19/03/2016
Soyons d'aujourd'hui : cessons de faire les "Occidentaux"
...et reprenons un libre jeu dans le monde.
Réflexions après Bertrand Badie et Roland Hureaux :
Le politologue Bertrand Badie analyse les crises internationales actuelles comme des phénomènes de pathologie, nés du désordre venu de la dérégulation de la puissance "occidentale". Ivresse d'un unilatéralisme déjà irréaliste quand il apparut à la fin du XXe siècle... Prétention hégémonique des "Occidentaux" (les USA suivis de leurs vassaux)... "Diplomatie de club" (l'hyper-classe transatlantique)... Mais aussi, par contre-coup : divorce des peuples d'avec ces pseudo-élites qui ne les représentent pas et les gouvernent mal ; irruption « des sociétés » sur la scène des conflits* ! Dans son livre L'impuissance de la puissance**, Badie souligne que la multiplication des acteurs internationaux déconcerte et déborde la surpuissance unilatérale (économique et militaire) de "l'Occident", qui a de moins en moins prise sur les réalités. Face à la prolifération de phénomènes multipolaires et de réseaux d'influence ou d'allégeance transnationaux, la fausse réponse "occidentale" – la guerre américaine par écrans interposés – semble de plus en plus somnambulique.
Dans Libération de ce week-end, Badie explique :
<< Nous avons commis, et de façon récurrente, une faute capitale, à droite comme à gauche, celle de confondre mondialisation et accomplissement d'un modèle néo voire ultra libéral. La mondialisation, à l'origine, n'est pas un phénomène économique. Elle tient à une transformation du système de communication. […] Aujourd'hui le pauvre voit le fort et le riche : voilà qui renouvelle profondément les imaginaires et appelle aussi de nouvelles formes de solidarité... >>
<< En tant que puissance moyenne, [la France] ne manque pas pour autant d'atouts. Elle a un bon ancrage multilatéral, que ce soit dans l'ensemble européen ou aux Nations-Unies. C'est là qu'elle peut continuer à jouer un rôle. Mais il faut rompre avec l'idée simpliste, archaïque et réductrice d'une « famille occidentale » dont elle serait membre. Il faut adopter une politique étrangère réellement mondialisée, qui s'appuie sur le relais des différentes organisations régionales, et qui comprenne en outre que les modèles martiaux classiques ne sont plus opérants. Et enfin il faut construire une véritable politique de l'altérité : reconnaître l'autre ne veut pas dire être d'accord avec lui, mais admettre la pluralité pour négocier ensuite les modes de coexistence internationale au lieu de les décréter. >>
Admettre la pluralité ! Autrement dit : chasser de notre tête l'idéologue ultralibéral néoconservateur, qui voit le one world comme un jeu vidéo où le seul fait de dézinguer brutal dictators, islamistes et cosaques suffirait à établit partout le free market – c'est-à-dire le bonheur à l'américaine (lié à l'empire du même nom). Cette hallucination s'est emparée des neuf dixièmes de la droite depuis 2007 et des trois quarts du PS depuis 2012 ; d'où certaines rébellions qui se font jour, on l'a vu par exemple avec Pouria Amirshahi.
Les rebelles doivent comprendre que tout est lié, comme dit le pape. J'emprunte un résumé de la situation à la conclusion du livre de Roland Hureaux***, qui achève son analyse (de la gnose à travers les âges) par un aperçu du malaise dans notre civilisation :
<< La politique est de plus en plus orientée par des principes abstraits à caractères supposés universels, comme le libre-échange, la libre circulation des flux financiers ou les droits de l'homme (curieusement exempts du discrédit de la loi naturelle), mais également par la promotion de la liberté sexuelle. Ces principes, qui jouent le rôle d'une nouvelle idéologie, prétendent, selon le principe gnostique de la supériorité de l'univers des idées sur le monde réel, régir la plupart des choix politiques : par exemple, des centaines de mesures législatives se déduiront du souci d'établir un espace de concurrence pure et parfaite, aboutissant à un arasement des particularités concrètes... L'idée que quelques principes abstraits et universels ont vocation à s'appliquer sur la terre entière, à tous les peuples et à la plupart des domaines, ne laisse plus guère de place au choix démocratique... Les assemblées représentatives perdent leur crédit à avaliser des décisions prises ailleurs et qui ne vont que trop souvent contre la volonté des peuples réels. >>
Ce système qui fait la guerre aux réalités porte un nom. Comme Bertrand Badie l'indique, c'est le libéralisme mondialisé*** ; ou plus exactement : l'annexion du mondial par le libéral.
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* Cette irruption des sociétés correspond à l'analyse du pape François. Il appelle les peuples à prendre en mains directement ("à la base") les enjeux du bien commun, puisque les pseudo-élites les dédaignent. (Ne s'intéressant qu'à la finance, elles ont abdiqué leurs responsabilités naturelles).
** Gnose et gnostiques des origines à nos jours, Fayard 2004.
*** Et non « le mondialisme », moulin à vent qu'une certaine droite invente pour s'éviter d'incriminer le facteur économique. La Côte d'Azur aime en effet les capitaux nomades... (Mais pas pas les nomades en chair et en os).
18:43 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (0)
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