25/09/2015
François au Congrès : un discours historique
...dans ses intentions et ses priorités :
Le discours du pape au Congrès des Etats-Unis est à scruter minutieusement. Le ton est encourageant, "motivant", avec une empathie affichée envers les idéaux américains classiques : c’est dans ce cadre positif que François insère des recommandations chrétiennes qui sont, fondamentalement, des mises en garde contre les tropismes de la société américaine ultralibérale. Ainsi :
<< Une société politique perdure, si elle cherche, comme vocation, à satisfaire les besoins communs en stimulant la croissance de tous ses membres, spécialement ceux qui sont en situation de plus grande vulnérabilité ou de risque. L’activité législative est toujours fondée sur la protection du peuple. C’est à cela que vous avez été invités, appelés et convoqués par ceux qui vous ont élus... >>
<< Dans le monde développé, les effets de structures et d’actions injustes sont trop visibles. Nos efforts doivent viser à restaurer l’espérance, à corriger ce qui va mal, à maintenir les engagements, et ainsi promouvoir le bien-être des individus et des peuples… >>
<< Si la politique doit vraiment être au service de la personne humaine, il en découle qu’elle ne peut être asservie à l’économie et aux finances. La politique est, en effet, une expression de notre impérieux besoin de vivre unis, en vue de bâtir comme un tout le plus grand bien commun : celui de la communauté qui sacrifie les intérêts particuliers afin de partager, dans la justice et dans la paix, ses biens, ses intérêts, sa vie sociale… >>
Sans oublier le passage sur la famille, prononcé quelques mois après que « l’Amérique des grandes entreprises » (comme dit le catholique Patrick Deneen) ait exercé en faveur du lobby LGBT une pression gigantesque sur la Cour suprême et sur plusieurs Etats:
<< Je ne peux cacher ma préoccupation pour la famille, qui est menacée, peut-être comme jamais auparavant, de l’intérieur comme de l’extérieur. Les relations fondamentales sont en train d’être remises en cause, comme l’est la base même du mariage et de la famille … >>
Et le développement du pape sur l’écologie, qui a donné des bouffées d’indignation à la droite républicaine pour laquelle le climat est un mythe issu d’un complot (dû sans doute aux Illuminati ) :
<< [Le] bien commun inclut aussi la terre, un thème central de l’encyclique que j’ai écrite récemment afin « d’entrer en dialogue avec tous au sujet de notre maison commune » (Ibid, n. 3). « Nous avons besoin d’une conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental que nous vivons, et ses racines humaines, nous concernent et nous touchent tous » (Ibid, n. 14). Dans Laudato si’, j’ai invité à un effort courageux et responsable pour « repréciser le cap » (Ibid, n. 61), et pour inverser les effets les plus graves de la détérioration environnementale causée par l’activité humaine. Je suis certain que nous pouvons faire la différence et je n’ai aucun doute que les Etats-Unis – et ce Congrès – ont un rôle important à jouer. C’est le moment d’actions et de stratégies courageuses, visant à mettre en œuvre une « culture de protection » (Ibid, n. 231) et « une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature » (Ibid, n. 139). « La liberté humaine est capable de limiter la technique, de l’orienter » (Ibid, n. 112) ; cela « interpelle notre intelligence [à] reconnaître comment nous devrions… cultiver et limiter notre pouvoir » (Ibid, n. 78) ; et à mettre la technologie « au service d’un autre type de progrès, plus sain, plus humain, plus social, plus intégral » (Ibid, n. 112). A ce sujet, je suis confiant que les remarquables institutions académiques et de recherches américaines peuvent apporter une contribution vitale dans les années à venir. >>
Mises en garde aussi envers d’autres versants de la mentalité américaine :
<< …il y a une autre tentation dont nous devons spécialement nous prémunir : le réductionnisme simpliste qui voit seulement le bien ou le mal ; ou, si vous voulez, les justes et les pécheurs… >>
<< Nous savons qu’en nous efforçant de nous libérer de l’ennemi extérieur, nous pouvons être tentés de nourrir l’ennemi intérieur. Imiter la haine et la violence des tyrans et des meurtriers est la meilleure façon de prendre leur place... >>
S’ajoutent à cela des messages qui s’adressent également au Vieux Continent :
<< Nous, le peuple de ce continent [le Nouveau], nous n’avons pas peur des étrangers, parce que la plupart d’entre nous était autrefois des étrangers. Je vous le dis en tant que fils d’immigrés, sachant que beaucoup d’entre vous sont aussi des descendants d’immigrés. Tragiquement, les droits de ceux qui étaient ici longtemps avant nous n’ont pas été toujours respectés. À ces peuples et à leurs nations, du cœur de la démocratie américaine, je souhaite réaffirmer ma plus haute estime et mon appréciation… >>
<< Cependant, quand l’étranger parmi nous nous sollicite, nous ne devons pas répéter les péchés et les erreurs du passé. Nous devons nous résoudre à présent à vivre de manière aussi noble et aussi juste que possible, alors que nous éduquons les nouvelles générations à ne pas tourner le dos à nos ‘‘voisins’’, ni à rien autour de nous. Bâtir une nation nous demande de reconnaître que nous devons constamment nous mettre en relation avec les autres, en rejetant l’esprit d’hostilité en vue d’adopter un esprit de subsidiarité réciproque, dans un constant effort pour faire de notre mieux. Je suis confiant que nous pouvons le faire… >>
<< Notre monde est confronté à une crise de réfugiés d’une ampleur inconnue depuis la Seconde Guerre Mondiale. Cette crise nous place devant de grands défis et de nombreuses décisions difficiles. Dans ce continent aussi, des milliers de personnes sont portées à voyager vers le Nord à la recherche d’une vie meilleure pour elles-mêmes et pour leurs proches, à la recherche de plus grandes opportunités. N’est-ce pas ce que nous voulons pour nos propres enfants ? Nous ne devons pas reculer devant leur nombre, mais plutôt les voir comme des personnes, en les regardant en face et en écoutant leurs histoires, en essayant de répondre le mieux possible à leur situation, de répondre d’une manière toujours humaine, juste et fraternelle. Nous avons besoin d’éviter une tentation fréquente de nos jours : écarter tout ce qui s’avère difficile. Souvenons-nous de la Règle d’Or : « Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour les autres aussi » (Mt 7, 12).
Certaines autres nuances ont frappé les auditeurs. Ainsi, lorsque le pape évoque « notre responsabilité de protéger et défendre la vie humaine à chaque étape de son développement », l'exemple qu'il donne n'est pas l'avortement mais la question de la peine de mort. Le fait qu’il ne mentionne pas l’avortement signifie, non pas qu’il minimiserait ce problème*, mais qu’il appelle les militants pro-life américains à être cohérents – alors que nombre d’entre eux sont au contraire des partisans de la chaise électrique ou de l’injection létale.
Ainsi aussi le choix des figures emblématiques citées par le pape : Abraham Lincoln, Martin Luther King, le moine Thomas Merton – et Dorothy Day, fondatrice du Catholic Worker, combattante catholique d’extrême gauche (qui fut la bête noire – ou plutôt rouge – du cardinal Spellmann) : « Son activisme social, sa passion pour la justice et pour la cause des opprimés étaient inspirés par l’Evangile, par sa foi et par l’exemple des saints », déclare le pape… alors qu’il parle à des élus républicains en majorité, dont les plus jeunes ne savent pas qui était Dorothy Day (**) - et dont les plus vieux la considèrent comme une bolchevique. Il n’en faudra pas plus pour qu’une partie des catholiques américains relancent l’idée d’une béatification de Dorothy Day…
Quant à Thomas Merton, le converti devenu cistercien, il a pris part en profondeur (***) au renouveau de la pensée catholique avant et après Vatican II : ce qui lui a valu l’hostilité des milieux catholiques américains les plus myopes.
Au total, le discours du pape François devant les élus du Congrès se présente comme un remarquable plaidoyer (au nom de « l’esprit du peuple américain ») pour un changement radical en Amérique du Nord ; plaidoyer venu, non du Vieux Continent inféodé à Washington, mais d’Amérique du Sud : l’autre moitié du Nouveau Continent, et dont les Nord-Américains n’avaient pas l’habitude de recevoir des leçons.
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(*) Le pape François a indiqué plusieurs fois que l'avortement - pour dramatique qu'il soit - est un sujet dont il faut parler quand c'est nécessaire, mais pas "nuit et jour" en oubliant tous les autres.
(**) Taper Dorothy Day ici dans la fenêtre RECHERCHER.
(***)http://plunkett.hautetfort.com/archive/2010/11/01/l-uniqu...
15:01 | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : pape françois, états-unis
Commentaires
BÂTIR
> "Bâtir une nation" : comme c'est vrai ! Une nation n'est pas une pièce de musée. Elle est un ensemble certes irrigué par une culture et une mémoire commune, mais un ensemble d'êtres vivants donc mouvant et aléatoire. Et constamment "à bâtir". Et qui ne ressemble pas en 2015 à ce qu'il était en 1415.
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Écrit par : prof / | 25/09/2015
THOMAS MERTON
> Le premier tocsin contre le marketing des désirs – ressort de la société consumériste – fut sonné en 1948 par un catholique converti venu de l'extrême gauche étudiante, le moine trappiste Thomas Merton [photo ci-dessus], dans son autobiographie spirituelle ('La nuit privée d'étoiles') qui fut le livre de chevet de plusieurs générations de convertis :
« La société matérialiste et la soi-disant culture qui s'est développée sous les auspices du capitalisme, ont poussé, il est vrai, la frivolité jusqu'à ses limites extrêmes ; nulle part, sauf peut-être dans la Rome païenne, on n'a assisté à un épanouissement de convoitises et de vanités mesquines, dégoûtantes et communes, tel qu'on le voit dans le monde capitaliste où le mal est entretenu et encouragé par amour de l'argent. Toute la politique de notre société consiste à exciter chaque nerf du corps humain et à le maintenir au plus haut degré de tension artificielle, à bander à l'extrême tous les désirs et à en créer de nouveaux... »
C'est – avec cinquante ans d'avance – ce que l'on constate aujourd'hui, sous les coups de la crise et devant les vices structurels du système.
Le livre de Thomas Merton est un classique en France aussi : constamment réédité depuis 1951, il est en vente dans les librairies religieuses et les monastères de l'Hexagone (y compris les plus traditionnels). De quoi se nettoyer l'esprit de certaines « toxines de classe sociale », si besoin était...
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Écrit par : PP / | 25/09/2015
SÉVÈRE
> Dns un de ses livres Merton a eu aussi des mots sévères pour certaines jeunes moines des années 1960 pour lesquels le catholicisme consistait à chanter en latin et à prier le Ciel de détruire le communisme.
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Écrit par : bernard gui / | 25/09/2015
RUSE
> Que faire contre la ruse des bcbg cathos français qui font des colloques pour dire que le pape n'a pas dit ce qu'il a dit ?
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Écrit par : angelo rossi / | 25/09/2015
à Angelo Rossi
< je ne vois pas ce qu'on pourrait faire d'autre que protester. Mais c'est vrai que la contre-attaque anti-François prend des proportions en France dans un certain milieu d'affaires "bien pensant". Comme elle est oblique elle prend soin de ne pas choquer. C'est quand même une attitude déloyale en plus d'être très con.
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Écrit par : Quiniou / | 25/09/2015
@ AR et Q
> La droite américaine est plus franche. Elle au moins elle ne cache pas ce qu'elle pense au fond : "this pope is a Communist."
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Écrit par : churubusco / | 25/09/2015
CONFUSIONNISME CONTEMPORAIN
> Le pape rend visite aux petites sœurs des pauvres, une visite imprévue qui est interprétée comme un appui à leur travail et à leur cause en justice; en effet, les sœurs sont en procès avec l'administration américaine relativement au programme imposé par Obama en matière d'assurance-santé, parce que celle-ci doit couvrir la contraception; or la droite américaine est opposée à l'assurance-santé d'Obama; donc les sœurs sont de droite; donc le pape est de droite?
http://www.ilestvivant.com/usa-pape-une-visite-surprise-pas-du-tout-marginale/
Gauche droite, une distinction ontologique (bis)?
Claude
[ PP à Claude - Victime de ce confusionnisme, le cardinal Burke (encore lui) récidivait ce matin en disant "qu'on lui avait dit" que le pape de "n'en avait pas assez dit sur l'avortement", etc. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Claude / | 27/09/2015
MINOTAURE
> C'est le moment de se re souvenir du mythe du Minotaure. Poséidon demande au roi Minos de lui sacrifier un magnifique taureau blanc qu'il lui avait offert précédemment pour l'aider à être roi.
Désirant le conserver, Minos et sa femme Pasiphaé rusent en lui sacrifiant une autre bête.
-> ils refusent de rendre à la divinité/la nature ce qu'elle leur a donné
-> c'est le désir d'avoir qui les y pousse, supérieur au désir d'être (de bons fidèles).
Une passion folle s'empare de Pasiphaé pour le taureau qu'elle a préféré au dieu
-> refusant d'aimer le divin, elle se prend de passion pour le terrestre (vase communiquant).
Pasiphaé demande à l'ingénieur Dédale de lui fabriquer une vache de bois dans laquelle elle pourra se glisser afin de s'unir au taureau
-> Plutôt que de se rendre à la raison, recours à la science pour assouvir ses passions les plus folles.
Il en naît le Minotaure : un monstre
-> d'une passion monstrueuse que peut-il naître d'autre ?
On fait vivre le Minotaure dans un labyrinthe
-> image de la situation inextricable dans laquelle on se retrouve quand on refuse les lois naturelles.
Pour le nourrir, on lui sacrifie 7 jeunes hommes et 7 jeunes filles
-> on sacrifie l'humanité pour faire vivre le monstre qu'on a créé.
Thésée tue le Minotaure
-> il ne se perd pas dans le labyrinthe grâce au fil d'Ariane qui le maintien en contact avec le monde extérieur : les réalités.
En résumé :
-> le désir de posséder de Minos allant jusqu'à la désobéissance à la loi, la justice naturelle (rendre ce qui est dû) est accompagné du désir de jouissance allant jusqu'à la folie, au refus des réalités de Pasiphaé.
-> recours à l'artifice pour éviter les lois de la nature, dévoiement de la science, de l'intelligence
->prostitution de la technique à l'anti-naturel
->catastrophe, situation inextricable
-> on s'enfonce de plus en plus dans l'anti-naturel en lui sacrifiant l'Homme
-> le recours aux réalités permet de s'en sortir.
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Écrit par : E Levavasseur / | 28/09/2015
PASTICHES
> - Analyse techno-libérale du mythe du minotaure :
"sans l'initiative privée, Pasiphaé aurait été malheureuse toute sa vie.
"Avec l'intervention d'Athènes qui a envoyé Thésée, la créativité été brisée par une intervention de l'Etat.
"Qu'on pense seulement à la croissance du trafic de jeunes destinés à être mangés par le Minotaure !"
-Analyse LGBT :
"le fasciste Poséidon l'a eu dans le cul. La technique a permis de donner un espoir à tous ceux que la religion enferme dans la culpabilité.
Un grand merci à Dédale d'avoir permis ça : notamment le labyrinthe, univers personnel dans lequel le minotaure pouvait être ce qu'il était.
Du moins jusqu'à l'arrivée de Thésée-Torquemada."
-Analyse M6, TF1 :
"Vous aussi vous avez vécu une belle histoire d'amour avec un taureau ? Appelez tout de suite SVP pour participer à notre prochaine émission de téléréalité."
-Analyse nationale-catholique :
"complètement cinglés ces Grecs, vivement le retour des colonels."
-Analyse catho-nostalgique :
"ce n'est pas en France du temps du Général que ce serait arrivé tout ça, ah là là..."
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Écrit par : E Levavasseur / | 28/09/2015
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