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26/12/2015

En marche avec le pape François (2)

L'imam Tareq Oubrou, le P. Emmanuel Gougaud, le rabbin Laurent Berros.

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Débat sur la tension provoquée (dit la radio) par « les religions » :


 

 

C'est l'arrière-pensée du laïcisme : si « le terrorisme vient des religions », éradiquer celles-ci serait la solution ! Certes, on n'est pas trop sûr que les religions soient vraiment la cause de tout (et trop de croyants des « trois monothéismes » détiennent encore des cartes d'électeurs)... Mais cette façon de résoudre la question du terrorisme est trop simpliste pour que nos médias y renoncent.

On y a donc eu droit ce matin derechef. France Culture avait invité l'imam Tareq Oubrou, le prêtre Emmanuel Gougaud et le rabbin Berros (ainsi que le dessinateur Ranson). Ils allaient devoir répondre aux trois questions sempiternelles, toujours réfutées mais toujours reposées par les journalistes : 1. le « droit au blasphème » ; 2. la fusion supposée entre « les catholiques français et l'extrême droite » (voir ici la note précédente) ; 3. l'incontournable question gay ;  4.  la « laïcité ».

Sur la première question, le P. Gougaud a fait observer que la fête chrétienne de Noël désamorce la fausse idée d'un Dieu abusif et dictatorial (base de tous les intégrismes) : Noël montre un Dieu venu partager la faiblesse et la pauvreté... A quoi les journalistes ont opposé les réactions de groupuscules en 2011 à la pièce de Castellucci ; d'où la mise au point du P. Gougaud, qui avait suivi de près cette affaire. De la part des protestataires d'alors, a-t-il expliqué, les cris dans la rue exprimaient moins un lien avec la foi chrétienne qu'un instinct inarticulé – de « se raccorder à quelque chose »... En revanche, aurait-il pu ajouter, des intellectuels catholiques ayant assisté à la pièce l'avaient jugée pénible, mais intéressante sous l'angle de la théologie morale.

Les journalistes ont tenté de contourner cette explication, en insinuant que « les sympathisants identitaires étaient des catholiques aussi représentatifs que les autres »... (alors que les identitaires usurpent certains mots du catholicisme pour leur faire désigner autre chose que des idées chrétiennes).

D'où l'opportun point de comparaison musulman apporté par Tareq Oubrou : notre propre communauté religieuse, a-t-il dit, est circonvenue par des éléments marginaux cherchant « un alibi pour cracher leur haine » : une haine de nature matérielle, voire matérialiste, ce qui explique que le banditisme suburbain tourne si facilement au jihadisme.

Le rabbin Berros a souligné quant à lui que les affaires de « blasphème » liées aux caricatures de presse laissent froids les fidèles du judaïsme, religion dans lequel l'image ne joue aucun rôle. Les journalistes avaient prévu cette parade et préparé leur riposte : « C'est surtout que le judaïsme n'est pas prosélyte, contrairement au christianisme et à l'islam... »

Le prêtre catholique n'a pas répondu (comme il aurait pu le faire) que ce grief du prosélytisme était déjà utilisé par Néron, personnage que la laïcité n'ose pas encore revendiquer comme parrain. Le prêtre n'a pas non plus saisi l'occasion de préciser que : 1. le blasphème est attiré non par les comportements prosélytes (minoritaires), mais par les comportements triomphalistes (autoritaires) ; 2. le christianisme n'est pas « prosélyte » et ne tombe pas sous le coup de cette accusation (à moins qu'une future loi ne déclare illicite notre désir, pourtant légitime, de faire connaître nos raisons de vivre à d'autres !)... Et il aurait fallu ajouter que ce type d'échanges sur le spirituel n'est possible que si les autres sont demandeurs (c'est le contraire du prosélytisme, qui force les portes). Le rabbin Berros a raison lorsqu'il souligne : « le seul vrai blasphème, c'est le pratiquant qui le commet si son comportement salit la religion dont il se réclame. » Toutes les religions devraient enseigner cela à leurs intégristes, afin de les vacciner.

 Déboutés sur ces points, les journalistes de France Culture se sont alors repliés sur la question de l'homosexualité : thème dont le rôle envahissant en Occident commence d'ailleurs à intriguer le reste du monde. Ils sont allés chercher l'association David et Jonathan*. Son porte-parole s'en est pris à saint Jean-Paul II, accusé d'avoir restauré la pensée catholique autonome après  une décennie (1970) de sujétion envers un consumérisme mental selon lequel tous les comportements étaient bons : l'Eglise devait s'y soumettren'importe quel assemblage d'individus pouvait être appelé famille, etc.

« Je voudrais vous entendre condamner les violences et agressions homophobes », lance alors l'un des journalistes aux trois invités – sans préciser de quelles violences avérées il parle, ni sous quelles latitudes. Les réponses viennent, claires et nettes : « l'Eglise condamne toute agression », souligne le P. Gougaud. Botte du journaliste : « mais les appels de certains prêtres à participer à LMPT ? » Le prêtre ne perd pas de temps à dire que ces manifs ne se sont assorties d'aucune violence ; il va à l'essentiel : « Peut-on dire que toutes les manières d'aimer se valent ? Tous les êtres humains ont une valeur absolue, mais pas tous les comportements... La capacité plénière d'épanouissement est portée par le mariage hétérosexuel monogame. » Ce qui n'empêche pas deux homosexuels de rencontrer un prêtre en leur âme et conscience pour lui parler de leur vie, précise-t-il.

Tareq Oubrou va dans le même sens : « La dignité absolue de chaque créature doit être respectée. Le recours à la violence doit être proscrit. On ne doit jamais réduire un être humain à ses comportements... »

Le journaliste continue son offensive ; il n'a pas digéré qu'en 2013 des centaines de milliers de gens aient clamé dans la rue qu'ils récusaient l'idéologie de la loi Taubira**. Le rabbin Berros ajoute : « Comme toutes les associations, les religions ont le droit d'avoir une position sur les questions de société et de la faire connaître », précise-t-il. Et il file l'anecdote : « Dans ma synagogue j'ai vu des homosexuels vouloir se placer du côté des femmes ; il a fallu que je résiste... » Et il conclut : « la vie spirituelle est un chemin qui rejoint l'existence entière. »  Ce qui se voulait une embuscade  tendue aux « trois monothéismes »*** a donc tourné à leur avantage : les trois religions sont unanimes sur la question homosexuelle (puisqu'il faut absolument en parler sans quoi les journalistes seront frustrés), mais cette unanimité n'est pas « contre l'homosexualité » : elle est contre le fait d'assimiler la relation homosexuelle à l'union légale hétérosexuelle. Ce n'est pas du dogmatisme. C'est du droit civil.

 Dans la troisième partie de l'émission, France Culture a fait intervenir un professionnel de la com' nommé Félix Marquardt : lobbyiste atlantiste, proche des milieux pétroliers, violemment méprisant envers la France (il exhorte – en anglais – les jeunes Français à quitter « ce pays »), et converti en 2000 à l'islam pour... pouvoir épouser une musulmane. Ne doutant de rien, ce globish pur jus vient de fonder un « Forum mondial pour la réforme de l'islam » dont la première réunion doit se tenir en 2016. Interrogé par Tareq Oubrou sur ses connaissances religieuses, M. Marquardt a paru gêné, a fait allusion à « des aspects de l'islam peu connus de la communauté musulmane elle-même », et s'est avoué finalement séduit par « l'arabité » plus que par le Coran en soi.

Reprenant le fil de la discussion, Tareq Oubrou a expliqué que la notion nouvelle de la « laïcité » posait un sérieux problème. Se substituant à la notion classique, qui se contentait d'organiser le respect des cultes et leur séparation d'avec l'Etat, la « laïcité » version 2015 se présente comme un combat rampant contre toutes les religions : « une crispation au lieu d'une cohabitation et d'une régulation... » Ce que confirmait le rabbin Berros : « Il fut un temps où l'on pouvait discuter avec la laïcité. On ne peut plus. Elle s'est radicalisée. Elle ne veut plus rien entendre. Elle est devenue sourde à une partie de la société... »

Interrogé par une journaliste (qui s'acharnait à l'appeler « M. Gougaud »), le P. Gougaud ajoutait : « Le laïcisme n'est pas la laïcité ! Le laïcisme est une contre-religion. La laïcité empêche simplement César de se prendre pour Dieu, et les serviteurs de Dieu de se prendre pour César... Et cette laïcité a été fondée par le Christ : c'est en toutes lettres dans l'Evangile. »

Laissons le dernier mot au prêtre à propos des jeunes qui se fourvoient dans le jihadisme : « C'est leur désir de radicalisation qui les mène à l'islamisme, non l'inverse. Notre société les fait vivre dans une ambiance du zéro valeurs. Nous ne croyons même plus dans notre modèle social : l'Europe est malade de son matérialisme, de son culte de l'argent, comme le lui a dit le pape François lors de son discours au Parlement de Strasbourg... »

 

 

_______________ 

* L'intention apologétique exprimée par le nom de cette association fait hausser les épaules aux hébraïsants. En effet l'histoire d'amitié et de loyauté entre David et le prince héritier fils de Saül (racontée par la Bible dans les deux livres de Samuel) n'est pas compatible – sauf contresens – avec une interprétation sexuelle.

** Pourquoi n'en auraient-ils pas le droit, alors qu'ils ont le droit d'appeler à manifester pour le climat ou le droit au logement ? La question homosexuelle serait-elle devenue notre surmoi collectif ?

*** Dans les années 1970, « les monothéismes » n'étaient dénoncés que dans les colloques du GRECE. Aujourd'hui, ce leitmotiv néopaïen est devenu l'un des pont-aux-ânes de la bourgeoisie libérale... C'est un exemple de ce qu'en histoire des idées le défunt Jules Monnerot appelait « l'hétérotélie » : atteindre (au prix de grands efforts) un résultat autre que celui que l'on escomptait, voire incompatible avec celui-ci.

 

 A suivre : Gilles Kepel et « la genèse du jihad français ». Une analyse qui n'absout pas notre société !

 

 

Commentaires

DOUTEUSE SURENCHÈRE

> Je m’interroge sur la surenchère sécuritaire que nous avons connu à Noël : dans notre commune de 21 000 habitants de l’ouest francilien, nous disposions de 8 soldats en arme et treillis à la sortie de chaque messe. J’y vois une manifestation supplémentaire de ce laïcisme qui vise à nous convaincre que l’expression des convictions religieuses, au bout du compte, est une menace pour la vie collective. Ne nous laissons pas impressionner : ni par les terroristes, ni par les laïcistes…
______

Écrit par : Denis / | 27/12/2015

CONTRASTE FRAPPANT

> Le contraste entre l'indigence avec laquelle le sujet était présenté dans ce débat et la qualité des interventions des représentants des "trois monothéismes" (le P. Gougaud, l'imam Oubrou et le rabbin Berros) m'a curieusement fait penser à deux œuvres de miséricorde spirituelle : enseigner les ignorants et... supporter patiemment les ennuyeux.
Quant au fait, de la part de la journaliste de service, de donner du "monsieur" au P. Gougaud, l'inspiration de cette façon de s'adresser à un prêtre m'a paru assez peu "vincentienne", s'il faut faire référence à une manière d'appeler St Vincent de Paul ; j'ai plutôt pensé en l'entendant au commissaire des "Dialogues des carmélites", qui s'obstine à appeler "citoyenne" la prieure. Avec bien entendu des intentions moins brutales de la part de la journaliste, mais le même genre de raideur dans le refus de ce qui pourrait tout simplement être une convenance.
Cela dit, joyeuses et saintes fêtes de Noël !

SL


[ PP à SL - Joyeux Noël à vous et à tous les vôtres ! ]

réponse au commentaire

Écrit par : Sven Laval / | 27/12/2015

REPRÉSENTATIF ?

> Merci pour cette intéressante émission
Trois intervenants de qualité donc mais j'ai toujours une gêne avec des paroles de l'imam qui sont trop "chrétiennes" pour être honnêtes.

Ludovic


[ PP à L. - S'agissant d'une personnalité comme Tareq Oubrou - ou plusieurs autres -, ce soupçon ne serait pas justifié ; ce qui pose problème n'est pas leur sincérité (évidente) mais... leur représentativité, puisque les sunnites sont tous en concurrence les uns avec les autres. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Ludovic / | 27/12/2015

@ Sven Laval et Nicolas

> Il faut reconnaître qu'appeler un évêque "Monseigneur", pour beaucoup, ça ne passe pas. Moi-même, j'ai de plus en plus de mal !
D'ailleurs, à mon propre évêque, je donne du "Père" (sans "Mon" devant... à la parisienne, donc).
Au cours d'une cérémonie (inauguration d'un local paroissial), le maire de ma commune s'est même adressé à lui en l'appelant - ce n'était pas par souci....d'irrespect- "Monsieur l'Evêque".

Feld


[ PP à F.
- Je me permets de conseiller la lecture des pages 179 à 189 de 'La révolution du pape François' (Artège), où j'essaie d'analyser la mue des formes sociales du catholicisme sous nos latitudes. Mue nécessaire, si du moins on se soucie d'évangélisation !
- Sur "monsieur l'évêque" : noter que se répand aussi, et pourquoi pas, la formule "monsieur le cardinal" que le protocole réservait autrefois aux chefs d'Etat ou de gouvernement...
- Pour en revenir à la journaliste de France Culture : l'ambiance de l'émission (côté intervieweurs) pousse à interpréter son "monsieur Gougaud" comme une expression de phobie anticléricale.
Ce qui du reste n'a aucune importance !
Au contraire, mieux vaut que les attitudes soient exprimées : comme ça tout est clair. Ne faisons pas partie de ceux qui voudraient la persistance de formes ne répondant plus aux réalités ; fétichisme qu'il faut laisser aux intégristes muséographiques, genre "la France est chrétienne et le restera". (En clair : pas besoin d'évangéliser, la gendarmerie suffira quand on aura Le Bon Gouvernement). ]

réponse au commentaire

Écrit par : Feld / | 28/12/2015

L'ARGENT

> Restons simples : s'il faut à ces messieurs supprimer toute cause possible de violences dans le monde, à commencer par la plus monstrueuse, alors qu'ils condamnent l'argent !!!
Allez messieurs : un petit geste ! Débarrassez vous de votre argent et apprenez à vos amis à faire de même !!!
(C'est curieux, j'ai l'impression qu'il n'y a plus grand monde soudainement ?)
______

Écrit par : Fernand Naudin / | 28/12/2015

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