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26/06/2017

Mais le "bien commun", qu'est-ce que c'est ?

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Longtemps concept catholique, voilà le "bien commun" customisé par les médias (qui vident les mots de leur sens). D'où perplexité des revues intello, comme dans l'article dont voici des extraits :


 

Analyse dont nous partageons des constats ! On y relève aussi une certaine méconnaissance de l'histoire des idées. L'article explique que le bien commun est "un tout qui dépasse la somme des parties" et qui a trait au "vivre ensemble". Or c'est aussi ce qu'en dit Thomas d'Aquin. Gêné de  ce parallèle, l'article souligne que la nouvelle notion de "bien commun" n'est pas déduite d'un "dogme" comme l'était (chose répréhensible) celle de Thomas d'Aquin... L'auteur devrait savoir que Thomas ne tirait pas cette notion du dogme, mais de la Politique d'Aristote (IVe siècle av. JC) et que tous deux la reliaient à la "diversité des membres de la Cité", idée loin d'être absente de la pensée catholique même ancienne...  Ce genre de quiproquo est un gouffre entre des esprits en recherche et le catholicisme. Il est urgent de lancer des ponts : car sur le plan socio-économique (voire "politique") il y a entre ces deux pôles plus de points communs - et plus décisifs - qu'entre la vraie pensée catholique et la droite libérale. Lisez notamment ci-dessous le paragraphe "Bien commun version 2.0" : on étonnerait ses auteurs en leur disant que c'est de la philosophie sociale catholique ; pourtant c'est le cas. Et ça ne se retrouve pas chez les libéraux.    PP

 

 

Extraits de l'article

(les mises en gras sont de nous)

 

https://usbeketrica.com/article/de-l-interet-general-au-b...



<<   L’entrée d’un nouveau mot dans le langage courant ou sa substitution par un autre révèle parfois de grandes évolutions de société. Ainsi, que conclure du glissement sémantique de « général » vers « commun », notamment dans « intérêt général » versus « bien commun » ? Et par ricochet, ce changement de vocabulaire attesterait-il d’une nouvelle conception de la solidarité impliquant plus fortement les citoyens ? [...]

Le glissement sémantique du « général » vers le « commun » pourrait témoigner d’un désir de rééquilibrer le rapport de force entre individus et État. Les individus chercheraient à reprendre une part de contrôle dans les mécanismes de gestion de la vie en société. Être citoyen signifierait moins respecter ses devoirs en échange de la garantie de ses droits, que participer à la société, y apporter son intelligence, son temps, ses compétences, tout en pouvant décider de la nature de sa contribution.

L’essor de l’économie collaborative ou des mouvements citoyens (#MaVoix, Nuit Debout, Podemos, Occupy Wall Street, etc.) témoigne d’une défiance grandissante vis-à-vis des institutions de l’État et marque une évolution vers une société plus horizontale. De la légitimité des « pères », nous assistons à l’émergence d’une légitimité des « pairs »1, préférant un bien commun établi ensemble – mais quel « ensemble » ? –  auquel on adhérerait pour s’enrichir des uns et des autres, à un intérêt général abstrait imposé par le haut, tel un ordre moral auquel on ne pourrait rien changer, rien apporter et auquel il faudrait se soumettre. Mais encore faudrait-il s’entendre sur le sens de ce que chacun entend par « intérêt général ».

 

 L’intérêt général à double sens

► Outre-Atlantique et outre-Manche, l’intérêt général résulte, en effet, de la somme des intérêts de chacun. Cette vision, dite « anglo-saxonne », porte la marque des idées libérales initiées par les Lumières en Europe au XVIIIe siècle et qui s’est diffusée jusqu’à devenir depuis le XXe siècle la logique économique dominante : libre circulation des personnes et des marchandises, libre concurrence, etc. L’état d’esprit libéral (liberté individuelle) ne s’est pas cantonné aux échanges économiques ; il a aussi infusé la société, donnant lieu au courant libertaire (souveraineté de l’individu) : libre expression, autodétermination, auto-organisation, etc. L’association des deux – économiquement libéral et socialement libertaire – a donné naissance au libertarisme, influent dans la Silicon Valley et à San Francisco, berceau des grandes entreprises numériques comme Google ou Facebook. Dans l’idéologie libertarienne, la société s’autorégule, par l’action parallèle des individus qui la composent, sans nécessité de lui imprimer une direction a priori. Il y aurait une sorte d’ordre spontané de l’humanité qui agirait dans le sens de son autopréservation.

► Au contraire, dans une conception républicaine à la française, l’intérêt général se comprend comme une finalité qui dépasse la somme des intérêts individuels. Il incarne une destinée collective, plus ambitieuse que les seules vies des individus mises bout à bout, à laquelle chacun est censé se soumettre afin de pouvoir bien vivre ensemble. La puissance publique s’est progressivement affirmée comme la garante ainsi que la conceptrice de cet intérêt supérieur, sachant en théorie mieux que quiconque ce qui conviendrait à tous et se méfiant du désir individuel qu’il conviendrait d’encadrer, voire de réfréner.

Cette guerre de sens révèle deux visions radicalement différentes du « vivre ensemble ». Du côté anglo-saxon, c’est l’addition des individus mis bout à bout qui fait société, alors que du côté français, c’est la société qui façonne les vies individuelles : une vision libertarienne en bottom-up face à une vision paternaliste en top-down. Les deux courants s’opposent sur la perception des rapports de pouvoir. La tradition jacobine justifie par un déséquilibre initial l’ingérence dans la vie des individus et des organisations ; tandis que le libertarisme, lui, refuse tout interventionnisme, pariant sur un équilibre naturel a posteriori qui serait toujours plus juste qu’un équilibre artificiel défini a priori. D’un côté, un État régulateur et protecteur ; de l’autre, une auto-organisation libératrice et hardie. 

L’essor dans le langage courant du « bien commun » est-il dès lors une simple reconnaissance de cette opposition ou le signe d’un retour de balancier, au bénéfice des initiatives individuelles, contre l’interventionnisme social de l’État ? 

 

À la recherche du bien commun

En parallèle d’un mouvement de libération individuelle, l’influence religieuse ou tout au moins l’idée de valeurs morales garantes d’un « vivre ensemble » semblent persister, voire se renforcer. Sinon, comment expliquer l’utilisation du « bien » plutôt que de « l’intérêt » ? Le bien se rapporte au principe, au précepte, à l’absolu, alors que l’intérêt résulte d’un calcul, d’une appréciation. C’est Thomas d’Aquin, un philosophe de l’ordre dominicain, qui théorisa le concept de bien commun au XIIIe siècle. Étrangement, sa signification originale est à l’opposé de la vision libertarienne. En effet, le bien commun de Thomas d’Aquin s’inscrit dans une société où l’individu n’existe pas, où la morale et l’organisation politique légitimées par le droit divin écrasent les individus, où la seule économie qui vaille est celle du « salut ». En outre, cette vision morale de la société a été combattue par les Lumières, ceux-là mêmes qui ont initié le mouvement d’émancipation des individus dont la société libertarienne est l’un des héritages. Pourquoi donc ce besoin de renouer avec une moralité qui dépasse les individus réapparaît-il dans une société ainsi libérée ?

Cette résurgence démontre sans doute que la vision purement individualiste de la société est incomplète. Il lui manque ce quelque chose que le philosophe spinozien Frédéric Lordon nomme « l’excédence du social ». Impossible, dit-il, de contester l’existence de ce plus qui naît de la superposition et de l’interaction des existences humaines. Soit un tout qui dépasse la somme des parties que nous pourrions finalement désigner par « vivre ensemble » ou « être ensemble ». La vision d’individus isolés formant librement une société est une construction culturelle, individu et société ne s’opposent pas plus qu’ils ne se choisissent. La société émane des individus et les individus n’existent que parce qu’il y a une société. 

Si le déclin de l’intérêt général ne semble pas faire de nous une société d’individus égoïstes, c’est probablement que nous avons fait ressurgir pour le compenser l’idée d’un bien commun, mais, cette fois, pensée depuis une perception individuelle de la vie et non plus imposée par un dogme. Pour preuve, la quête de sens individuel et collectif n’a jamais été aussi criante, comme en témoigne le retour des communs, que l’équipe de chercheurs autour de Benjamin Coriat a récemment analysé2. Le retour à des valeurs immatérielles a également été souligné par le penseur belge Michel Bauwens : « Être heureux dans sa vie, avoir une passion, être connu pour ses contributions ». Les biens communs, le bien commun ou encore le sens commun imprègnent ainsi de plus en plus les conversations, les médias et les discours politiques. 

 

Bien commun, version 2.0

Comment pourrions-nous définir ce bien commun qui nous anime au XXIe siècle ? Pour le philosophe François Flahault3, il s’agit de l’ensemble de ce qui soutient la coexistence des êtres humains, le fait que chacun puisse « avoir sa place parmi les autres et jouir d’un bien être relationnel »… En d’autres termes : la possibilité d’une vie sociale. En effet, explique-t-il, « la coexistence des êtres a précédé leur existence individuelle. Sans les relations qui se sont développées entre eux, jamais la personne humaine n’aurait pu émerger. Il en résulte l’un des traits essentiels de la condition humaine : une interdépendance non pas seulement utilitaire, mais véritablement ontologique. Il faut en passer par les autres pour être soi. »   [...]

 

Intérêt général + bien commun : intérêt commun ?

En outre, pour Frédéric Lordon, l’idéologie libertarienne, sous-jacente au principe méritocratique et au concept d’empowerment, porte atteinte à notre capacité à vivre ensemble. Né aux États-Unis, l’individu libertarien fantasmerait, en effet, une souveraineté toute puissante qui le pousserait à rejeter son appartenance à tout ce qui se rapprocherait d’une organisation qui le dépasserait, comme un État-nation. Cette souveraineté fantasmée projetterait dès lors une société d’individus qui ne « s’engagent qu’avec l’arrière-pensée de pouvoir se dégager à tout instant ». « Une société du libre engagement et donc du libre désengagement », des individus souverains et non solidaires, critique Frédéric Lordon. 

Si l’intérêt général semble un concept anachronique, d’un temps où quelques-uns dictaient la vie de tous les autres, une conception trop libertarienne du bien commun, comme une émanation naturelle de la vie en société d’individus libres et autonomes risque d’être une conception tout aussi néfaste, comme l’illustre le problème du réchauffement climatique qui fait douter de la soi-disant capacité d’autorégulation et d’autopréservation de l’humanité.

Faudrait-il en conséquence élaborer les bases d’un vivre ensemble, au-delà, et de l’intérêt général à la française, et de ce libertarisme à l’américaine ? Une organisation sociale qui serait construite plus démocratiquement et dont la réalisation serait mieux répartie et plus collaborative ? Pourrait-on parler de la construction d’un intérêt commun, prenant en compte la revendication des citoyens de contribuer au bien commun, et donc aux mécanismes de solidarité ? Face à, ou en complément de, la logique moraliste des institutions religieuses, de la logique égalitariste des États et de la logique d’efficacité des marchés, les citoyens déploieraient ainsi une logique affective, émotionnelle, une logique que chacun pourrait appréhender à son niveau et ressentir concrètement.

Cependant, comment articuler une politique commune du bien commun quand État, religion, marché, individu se mêlent tous du bien commun, tout en se méfiant les uns des autres ?  Comment faire adhérer une société d’individus émancipés à un projet commun quand la soumission n’est plus une option ? Seule possibilité : que ce projet ait du sens pour chacun d’entre nous ou pour une large majorité, et cela de façon pérenne. En effet, la notion de « bien commun » ne peut prétendre aujourd’hui au caractère intangible que l’on prête en France à « l’intérêt général ». Plus en accord avec notre temps, elle suppose une négociation permanente du lien entre individu et société.

Certains pays comme l’Équateur ont inscrit dans leur constitution un objectif de « bien vivre en commun ». Tout comme l’affirmation constitutionnelle de l’égalité des individus, il s’agit d’une orientation, d’un guide d’évolution et non d’un état de fait ou d’un ordre naturel. Dans une démarche attenante, Hubert Allier, membre du Conseil économique, social et environnemental, propose qu’au lieu de définir précisément ce que serait un intérêt commun, nous cherchions à en identifier les objectifs en fonction des défis et des aspirations de la société. « L’intérêt général a longtemps été considéré comme une réponse, il est aujourd’hui devenu une question », précise-t-il. Avec ses deux coauteurs, ils ont ainsi identifié trois dimensions qu’il conviendrait d’articuler : premièrement, la garantie d’un épanouissement personnel ; deuxièmement, les conditions d’un bien vivre ensemble ; et troisièmement, la responsabilité vis-à-vis des générations futures2. Un triptyque qui fait écho à la devise de la République française : « Liberté, Égalité, Fraternité », où égalité serait remplacée par équité, c’est-à-dire respect de ce qui est dû à chacun : une juste place parmi ses semblables ; et où, dans une volonté d’affirmation et d’élargissement des liens d’interdépendance, fraternité se traduirait par solidarité… 

Cet article est paru initialement dans la revue Visions solidaires pour demain.

 

________________

1. « Intérêt général : nouveaux enjeux, nouvelles alliances, nouvelle gouvernance », rapport sous le pilotage d’Hubert Allier ; rapporteurs : Charles-Benoît Heidsieck et Laurène Lavigne.

2. Le Retour des communs - La crise de l'idéologie propriétaire, sous la direction de Benjamin Coriat, Les Liens qui Libèrent, 2015.

3. Où est passé le bien commun ?, François Flahault, Fayard/Mille et une nuits, 2011.   >>

 

 

bien commun

 

10:48 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : bien commun

Commentaires

NOTRE RAPPORT AU BIEN

> Pour rester dans le débat, je me rappelle une phrase du cardinal Daneels (ancien archevêque de Bruxelles) qui disait ceci: s'agissant de la religion aujourd'hui,
le vrai inquiète (parler de vraie religion ou de vérité religieuse est considéré comme potentiellement dangereux, générateur d'intolérance);
le bien accable (on répète "je ne suis pas l'abbé Pierre" ou bien "on ne peut pas accueillir tous les malheurs du monde"...); nous avons vite un rapport accablé au bien !
le beau éveille, c'est même la seule porte qui nous reste, mais un "beau" sans relation ni avec le vrai, ni avec le bien.
La problématique du bien commun ramène aujourd'hui le "bien" dans notre quête, et c'est une bonne nouvelle de voir le "beau" à nouveau relié.
______

Écrit par : B.H. / | 26/06/2017

EXEMPLE

> On ne devrait parler de bien commun qu’en passant aussitôt à la leçon de choses.
Prenons pour exemple un sujet « sociétal » que l’on dit cher à la nouvelle Assemblée en marche : la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de femmes et la gestation pour autrui (GPA) pour les couples d’hommes.
Selon la définition que vous indiquez ci-dessus, examinons :
1/ L’épanouissement personnel : quelle valeur accorder à cette revendication de double maternité ou de double paternité en termes d’épanouissement personnel ? existe-t-il un droit à l’épanouissement personnel par l’enfant pour les couples homosexuels, par nature infertiles, qui justifie la médiation de la médecine dans le processus de procréation ? et que dire de l’épanouissement personnel de l’enfant délibérément privé, au sein de la cellule familiale ainsi constituée, de la présence et de la compagnie de l’un de ses géniteurs ?
2/ Le bien-vivre ensemble : « vaincre » la stérilité des couples lesbiens/homosexuels et leur accorder une pleine parentalité sur l’enfant conçu en PMA ou GPA est-il nécessaire à la qualité du vivre-ensemble des individus et des familles composant le corps social ? et que dire du vivre-ensemble intrinsèque à la famille ainsi constituée, lorsque l’enfant, le plus souvent l’adolescent, commence à interroger ses origines ?
3/ La responsabilité vis-à-vis des générations futures : les droits de l’enfant naissant dans de telles conditions d’une PMA ou d’une GPA sont-ils respectés ? est-il rationnel et responsable, humainement, psychologiquement, socialement, que cet enfant soit conçu et mis au monde avec le projet de lui enlever l’un des parents-géniteurs qui aurait naturellement eu vocation à l’élever et à être connu de lui ?
Un ami me disait (chantait) : « Papa où t'es ?… Maman où t'es ?… , marre des empamamouteurs ! »
Puisque certains en sont à inventer un bien ou un intérêt commun totalement frelaté, je propose ce mot, et sa définition, pour les désigner : « empamamouteur … corrupteur du bien (intérêt, sens) commun ».
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Écrit par : Denis / | 26/06/2017

@ B. H.

> Et même le beau semble refusé: avec le bien et vrai.
Avez-vous remarqué qu'un des mots les plus employés par nos décideurs est "déconstruire"?
On arrive même à déconstruire .... les principes de l'architecture, les matériaux actuels permettant de faire n'importe quoi, coûteusement, il est vrai.
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Écrit par : Pierre Huet / | 26/06/2017

L'ERREUR

> Il est déjà triste d'entendre de braves catholiques confondre «intérêt général» et «bien commun», mais ce qui est doublement triste c'est que cette erreur est courante.
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Écrit par : olivier / | 26/06/2017

GOOGLE ET AMAZON

> Usbeketrica utilise Google Analytics de Google.... et se font héberger chez Amazon.
Que des petites entreprises qui ont un sens profond du bien commun et de l'intérêt général ;-)
Bref...
Je trouve parfois que notre humanité manque parfois cruellement de cohérence :-(
Mais merci beaucoup pour cet article absolument passionnant.
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Écrit par : Pierre O. / | 26/06/2017

Rebondissant sur la note de Denis :

> Un exemple du libertarianisme "Silicon Valley" dans lequel nous baignons depuis quelques années peut être trouvé aujourd'hui même sur la page de Youtube. La plate-forme y a ajouté un drapeau arc-en-ciel... Voici l'une des pierres angulaires du "bien commun" à l'américaine. Et à l'européenne, mondialisation aidant. PMA/GPA relèvent de la même logique.
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 28/06/2017

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