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30/08/2016

Une "Fondation pour les oeuvres de l'islam de France" : mais pour faire quoi ?

islam en france

Veut-on, oui ou non, que la culture musulmane évolue ? Auteur de L'islam sans soumission (2008), le philosophe français Abdennour Bidar met la future fondation face à ses responsabilités :


 

Abdennour Bidar (né à Clermont-Ferrand en 1971) est normalien, agrégé de philosophie, inspecteur général de l'Education nationale, membre du comité de rédaction d'Esprit et auteur d'une douzaine d'ouvrages sur la crise de la société postmoderne, la laïcité et l'islam. Notamment L'islam sans soumission (Albin Michel 2008) et Lettre ouverte au monde musulman, ainsi que Les Tisserands : réparer ensemble le tissu déchiré du monde (éd. Les liens qui libèrent, 2015 et 2016). Cet intellectuel français s'évertue à montrer qu'outre l'islamisme, version proche-orientale du néoconservatisme global, les sociétés arabo-musulmanes sont travaillées aussi par "une volonté d'émancipation par rapport aux autoritarismes, politiques ou religieux".

Selon Bidar, le drame des événements actuels en France est l'occasion de créer le creuset d'un changement profond chez les musulmans. C'est la raison de son apostrophe - publiée hier [*] - aux pouvoirs publics français.

De fait, la fondation sera un nouvel échec si elle ne s'intéresse qu'à des flux financiers (les "oeuvres") et si elle continue - comme le piteux CFCM de Sarkozy - à mettre en valeur des fondamentalistes... afin de plaire à Ryad et Doha, pour des intérêts sans rapport avec la question musulmane en France.

Bidar demande donc que cette fondation soit animée par certains intellectuels français (évidemment musulmans) pour susciter une "mutation" : l'appartenance simultanée à la culture française et à la culture musulmane, en libérant cette dernière "du traditionalisme et du néoconservatisme". Il s'agit, souligne-t-il, d'éliminer de la tradition musulmane "tout ce qui est incompatible avec la liberté de conscience, l'égalité des sexes, la tolérance, la fraternité universelle, la non-violence et toutes les valeurs des droits de l'homme". Il s'agit aussi de "régénérer" l'islam en dégageant les sources de courants autres que le fondamentalisme : Bidar en appelle à Averroès et au soufisme, "voie d'amour, de paix et de connaissance de soi".

Ou bien la fondation nouvelle suivra cette voie, dit Bidar, ou bien elle retournera dans l'impasse : le mélange de laïcisme théorique et de résignation envers "la cohorte des prêcheurs traditionalistes et ignorants", qui "distillent un poison mental" et engendrent le radicalisme terroriste. Ce fut l'impasse de l'ère Sarkozy. Elle est perpétuée sous Hollande-Valls, personnages hésitant ne fût-ce qu'à fermer une mosquée djihadiste, et entourés de pseudo-experts (cf ici note du 18/08) qui plaident pour l'Arabie saoudite et la politique régionale de Washington.

"Va-t-on manquer une nouvelle fois l'occasion ?", demande Bidar. Il parle au nom de sa génération d'intellectuels : "Nous sommes là, éduqués, diplômés, aussi français, républicains et humanistes que nos pairs cultivés et engagés de tous bords..."  Cette génération propose de "réinventer ici et maintenant une culture musulmane à partir d'une inspiration non seulement française mais européenne" : ce qui toucherait très vite "des millions de musulmans français". Il suffirait, dit-il, "qu'on nous donne enfin l'occasion de nous exprimer dans une institution de niveau national", en mettant à la tête de la fondation un "collège de personnalités choisies parmi toutes celles et ceux qui sont les hérauts d'un islam des Lumières"...

Voilà la proposition : elle mérite au moins l'examen. Ceux qui la rejettent à priori devraient regarder de qui, ou de quoi, leur attitude fait le jeu.

 

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[*]  Libération Idées, 29/08.

 

Commentaires

EN EUROPE

> J'ai été très surpris, et impressionné, étant ado (dans les années 80), de tomber par hasard sur l'émission "le jour du Seigneur" où 3 imams (religieux ou intellectuels musulmans) annonçaient à la télé que, d'après leurs textes, l'islam devait "un jour" être modernisé et réformé en Europe. Ils ne savaient pas quand, mais ils étaient sûr du lieu, et s'en réjouissaient.
Je ne sais pas quelles étaient leur sources, mais j'ai eu une confirmation de cette info par un autre auteur égyptien, plus tard.
Nos élus politiques athées et franc-maçons sauront-ils lancer cette reconstruction ? avec le souffle de l'Esprit-Saint qui souffle où il veut et quand il veux, faisant même du très païen roi Cyrus son instrument pour libérer son peuple de Babylone ...
Cdt,
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Écrit par : Bergil / | 30/08/2016

TRÈS CLAIRE

> Cette position est très claire et le sujet alternatif est bien posé.
Ou bien, c'est l'émancipation profitable pour le bien de tous ou retour à une situation d'enfermement.
M. Chevènement doit ouvrir la porte aux musulmans, tous concernés par ce grand sujet.
La situation d'ouverture, l'apaisement régneraient alors pour le plus grand bien de tous.
Si la situation se ferme, les risques sont très grands.
N'oublions pas que l'Eglise dialogue toujours avec les musulmans et c'est bien légitime.
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Écrit par : Alain De Vos / | 30/08/2016

EXIGER DES ENGAGEMENTS CONCRETS

> C'est une voie sympathique mais cela pose quelques questions:
- comment penser que cela marche alors que toutes les réformes de l'islam ont échoué depuis le Xeme siècle ?
- comment la voie soufie marginale et ultra minoritaire dans l'islam pourra-t-elle devenir la voie principale ?
-quelle représentativité ?
Ceci dit il faut avancer: je pense cependant que la chose clé à faire est d'être très ferme sur les engagements concrets des représentants musulmans vis à vis de la société : liberté de conversion, rejet de la violence, indépendance par rapport à des puissances étrangères, respect de la France, prêches en français...
Sinon tout on retombera dans l'échec du CFCM.
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Écrit par : Ludovic / | 30/08/2016

LES DEUX FACES

> Le patriarche Bartholomée Ier dans son message pour le symposium inter-chrétien qui s’est ouvert le 28 août à Thessalonique identifie l'athéisme occidental et l'islamisme radical comme les deux faces d'un même mal : le matérialisme.
Dans «cette course vertigineuse vers la destruction du monde et des valeurs humaines», l’homme qui recherche un soutien spirituel «ne le trouve pas dans les pays sécularisés occidentaux d’aujourd’hui» souligne le Patriarche. Alors il «se tourne vers des formes malsaines de religiosité», qui ne promettent «qu’une jouissance éternelle de biens matériels» et donc une «vie matérialiste qui emprisonne l'homme».
http://fr.radiovaticana.va/news/2016/08/29/symposium_inter-chr%C3%A9tien__le_pape_et_bartholom%C3%A9e_ier_appellent_%C3%A0_r%C3%A9%C3%A9vang%C3%A9liser_l%E2%80%99europe/1254330
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Écrit par : isabelle / | 30/08/2016

L'EGLISE CATHOLIQUE

> Les musulmans ne disposent pas d'une structure religieuse permettant d'appliquer une réforme à tous leurs courants.
Mais les musulmans disposent de la structure de l'Eglise catholique !
En effet, l'un des fruits, surprenant, du dialogue inter-religieux est que les intellectuels musulmans et imams de différents courants, qui n'avaient pas d'occasion de communiquer entre eux, se découvrent et se parlent, pour pouvoir dialoguer ENSEMBLE avec l'Eglise.
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Écrit par : Isabelle Meyer / | 30/08/2016

"BON COURAGE"

> La perspective d'un islam des Lumières, concept qui n'a jamais dépassé de maigres cénacles d'intellectuels, lesquels ont souvent mal fini au cours de l'histoire musulmane, ne peut faire l'économie d'une terrible question : une exégèse historico-critique, pour tenter de dégager une herméneutique des textes coraniques qui serait compatible avec les valeurs fondatrices des sociétés occidentales ( liberté de conscience, égalité des sexes, Etat de droit, démocratie, laïcité) est elle seulement possible sans faire vaciller le soubassement même de la religion islamique et la rendre finalement caduque ?
En effet, le Coran est considéré comme le Verbe de Dieu fait Livre, le fondement de l'islam est donc une " inlibration" , alors que celui du Christianisme est un "incarnation" de la Parole de Dieu faite chair.
Si le Coran est Parole de Dieu incréée, 'kalam Allah', il est intouchable, il ne peut être étudié et interprété sans que cela ne constitue une profanation. Le Livre pour le musulman est en quelque sorte l'équivalent de la personne du Christ pour le chrétien, Mohammed n'est que son messager, le prophète médiateur, équivalent de la révélation biblique des écrits vétéro- et néotestamentaire qui rapporte le message divin.
Nous sommes donc sur une équation inversée entre Livre et Personne.
Si le Livre coranique est littéralement sacré alors il ne peut se prêter à la spéculation et à l'interprétation exégétique humaine, il ne peut qu'être récité et appliqué "à la lettre". Pour les contradictions internes, le musulman s'en remettra à ce que les docteurs de l'islam enseignent, c'est à dire à la science de l'abrogation, certains versets plus récents abrogeant les plus anciens lorsqu'il y a contradiction...
Ou alors, il y a lieu de considérer que le Coran existant (fruit des compilations sous le calife Uthman en 650) n'est qu'un reflet imparfait du Coran véritable placé sous le trône de Dieu ('Al Kittab').
Mais, quand bien même on considérerait cette imperfection du Livre, l'islam resterait une religion du livre, et est donc condamné à ne pouvoir dépasser "la lettre".
Le chrétien sait depuis toujours que la lettre et l'esprit sont deux choses bien distinctes, et que bien souvent " la lettre tue l'esprit", justement par que le christianisme est une religion de la Personne et non du Livre.
[Pour la Bible], la sacralité du texte n'est pas la même qu'en islam : car le juif sait que la Bible est une bibliothèque (la loi , les prophètes, les psaumes, les écrits) et non un monolithe tombé du Ciel sous la dictée de l'ange Gabriel. De fait, l'interprétation rabbinique du texte est source permanente d'enrichissement et de mise en discussion de la Loi, de casuistique, le protégeant d'un fondamentalisme comparable à celui de l'islam, en tout cas de certaines écoles l'islam sunnite.
En islam la porte de l'interprétation ( Ijtihad) est fermée depuis le Xème siècle pour une raison évidente : le risque d'émiettement de l'islam et donc sa pulvérisation dans une nébuleuse comparable aux 50 000 églises protestantes dont les membres sont tous ou presque interprètes autorisés de la parole de Dieu.
Bref, si la proposition de A. Bidar est intéressante, elle est plus qu'ambitieuse : il s'attaque à une chose sur laquelle tous les intellectuels musulmans se sont cassé les dents en raison même de la nature de l'islam. Adhérer à la proposition, faire du Coran un agrégat de versets acceptables à l'aune des critères de la civilisation occidentale moderne ou à éliminer dans le cas contraire, sape en fait le fondement même de l'islam. C'est tout l'édifice qui s'écroule sous le poids de la relativité du texte...
Bon courage en tous cas !

Patrick S.


[ PP à Patrick S. - Justement : ces observations donnent des raisons supplémentaires d'appuyer la proposition d'Abdennour Bidar. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Patrick S. / | 31/08/2016

"DE PLUS EN PLUS ÉVIDENT"

> L'islam radical ne se nourrit-il pas de l'échec (sa défaite) face à l'expansion du monde occidental qui promeut un mode de vie aux antipodes du sien :
- désacralisation de Dieu (pour ne pas dire négation)
- destruction du lien social (et donc anti oumma)
- destruction de la famille (puisqu'elle contribue à véhiculer des valeurs de cohésion, à l'opposé de société marchande qui ne veut en face d'elle que des individus malléables)
- exibition des corps (l'islam en interdit toute représentation)
- promotion de la féminité au détriment du masculin (du père, de l'autorité)
... je pense qu'on pourrait trouver encore d'autres éléments.
Refusant ces affichages, n'arrivant pas contrer cette expansion, il se trouve "naturellement" des radicaux prêts à combattre une telle civilisation, et tous ses promoteurs, par tous les moyens.
La religion chrétienne moins figée, n'est pas [encore ?] dans cette situation, mais on le voit, devient de plus en plus l'adversaire du système actuel. Aura-t-elle suffisamment de souplesse pour continuer à s'y opposer en restant fidèle à son essence et deviendra-t-elle l'opposant irréductible qui fera tomber le système actuel (comme elle fit tomber le communisme à l'est) ? Jean-Paul II avait dit que le système occidental ne valait guère mieux que le communisme, cela devient de plus en plus évident.
Une évolution de l'islam, expurgeant le radicalisme, peut-elle se faire si le système occidental n'évolue pas lui aussi ?
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Écrit par : franz / | 31/08/2016

L'IMPERATIF

> Mais c'est la seule solution! Au lieu de disserter à perte de vue sur une "essence" intemporelle de l'islam, il faut observer la situation: face aux réveils identitaires et obscurantistes qui travaillent actuellement les milieux musulmans de France, l'impératif pour les chrétiens et pour tous les amis de la liberté est une solidarité active, méthodique, tenace avec les musulmans "des Lumières".
C'est la seule manière d'éviter le pire. Notre dernière chance.
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Écrit par : Jean-Marie Salamito / | 31/08/2016

LES MUTAZILITES

> Merci à Patrick S. pour ses remarquables observations qui vont au cœur du problème de l'Islam.
La seule issue possible pour l'Islam est celle qu'avaient tenté les mutazilites aux VIIIème et IXème siècles en considérant le Coran non "comme un livre incréé descendu du ciel sous une forme parfaite et dans une pure langue arabe", mais comme créé, et donc à ce titre pouvant être examiné à la lumière de la raison et faire l'objet d'une juste interprétation et d'une lecture rationnelle (cf. Roger Arnaldez).
Le problème de l'Islam est bien celui de l'ouverture à la critique textuelle et historique du Coran, fermée depuis le IX-Xème siècles et la fin brutale mise aux tentatives des mutazilites ; elle devra se faire ailleurs (quelques rares penseurs musulmans oeuvrent dans ce sens, la plupart du temps en Occident).
Pour mémoire, les mutazilites sont les disciples d'une école de pensée musulmane qui a fleuri aux VIIIème-IXème siècles et qui, devant les contradictions internes du Coran, voulait concilier la foi et la raison.
En particulier, ils refusaient la notion d'un "Coran incréé" ; pour eux, la notion de Coran éternel et incréé mettait en cause l'Unicité de Dieu et ils voulaient faire du Coran une livre inspiré certes, mais créé et donc ouvert à l'exégèse historico-critique, s'opposant en cela à tous les fondamentalismes.
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Écrit par : Michel de Guibert / | 01/09/2016

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