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09/01/2013

Zeev Sternhell : "Pour le jeune Likoud, les Palestiniens n'ont pas les mêmes droits naturels que nous"

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Au centre Bernard-Lazare à Paris, conférence hier soir du politologue-historien israélien :


 



Prix d'Israël en 2008 pour ses travaux de politologue [1], professseur de sciences politiques à l'université hébraïque de Jérusalem, co-fondateur en 1978 du mouvement israélien "La paix maintenant" (Shalom Akhchav) [2], Zeev Sternhell est un adversaire notoire de l'engrenage de la colonisation et du "détournement du sionisme par un ultra-nationalisme ethnique" [3]. À Paris, hier soir, quinze jours avant les législatives israéliennes, il donnait une conférence au cercle de gauche Bernard-Lazare sur le thème : "Israël est-il condamné à être gouverné par la droite ?"

Résumé de son propos :

> porté par sa forte natalité (six à dix enfants par famille contre deux dans les familles "laïques"), dominant la scène politique et l'armée, le mouvement des colons est devenu "déterminant dans notre société".

> "Une grande partie des classes défavorisées votent contre leurs intérêts économiques pour des raisons nationalistes" : c'est un réflexe tribal, irrationnel. Votant pour la droite, ces pauvres financent par leurs impôts le gouffre financier de la colonisation, et soutiennent une politique néolibérale catastrophique pour eux (école et médecine à deux vitesses, etc). "La gauche n'arrive pas à pénétrer chez ceux qui auraient le plus besoin de notre conception sociale..."

> Les grandes manifestations de l'été 2011 (Jérusalem, Tel Aviv, Haïfa) avaient fait croire à la présidente du parti travailliste de centre-gauche, Shelly Yechimovitch, qu'un grand plan économique et social allait séduire les électeurs. "Elle avait oublié le problème de la colonisation et des territoires..."

> Netanyahu pourrait être ébranlé si les pulsions de "recherche d'autre chose" aboutissaient. "On voit constamment des phénomènes comme celui de l'honorable rabbin Haïm Amsellem, inconnu il y a un an : dissident du parti orthodoxe Shass, il a fondé en 2011 un parti « Peuple intègre », au nom de l'honnêteté, de la pondération et de la séparation du politique et du religieux..." Ou l'ex-journaliste Yaïr Lapid, "encore un brave type plein de bonne volonté", avec son parti nommé "Il-y-a-un-avenir"...

> "Former un bloc rationaliste face à Netanyahu ? Trop tard, à deux semaines des élections..."

> "Il n'y a pas de différence entre Naftali Bennett [4] et Yariv Levine, le jeune loup du Likoud. Bibi (Netanyahu) dit la même chose que Levine. Et derrière Bennett il y a ceux qui prônent ouvertement le 'transfert' des Arabes ou un régime d'apartheid."

> "Cette nouvelle génération politique pense qu'Israël ne peut pas admettre l'existence d'un Etat palestinien. Dans leur vision du monde, pas de place pour deux Etats. Ils pensent fondamentalement que les Palestiniens n'ont pas les mêmes droits naturels que les juifs et que c'est dans l'ordre des choses... Que les juifs aient un droit absolu sur l'ensemble du territoire, qu'ils doivent tenir en laisse les Palestiniens, qu'il n'y ait aucune symétrie de droits entre les deux peuples, cette opinion était marginale au Likoud il y a cinquante ans ; aujourd'hui c'est devenu la norme. C'est devenu une idée profondément enracinée et respectable."

> "Le grand échec de la gauche israélienne : ne pas avoir réussi à faire de la fondation de l'Etat quelque chose de totalement nouveau."

> "Quand l'Etat a été créé, il y eu deux acquis : la ligne verte, frontière acceptée par tous ; et le statut de citoyen, que les juifs avaient pour la première fois et qui incorporait 16 % de non-juifs (aujourd'hui 20 %). La droite veut défaire aujourd'hui ces deux acquis."

> "Le processus de conquête aurait dû s'arrêter en 1949. En 1967 nous aurions dû avoir le courage de dire : arrêtons, ce n'est plus vital ! Tous les objectifs du sionisme sont atteints dans les limites de la ligne verte ! Mais la gauche a été incapable de le dire, car tout notre passé était fondé sur la conquête de la terre. Tous étaient dans cette ligne : Pérès, Alon, Dayan... La guerre de 1949 était le début d'un long processus de conquête."

> "Maintenant nous sommes seuls face aux Palestiniens, et nous n'avons pas les moyens de résoudre le problème par nous-mêmes. Faire évacuer les colonies ? Nos gouvernants n'en sont pas capables. La moindre blessure infligée à un jeune colon déclencherait un drame national."

> "Une négociation directe sans préalable avec les Palestiniens ? Cette solution est exclue par le jeune Likoud, puisqu'il n'est pas capable d'imaginer une Cisjordanie qui ne serait pas israélienne."

> "Un Etat bi-national ? D'une part, ce serait la fin du sionisme. D'autre part, ça ne fonctionne nulle part : ni en Europe ni ailleurs."

> Le niveau "consternant" de la classe politique israélienne. Question d'un auditeur : "Pourquoi les intellectuels ne participent-ils pas à la vie politique ?" Réponse de Zeev Sternhell : "Certains d'entre nous ont essayé. En 1977, nous avons adhéré au parti travailliste. On nous a choyés. Pendant cinq ans nous avons joué le jeu à fond : élections, comité central, bureau politique... Pour découvrir enfin que les décisions importantes se prenaient 'ailleurs', et que nous ne servions à rien. Puis il y a eu la guerre du Liban ; alors nous avons arrêté. Nous n'étions pas faits pour ça."

> Question d'un auditeur sur le pouvoir des colons. Réponse de Zeev Sternhell : "Ils ont envahi le Likoud de l'intérieur, et ils ont un veto sur tout. Ils sont le vrai pouvoir politique. Personne n'ose les affronter. Les sachant sur-armés et capables de tout, le gouvernement leur cède sur tout. Ils viennent même d'obtenir le statut d'université pour leur petit collège d'Ariel, près de la vallée du Jourdain... Ils intimident la police et l'armée. Chaque fois qu'ils attaquent des Palestiniens, c'est pour faire peur au gouvernement. Maintenant ils veulent briser les reins à la Cour suprême. Seule une mobilisation des esprits pourrait les affronter ; mais le prix serait une guerre civile avec les colons, et personne n'aurait la puissance morale et mentale de s'imposer ça."

> La dernière question des auditeurs a porté sur l'inertie d'Obama. Réponse désabusée : "Pourquoi jouerait-il ses quatre dernières années sur une aussi mauvaise carte ?"

 

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[1] Notamment : Aux origines d'Israël – Entre nationalisme et socialisme (Fayard 1996, Gallimard Folio Histoire 2004).

[2] mouvement extra-parlementaire créé par 300 officiers de réserve de l'armée israélienne. Classé à gauche, son objectif est "de convaincre l'opinion publique et le gouvernement israélien qu'il est possible et nécessaire d'aboutir par la négociation, d'abord, à une paix juste et durable fondée sur le principe « deux peuples, deux États »", puis à une réconciliation entre Israël, un éventuel État palestinien et les autres pays arabes voisins. Ce mouvement, sioniste modéré, vise donc à la création d'un Etat palestinien.

[3] En septembre 2008, peu après avoir reçu le prix d'Israël, Sternhell a subi un attentat à l'explosif commis par un Américain d'extrême droite devenu colon israélien en 2000 : Jack Teitel, 39 ans, membre de la colonie de Shvut Rachel. Par ailleurs assassin d'un chauffeur de taxi palestinien et d'un berger bédouin, Teitel avait aussi tenté de tuer le fils de 15 ans d'un missionnaire évangélique. C'est en Floride, où il vivait, qu'il avait résolu de venir en Israël « to kill Palestinians ».

[4] Naftali Bennett : quadra milliardaire israélo-américain, chef du parti extrémiste "La Maison juive" et du mouvement de colons "My Israël". C'est lui qui a lancé en 2011 la campagne pour éliminer de Wikipedia les points de vue jugés compréhensifs envers les Palestiniens. Yariv Levine : autre quadra, leader montant de l'aile dure du Likoud. Ennemi de la Cour suprême israélienne qu'il juge "gauchiste". Il a condamné notamment la décision de ne pas couper l'électricité à Gaza comme "motivée par des considérations politiques influencées par la gauche".

 

 

 

Jack Teitel, l'Israélo-Américain auteur de l'attentat contre Zeev Sternhell

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 " I came in Israel to kill Palestinians."


Commentaires

PARTOUT

> Merci de nous faire connaître le point de vue de cet historien israélien. Il montre que :
- la régression ethniciste est à l'oeuvre partout
- il y a partout des tartuffes pour présenter ça comme une affirmation religieuse,
- et partout cet ethnicisme est le camouflage du néolibéralisme !
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Écrit par : Pierre-Paul / | 09/01/2013

IMBECILES

> Ce sont les "imbéciles" au sens de Bernanos : des faibles ne voyant pas que leurs affects sont manipulés cyniquement par des forts.
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Écrit par : oriamendi / | 09/01/2013

> "n'ont pas les mêmes droits naturels que nous", en termes plus concis: "sont des sous-hommes".
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Écrit par : Pierre Huet / | 09/01/2013

LA CONFERENCE EN LIGNE

> La conférence de Zeev Sternhell a été mise en ligne sur Akadem :
http://www.akadem.org/sommaire/themes/politique/societe-israelienne/systeme-politique/israel-est-il-condamne-a-etre-dirige-par-la-droite-09-01-2013-49848_155.php
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Écrit par : Blaise / | 18/01/2013

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