05/11/2015
Hommage à René Girard
L'anthropologue et philosophe est mort le 3 novembre :
La Violence et le Sacré (1972), Je vois Satan tomber comme l'éclair (1999), Celui par qui le scandale arrive (2001) : mort avant-hier à l'âge de 91 ans, René Girard a produit une oeuvre considérable qui n'est pas sans influence sur le christianisme d'aujourd'hui. Sa théorie du désir mimétique enracine la pensée chrétienne dans les réalités humaines, et l'immunise contre la perpétuelle tentation : se polariser contre des “ennemis”, faire de Dieu le garant mythique d'un ordre terrestre, et revenir ainsi au paganisme (le religieux archaïque). Girard éclaire la différence radicale entre paganisme et christianisme : dans les mythes archaïques, la victime sacrificielle – figure mythique – est constituée “coupable” de quelque chose, on la sacrifie pour garantir l'unité du clan et le récit est fait du point de vue de ses bourreaux-sacrificateurs. Au contraire, le Christ – figure historique – est innocent, se sacrifie de lui-même et le récit en sera fait de son point de vue, par ses disciples historiques. L'ordre du monde était lié au “Prince de ce monde” puisque fondé sur le meurtre ; le sacrifice du Christ réfute cet ordre et ouvre à une autre dimension d'où disparaît toute justification divine de la violence... Dans Je vois Satan tomber comme l'éclair, Girard écrit : “Les notions de cycle mimétique et de mécanisme victimaire donnent un contenu concret à une idée de Simone Weil selon laquelle, avant même d'être une théorie de Dieu, une théologie, les Evangiles sont une 'théorie de l'homme', une anthropologie.”
Il écrit aussi que Satan “imite le même modèle que Jésus, Dieu lui-même, mais dans un esprit d'arrogance et de rivalité pour la puissance” ; esprit dont les chrétiens sont perpétuellement tentés depuis deux mille ans :
« Puisque le déclenchement du mécanisme victimaire ne fait qu'un avec le comble du désordre, le Satan qui expulse et rétablit l'ordre est bel et bien identique au Satan qui fomente le désordre : la formule de Jésus 'Satan expulse Satan' est irremplaçable. La recette suprême du prince de ce monde, son tour de gibecière numéro 1, sa ressource unique peut-être, c'est le tous-contre-un mimétique ou mécanisme victimaire, c'est l'unanimité mimétique qui, au paroxysme du désordre, rétablit l'ordre dans les communautés humaines. Grâce à ce tour de passe-passe qui, jusqu'à la révélation judaïque et chrétienne, est toujours resté dissimulé et qui, jusqu'à un certain point, reste dissimulé de nos jours au sein même de sa révélation, puisque celle-ci n'est pas assimilée, les communautés humaines sont redevables à Satan de l'ordre très relatif dont elles jouissent. Elles sont donc toujours en dette à son égard et ne peuvent pas se libérer par leurs propres moyens... »
Nul mieux que Girard, en notre temps, n'a montré le pouvoir de subversion de la révélation chrétienne. Son oeuvre soutient ainsi la nouvelle évangélisation.
13:09 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : rené girard
Commentaires
SCIENCE
> Oui, Girard a remarquablement illustré la fécondité intellectuelle du christianisme. Le message évangélique est source de connaissance en des domaines très variés. Avec Girard, ce ne sont pas les chrétiens qui courent après les sciences humaines avec plus ou moins de succès; c'est plutôt l'expérience christique qui devient fondatrice d'une certaine science - parmi d'autres possibles aujourd'hui et demain - de l'être humain.
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Écrit par : Jean-Marie Salamito / | 05/11/2015
COLLOQUE
> Un colloque sur R. Girard et M. Henry dans deux jours à la BNF !
"Le désir de l'Autre
René Girard et Michel Henry
Colloque international organisé par la Bibliothèque nationale de France et l'ARM
Samedi 7 novembre 2015, 10h à 17h
Bibliothèque nationale de France
Site François Mitterrand, Salle 70
Il s’agira de continuer à faire dialoguer la pensée de René Girard avec celle de ses contemporains français, qu’il n’eut pas ou peu l’occasion de rencontrer, et qui pourtant gagnent à être confrontés tant aux analyses mimétiques du désir qu’aux perspectives anthropologiques plus larges que René Girard a déployées dans son œuvre. La rencontre avec la pensée de Michel Henry s’impose d’autant plus que ce grand phénoménologue a lui aussi présenté une interprétation très novatrice des Evangiles."
http://www.rene-girard.fr/57_p_38437/colloques.html
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Écrit par : Alex / | 05/11/2015
LIVRE
> Et n'oublions pas son livre lumineux sur Job: "La route antique des hommes pervers". Je déconseillerais en première lecture "La violence et le sacré", qui règle ses comptes avec trop d'auteurs (Freud, Levi-Strauss, etc.) pour être largement accessible.
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Écrit par : Maud / | 05/11/2015
Maud,
> Merci de votre conseil de lecture. Il y a quelques années, je projetais de lire "Des choses cachées depuis la fondation du monde" mais pour une question de manque de temps cela ne s'était pas concrétisé. Et aujourd'hui, devant l'ampleur de l’œuvre de René Girard, je ne sais pas trop par quel livre démarrer et mon projet de lecture, d'il y a 10 ans, ne me paraît pas forcément le plus pertinent pour une introduction de son œuvre.( Concernant René Girard, je ne suis pas en phase de découverte ayant lu et étudié un peu ses écrits, bien que de façon très sommaire).
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Écrit par : Arnaud Le Bour / | 05/11/2015
BEAUCOUP
> Pour ma part, je lui dois beaucoup, je peux dire qu'il a changé ma compréhension de la Révélation.
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Écrit par : Pierre Huet / | 06/11/2015
RÉVÉLATION INTELLECTUELLE
> j'ai beaucoup utilisé la pensée de Girard en formation à la prévention des violences. En lisant "des choses cachées..." il y a plus de vingt ans c'était comme une révélation intellectuelle.
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Écrit par : Samuel / | 07/11/2015
GLUCKSMANN
> Pauvre Girard.
On parle moins de sa mort que de celle du signataire de la pétition pour la dépénalisation des relations sexuelles entre adultes et mineurs de moins de 15 ans c'est-à-dire de la pédophilie...
Il était également signataire de la lettre ouverte en faveur de pédophiles en procès, lettre où l'on relève ceci entre autres : « Si une fille de 13 ans a droit à la pilule, c'est pour quoi faire ? » et « trois ans pour des baisers et des caresses, ça suffit » lettre publiée dans Le Monde, le "journal de référence".
Je veux parler de Glucksmann.
aux dernières nouvelles, il n'a eu aucune parole de repentir.
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Écrit par : E Levavasseur / | 10/11/2015
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