08/12/2014
Le transhumanisme ? Il n'existerait pas sans la marchandisation libérale
Il serait temps que les intellectuels catholiques français ouvrent les yeux sur cet aspect de la question, comme le pape les y appelle... et alors que (même) les médias s'en aperçoivent :
Libération ('Ecofutur') signale que va se tenir à Paris, le 12 décembre aux Bernardins, un débat de 90 minutes sur le transhumanisme avec Jean-Claude Guillebaud, Olivier Rey et Fabrice Hadjadj. Mettront-ils le doigt sur le point névralgique ? Souhaitons-le, même si l'on peut s'interroger au vu du texte de présentation qui s'en prend étrangement à l'écologie, présentée comme un « écologisme » censé vouloir « que l'homme cède la place au bonobo ». On croirait lire un site intégriste d'il y a dix ans ! L'organisateur du débat aurait gagné à assister au colloque du 29 novembre à la maison des évêques français ; il y aurait rencontré de véritables écologistes, et constaté qu'ils ne ressemblent pas aux monstres qui hantent les cauchemars des dévots et les livres des lobbyistes de la FNSEA. Il serait temps d'ouvrir les volets – comme le demande le pape François –, à l'heure où s'amorce enfin, entre chercheurs catholiques et véritables écologistes, le dialogue souhaité par Joseph Ratzinger dès 2004... Dialogue que de bons messieurs auront empêché de toutes leurs forces, pendant dix ans, pour ne pas faire de peine aux conseils d'administration.
C'est de cet aspect – les conseils d'administration – que nous parlons quand nous disons : « les trois débatteurs des Bernardins mettront-ils le doigt sur le point névralgique ? ». Il s'agit du facteur économique et financier, sans lequel on ne comprend qu'une partie des causes de l'engrenage transhumaniste. Libération d'aujourd'hui met au jour « l'agenda caché du transhumanisme : l'ultra-marchandisation d'un corps pièces et main d'oeuvre... Parti à l'assaut de nos dernières zones de non-productivité, le turbo-capitalisme numérique s'attaque maintenant à notre obsolescence programmée ». C'est-à-dire aux limites de la condition humaine, condition et limites de l'être sexué qui naît et meurt ! Le système économique veut « transcender (?) la triste condition humaine par l'hybridation du corps et de la machine et la seule force du génie humain. Exit Dieu le Père... » En 2030, « des nanorobots (à avaler en solution buvable) permettront la connexion électro-biochimique entre notre néocortex et le cloud » ! « Préparez-vous pour la pensée hybride », répète Ray Kurzweil, directeur de recherches chez Google.
Car ce n'est pas un délire de SF, mais un chantier économique actionné par des géants du business : « Google, Apple, Facebook et Amazon », signale Libération. Les géants du Web ambitionnent de récupérer toutes les données, y compris celles de notre santé, « pour nous les revendre sous la forme de pubs et de nouveaux services ».
En France, souligne le professeur de philosophie Jean-Michel Besnier (Paris IV), le « progressisme » inspirant ce chantier est assumé «par les différents ministères et l'académie des sciences, car il va dans le sens des intérêts économiques et industriels » : on constate ainsi que ces intérêts sont le critère de l'académie des sciences, et l'on redoute qu'ils soient aussi celui de notables non académiciens – y compris hélas en milieu catholique.
Le transhumanisme, explique Libération, est une « techno-religion ». De cela, les pieux notables conviendront sans peine et ils s'en tiendront là (s'en tenir à cette idée permet de dévier les analyses vers les théories planantes). Ce dont ils ne conviendront pas facilement, c'est que cette « religion » est la superstructure – ou le prétexte – d'un projet économique et financier. Le transhumanisme, né du business cybernétique (Silicon Valley), imprègne aujourd'hui la National Science Foundation et le département du Commerce américain, où l'on trouve peu de rêveurs. L'idée est de confier le pouvoir sur la santé publique aux NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, intelligence artificielle et sciences cognitives), dont les opérateurs sont les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). « Google a investi des millions de dollars dans des sociétés spécialisées en intelligence artificielle, en robotique, biologie moléculaire et séquençage ADN », note Libération. Ainsi les GAFA comptent prendre en main le pouvoir médical, à travers une médecine devenant prédictive « grâce au diagnostic anticipé établi par des algorithmes moulinant des milliards de données ». Les géants américains s'affrontent pour prendre les commandes de cette révolution bio-informatique ; une filiale de Google a déposé le brevet d'une méthode « permettant de fabriquer un bébé à la carte grâce à la sélection des gamètes de donneurs d'ovules ou de sperme ». Ce projet est en attente, mais la firme propose déjà à ses clients un service d'analyse génétique familiale, de même que les grandes multinationales prennent en charge la congélation des ovocytes de leurs salariées pour qu'elles ne fassent pas d'enfants durant leur carrière.
Commentaire de Nick Bostrom (Oxford) dans l'enquête de Libération : « 28 % des Américains disent aujourd'hui qu'ils seraient prêts à utiliser les NBIC pour augmenter le QI de leurs embryons. Que croyez-vous que vont faire les 72 % restants ? Ils n'auront pas le choix s'ils veulent éviter que leurs enfants ne deviennent les domestiques des premiers... »
Ce Meilleur des Mondes inégalitaire, produit du système économique et financier, le pape François – après ses prédécesseurs et avec encore plus de vigueur – n'hésite pas à le pointer du doigt. Son exhortation apostolique de 2013 en parle avec violence. La radicalité du pape semble faire peur à certains notables cathos de l'Hexagone ; ils aimeraient détourner le débat vers le spirituel planant et la chasse aux hérétiques (imaginaires)... Dès que les actes du colloque du 29 novembre seront parus, nous nous ferons un plaisir de les leur envoyer ; ils y liront avec profit l'intervention de Dominique Bourg à la séance du matin. Voilà un homme de science qui n'hésite pas à désigner le système économique actuel comme le responsable du saccage environnemental et de la déshumanisation ; on aimerait que tous les catholiques l'écoutent, le comprennent, et réalisent qu'il parle comme le pape.
> à lire : Le transhumanisme, ou quand la science-fiction devient réalité, par Jean-Guilhem Xerri. Documents Episcopat n° 9, septembre 2013, secrétariat général de la Conférence des évêques de France. documents.episcopat@cef.fr
12:33 Publié dans Ecologie, Economie- financegestion, Idées, Pape François | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : écologie, économie, catholiques
Commentaires
> A lire aussi, le dossier de 'La Nef' de décembre sur le transhumanisme. Très bon...
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Écrit par : JG / | 08/12/2014
POINT NEVRALGIQUE
> Avec des philosophes tels F. Hadjadj ou O. Rey on peut s'attendre à ce qu'ils mettent le doigt sur ce point névralgique. Autrement, ce serait désespérant, si même eux ne le faisaient pas.
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Écrit par : Aurélien Million / | 08/12/2014
à Aurélien Million
> l'inquiétant c'est qu'ils éprouvent le besoin de mettre le transhumanisme en parallèle avec "l'écologisme", sujet sans aucun rapport...
Cet "écologisme" ne venant pas du système économique, est-ce à dire que le transhumanisme non plus ? Houla !
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Écrit par : Solenn / | 08/12/2014
à Solenn
> Alors, il reste à espérer que ce n'est pas un de ces philosophes qui a écrit le texte de présentation,faisant le lien ridicule transhumanisme-écologisme, et qu'ils s'en démarqueront.
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Écrit par : Aurélien Million / | 08/12/2014
DISCUSSION
> Le transhumanisme n'existerait pas sans la marchandisation libérale ? Je ne vois pas comment vous pouvez le prouver alors même que l'idéologie transhumaniste semble davantage s'enraciner dans le désir de pouvoir s'affranchir des limites de la condition humaine que dans les intérêts économiques.
Certes, le libéralisme actuel s'est engouffré dans la brêche mais enfin, ne faisons pas non plus de ce libéralisme la cause de tous les maux existants. C'est bien plutôt depuis que l'Homme occidental s'est laissé séduire par l'idéologie du Progrès et en est venu à refuser toute transcendance que les diverses dérives (transhumanisme, ultra-libéralisme, laïcisme, mépris de la nature, etc.) sont apparues.
La vraie cause sera toujours, il me semble, le refus de Dieu.
Xavier
[ PP à Xavier :
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On ne fait rien sans argent, et l'argent est le maître de notre monde.
L'illimité est le ressort même du capitalisme libéral. (Mythe de la "croissance").
L'idéologie de l'illimité appliqué à l'humain, ou au post-humain, est indissociable de l'engrenage de l'illimité propre au capitalisme libéral, devenu turbocapitalisme.
Sans le système global de marchandisation de tout, qui est la formule même du monde actuel, les délires scientistes seraient restés des délires scientistes.
C'est parce qu'ils correspondent à la logique d'extension permanente du domaine des marchés (propre au système actuel), et qu'ils ouvrent des marchés sans précédent, que les promoteurs de ces délires - qui sont des entrepreneurs et des businessmen - lèvent les millions de dollars permettant de les mettre en chantier.
On ne peut pas fermer les yeux sur cet aspect du problème : il est déterminant en dernière instance.
Quant à l'argument spirituel ("oubli de Dieu"), il s'applique aux péchés individuels et collectifs de toutes les époques : il ne dit donc rien de spécial à propos de la nôtre.
(L'homme occidental a commis des atrocités bien avant de "se laisser séduire par l'idéologie du Progrès" ; atrocités encore pires, sur le plan spirituel, quand elles étaient commises au nom de la religion du Christ).
Pour aller dans votre sens, on constate que l'idéologie du Progrès a coïncidé avec l'abandon de la culture biblique et de la vision catholique de la vie en société, au tournant de l'âge classique ; mais il faut ajouter que l'idéologie marchande est apparue simultanément (cf Voltaire, poème 'Le Mondain'), et qu'elle était le produit du capitalisme qui se mettait en place. Les différents facteurs sont intrinsèquement liés; on ne peut pas les dissocier. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Xavier / | 08/12/2014
FACTEUR
> quand des cathos refusent de prendre en compte le facteur économique dans les troubles actuels, ils tournent le dos à l'enseignement de leur propre Eglise.
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Écrit par : A. Landry / | 08/12/2014
DOMINIQU BOURG
> Fabrice Hadjadj,Jean-Guilhem Xerri(brièvement) et Dominique Bourg sont intervenus samedi et hier aux Assises du Courant pour l'Ecologie Humaine. Bourg a évoqué le transhumanisme et l'anthroposphère du monde qu'on cherche à nous imposer (l'écologisme n'étant bien sûr pas désigné parmi leurs complices !).
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Écrit par : girondin / | 08/12/2014
QUESTIONS
> Un des derniers livres d'Hadjadj, "Puisque tout est en voie de destruction" (excellent recueil de conférences), oppose en effet, quelque part, transhumanisme et 'écologisme' (mais il donne à ce terme un sens très précis, que je n'ai plus sous la main juste là). Et l'allusion au bonobo est très hadjadjienne : il dénonce ainsi la réduction matérialiste de l'homme à un primate qui n'a que des instincts.
Alex
[ PP à A.
- Je n'en doute pas. C'est pertinent si l'on déplace la question.
- Mais la question est celle-ci : pourquoi prononcer une fois de plus cette formule rituelle (de l'ultradroite catho), faite pour donner l'impression que l'écologie se réduit à on ne sait quel "écologisme" ?
Et pourquoi la prononcer en introduction d'un débat sur le transhumanisme, que les véritables écologistes combattent avec force - et depuis bien plus longtemps que les cathos (débarqués là-dedans avec trois temps de retard comme d'habitude, et en essayant de zapper l'analyse économique pour ne pas faire de peine à l'oncle Hubert) ?
C'est comme si l'on ne voulait pas savoir que le colloque décisif vient d'avoir lieu, à la CEF et avec de véritables écologistes.
Enfin, pourquoi toujours en revenir aux "mots de la tribu" catho-catho hexagonale, mots inchangés depuis que 'Famille chrétienne', il y a dix ans, définissait ainsi l'écologie : "se préoccuper de la mouche tsé-tsé et non des bébés humains" ?
D'autant que FC, rendons-lui cette justice, a évolué dans le bon sens dans ce domaine ! On ne peut pas en dire autant de tout le monde : certains évoluent dans un sens opposé à celui de l'épiscopat et du pape. Quelque chose ne tourne pas rond dans le milieu catho conservateur* depuis l'arrivée du pape François qui semble provoquer chez eux un retour du refoulé.
* Qu'on ne me reproche pas d'ajouter cet adjectif au mot "catho" ; il est utilisé à jet continu par ce milieu lui-même et ses deux journaux favoris. ]
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Écrit par : Alex / | 08/12/2014
EGLISE
> Hadjadj est dans le coup? Encore un mythe qui s'effondre... Déjà qu'il nous a infligé, lui aussi, un livre sur l'idole favorite de l'Eglise de France...
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Écrit par : Maud / | 09/12/2014
DECEVANT
> Très décevant de la part de Hadjadj. Je n'ai jamais été un de ses fervents lecteurs; mais je le croyais plus fin que ça. Prétendre que l'écologie consiste à réduire l'homme à sa condition animale, c'est du grand n'importe quoi. Pire! c'est se faire le porte-voix de rumeurs désinformatrices, qui n'ont rien de philosophique.
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Écrit par : Blaise / | 09/12/2014
@ Maud
> De quel livre parlez-vous ?
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Écrit par : Aurélien Million / | 10/12/2014
FOR INTERNE
> "débarqués là-dedans avec trois temps de retard comme d'habitude" : il me semble que vous êtes vous-même catholique. Ou alors c'est la CEF qui a toujours un train de retard ? Désolé mais cette sortie frise le mépris et je m'étonne de la lire sous votre plume.
GK
[ PP à GK - Le catholicisme n'est pas un parti. Les membres des partis font bloc pour masquer leurs erreurs. Les catholiques pratiquent entre eux la correction fraternelle. Si vous aviez été présent au colloque décisif du 29 novembre à la maison des évêques à Paris (sur l'écologie), vous auriez entendu un religieux regretter avec force le retard de l'Eglise française dans ce domaine. Et ça n'a choqué aucun des trois évêques présents. C'est ça, le catholicisme !
De grâce, informez-vous avant de vous scandaliser... et de juger autrui jusque dans son for intérieur (voir du "mépris" là où il ne saurait y en avoir).
C'est la seule façon de pouvoir échanger.
Evitons le réflexe de certains qui aiment mieux étiqueter que discuter... (Il leur est plus commode en effet de disqualifier ceux qui ne partagent pas leurs opinions de milieu). ]
réponse au commentaire
Écrit par : Guillaume Kerascoët / | 10/12/2014
à Maud
> Hadjadj a été brillant ce matin à Radio Notre-Dame.
Je ne crois pas que la c...ie sur le bonobo soit de lui. Il reste quelques sectaires de droite dans les institutions cathos, l'un d'eux peut avoir fait cet ajout aux Bernardins. C'est plus fort qu'eux : l'écologie est leur épouvantail.
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Écrit par : Sébastien / | 11/12/2014
LIVRES
> Jamais dit que c'était pas un type brillant. Si le bonobo est hadjadjien, c'est un mythe qui s'effondre. Il a écrit de beaux livres, mais je continue de penser que le dernier flatte l'Eglise de France dans son idolâtrie maladive.
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Écrit par : Maud / | 13/12/2014
HADJADJ SUR R.N.D.
> Rendons justice au grand Fabrice Hadjadj ; je pense de plus en plus qu'il a le rôle pour notre époque de Maritain au XXe siècle : la grande conscience catholique clairvoyante que tout le monde refuse d'écouter. Ce n'est pas pour rien qu'il est au Conseil pontifical pour la famille.
Il faut écouter cette petite demi-heure sur RND, excellente et tout à fait décroissante dans son apologie de la déconnexion, de la vraie convivialité de la veillée, de la table familiale, de l'accordéon (l'art sans électricité !), de la simplicité volontaire, etc. :
http://www.famillechretienne.fr/famille/relations-familiales/fabrice-hadjadj-la-famille-l-institution-anarchiste-par-excellence-!-156205
Maud, je sais que tu es à cran contre un certain familialisme... Mais le livre d'Hadjadj est à mille lieues au-dessus des mesquineries bourgeoises 'catho'. Il faut le lire et non le conspuer a priori. Pas d'idole ici.
Pour ma part, je regrette d'avoir évoqué un vague souvenir du mot 'bonobo' sous la plume d'Hadjadj, s'il suffit à le faire baisser dans l'estime de certains lecteurs de ce blog. J'admire et j'estime immensément cet écrivain. Sur ce, déconnexion.
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Écrit par : Alex / | 17/12/2014
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