07/06/2014
Les catholiques français doivent se libérer de l'illusion "droite-gauche"
La chronique hebdomadaire (excellente) de Guillaume de Prémare à Radio-Espérance :
Le catholicisme face à la question sociale
De retour de Terre Sainte, le pape François a répondu dans l’avion à une question sur « la montée inquiétante du populisme ». Il a écarté sèchement cette question purement rhétorique pour mettre le doigt là où ça fait mal : « Le problème, c’est la culture du rebut dans une société où l’argent est au centre. ». François dénonce la dérive d’un système économique mondialisé qui produit massivement du rebut humain, y compris dans nos sociétés d’abondance.
Depuis le début des années 1990, la finance est devenue une puissante industrie dématérialisée ; le libre-échange a ouvert l’espace des nations aux prédations économiques ; les principaux marchés mondiaux sont le théâtre d’un capitalisme de connivence entre oligarchies privées et puissance publique. Sous certains aspects, nous vivons actuellement une révolution comparable à la révolution industrielle du 19ème siècle. Elle est comparable en ce sens où elle pose à nouveau de manière cruciale « la question sociale ».
40 % des Français – qui vivent principalement dans la France profonde et la périphérie des métropoles - sont aujourd’hui directement concernés ou potentiellement menacés par la « culture du rebut ». Ce morcellement socio-géographique constitue le principal visage de la question sociale d’aujourd’hui. Il faut se saisir de cette question sociale, comme nos prédécesseurs s’en sont saisis au 19ème siècle. Ces « catholiques sociaux » présentaient des convictions politiques parfois opposées mais s’étaient attachés à l’urgence essentielle de leur temps.
Avec notre regard d’aujourd’hui, cela semble évident que la misère ouvrière du 19ème siècle méritait une telle prise de responsabilité. Mais c’était loin d’être évident à l’époque. Certains déniaient alors qu’il existât une question sociale qui fût si urgente. L’histoire se répétera-t-elle ?
La France vient de connaître des convulsions dites « sociétales » ; elle connaît aujourd’hui des convulsions électorales ; et elle se dirige tout droit vers des convulsions sociales, au moment où se conjuguent la faillite de l’autorité politique et le morcellement de la France.
C’est un défi pour le catholicisme français, aujourd’hui marqué par une sociologie proche de la France urbaine aisée, naturellement tendue vers un certain conservatisme. Il n’est pas exclu que les circonstances historiques que nous vivons impliquent une obsolescence accélérée du logiciel classique du conservatisme catholique "bon teint".
A mon avis, les solutions aux problèmes de l’heure dépassent largement le cadre d’une alternance classique en 2017. De nombreux catholiques semblent rêver d’une recomposition politique dans laquelle une droite conservatrice et morale, une « droite des valeurs », pourrait trouver enfin sa place décisive dans l’histoire. Et la situation est semblable à gauche.
C’est un curieux spectacle que d’entendre des gens réclamer, qui une « vraie droite », qui une « vraie gauche », sans s’apercevoir que s’ils ressentent un tel manque, c’est précisément parce qu’ils courent après un train qui ne passera plus… L’enjeu n’est pas de reconstruire la droite ou la gauche. Dieu nous en préserve !
L’enjeu est d’engager progressivement, à partir de la question sociale, une réforme profonde de la modernité et du système économique dont elle a goulûment et frénétiquement accouché, jusqu’à consacrer ce que le pape François appelle « la dictature de l’argent ». Face à cela, les vertus cardinales du siècle seront la force et la justice.
10:00 Publié dans Société, Témoignage évangélique | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : catholiques
Commentaires
PAS D'ACCORD
> Il y a quelque chose de consternant dans l'analyse reproduite, quelque chose en filigrane et qui me dérange par sa position d'exclusion proche du jugement dépréciatif et méprisant.
L'Evangile est, dans son essence, révolutionnaire et ne peut être que révolutionnaire.
Il est enraciné dans son terreau judaïque pour en tirer toutes les implications pratiques qui met l'Homme au-dessus de toute autre considération quelle fût économique, juridique ou religieuse.
La réflexion théologique qui en découle introduisit le concept de "personne" appliqué à l'homme (reprenant la notion grecque de "prosopon", voir le dictionnaire étymologique de Chantraine, puis celle latine de persona, dans son acception juridique formulée au III ème siècle par Paul le juriste) partant de la définition de Boèce dans sa réflexion christique à l'intérieur du débat trinitaire développé dans son traité "Contre Nestorius et Eutychès".
C'est sur ce développement fondé par la praxis évangélique que repose la dignité chrétienne de la "Personne" combattue en tant que tel dans notre monde utilitariste.
Toute autre critère que le respect prioritaire de la personne humaine, de chaque individu quel qu'il soit, est contraire à l'Evangile!
La théologie écologiste n'est qu'une mise en application de ce fondement, l'être humain est une partie intégrante de cette communauté de création à laquelle il appartient comme l'ensemble des autres éléments, vivants ou non.
Stigmatiser un groupe dans son repliement n'est en rien une démarche acceptable, mais la répétition inlassable du message évangélique pour en faire comprendre la substance est par contre une nécessité.
On ne rassemble pas en stigmatisant.
Reste à comprendre pourquoi, dans son fondement souvent inconscient, de tels groupes peuvent en venir à s'attacher à un message sans en tirer les implications.
L'Histoire nous permet d'en saisir les principales motivations.
Ce n'est pas la Révolution française qui a poussé des catholiques dans un retranchement conservateur mais la révolution de 1848 qui a effrayé par son désordre social rappelant celui qui suivit 1793.
Rappelons-nous que l'un des artisans de la constitution de la II ème République, Philippe Buchez, « se réapproprie l'héritage révolutionnaire au nom d'une messianisme catholique » comme l'écrit François Furet.
La césure est alors consommée entre un catholicisme qui idéalise dans un passé reconstitué autant qu'idéalisé un Ancien Régime vu rétrospectivement comme accomplissement divin et un catholicisme dit social, s'enracinant dans le catholicisme libéral post-révolutionnaire (libéral au sens de respect des libertés individuelles) qui privilégie l'être humain dans sa totalité y compris dans son extrême fragilité (en sens s'opposant aussi aux dérives eugénistes du darwinisme social).
Héritiers de l’ensemble des circonstances de l’Histoire les catholiques oscillent entre ces différents pôles. Le dire est une chose ostraciser en est une autre inacceptable.
Le christianisme n’a jamais à s’identifier à un système politique mais doit toujours rappeler et ce inlassablement, d’où les attaques permanentes dont il est l’objet, que les êtres humaines sont des personnes, membres des deux cités, terrestres et célestes et que tout être fait dans l’intérêt de ces personnes et non pour la rentabilité financière.
C’est par l’attention aux plus petits d’entre nous que nous assumons notre appartenance au Christ, ce qui exclut, entre autre, un rejet de l’autre, rejet d’autant plus violent qu’il nous est plus proche !
Il ne peut y avoir d’éthique sans anthropologie première et toute anthropologie engage dans une action qui doit en assumer la cohérence.
Les artisans de paix doivent commencer par l’être dans leur propre maison.
Albert E.
[ PP à Albert E. :
- Permettez-moi de vous exprimer mon désaccord. Il n'y a aucun mépris dans le fait de dire les choses. En revanche, il est inquiétant de voir certains de nos contemporains ne pas supporter qu'on les leur dise.
- Ils sont bien installés dans l'existence, mais leur exquise sensibilité se révulse devant la moindre critique.
- Et que critique le texte de Guillaume de Prémare ? L'erreur de perspective qui enferme ces contemporains dans un anachronisme : la schizophrénie droite-gauche ; et dans un refus : ne pas admettre que le système économique et social doit être changé, comme l'Eglise le demande avec insistance.
- Certaines corrections sont affectueuses dans leur objectif, dit saint Augustin. Dire à l'autre que son réflexe pulsionnel n'est pas bon, ce n'est pas "le rejeter". (Laissez cette idée fausse aux publicitaires).
- J'ai du mal à comprendre que des catholiques aient le culot de devenir sourds à la parole du pape quand elle contredit leurs opinions et/ou leurs intérêts. Hélas c'est ce qu'ils font. J'en ai sur mon bureau une preuve de deux cents pages... ]
réponse au commentaire
Écrit par : Albert E. / | 07/06/2014
CATHOLIBERAUX
@ PP
> A propos des catholiques sourds à la parole du pape en matière économique et écologique, "j'en ai sur mon bureau une preuve de deux cents pages". Ils ont une vraie apologétique !
AM
[ PP à AM - Si vous faites allusion aux deux cents pages en question, je peux vous dire qu'elles sont emphatiques mais dérisoires. Si "apologétique" il y a, elle ne marquera pas l'époque. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Aurélien Million / | 07/06/2014
LIBÉRATEUR
> Un vrai bonheur de lire cela. Que le pape écarte d’un revers de main l’accusation-valise de populisme pour pointer la mondialisation financière est libérateur.
Permettez qu’on nuance le profil sociologique et mental que G. de Prémare fait de l’Eglise en France. D’une part il y a la présence massive et bien visible de Français d’Outre-mer, ceci depuis des années. Mais il y a plus.
Hier, a Cergy-Pontoise j’ai une la joie d’assister à la confirmation de 139 adultes dans la force de l’âge (25-45 ans pour la plupart). Faute d’église assez grande, il y avait une autre cérémonie semblable l’après midi ! En tout, 249 confirmés, pour moitié des baptisés récent, pour moitié des personnes qui s’étaient éloignées à l’adolescence. Je crois que les proportions sont les mêmes pour l'ensemble de la France. Il ya aussi ceux, peut être aussi nombreux, qui étaient déjà confirmés, s’étaient éloignés, et reviennent.
Alors, au cours des années, cela finit par changer en profondeur l’état d’esprit les paroisses.
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Écrit par : Pierre Huet / | 08/06/2014
@ Albert E.
> Je crois profondément que ceux qui ont reçu beaucoup en éducation, instruction et culture - et aussi parfois en conditions matérielles - sont particulièrement appelés à la responsabilité dans une situation historique où le peuple est abandonné par les élites. Je conçois mon propos comme un encouragement à la lucidité et la responsabilité.
Pour mieux comprendre mon appel, vous pouvez lire la chronique précédente :
http://plunkett.hautetfort.com/archive/2014/05/27/la-france-part-en-morceaux-5378440.html
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Écrit par : Guillaume de Prémare / | 08/06/2014
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