"L'instinct de vie a été remplacé par l'instinct de mort"

 

Les actes et les profils des "cinq jeunes" de Sarre-Union (15-17 ans) n'ont rien à voir avec ceux du "jeune Omar el-Hussein" de Copenhague (22 ans). Et pourtant... 

 

 

Sur le cas d'Omar el-Hussein, Tahar ben Jelloun signe ce matin* des réflexions qui ne concernent (peut-être) pas seulement les jeunes « djihadistes » issus de l'immigration :

 << Toute l'Oumma s'était sentie humiliée par ces caricatures. Impossible de lui expliquer que ce blasphème appartient à une histoire d'une société qui n'a rien à voir avec l'Oumma. La blessure fut immense, et la volonté de punir et de se venger a germé dans des esprits vides culturellement, incapables d'accepter autre chose que leur propre rituel. […] Le parcours d'Omar el-Hussein ressemble absolument à celui des frères Kouachi : délinquance, agressions, prison, radicalisation, et là le nerf de la vengeance comme le nerf d'entrer dans une célébrité de quelques minutes ont poussé cet individu à faire le malheur. Cette soif du Mal n'arrive pas comme une fièvre soudaine. Elle a été préparée par tout un environnement marqué par une sous-culture où les images vidéo ont joué un rôle important. […] Voilà, l'Europe a généré des monstres anonymes qu'elle ne voit pas venir jusqu'au jour où un Kouachi ou un El-Hussein passent à l'action. Là, l'instinct de vie a été remplacé par l'instinct de mort, une mort donnée, une mort reçue. A partir du moment où les peurs ne sont plus au même endroit pour un Européen et pour un fanatique, la guerre ne se fait plus à armes égales, ou du moins selon une logique où la vie est quelque chose de précieux. >>

 

► Djihadisme et instinct de mort – Ben Jelloun souligne au passage l'aveuglement de l'Oumma envers les sociétés européennes : donc il ne dédouane pas l'islam des crimes « djihadistes ». Mais il signale que l'instinct de mort naît à la fois dans le monde musulman et dans notre propre société.

Et ce qui le fait naître dans notre propre société n'est pas seulement « l'islamisme », n'en déplaise à la droite : l'instinct de mort naît aussi du vide mental de cette société. D'où le phénomène du « passage au djihad » d'Européens nullement fils d'immigrés... Eduqués (si l'on peut dire) par les vidéos morbides made in USA, pris de désir au vu des vidéos ultra-violentes des djihadistes, ils prennent l'islamisme comme prétexte à l'envie de tuer. Les débriefeurs de « jeunes radicalisés » le confirment : une partie des garçons et des filles qu'ils confessent ne connaissent quasiment pas la religion dont ils se réclament.

 

► Zombies – J'ai dit « vidéos » : ceci nous amène-t-il au cas de Sarre-Union ? On le subodore... Ces profanations sont récurrentes depuis des années dans les pays occidentaux (notamment en France), et sont loin de viser seulement des cimetières juifs. Dans l'actuelle atmosphère d'attentats, on comprend que le CRIF puisse douter des déclarations des cinq jeunes arrêtés quand ils nient avoir agi par antisémitisme. Mais les enquêteurs « ne privilégient aucune piste »... Entre autres celle-ci : et si ces cinq jeunes, un après-midi de vacances scolaires, étaient venus dans un cimetière éloigné de tous les regards  – et qu'ils croyaient, disent-ils**, « abandonné »  – pour faire ce que d'autres jeunes profanateurs ont fait ailleurs : jouer « en vrai » (jeu répugnant) à la guerre contre les zombies, stupidité américaine dont le cinéma et les jeux vidéo sont saturés depuis des années ? Ce phénomène a été attesté dans d'autres cas de profanation de sépultures. Des policiers, des enseignants et des parents l'ont constaté.

L'instinct de mort ne s'en tient pas là. Il prend une place croissante dans la culture commerciale (c'est-à-dire toute la culture) de l'Occident : des productions caniveau – zombis & C° – aux block-busters et au cinéma bobo... Métastasant partout, il joue aussi un rôle dans la psychologie des « jeunes radicalisés ». L'islamisme est né dans le désert arabique ? Ça n'innocente pas le désert d'Occident, ni ce qui le hante.

 

PS – En ce qui concerne les cinq jeunes de Sarre-Union, je n'avance l'hypothèse des films et jeux vidéo que par méthode. Si l'enquête démontre qu'ils étaient sous l'influence de la judéophobie, mon hypothèse s'annulera dans ce cas-là. Mais elle est avérée ailleurs.

PS2 - 14h45, premiers résultats de l'enquête. Les cinq jeunes profanateurs de Sarre-Union sont décrits comme sans idéologie, "discrets", "renfermés" et "passant beaucoup de temps aux jeux vidéo".  De l'un d'eux, une lycéenne dit : "il est bizarre, solitaire, c'est un geek."

 

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* Libération, 17/02. Les caractères gras sont du blog.

** comme apparemment d'autres lycéens de Sarre-Union, selon les radios ce matin.