livre aidera à faire prendre conscience aux médecins qu'un malade n'est pas qu'un corps, et que certaines pratiques devraient être revues. »

Alors que le gouvernement s'apprête à ouvrir la loi au lobby de l'euthanasie [1] (après bombardement de préparation médiatique), Yves Calvi a eu le courage d'inviter Mme Liéby, qui oppose au système cette protestation de la réalité : ''tant qu'on n'est pas mort, on est vivant !''

 

Ce matin aussi, à Radio Notre-Dame, Louis Daufresne recevait Pascale Devos : l'auteur du livre L'inceste – Le silence sur un crime (Cerf). Résumé de l'éditeur :

« Sous un nom d'emprunt pour protéger ses proches, l'auteure fait le récit des violences qu'elle a subies durant sa jeunesse. Outre le témoignage qu'il donne au plan humain, psychologique, affectif et spirituel, ce récit interpelle les autorités législatives, médicales, éducatives et ecclésiales. Il décrit la difficulté d'accès à la parole pour les victimes et le mutisme des autorités... »

Au micro de RND, Pascale Devos témoigne d'une réalité terriblement dérangeante pour la bien-pensance : l'abus sexuel par le père dans une famille nombreuse de notable catholique ; et la pression morale exercée sur la victime par ses parents, au nom du 4e commandement détourné. Autrement dit, une triple perversion : par subversion du Décalogue (couvrir l'odieux au nom du respect de l'autorité paternelle), par subversion du familial [2] (au nom de ''l'image de la famille à préserver du scandale''), et par subversion du christianisme transformé en prétexte (d'un culte de la Famille-idole et de l'honorabilité de façade).

« ''Surtout ne dis rien à maman, cela pourrait lui faire de la peine.''  Cette parole, prononcée par son père le jour de l'irréparable, hantera les nuits de l'auteure tout au long de sa vie. Pascale Devos avait tout juste dix ans. L'âge de tous les rêves, de toutes les espérances. Le temps de l'insouciance, aussi. Et pourtant... Cette phrase insidieuse, tellement inique, illustre, mieux que le tranchant d'une lame, la torture morale et psychologique - plus encore que physique - des victimes de l'inceste. Meurtrissant témoignage, L'Inceste. Le silence sur un crime raconte le combat d'une femme, d'une mère, d'une soeur, pour la vérité, le plus souvent envers et contre tous... »

Ces choses redoutables devaient être mises au jour. Qu'elles le soient par les éditions catholiques du Cerf et  la radio catholique de Paris, et juste en ce moment, est un signe des temps.

 

_________

[1] Je ne parle pas de l'absence d'acharnement thérapeutique, ni même du trépas volontaire, mais d'autre chose : la ''mort administrée'' qui progresse (à l'abri du prétexte de dignité) en Belgique et aux Pays-Bas.

[2]  Et subversion dans l'esprit de la fillette qui se retrouvait "rivale" de sa mère... De cette atteinte-là à la filiation, il fut peu question l'an dernier.

 

 

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”On ne lâche rien” : slogan anti-catholique par excellence

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"Chrétiens, lâchez tout !"  Par François Miclo, un billet de Tak magazine que je ne résiste pas à la tentation de citer : 

 

http://www.tak.fr/chretiens-lachez/

Extraits :

<< Béatrice Bourges commence son « jeûne spirituel ». N’ayons aucune inquiétude pour elle : la dame est depuis longtemps assez habituée à la privation d’esprit. Leader du « Printemps français » (l’autre Printemps de Bourges), pasionaria de la Révolution des œillères, cela fait longtemps que l’Esprit – qui souffle où il veut – a cessé de lui aérer la tête. Prions simplement pour que les trois vertus théologales que l’apôtre Paul offre aux Corinthiens et, partant, à tout chrétien – la charité, la foi et l’espérance – la touchent à nouveau et provoquent en elle un salutaire sursaut.

Béatrice Bourges, pasionaria de la Révolution des œillères

De quoi s’agit-il en réalité ? D’une catholique qui mobilise ses (maigres) troupes pour participer à une manifestation, où elle sait pertinemment que les slogans proférés et les mains levées d’une certaine manière ne sont que des signes ostentatoires de la plus intense haine et du plus profond mépris vis-à-vis de la royauté éternelle du Christ, notre Seigneur à jamais, pour les siècles des siècles. [] Dieu a voulu que son fils fût juif. Les slogans, que nous avons entendus, lors de la manifestation du Jour de colère variaient de l’antisionisme le plus radical à l’antisémitisme le plus abject. Ce que je dis, c’est qu’un chrétien manifestant derrière de tels slogans ou à côté de gens les proférant ne méritent plus le beau nom de chrétien. […]

Mais ce n’est pas là le plus important. Ce qu’il y a de plus grave, c’est que Béatrice Bourges, tel un roquet agrippé au mollet d’un passant, ne veut rien lâcher… « On ne lâche rien », c’est le slogan de ces catholiques de pacotille. Quelle immense connerie que cet « On ne lâche rien… » T’as entendu le Christ sur la Croix dire, en un murmure : « On ne lâche rien.. » Non, juste : « Père, je remets entre tes mains mon esprit… »

« On ne lâche rien », slogan anti-catholique par excellence

« On ne lâche rien », c’est la négation de toute la Passion du Christ, de sa Résurrection aussi. C’est une affirmation que seuls des athées ou des simili-catholiques peuvent proférer. Simili-catholiques ? Oui, j’ose le mot ! Quand on est catholique, on lâche tout. On lâche le pouvoir et la richesse. On lâche ses convictions et ses prétextes. On lâche sa famille et ses attachements. Lâcher tout, lâcher prise, lâcher la grappe à tout le monde, se lâcher soi-même, c’est le sens le plus profond et le plus absolu de ce que nous appelons le christianisme. « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive » : c’est l’Evangile de Luc (9, 22-25).

Lâchons, lâchons, lâchons ! Lâchons la grappe à nos frères. Sont-ils homosexuels ? lls auront leur place, avant nous, dans le Royaume des Cieux. Ils se marient ? T’inquiète, dans le Royaume, y a de la place pour deux. L’un des deux se prostitue ? Pas de souci, frangin, le président Jésus, comme le nomme affectueusement le père de l’Eglise Basile de Koch (XXIe siècle après JC), habite généralement chez les putes. Ou chez les publicains.

Les publicains, sait-on vraiment aujourd’hui dans une France qui n’est largement pas allée au catéchisme, ce que cela veut dire ? Ce sont les percepteurs d’impôts… Cela fait deux mille ans qu’ils n’ont pas bonne presse – les Evangiles nous en sont témoins…

Béatrice Bourges a défilé, dimanche, aux côtés des ennemis conjugués de l’impôt et des publicains. Béatrice Bourges a défilé auprès de « catholiques en colère », c’est-à-dire de gens fiers d’éprouver l’un des sept péchés capitaux…

Ce jour-là, Jésus, lui, à mon avis, était ailleurs. C’est qu’il ne fréquente pas les antisémites, ni les gens en colère – le gars, fut-il Fils de Dieu, est de bonne famille. Il le dit, d’ailleurs, lui-même : il n’est pas venu pour sauver les riches et les bien-portants. Il est là pour les pauvres et les malades.

 Il est venu pour Caroline Fourest et les Femen

Il n’est pas venu pour les hétérosexuels. Il est venu pour les pédés et les travelos, les gars qui se sont fait poser des miches et dansent comme des enfants sur du Chantal Goya. […]

Il n’est pas venu pour la femme qui accouche et essaie de donner à son enfant le nom d’un grand saint qui lui convient. Il est venu pour aimer celle qui avorte et ne donne plus de nom.

Il n’est pas venu pour Frigide Barjot – une amie. Il est venu pour Caroline Fourest et les Femen.

Oui, quand on est un catho révulsé par les outrages que le temps et l’époque font au catholicisme et au christianisme lui-même, on peut avoir beaucoup de mal à cautionner ce que je dis.

Mais lorsque qu’on croit que Dieu lui-même s’est livré au bois de la Croix et qu’il est ressuscité des morts, alors on peut croire beaucoup de choses...  >>

 

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Rendez-vous le 12 février à Chalon-sur-Saône

"Chrétiens,

     et si on changeait le monde ?"

Rencontre-débat :

 

communiqué

L'Association Familiale Catholique de Chalon-sur-Saône

vous invite à une conférence :

Chrétiens,

et si on changeait le monde ?

avec Patrice de Plunkett

le mercredi 12 février 2014

à 20h30

Salle Marcel Sembat, place Mathias à Chalon-sur-Saône
(parking public gratuit)

  • Comprendre les enjeux de notre époque : économie, éthique, justice sociale, responsabilité envers l'environnement

  • Bâtir ensemble le monde de demain dans un souci d'écologie humaine

  • Les chrétiens à l'avant-garde



Nous vous attendons nombreux !

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29/01/2014 | Lien permanent

Il y a 60 ans : l'appel de l'abbé Pierre

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Lisons le livre du père Jean-Marie Viennet (ex-secrétaire général d'Emmaüs) et de René Poujol, Le secret spirituel de l'abbé Pierre, paru chez Salvator :

 

 

Le père Viennet fut non seulement le collaborateur mais le confesseur et le confident de l'abbé Pierre. Ce qu'il nous dit de la spiritualité du fondateur d'Emmaüs est extrêmement intéressant, et dénote une profonde correspondance entre ses intuitions et celles du pape François. Quelques notes de lecture en vrac :

> « Ne vous résignez pas à vouloir être heureux sans les autres », disait l'abbé Pierre. Antidote à un leit-motiv – « avoir le dur courage d'être riches » – lancé il y a vingt ans et qui court de façon subliminale, justifiant le libéralisme antisocial  : d'où les équivoques que l'on constate aujourd'hui. Cf. commentaires de ce blog (notamment 29/01) autour de tel ou tel aspect de ce problème.

> Le rôle de la famille du jeune Henri Grouès dans son futur engagement social... Le garçon voyait son père et ses amis agir pour aider les miséreux de Lyon. Chaque père ou mère catholique en 2014 doit peser sa responsabilité éducative : quelle priorité inculque-t-il (elle) aux siens ?

> Le père Viennet résumant une pensée de l'abbé Pierre : « Il dépend de ma liberté de construire un monde de partage et d'amour... Pour que le Dieu d'amour soit crédible, il faut que ceux qui croient en lui soient eux-mêmes témoins crédibles de son amour. » L'abbé Pierre, verbatim : « Le croyant qui triche, disant facilement ''Dieu est bon, Dieu est amour'' parce qu'il se trouve dans une situation de privilégié en sécurité, ce croyant-là, dans le monde, désormais, ne peut être considéré, respecté, par personne. » Surtout quand il parade.

> L'abbé Pierre :« Nous n'accomplirons notre mission de réaliser l'eucharistie du monde que si, après avoir communié à la présence sacramentelle, nous ne laissons pas notre communion mutilée... Si elle ne s'achève pas dans la communion à l'autre présence du Christ dans l'humanité, dans ceux qui pleurent, si nous laissons notre communion inachevée, elle est détestable à Dieu, elle est détestable aux hommes, parce qu'elle fait détester Dieu. »

> L'abbé Pierre, homélie de 1959 à la cathédrale de Beyrouth : « Si nous évoquons nos pratiques, nos messes, et que nous n'avons pas aimé [concrètement, ceux qui souffrent], Jésus dira : ''Va-t-en, deux fois maudit, non seulement parce que tu n'as pas aimé, mais, fréquentant ma maison, venant manger à ma table, quand tu ressortais dans la ville après avoir communié à ma présence dans l'hostie, et que tu n'aimais pas, tu devenais le véritable responsable de ce que ceux qui souffraient me blasphémaient ne pouvaient pas croire que moi, l'Eternel, j'étais Amour, puisque mes amis étaient indifférents à la douleur des autres. »

> Même homélie de Beyrouth, carrément prophétique : « A cette angoisse des pauvres répond l'angoisse des riches, angoisse engendrée par la peur de voir leur monde basculer, et disparaître leurs privilèges ; angoisse de devoir partager leurs richesses pour échapper à la violence des hommes... Le monde ne dort plus, l'une de ses moitiés tenue éveillée par la faim, et l'autre par la peur des affamés ! » Que chaque catholique français se confronte à cette vision... et se demande où va son coeur.

> En 1946, l'abbé Pierre écrit : « Certaines formules  (''il y aura toujours des pauvres parmi vous'') laissent trop facilement croire que les pauvres sont nécessaires à la religion, et que les oeuvres pieuses sont chargées d'entretenir la pauvreté plutôt que de la combattre. Il semble que les chrétiens se désintéressent trop facilement des révolutions nécessaires sur le plan des institutions pour juguler la misère. » Relire à ce sujet les textes de Benoît XVI et du pape François qui soulignent, après l'urgence de la conversion personnelle, la nécessité de changer les structures d'iniquité.

> Le père Viennet parlant des communautés Emmaüs : « Il y a quelque chose de prophétique à ce que des hommes qui ont pu se ressentir à un moment de leur vie comme les ''rebuts'' de la société, retrouvent leur dignité en recyclant, précisément, les ''rebuts'' matériels de la société de consommation. Et plus, même, en étant dans une activité économique en avance sur leur temps, puisqu'elle intègre les exigences de préservation de l'environnement et de lutte contre le gaspillage... Car il va falloir inventer de nouveaux modèles, où la coopération l'emportera sur la compétitivité. » On retrouve là le terme même de « rebut » dont se sert le pape François pour dénoncer le système économique actuel, qui traite hommes et nature comme des déchets à rejeter. Double dénonciation : des responsables, et du système qu'ils ont édifié, qui les domine, et sur lequel ils se défaussent en le qualifiant de ''règle du jeu'' et de ''lois de l'économie''...

> Et plus important que tout : le lien entre la foi, l'adoration et l'action pour et avec les autres. Car l'abbé Pierre était un mystique.

 

abbé pierre,pape françois

 

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Un livre-enquête de Jean Ziegler : ”Destruction massive (géopolitique de la faim)” - Seuil, 2011

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Synthèse, par Serge Lellouche, de cette enquête qui démasque le libre-échangisme néolibéral : 

 

Né en Suisse en 1934, Jean Ziegler est un homme politique, altermondialiste et sociologue. Il a été rapporteur spécial des Nations-Unies pour le droit à l'alimentation (de 2000 à 2008). Dans ce contexte, il a pu observer pour ce qu'il est le "libre-échangisme" néolibéral : un très profitable assassinat de masse par la faim. Dans cette synthèse, les phrases à la première personne du singulier sont de lui.

 

Avant-propos : Je me souviens d'une aube claire de la saison sèche dans le petit village de Saga, à une centaine de kilomètres au sud de Niamey, au Niger. Toute la région est en détresse. Une chaleur jamais atteinte de mémoires d'anciens, une sécheresse de deux ans, l'épuisement des fourrages, des attaques de criquets. Le paludisme, les fièvres secouent les enfants. Les hommes et les bêtes souffrent de la soif et de la faim.

J'attends devant le dispensaire des sœurs de Mère Teresa. Le rendez-vous a été fixé par le représentant du Programme alimentaire mondial (PAM) à Niamey. Le ciel est rouge. Le grand disque pourpre du soleil monte lentement à l'horizon. Devant la porte de métal gris, les femmes s'agglutinent, le visage marqué par l'angoisse et l'infinie lassitude. Toutes portent dans leurs bras un enfant. Beaucoup de ces femmes ont marché toute la nuit, certaines même plusieurs jours ; elles tiennent à peine debout. Des dizaines de femmes ont passé une ou plusieurs nuits dans des trous creusés à mains nues dans le sol dure de la savane. Elles vont avec une infinie patience, tenter leur chance une nouvelle fois ce matin.

Enfin, j'entends des pas dans la cour. Une clé tourne dans la serrure. Une sœur d'origine européenne, aux beaux yeux graves, apparaît. La grappe humaine s'agite, vibrionne, pousse, se colle au portail. La sœur, d'un rapide coup d'oeil, tente d'identifier les enfants qui ont encore une chance de vivre. Elle parle doucement, dans un haoussa parfait, aux mères angoissées. La sœur allemande a les larmes aux yeux. Une centaine de mère, refusées ce jour-là, demeurent silencieuses, dignes, totalement désespérées. Ces mères-là abandonnent le combat. Elles s'en iront dans la savane. Elles retourneront dans leur village où la nourriture manque pourtant. Un petit groupe décide de rester sur place ; l'aube reviendra, elles reviendront demain.

Chez les sœurs de Mère Teresa, à Saga, un enfant souffrant de malnutrition aiguë et sévère se rétablit au maximum en douze jours. Couché sur une natte, on lui administre à intervalles réguliers un liquide nutritif par voie intraveineuse. Avec une douceur infinie, sa mère, assise en tailleur à côté de lui, chasse inlassablement les grosses mouches brillantes qui bourdonnent dans le baraquement. L'âge des enfants oscille entre six mois et dix ans. La plupart sont squelettiques. De l'autre côté de la cour, au pied de la petite chapelle blanche, les tombes sont nombreuses.

Les sœurs travaillent nuit et jour. Certaines ont manifestement atteint l'extrême limite de l'épuisement. Dans le baraquement, la chaleur est étouffante; la lumière blanche du midi sahélien m'aveugle. Sous le baobab, la sœur allemande me parle : «Vous avez-vu?» me demande-t-elle d'une voix lasse. «J'ai vu». Elle reste silencieuse, les bras noués autour de ses genoux...

Un enfant qui meurt de faim est un enfant assassiné.

La destruction, chaque année de dizaines de millions d'hommes, de femmes et d'enfants par la faim, constitue le scandale de notre siècle. Toutes les cinq secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim alors que l'agriculture mondiale pourrait nourrir sans problème 12 milliards d'êtres humains.

A cette destruction massive, l'opinion publique oppose une indifférence glacée. Tout au plus lui accorde-t-elle une attention distraite lors de catastrophes particulièrement «visibles», comme celle qui, depuis l'été 2011, menace d'anéantissement le chiffre exorbitant de 12 millions d'êtres humains dans cinq pays de la Corne de l'Afrique.

Depuis peu, de nouveaux fléaux se sont abattus sur les peuples affamés de l'hémisphère Sud : les vols de terre par les trusts de biocarburants et la spéculation financière sur les aliments de base. Les dirigeants des sociétés transcontinentales de l'agro-industrie et des Hedge Funds, par leurs actions, engagent la vie et la mort des habitants de la planète. L'obsession du profit, la cupidité illimitée des oligarchies prédatrices du capital financier globalisé l'emportent sur toute autre considération. Dans le même temps, combien de fois n'ai-je entendu à la suite de conférences, des objections du type : «Monsieur, si les africains ne faisaient pas des enfants à tort et à travers, ils auraient moins faim!».

Et que dire des seigneurs des trusts agroalimentaires, des dirigeants de l'OMC ou du FMI, des diplomates occidentaux, des requins tigres de la spéculation et des vautours de l'«or vert» qui prétendent que la faim, phénomène naturel, ne saurait être vaincue que par la nature elle-même : un marché mondial en quelque sorte autorégulé? Celui-ci créerait, comme par nécessité, des richesses dont bénéficieraient tout naturellement les centaines de millions d'affamés...

«Ce n'est pas seulement la violence immédiate qui a permis à l'ordre de se maintenir, mais que les hommes eux-mêmes ont appris à l'approuver» (Max Horkheimer).

 

Le Massacre : Le droit humain à l'alimentation, définit par l'article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels est certainement le droit qui est le plus constamment et le plus massivement violé sur notre planète. La faim tient du crime organisé. On lit dans l'Ecclésiastique : «Une maigre nourriture, c'est la vie des pauvres, les en priver, c'est commettre un meurtre. C'est tuer son prochain que de lui ôter sa substance, c'est répandre le sang que de priver le salarié de son dû» (34, 21-22).

Selon l'ONU, le nombre de personnes gravement et en permanence sous-alimentées s'élevait en 2009 à 1023 millions. Mourir de faim est douloureux. L'agonie est longue et provoque des souffrances intolérables. Elle détruit lentement le corps et le psychique. L'angoisse, le désespoir, un sentiment panique de solitude et d'abandon accompagnent la déchéance physique. Chez les enfants sous-alimentés, l'agonie est d'autant plus rapide. Le corps épuise d'abord ses réserves en sucre, puis en graisse. Les enfants deviennent léthargiques, perdent vite du poids, leur système immunitaire s'effondre et les diarrhées accélèrent l'agonie.

Chez l'être humain, les neurones du cerveau se forment entre zéro et cinq ans. Si durant ce temps l'enfant ne reçoit pas une nourriture adéquate, suffisante et régulière, il restera mutilé à vie. Son destin est scellé, il restera un crucifié de naissance. L'espérance de vie en Suisse : 83 ans ; elle est de 32 ans au Swaziland, petit royaume d'Afrique australe ravagé par le sida et la faim.

La faim est, et de loin, la principale cause de mort et de déréliction sur notre planète. L'objectif de l'ONU de réduire de moitié, d'ici 2015, le nombre de personnes souffrant de la faim, ne sera bien évidemment pas atteint. La FAO l'admet elle-même.

Qui sont les plus exposés à la faim? Majoritairement les communautés rurales pauvres des pays du Sud : travailleurs migrants sans terre ou métayers surexploités par les propriétaires. Ainsi dans le nord du Bangladesh, les métayers musulmans doivent remettre à leur land lords hindous vivant à Calcutta, les quatre cinquièmes de leurs récoltes. Le nombre de travailleurs ruraux sans terre est estimé à environ 500 millions de personnes. Ils sont les plus pauvres parmi les pauvres de la Terre.

90% des paysans du Sud ne disposent comme outils de travail, que de la houe, de la machette et de la faux. Seulement 3,8% des terres d'Afrique subsaharienne sont irriguées. L'acheminement des récoltes vers les marchés est un autre grand problème. J'ai vécu en Ethiopie, en 2003, cette situation absurde : à Makele, au Tigray, sur les hauts plateaux martyrisés par les vents, là où le sol est craquelé et poussiéreux, la famine ravageait 7 millions de personnes. Or, à 600 kilomètres plus à l'ouest, au Gondar, des dizaines de milliers de tonnes de teff pourrissaient dans les greniers, faute de routes et de camions capables de transférer la nourriture salvatrice...

Par ailleurs, dans les campagnes d'Amérique centrale et du Sud, en Inde, au Pakistan, au Bangladesh, la violence est endémique. En 2005, au cours de notre séjour au Guatemala, 387 personnes ont été assassinées. Parmi les victimes, quatre jeunes syndicalistes paysans. Des tueurs avaient mitraillé leur voiture dans la sierra de Chuacas. L'ONU évidemment ne fera rien. Planqués dans leurs villas à Ciudad Guatemala, les fonctionnaires onusiens se contentent d'administrer de coûteux programmes dits de développement. Au Guatemala, en 2011, 1,86% de la population possède 57% des terres arables, tandis que 90% des producteurs survivent sur des lopins de 1 hectare ou moins.

Après 2005, la courbe globale des victimes de la faim a grimpé de manière catastrophique, en lien direct avec avec la flambée des prix des aliments de base que sont le riz, le blé et le maïs. En février 2011, la FAO a lancé l'alerte : 80 pays se trouvaient alors au seuil de l'insécurité alimentaire.

Arrêtons nous maintenant sur le cas du Niger. Dans ce magnifique pays du Sahel qui abrite certaines des cultures les plus splendides de l'humanité, seul 4% du territoire national est apte à la production agricole. Le Niger, écrasé par la dette extérieure, subit la loi d'airain du FMI qui a ravagé le pays par plusieurs programmes d' «ajustement structurel» successifs. Le FMI a notamment ordonné la liquidation de l'Office national vétérinaire, ouvrant le marché aux sociétés multinationales privées de la pharmacopée animale. Désormais, les éleveurs nigériens doivent acheter sur le marché libre de Niamey les antiparasitoses, vaccins et vitamines pour traiter leurs bêtes aux prix dictés par les multinationales occidentales. La majorité des éleveurs sont bien incapables de payer les nouveaux prix, avec les conséquences que cela implique sur la santé des bêtes et par extension sur la santé humaine.

A ce pays de famines récurrentes, le FMI a imposé la dissolution des stocks de réserves détenus par l'Etat, qui s'élevait à 40 000 tonnes de céréales, prévus en cas d'urgence alimentaire. La direction Afrique du FMI à Washington est d'avis que ces stocks de réserves pervertissent le libre fonctionnement du marché. Le commerce des céréales ne saurait être l'affaire de l'Etat, puisqu'il viole le dogme sacro-saint du libre-échange.

Le Niger est une néocolonie française. Deuxième pays le plus pauvre du monde, il est pourtant le deuxième producteur d'uranium au monde! Areva, société d'Etat française, exerce le monopole d'exploitation des mines d'Arlit. Les redevances payées par Areva au gouvernement de Niamey sont ridiculement faibles. Lorsque, face à cette tutelle, le Niger envisagea des accords d'exploitation minière avec des sociétés chinoises, la sanction fut immédiate, sous la forme d'un coup d'Etat militaire portant au pouvoir un obscur militaire, qui rompit toute discussion avec les chinois et réaffirma «la gratitude et la loyauté» du Niger vis-à-vis d'Areva.

Le deuxième producteur d'uranium du monde n'a pas été en mesure de financer un projet de mise en place d'un système d'irrigation qui aurait permis l'autosuffisance alimentaire du Niger, mettant à l'abri de la faim 10 millions de nigériens. La misère des peuples du Niger est à l'origine de la révolte touarègue, endémique depuis dix ans, et de l'infiltration de réseaux liés à Al-Qaida. Les tueurs d'Al-Qaida, spécialisés dans la prise d'otages d'européens, recrutent sans peine des jeunes touaregs réduits par la politique d'Areva à une vie de chômage permanent, de désespoir et de misère.

 

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21/01/2014 | Lien permanent

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