Après le coup d'éclat de Sophie Marceau

 

Quelle portée a son geste ?

Retour sur ce refus de Légion d'honneur :

 

 

 

 

L'Elysée avait prévu de décerner la Légion d'honneur à Sophie Marceau. Mais il venait de la décerner au représentant de l'un des plus discutables (et des plus dangereux) gouvernements au monde : l'Arabie saoudite... L'actrice a donc refusé la décoration le 8 mars, pour protester contre les exécutions capitales en série (154 en 2015 et 70 depuis janvier 2016) et contre l'iniquité saoudienne envers des catégories entières de population (les femmes, la main d'oeuvre, etc). Elle aurait pu y ajouter le financement des brigades internationales djihadistes durant les dix dernières années ; voire le projet de guerre générale poursuivi par le prince-ministre saoudien de la Défense. Mais, tel quel, son refus a déjà du sens.

Peut-être a-t-il plus de sens qu'elle ne le pense.

Quelque jugement que puisse mériter son bilan historique, Napoléon prenait au sérieux l'ordre qu'il destinait, disait-il, « à mes soldats et mes savants ». La loi de 1802 donnait à la Légion d'honneur le but de récompenser le service des grands intérêts de la France... On voit mal en quoi Ryad sert ces intérêts, sinon par des contrats commerciaux privés : domaine qui ne correspond pas au cadre théorique de la Légion d'honneur. On voit bien, en revanche, en quoi la politique de Ryad nuit aux intérêts non seulement de la France mais de l'Europe entière. Ajouté à ce contre quoi proteste Sophie Marceau, cela suffirait à refuser la Légion d'honneur aux dirigeants saoudiens ! L'Elysée est-il incapable de ce discernement ? Ou estime-t-il que la Légion d'honneur, n'étant plus ce qu'elle était, peut servir à n'importe quoi ?

La seconde hypothèse semble la bonne.

Pour excuser l'Elysée de 2016, on doit se souvenir que la Légion d'honneur a cessé dès le XIXe siècle d'être « ce qu'elle était ». Le premier scandale des décorations eut lieu en 1887, quand un député, gendre du président Grévy, vendait l'ordre national au prix de 100 000 francs de l'époque (300 000 euros) ; les négociations se négociaient dans deux maisons closes parisiennes. L'indignation publique fut si grande que fut alors institué le délit de trafic d'influences. A cette époque, trafiquer de la Légion d'honneur avait du prix parce que l'ordre était supposé consacrer les mérites les plus éminents, civils et militaires...

Mais depuis le dernier tiers du XXe siècle, l'idée (même théorique) de trafiquer de la Légion d'honneur a disparu. Le trafic n'aurait plus été rentable. Ce qui fait le prix c'est la rareté ; or la Légion d'honneur a cessé d'être vue comme consacrant des mérites publics, et l'exécutif a pris l'habitude de la décerner chaque année à des milliers de gens, soit pour des motifs privés (qui auraient dû leur valoir une autre distinction que celle-là), soit en raison de leur célébrité internationale. Le concept de célébrité s'étant lui-même dilué sous la pression de la société-du-spectacle, on en est venu à décorer des people... Résultat : la Légion d'honneur donnée par Jacques Chirac en 2005 à Lance Armstrong, auquel il fallut la retirer en 2012 pour dopage. En 2012 aussi il fallut ôter la Légion d'honneur à John Galliano, décoré en 2009 mais condamné en 2011 pour injures antisémites aggravées.

Lorsqu'il arrive à l'Elysée de retrouver le sens de la Légion d'honneur pour la décerner à des gens ayant agi en héros dans des circonstances exceptionnelles, ce symbole-là souffre de voisiner avec l'insignifiance des people décorés. Entre le policier entré tout seul au Bataclan avec son petit 9 mm face aux fusils d'assaut, et les acteurs actrices producteurs productrices fashionistes chanteurs et chanteuses, quel rapport ?

D'où l'obscénité involontaire du titre de Télé-Loisirs le 2/01/2016 : « Emmanuelle Béart, Vanessa Paradis, morts des attentats, les nouveaux chevaliers de la Légion d'honneur »...

Quels sont les titres de Mmes Béart et Paradis à être décorées, c'est un débat. Que l'on donne à des dessinateurs morts une décoration qu'ils auraient refusée vivants*, c'est un autre débat. Mais que cette décoration soit la même pour des people et des assassinés, là est l'obscénité ! A moins que l'exécutif ne croie (on l'a vu en novembre 2015) que les attentats visent « la fête »... Auquel cas, en effet, décorer deux stars du showbiz dont l'une venait de poser « entièrement nue dans 'Vogue' » (s'extasiait Télé-Loisirs) deviendrait cohérent ; cette cohérence étant un symptôme.

Saluons d'autant plus le geste de Sophie Marceau. Qu'elle se dissocie du showbiz décoré montre son indépendance.

Elle et les autres protestataires (Arielle Dombasle, Sophia Aram...) désapprouvent le fait de donner la Légion d'honneur à un dirigeant saoudien. Elles ont raison. 

Mais leur désapprobation ne voit que la dimension « sociétale » du problème... Si le régime saoudien n'était pas décapiteur et misogyne, l'épouse de BHL et l'humoriste politiquement correcte n'auraient pas protesté. Et Sophie Marceau ? On ne sait pas ce qu'elle pense du Proche-Orient. En revanche on sait ce qu'elle pense de M. Hollande, qu'elle qualifiait de « lâche » et de « goujat » en 2014 ; s'exposant ainsi à être traitée de « tête de linotte » par Catherine Deneuve, penseuse bien connue (elle sait que ce qui menace le monde c'est la Russie). Mme Deneuve a reçu la Légion d'honneur en 2009 des mains de M. Sarkozy.

Quant à Sophie Marceau, pourquoi injuriait-elle M. Hollande ? A cause de la façon dont il avait congédié Mme Trierweiler... Mme Marceau n'est pas une politique.

 

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*  ...en hurlant de rire.